Chapitre 1
— Échec et mat ! Roulée dans la farine, ma petite luciole.
Je grimace, frustrée. Ce type mérite le bûcher. Je regarde le plateau d'échecs, déçue par cette partie miséreuse que je n'ai même pas été capable de remporter. J'envoie valser mes pions, déçue de moi-même.
— Allons, allons. Ne fais pas cette tête d'enterrée. Tu sais, la victoire coule dans mes veines. C'est bien l'une de mes caractéristiques premières.
Je le jauge d'un air mauvais. Anthos est malheureusement mon frère. De quatre ans mon aîné, il se prend pour le meilleur de sa génération. Moi, j'estime seulement qu'il a hérité des piteuses qualités de notre père. C'est-à-dire, l'ombre d'une humilité inexistante et un narcissisme défendu à toute épreuve.
— On se refait une partie ?
— Plutôt crever en enfer que de rejouer avec toi. Tu n'es qu'un tricheur.
— Outch ! Mon ego s'en retrouve blessé, heurté, je dirais même sensibilisé de sang-froid !
Je repousse ma chaise et me lève.
— Tu es au courant que tes phrases n'ont aucun sens ?
— C'est là tout mon charme, ma chère sœur.
Il se lève à son tour, réajuste le col de sa chemise, puis passe une main dans ses cheveux. Anthos a hérité de la chevelure de notre père mais du teint pâle de notre mère. En revanche, il serait fou d'assumer qu'il n'a pas reçu la beauté des deux.
Il me tend son bras, tel le gentleman qu'il est et je lui offre mon plus beau sourire.
— La prochaine fois, je t'aurai.
Lui et moi entretenons une relation particulière. Il m'a toujours aidée et soutenue, et ce sont des qualités que je ne peux juger que remarquables. Mais Anthos a aussi ses défauts : un goût un peu trop prononcée pour les femmes.
Ce doit être de famille.
Nous sortons du petit salon et à peine avons-nous fait un pas qu'un petit être minuscule nous rentre dans les jambes. Ah ! Voilà la seconde bête.
— Ouille !
Nethan, mon autre frère, simule un malaise en s'affaissant au sol.
— Tu n'avais qu'à pas courir dans les couloirs du palais. On te l'a déjà répété mille fois.
— Je ne courais pas ! J'admirais le paysage à vive allure.
Il tape la main d'Anthos quand celui-ci se met à rire. Ces deux-là sont insupportables. Toujours à soutenir la bêtise de l'autre.
Nethan n'a que dix ans, et pourtant il est aussi vif qu'un rayon de soleil. Une journée sans gambader dans le palais ne lui ressemblerait pas.
Outre ma partie d'échecs avec Anthos, aujourd'hui est un jour spécial puisqu'est officiellement lancé le tournoi de l'année. Mes parents sont supposés prendre la parole d'ici quelques minutes. Le baratin habituel de tous les ans.
Le tournoi est un jeu très simple. Chaque année, quand débute le printemps, les préparatifs ont lieu. Les nations du monde entier se rejoignent pour assister à cet événement exclusif : le Jeu des Cœurs.
Des épreuves sont organisées pour obtenir le cœur d'une demoiselle ou d'un jeune homme. Pour déterminer ce cœur à prendre, c'est très simple : chacun est autorisé, pendant une semaine, à glisser le nom de la personne désignée dans une urne.
Après cette semaine, les bulletins sont dépouillés. Le trophée est proclamé, et les jeux peuvent commencer. À l'issue de chaque épreuve, un rendez-vous romantique a lieu entre le gagnant et la choisie. Le gain final n'est autre que le mariage entre le vainqueur et le cœur pris.
Bien sûr, des règles sont ajoutées et modifiées. Le cœur choisi a le droit de bouleverser totalement l'épreuve. Soit en avantageant certains candidats, soit en en pénalisant d'autres.
L'an passé, le Jeu des Cœurs s'est déroulé à Meridia. Avec Anthos, nous avons suivi attentivement tout le tournoi et en avons tiré notre conclusion : c'est encore plus divertissant de voir des filles se battre pour un prince que l'inverse. Elles se crêpaient toutes le chignon pour séduire par-dessus tout Son Altesse Royale d'Eol !
— Maintenant que tu as atteint ta majorité, je mettrai ton nom dans l'urne, ricane Anthos.
Il me fait un clin d'œil, fier de lui. Il a tout sauf intérêt à faire cela parce que s'il le fait, il sait que je lui transpercerai le cœur en pleine nuit de mes ongles acérés.
— Je plaisante, ma luciole préférée. Jamais je n'oserais éveiller la colère de la grande et sublime Reyna.
Je lui tire la langue. Mes cheveux se balancent dans mon dos tandis que j'avance, l'air assuré. Mes parents nous ont toujours élevé dans la prestance et l'assurance. Pas questions de me laisser faire, que ce soit aujourd'hui en entrant dans la salle du trône, ou dans d'autres occasions.
Je saisis fermement le bras d'Anthos, puis laissons les gardes nous ouvrir les portes. La cour d'Imir est déjà arrivée et des murmures se font sur notre passage.
Je souris à Anthos, fière de moi. Nous procurons toujours cette émotion en faisant notre entrée. Il faut dire qu'Anthos a un charisme indéniable. Il me dépasse d'une tête. Son visage est levé, son regard se fait ferme. Sa barbe est fraîchement rasée, et ses yeux bleus balaient la salle.
Il est le futur roi d'Imir après tout. Il ne peut qu'inspirer respect et obéissance. Je souris malicieusement, alors que nous rejoignons le trône.
Mes parents ne sont pas encore là. Je suppose qu'ils vont faire la même entrée que nous. Je me place à la gauche du siège ma mère, Anthos à la droite de celui de notre père. Nethan, lui, arrive en courant comme à son habitude.
Le soleil brille haut et fort en ce premier jour de printemps. Cette année, le tournoi a lieu ici. À la maison. J'en suis ravie. Je pourrais suivre les événements d'encore plus près.
Les portes s'ouvrent de nouveau. Les trompettes résonnent. Après tout, cela fait un moment qu'un événement de la sorte n'a pas eu lieu. Le dernier en date doit être la commémoration de la Guerre des Nations. Une guerre complète avait eu lieu pendant l'ère de mes parents et impliquait les pays de tout un continent. Il faut dire que depuis, les temps ont changé et les choses se sont calmées.
Mais pour combien de temps encore ?
Mon père fait son entrée, suivi de notre mère. Je me mordille les lèvres. Ils sont fabuleux. Les longs cheveux blonds de mère tendent maintenant vers le gris mais je me souviendrai toujours des mèches que je m'amusais à enrouler autour de mes doigts, lorsqu'elle me contait des histoires étant petites.
Tu es forte, Reyna. Comme les princesses dans les contes de fées.
Son visage est maintenant marqué par le temps, aussi bien que celui de mon père. Ses cheveux sont de couleur poivre et sel alors qu'il passe une main dans sa tignasse. Anthos a hérité de la même mauvaise habitude.
Son sourire est étincelant alors qu'il s'avance, fier de lui. Aujourd'hui, il a revêtu son plus bel habit : un blouson aussi blanc que la neige sertie de boutons d'or.
C'est en les voyant aujourd'hui que je me rends compte qu'Anthos est le parfait mélange des deux. Nous sommes le parfait mélange.
Ils nous rejoignent et mère m'offre son plus beau sourire.
— Prête ?
Je fronce les sourcils.
— Prête à quoi ?
Son sourire se fait malicieux alors qu'elle ne m'explique pas. Je m'attends au pire.
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