chapitre 21

21 : home sweet home

☽⁂☾

- Alors, tu as réussi à t'envoyer en l'air avec quelqu'un ? demande Amy

Madeline et Phoebe s'étouffent toutes deux dans leur tasse de thé à la menthe, bien que ce soit pour deux raisons différentes. La première écarquille les yeux d'un air choqué tandis que la seconde éclate de rire.

- Sérieusement Amy ? D'entrée de jeu comme ça ? s'offusque la blonde
- Bah quoi ? C'est une simple question, elle ne fait de mal à personne, ricane Amy

Elle interroge du regard son cousin Graham, qui dépose un plateau bien garni entre les filles, comme pour voir si sa question pose réellement problème. Pour toute réponse, il hausse les épaules comme pour dire « je ne vois pas le souci ». Madeline lève les yeux au ciel, bien que le coin de ses lèvres se soulève discrètement.

- Désolée pour la brutalité d'Amy, elle est parfois un peu trop sans filtre, glisse-t-elle à Phoebe
- Je n'aime pas tourner autour du pot et préfère aller directement à l'essentiel, ce n'est pas un défaut ! se défend la jeune femme aux cheveux bleu turquoise
- Je t'adore déjà, se marre la métisse

Amy lui adresse un clin d'œil, elle remue ensuite les sourcils en direction de Madeline signifiant clairement « tu vois ! ». La pianiste lui tire la langue, bien que cette faculté à parler d'un simple regard ou d'un petit mouvement facial qu'elle partage avec les deux cousins lui fasse chaud au cœur. C'est une chose toute simple, mais être temporairement de retour dans son quotidien d'avant lui montre combien toutes ces petites choses lui ont manqué.

Tous les quatre rassemblés sur le comptoir à pâtisserie de la boutique, autour d'une théière fumante aux effluves mentholées et des desserts gourmands concoctés par les mains expertes de Graham, le groupe profite de la fermeture improvisée du Lollipop pour papoter. Quand Madeline a fait retentir sans prévenir le fameux carillon de la boutique hybride en débarquant là en compagnie de Phoebe, elle a suscité un énorme élan de surprise et de bonheur chez ses deux amis d'enfance. Poussés par la joie immense de revoir la blonde, les cousins ont pris l'initiative de fermer leur boutique pour les heures qui suivent, à titre exceptionnel, le temps qu'ils puissent discuter, prendre des nouvelles de chacun et de poser des questions très intrusives.

Madeline, Phoebe et Jefferson sont arrivés à bord de Peggy, la fidèle voiture de ce dernier, la veille en fin d'après-midi. Premier arrêt obligatoire et non des moindres : la maison familiale des Harvey. Le débarquement a commencé par une vague d'émotions ponctuant les retrouvailles avec Jodie, Peter et Cookie bien entendu, la petite chatte au pelage rayé des jumeaux qui s'offre une maison secondaire pendant la parenthèse "Académie Dawson". Les parents ont bien sûr accueilli Phoebe à bras ouverts et tout le monde a pu profiter d'une dégustation incroyable de scones à la confiture. Enfin, surtout Jefferson, qui ne s'est pas privé pour se goinffrer.

Après quoi, les jumeaux ont réussi à s'extirper des bras de leur mère afin de retrouver leur appartement du centre-ville. Ils en ont profité pour faire une visite furtive de leur ville natale à Phoebe, avant de regagner leur chez-eux douillet qui leur avait bien manqué lui aussi. Le trio a fêté dignement cette pause provisoire au goût subtil de liberté en se désaltérant franchement, les cadavres de bouteilles gisant toujours dans l'appartement peuvent attester de cette beuverie. Forcément, le réveil a été plutôt tardif ce matin, pour ne pas dire ce midi. Mais ce léger excès a eu le mérite de leur vider la tête et l'espace d'une soirée loin de leur vie un peu folle, ils ont eu l'impression d'être de jeunes adultes comme les autres.

Pour ne pas se conforter dans des postures de dépravés, Jefferson a décidé de rendre visite à ses anciens coéquipiers footballeurs de la ville voisine de Brestham. Son frère étant occupé et ses parents au travail, Madeline a de suite pensé à rendre visite à ses deux cousins préférés en y emmenant Phoebe.

