Chapitre 22

— Reyna, reviens !

Mère peut toujours courir. Elle tient aux côtés de Père, et ce depuis toujours. Ils sont mariés, de toute manière ! Et ils auront eu le droit à un mariage heureux !

— Laisse-moi tranquille !

Je traverse le palais comme une boule de feu inarrêtable. Mon cœur bat si fort que j'entends à peine les bruits autour de moi. Je suis furieuse de n'être qu'un bout de viande pour ma propre famille. Je pensais être plus, je pensais pouvoir diriger ma propre vie. J'ai tellement entendus de récits toute mon enfance que je pensais pouvoir vivre le vrai grand amour.

En tournant à un couloir, je manque de foncer dans un torse masculin et de me prendre les pieds d'un autre être de testostérone. La quinzaine de prétendants sort tout juste de la salle de jeux où ils se sont réunis, probablement pour s'amuser un peu en fin de soirée.

Le torse en face de moi ne manque pas d'être celui de Darren. Je grimace, lève la tête vers lui et articule de manière agressive :

— Loin de moi, sale animal.

— Reyna ! s'écrie Mère dans mon dos.

Mais Darren arbore simplement un petit sourire en s'écartant, les mains en l'air dans un signe de rédemption.

— Je ne me permettrais pas de barrer le chemin à une dame enragée, Votre Grâce.

Je voudrais lui cracher dessus mais je garde cela pour une prochaine fois. Je m'éloigne rapidement du petit groupe. Il faut que je sorte de ce palais, de cet enfer.

Je descends les escaliers en trombe, suivie d'une mère dépassée et d'une dizaine de candidats qui s'appuient à la rembarde en haut, pour comprendre l'origine de ce spectacle.

— Reyna, tu vas cesser de fuir, oui !

— Fuir ? je m'époumone. Je n'ai jamais fui de ce palais, de cette maison que j'ai toujours connue ! Je suis enfermée ici depuis que je suis née, et tu crois que je fuis ?

Je quitte le palais. Les prétendants n'ont pas à connaître ce spectacle, encore moins à y assister.

Mais Mère n'en démord pas.

— Je t'ordonne de revenir ici.

Je me tourne vers elle, les bras ballants. J'étouffe dans ce maudit corset, et je lui cracherais presque au visage :

— Ordonne-moi, maman, vas-y. Ne t'abstiens pas de ressembler à Père sur ce point-là.

Je maudis ma vie, je maudis ce palais dans lequel j'ai toujours vécu, je maudis ces prétendants qui y habitent en ce moment même, je les maudis tous !

— Tu sais bien que je ne suis pas d'accord avec lui sur cela.

Elle parait navrée, presque peinée.

— Je n'ai jamais écrit ton nom sur un bulletin. Je ne ferais pas cela à mes propres enfants. Vous méritez de choisir, d'aimer qui vous voulez.

— Alors pourquoi se sent-il obligé de ruiner ma vie ! je m'écrie. Pourquoi se doit-il de toujours tout gâcher ?

— Parce qu'il a toujours été comme ça, Reyna ! Ton père a toujours estimé que le Jeu des Cœurs était une merveilleuse tradition, un souffle nouveau au Jeu des Roses. Il se devait d'instaurer sa propre création, ses propres règles pour un tournoi qu'il estimait juste.

— Non, non, tu te trompes. Père a toujours pensé à lui et uniquement à lui, il ne s'est jamais soucié de savoir ce que pouvaient ressentir ses propres enfants vis-à-vis d'un jeu qu'il a lui-même instauré !

— Le Jeu des Cœurs ne découle pas de lui, et tu le sais bien, Reyna. Son cousin en a été victime et...

— Je connais l'histoire ! Tu ne m'apprendras rien. Père ne s'est jamais soucié de ses propres enfants ! Crois-tu seulement qu'il sait comment je me sens, tard le soir, lorsque je peine à m'endormir ? Je garde les yeux ouverts toute la nuit en imaginant ce que le lendemain pourra bien m'offrir ! Papa... Père est égoïste, narcissique et bien trop imbu de lui même pour voir au-delà de ce qui l'entoure !

Et mes cris s'arrachent à ma gorge. Ma voix devient rauque, mais je n'ai pas le temps de reprendre mon souffle car déjà Mère m'attrape par le bras, les yeux noirs alors qu'elle me rétorque d'un ton presque désespéré :

— C'était l'anniversaire de Grand-Mamie aujourd'hui !

