Chapitre 2
— Cher peuple d'Imir, aujourd'hui est un jour spécial ! Après des mois d'attente languissante, nous célébrons enfin le quinzième anniversaire du Jeu des Cœurs !
Des applaudissements retentissent. Mon père a toujours fait cet effet. Peu importe les mots qu'il emploie, il captive son auditoire. Peu importe le message délivré, son peuple le vénère. Et il nous a élevés pour que nous reprenions le flambeau quand il ne sera plus là. Même s'il n'est plus tout jeune, il a toujours fait les choses bien.
Et c'est pour ça que je l'aime. Je ne manque pas de lui faire savoir, d'ailleurs. La famille et l'amour sont quelque chose de très important au sein de ma propre famille, et c'est bien pour cela que des dîners sont souvent organisés. Mes étés en sont rythmés, d'ailleurs.
— Cette année, les épreuves seront inédites. Les challenge encore plus compliqués que les précédents. Pour obtenir le cœur de l'heureux ou heureuse élue, nos candidats devront être prêts à braver tous les dangers.
Je roule des yeux alors qu'il laisse planer un ton de mystère. Même Anthos n'en peut plus. Il ne fait que zieuter sa montre toutes les dix secondes.
— Alors, en attendant que nos invités du monde entier n'arrivent à Imir, je vous invite dès aujourd'hui à voter !
Il désigne d'un geste théâtrale l'urne trônant sur un socle à ma gauche. Tant de comédie pour une histoire d'amour ! Qui plus est, qui pourrait même ne pas être réciproque...
C'est bien mon père qui a eu l'idée de ce jeu. Ma mère a tenté à de nombreuses reprises de l'en dissuader, mais il est resté obstiné.
« L'amour ne se choisit pas, Rewind. Ce n'est pas en imposant un mariage que tu rendras les gens heureux, bien au contraire. »
Alors, suite à ses conseils, il a modifié les règles. À la toute fin du tournoi, le mariage pouvait être annulé, ou bien pour laisser plus de temps au couple de se découvrir, ou bien tout simplement car l'alchimie n'y était pas.
En quinze éditions, aucun mariage n'a été refusé. Il semblerait que notre famille ait des doigts de fées. Ou plutôt de Cupidon !
Je relève la tête. Un par un, une file se dresse devant l'urne. Le peuple a hâte de voter pour pouvoir se divertir.
— J'ajouterai bien une chose, lance mon père. Votez pour un cœur à prendre, mais votez aussi pour des causes perdues. J'en ai deux, ici présents et pour enfants, qui vivent leur vie sans se soucier de rencontrer la perle rare. Alors, avec toute la sympathique que votre bon roi vous témoigne jour après jour, semaine après semaine, je vous invite à inscrire l'un des noms sur le bulletin : Anthos ou Reyna !
Il semble fier de sa blague alors que moi, je me décompose. C'est donc cela dont mère parlait ! Je pince les lèvres, furieuse. Ah non !
Je m'approche d'eux et grince des dents.
— Il est hors de question qu'une ribambelle de garçons aussi bêtes que leurs pieds ne défilent à ma porte !
— Oh, tu viens de me donner une nouvelle idée d'épreuve !
Mon père m'offre son plus beau clin d'œil. Mais Anthos, lui, ne tarde pas à en rajouter une couche :
— Et il est hors de question qu'un troupeau de filles mesquines viennent toquer à la mienne ! Cessez immédiatement cette comédie, cher père, car nous avons peut-être hérité du même sang mais jamais je ne m'abaisserai à jouer ce jeu !
— Allons, allons, du calme mes enfants, tente notre mère en posant sa main sur nos épaules.
— Tu soutiens ses idées ? s'offusque Anthos.
— Bien sûr que non. Mais que veux-tu que j'y fasse ! Il en est fier de lui.
Et il l'est ! Il saisit un petit papier, s'empare d'une plume avant de remuer le popotin en s'avançant vers l'urne. Il gribouille quelque chose puis glisse le bulletin dans l'urne.
— A voté ! Et j'ai voté ma fille chérie ! Tiens, puisque je suis le roi, je me permets de voter une deuxième fois.
— Retenez-moi, lancé-je. Retenez-moi de lui arracher les derniers cheveux qu'il lui reste.
Anthos éclate de rire, mais moi ça ne me fait absolument pas rire. Cet idiot va voter mon nom. Et à la vue de tous les regards amusés qui me parcourent, je devine que la moitié de ce peuple ici présent a inscrit mon prénom.