- Ne fais pas la sainte nitouche, ça ne te va pas du tout Made, réplique Graham
- C'est clair, on te connait trop bien pour croire à ton numéro d'effarouchée, approuve sa cousine en touillant son thé
- Tu n'étais pas obligée de dégainer une question qui tue alors que tu ne connais Phoebe que depuis cinq minutes, contre la blonde
- Tu ne l'aurais pas amené ici si elle n'était pas capable d'encaisser ma personnalité, s'amuse l'aquamarine
- Elle n'a pas tort, acquiesce la brune

Une moue s'empare des traits de l'immaculée, elle se saisit d'un muffin au chocolat et aux morceaux de noisettes sur le plateau et commence à le découper en petits morceaux avec ses doigts.

- Puisque vous êtes tous ligués contre moi ..., soupire-t-elle en jouant à merveille la victime de la situation
- On veut tous les détails, dit Graham en revenant à la charge
- Surtout les plus croustillants, renchérit Amy
- Vous n'aurez aucun détail, parce qu'il n'y a rien à raconter, assène Madeline. Et oui, désolée les amis mais vous n'aurez pas de petits potins venant de moi

Les cousins se glissent un même regard sceptique, avant qu'ils ne concentrent tous deux leur attention sur Phoebe.

- C'est vrai ce mensonge ? demande Graham, en se penchant vers cette dernière

Loin d'être intimidée par leurs regards inquisiteurs, la lunaire pivote la tête en direction de son amie. Cette dernière n'est pas inquiète, elle sait qu'elle n'a rien à cacher à ce sujet. Elle engloutit un morceau de muffin sans s'attendre à la phrase de sa voisine de palier.

- Rien à raconter, c'est un peu loin de la vérité. Il y a bien Andrea, Arnie, les frères Lington ..., énumère-t-elle
- QUOI ?! s'étouffe Madeline
- Wow, commente Graham, les yeux ronds
- Même si tu passes un peu plus de temps avec Julian qu'avec Zadig, poursuit Phoebe comme si de rien était

La blonde maudit du regard le sourire en coin empli de malice qu'arbore son amie, tandis que c'est au tour d'Amy de manquer subitement d'air.

- Attends, pouce, rembobine ... Zadig ? Comme dans Zadig Lington ?!
- C'est ce que je viens de dire, approuve la métisse
- Zadig Lington est dans votre club mystère hyper select ?! Ce mec est un dieu vivant, un seigneur ultra populaire de la mode !
- Ils sont potes depuis des années, précise Phoebe sur le ton de la confidence, se délectant sans scrupule d'envoyer la blonde à la potence

Alors qu'Amy allait exploser d'une combustion spontanée, Madeline rebondit aussitôt sur les mots de Phoebe pour calmer la tornade turquoise.

- On est potes, c'est bien le mot ! D'ailleurs, tous les garçons qu'elle vient de citer sont mes amis, rien de plus. Et ce sont ses amis aussi alors pas de quoi en faire un fromage, rétorque-t-elle en se dédouanant un peu sur son amie lunaire
- Et les deux bombes qui montent la garde devant la boutique, ce sont vos amis aussi ? interroge Amy, un sourcil arqué

Elle jette un oeil par-dessus l'épaule de Madeline, vers la devanture de la boutique. Là, les larges fenêtres et la porte vitrée laissent apercevoir deux hommes faisant le pied de nez devant l'établissement. Vêtus de leurs tailleurs bordeau, symbole de la Brigade, Kai et un dénommé Tommy, scrutent la rue ainsi que ses alentours en ne laissant rien ni personne troubler leur mission. Aucun doute, ils dénotent clairement dans le paysage.