Et quelque chose s'arrête en moi, quand je distingue la silhouette de Père juste à quelques mètres plus loin, le dos voûté. Il aura entendu toute notre conversation. Y compris les mots durs que j'ai pu avoir.

— Ne te doutes-tu pas que c'est pourquoi ton père a réagi de la sorte ce soir même ?

Lorsqu'elle voit mon regard horrifié dans la nuit noire, elle se tourne, et paraît d'autant plus peinée. Sa main me lâche alors qu'elle déclare d'un ton bas :

— Nous souhaitons seulement le meilleur pour toi, Reyna. Ce mariage t'importe peu car tu n'en vois pas encore les intérêts. Mais nous n'avons jamais été tes ennemis. Nous sommes tes parents et nous t'aimons, quoiqu'en laissent penser nos mots.

Elle se détourne pour le rejoindre. Père ne se retourne pas tout de suite. J'ai du mal à distinguer les traits de son visage car la lune éclaire peu, mais je le vois fixer le champ de coquelicots qui serpente la cour du palais.

Au loin, ses yeux m'apparaissent brillants et plein de larmes. Est-il blessé par mes mots ? Ou est-ce l'anniversaire de Grand-Mamie qui le laisse aussi émotif ?

Mes parents se détournent pour rentrer au palais et moi, je reste là comme une idiote, les nerfs encore à vif. J'aimerais voir ce mariage d'un autre œil mais je n'y arrive pas. Je n'ai jamais réussi à voir ce mariage autrement que ce qu'il sera : un mariage de malheur et de désespoir.

— Nuit agitée, n'est-ce pas ?

Une silhouette se détache d'un arbre dans mon dos et je n'ai pas besoin de plisser les yeux pour deviner de qui il s'agit.

— Je vais finir par croire que vous ne demandez qu'à être en ma présence, Darren.

Il s'avance de quelques pas, les mains dans le dos et la lune éclaire son visage lorsqu'il me rejoint.

— J'ai eu beau admettre n'être là que dans l'optique d'un mariage d'intérêt, il serait fou de nier votre beauté.

Ses yeux se plongent dans les miens et je réplique d'un ton amer :

— Cessez vos flatteries. Elles ne m'atteignent pas.

— Je ne vous flatte pas, Reyna.

Il paraît sincère. Mais quelque chose dans son regard me semble toujours aussi... sournois, presque comme s'il cachait un jeu, un secret derrière lui ou même un sentiment qu'il tentait de refouler, en vain.

— Est-il si inconcevable pour vous et les autres prétendants d'imaginer un mariage d'amour avec moi ? Suis-je donc seulement une idiote d'écervelée à vos yeux ?

Quelque chose passe dans son regard. Une émotion fugace, que je ne perçois pas. Du regret ? Darren est toujours trop sérieux. Il est impossible de réussir à lire en lui. Ses traits sont constamment froncés, austères, comme s'il risquait l'erreur à se laisser amusé ou déconcerté quelques secondes.

— Non, ce n'est pas inconcevable.

— Alors pourquoi s'évertuer dans un mariage d'intérêt ? ma voix se brise.

La brève émotion le quitte et il se redresse, les épaules droites. Cet homme est sans pitié.

— Êtes-vous en train de me suggérer de changer mes plans pour vous courtiser, Votre Grâce ?

— Je ne le demanderais pas, je riposte.

— Vous le suggérez, et je pèse mes mots.

— Peut-être, mais je ne me réduirais pas à ce niveau de bassesse pour vous supplier un peu d'artifices. Je sais que vos sentiments pour moi ne changeront pas, mais me rendre les jeux agréables me permettraient peut-être de mieux dormir la nuit.

Ses yeux sont perçants. J'ai l'impression qu'ils sondent mon âme alors que je le vois réfléchir à mille à l'heure dans son esprit. Il paraît être en plein dilemme intérieur.

— Soit. Je ferai l'effort pour vous, ma dame. Je vous courtiserai, et je promets de n'y mettre aucun artifice. Mes sentiments vous sont inconnus, mais vous êtes une jolie fille, Reyna. Et les jolies filles se font courtiser car elles plaisent. Je ne vous promets pas l'amour inconditionnel, mais je vous promets de rendre vos jeux un peu plus vivants.

Il s'abaisse dans un signe de tête, saisit ma main pour y faire un baise-main et s'éloigne après m'avoir souhaité bonne nuit.

Darren vient-il de se transformer devant moi en un tout autre homme ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top