Il est toujours plus amusant de voir des hommes se battre pour une fille que l'inverse. Qui plus est quand Anthos est connu pour ses milliers de conquêtes amoureuses : il ne tiendrait pas deux jours avec un tas de filles à ses bras ! Elles seraient déjà toutes dans son lit.
Alors un mariage ? Anthos et ce mot sont incompatibles. Tandis que moi... c'est comme si en dix-huit années d'existence, ma vie amoureuse était si barbante que l'on se sentait obligé de la pimenter.
Je grince des dents.
— Je ne voterai pas pour toi, ma chérie. Ne t'inquiète pas.
Mère vient me serrer dans ses bras et j'enfouis ma tête contre son cou. Au moins, dans ce monde de lâches, j'ai bien une alliée.
• • •
Les gens défilent à l'urne à une vitesse affolante depuis des heures. Je me ronge les ongles, affalée sur un banc dans la salle de trône. Il fait une chaleur épouvantable en ce début de mai, si bien que je finis par faire du vent avec un bulletin au nom d'Anthos.
J'ai déjà préparé mon papier. Il ne reste plus qu'à le glisser dans l'urne. Dans ce monde de fous, ce sera lui ou moi. Et hors de question que je participe à ce tournoi de dégénérés.
— Serait-ce mon nom que je vois là ?
Anthos s'affale à côté de moi. Je lui jette un regard mauvais.
— Je n'hésiterai pas à t'écraser pour sauver mes fesses, frangin.
— Tu vas finir rôtie au four, ma luciole adorée. La moitié de la cour d'Imir a déjà inscrit ton nom. Et devine quoi ? Les autres sont déjà arrivés. Ecclosia, Meridia, Lucrenda... Ils sont déjà là à noter ton nom.
— Ça m'étonnerait qu'ils le fassent tous.
Anthos hausse un sourcil moqueur avant de déboutonner sa chemise d'un cran. Lui aussi a chaud de ce que je vois.
— Permets-moi d'en douter. Père fait sa propagande auprès de tous les monarques. Il a déjà recueilli pour toi tes futures dames de compagnie. Elles devraient te soutenir tout le long du jeu.
Son sourire s'étire et moi, je grimace. Je n'imagine pas vivre ce tournoi. Je suis bien trop jeune pour épouser un homme. Et encore moins un inconnu !
— Je préfère m'assécher sous les déserts ardents d'Imir que de devoir simuler une hyper ventilation face à des... spécimens de la sorte. As-tu seulement pensé aux conséquences ? Des prince tenteront leur chance, les rivalités seront...
Je ne termine pas ma phrase. Lorsque je tourne la tête pour jeter un coup d'œil à Anthos, je le découvre les lèvres entrouvertes, les yeux fixés sur un point. Je suis son regard et fronce les sourcils.
— C'est moi où tu es en train de baver sur la fille de l'écuyer ?
Il semble sortir de sa transe et secoue vivement la tête.
— Ce n'est pas elle que je... Reyna, je crois que je suis en train de tomber amoureux.
— Mais de qui, bon sang !
Je cherche du regard parmi la foule et trouve enfin l'objet de sa convoitise. Je cligne plusieurs fois des yeux. Une fille se distingue des autres de par sa chevelure. Interminable. Ses cheveux lui arrivent bien au postérieur.
— Ah, je comprends mieux. Elle est jolie, c'est vrai. Mais tu oublies un détail. Elle fait partie du personnel.
Anthos n'en a que faire de mes mots. Il est complètement déconnecté de la réalité. Il s'en fiche que cette fille porte un tablier, il ne m'écoute même pas !
Alors je me désintéresse de lui. C'est en voyant la foule se diriger jusqu'à l'urne et mon père faisant sa propagande au micro que je perds espoir.
Mes yeux balaient la salle. J'ai la dérangeante impression de me sentir observée. Peu importe l'endroit que je fixe, chacun est plus obnubilé par les mots prononcés par le roi d'Imir que le sort de la princesse du pays.
Je me lève et erre dans la salle. Jusqu'à enfin trouver l'objet de ma confusion. Au loin, un jeune homme se dresse. Seul, sans défense, vêtu de noir. On dirait un espion envoyé pour semer la zizanie dans le pays.
Ses yeux sont posés sur moi. Je fais volte-face pour voir si c'est bien moi qu'il fixe, mais personne ne se tient derrière moi.
Mais lorsque je tourne la tête de nouveau, il a disparu.
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