- Ah oui tiens, il y a Kai aussi ! L'autre, on ne le connait pas mais le grand blond musclé est aussi son pote, lâche Phoebe en désignant du pouce le garçon
- Tu as fini, oui ? Je te rappelle que se sont tes potes aussi, grogne Madeline en donnant une légère tape à son amie

Les cousins semblent un peu troublés par la présence des deux hommes et la pianiste s'imagine facilement pourquoi. Pour eux, qui ne savent rien du monde des lunaires et qui sont à mille lieues de s'imaginer les raisons derrière le retour provisoire de leur amie d'enfance, voir deux gardes du corps flanqués à la porte de leur boutique a de quoi laisser pantois.

- Pas mal, commente tout de même Amy en approuvant d'un hochement de tête
- À ce propos, on peut savoir ce qu'ils font ? Ils sont un peu flippants, plantés là comme des vigiles de boîtes de nuit, dit Graham
- Je n'ai pas l'habitude d'avoir des vigiles aussi sexy à la boutique, ne peut s'empêcher de commenter sa cousine
- On n'a jamais de vigiles, rétorque le seul homme du groupe
- C'est bien ce que je dis, réplique du tac au tac Amy. C'est quoi leur rôle ? Vous êtes devenues des stars dans votre club chicos et vous ne pouvez plus sortir tranquilles depuis ?

Madeline et Phoebe s'échangent un long regard, s'interrogeant silencieusement sur la marche à suivre. Elles savent qu'elles sont tenues de ne rien révéler quant à leur nature secrète et tout ce qu'elle implique, l'anonymat des lunaires est une règle qu'elles ont acquise. Toutefois, elles ne peuvent pas laisser un flou aussi dense planer autour d'Amy et de Graham, ce ne serait pas juste.

- Je sais ce que tu t'imagines Amy et non, on ne passe pas notre temps à siroter des mojitos en se faisant masser la voûte plantaire, déclare la blonde avec un sourire sarcastique. On ne fait pas du tout partie d'un club chicos, comme tu dis
- On en est même carrément loin, raille Phoebe en s'emparant d'une tartelette Bakewell sur le plateau
- Alors, qu'est-ce que c'est ? demande l'aquamarine

L'intérêt des cousins ne fait aucun doute, et il est plutôt légitime.

- Je ne vais sûrement pas te faire rêver : c'est une sorte d'école, répond l'immaculée
- Une école ? Et qu'est-ce que vous apprenez là-bas ? interroge Graham, les sourcils froncés
- Ça chéri, on n'a pas le droit de te le dire. C'est secret défense

Déçu, le cousin pousse un grognement frustré et s'adosse à sa chaise, faisant tomber une mèche bouclée sur son front.

- Vous n'avez rien le droit de nous dire ? C'est un peu fêlé comme concept, observe Amy
- On s'habitue aux trucs fêlés au bout d'un moment, dit Phoebe en haussant nonchalamment une épaule
- Je n'aurais pas dit mieux, approuve la blonde

Puis, tout à coup, Graham claque des doigts comme s'il venait de trouver la solution face au changement climatique.

- Allez ... j'ai compris. Vous pouvez nous le dire, commence-t-il en se penchant au-dessus du comptoir
- Vous dire quoi, au juste ? demande Madeline, curieuse de voir le cheminement qui s'est effectué dans le cerveau de son ami d'enfance
- Que vous êtes des espionnes, ajoute-t-il à voix basse, pour éviter que le monde entier entende sa terrible révélation

Madeline pouffe de rire en secouant la tête, bien vite suivie par Amy et Phoebe.

- Si cette idée te fait plaisir : c'est ça, on est des espionnes, plaisante la blonde
- C'est toujours mieux que de nager dans le flou artistique, se défend le jeune homme
- Très bien, vous pouvez garder votre secret si vous voulez ! Si c'est important pour vous, qui sommes-nous pour juger, nous autres simples mortels sans double identité à la 007 ? se lamente Amy. Et puis, je sais que c'était important pour toi Made d'y aller, étant donné le lien avec ton paternel tout ça tout ça ...

Ne pouvant pas comprendre à quoi Amy fait référence, Phoebe tourne la tête vers sa voisine de palier et la dévisage étrangement.

- Ton père ? répète-t-elle avec perplexité. Que vient-
- Tu as trouvé quelque chose, au fait ? demande Graham

Madeline cherche ses mots en se mordillant l'intérieur de la joue, bien embêtée par cette question. Embêter parce que Phoebe attend, au-delà d'une réponse, une explication à propos de ce sujet que Madeline n'a jamais évoqué avec elle. Embêter aussi parce qu'elle n'est pas certaine de pouvoir annoncer à ses amis d'enfance que son voyage ne lui a apporté que de maigres informations sur son père. Embêter parce qu'elle reste agacée au fond d'elle de ne pas être parvenue à percer ce foutu mystère, malgré ses efforts.

- Et bien ..., commence-t-elle, hésitante tandis que trois paires d'yeux sont rivés sur elle, en attente

Le son d'un portable vibrant sur le comptoir lui sauve la mise, d'autant plus qu'il s'agit du sien. Elle pose ses yeux verts sur l'écran pour voir apparaître un message.

- C'est Jeff ? Ou un de tes prétendants ? lui demande Amy, une expression fourbe sur les traits
- C'est Julian, il vient d'arriver à Cherryton avec son frère, sourit la blonde en écrivant une brève réponse à son ami
- Tiens tiens, qu'est-ce que je disais tout à l'heure ..., insinue Phoebe

La métisse tente de cacher son sourire espiègle derrière sa tasse de thé, mais il est loin d'échapper au regard noir que lui adresse affectueusemnt la pianiste.

- Et ce Julian, on peut savoir qui c'est ? interroge Graham en croisant les bras sur le comptoir
- Non, tu ne peux pas, assène Madeline, implacable

Son portable vibre une nouvelle fois, un tout autre destinataire en est la cause.

- Cette fois, c'est Jeff, il va bientôt rentrer de Brestham. Ce qui veut dire : fin de l'interrogatoire de police, on met les voiles, raille-t-elle
- Ne crois pas que tu vas t'en sortir aussi facilement, j'ai bien l'intention de te tirer les vers du nez, Harvey ! la menace Amy
- Alors j'ai tout intérêt à vous éviter tous les deux pendant qu'on est en ville, plaisante-t-elle
- Tu n'oserais pas, la met au défi Graham. Et puis, on compte bien savourer ta compagnie pendant qu'on le peut

Bien qu'elle blague en disant le contraire, la blonde meurt d'envie de profiter de chaque seconde qu'elle aura à porter de main et qu'elle pourra passer avec ses êtres chers résidant à Cherryton.

- Il faut qu'on sorte, c'est obligatoire, décrète Amy. Je n'en ai rien à secouer que vos gardes du corps ultra séduisants soient derrière vos fesses, ça sera même plutôt un bonus
- Si tu insistes ... je crois savoir que l'anniversaire de Phoebe est dans deux jours ..., dit innocemment Madeline

Les deux amies s'échangent un coup d'œil complice, s'étant entendues entre elles pour fêter dignement ce jour. Les cousins sautent sur cette occasion en or sans cacher leur enthousiasme.

- C'est parfait ! s'exclame Graham. On n'a même pas besoin de trouver un prétexte pour se prévoir un truc
- Génial, fantastique, ultra top ! On va rendre ton anniversaire inoubliable, bichette, lui promet Amy avec un clin d'œil

Après quelques minutes, la blonde et la brune quittent le Lollipop, passant devant Kai et Tommy qui leur emboitent le pas dès qu'elles s'avancent dans la rue.

- Le message de ton frère, ce n'était qu'une excuse pour abréger ce moment ? Ou c'est parce que tu avais peur qu'ils posent des questions un peu trop personnelles ? lui demande Phoebe
- Un peu des deux je suppose, répond Madeline. En fait, j'ai quelque chose à te montrer ... et des explications à te donner

Et de ça, l'immaculée en est à présent certaine : le temps est venu, elle se sent prête.

☽⁂☾

- Merde alors, ce n'est pas du tout ce que je m'attendais à entendre, admet Phoebe, bouche bée

Ce n'est pas étonnant, Madeline vient de lui expliquer tout ce qu'elle était en mesure de raconter à propos de son père, ainsi que de son lien avec l'Académie Dawson. Même si de grosses ombres persistent sur le tableau, la blonde comprend très bien le trouble s'étant éveiller chez son amie. Toutes les deux installées dans la chambre d'enfance de la blonde dans la maison familiale Harvey, elles ont pris position sur le lit couvert d'un édredon en crochet à motif fleuri pour mieux discuter confortablement.

- Je dois te dire que je suis sur le cul, ajoute la brune café au lait dans un rire un peu nerveux
- Je me serais inquiétée du contraire, raille la pianiste

Elle joue machinalement avec l'anneau à son pouce, tic qui revient régulièrement lorsqu'elle est préoccupée et ironiquement, c'est bien souvent quand il est question de son père. Le point sensible qui lui a fait développé cette habitude n'est autre que le premier propriétaire de cette bague ornée de la phase lunaire.

Phoebe s'adosse à la tête de lit, sourcils froncés derrière ses lunettes à montures dorées.

- Et donc ... tu n'as rien trouver sur ton père à l'Académie ? Tu ne sais rien sur son passage là-bas ? Genre, rien du tout du tout ?
- À part qu'il n'est resté qu'un an à la tête de l'Académie, c'est tout ce que je sais de source sûre. Le reste, ce ne sont que des suppositions. Mais Julian et moi, on a surpris la directrice et son adjoint en train de parler d'une réforme de 96 ... ça correspond à l'année ou mon père a été directeur, sa seule année à la tête de l'Académie. Et aussi accessoirement, l'année précédant sa disparition
- C'est louche, très louche, super louche même

Ne pouvant qu'approuver les mots de son amie, l'immaculée pousse un soupir à la fois désespéré et frustré. Elle se laisse tomber en arrière sur le matelas douillet, ses yeux verts se perdent sur la peinture blanche un peu craquelée du plafond. À plusieurs reprises, elle a tenté de se convaincre que cette coïncidence n'était rien de plus qu'une similitude un peu troublante. Mais plus le temps passe, plus les mystères s'accumulent et moins elle n'y voit clair, moins cette possibilité semble plausible.
Quoi qu'il en soit, ce n'est certainement sur le plafond que des réponses vont subitement apparaître alors la blonde tourne la tête vers sa voisine de palier.

- Tu ne m'en veux pas trop de ne pas t'en avoir parlé plus tôt ? lui demande Madeline, sincèrement préoccupée par la question
- Pas du tout, lui répond aussitôt Phoebe. À ta place, je crois que moi non plus je n'en parlerais pas au premier venu. C'est un sujet très personnel ... en fait : plus personnel que la disparition étrange de son père, je crois qu'on ne fait pas ! Tu as le droit de garder une part de mystère, c'est ton intimité après tout

Soulagée qu'elle ne lui tienne pas rigueur de cette cachotterie et ravie qu'elle se montre aussi conciliante, Madeline peine à retenir le soulèvement de ses traits. Une petite bulle agréable enfle dans sa poitrine, soulagée et contente de voir à quel point son amitié avec Phoebe est devenue profonde.

- Juste par curiosité ... qui d'autre est au courant ? Non pas que ce soit une compétition, s'amuse le brune
- À part Jeff, seulement Julian et toi
- Donc j'ai un peu l'exclusivité de l'info, rit-elle en se redressant pour prendre une posture importante
- En même temps, je me vois mal débarquer à l'Académie et dire "salut ! Mon père a été directeur de cette école mais il s'est évanoui dans les airs sans qu'on sache pourquoi. Vous voulez m'aider dans mon enquête désespérée ?", ironise la blonde
- Pas faux, accorde son amie dans un rire

La pianiste se redresse sur ses coudes, une idée derrière la tête.

- D'ailleurs, ça te dirait de m'aider dans mon enquête désespérée ? J'ai peut-être des affaires à fouiller dans un coin ...
- Carrément ! Je serai ton enquêtrice en chef attitrée

Madeline s'empresse de bondir sur ses pieds, elle sort ensuite de sous son lit une grande boîte rouge à couvercle.

- Et voilà, je te présente tout ce qu'il reste pour prouver l'existence de William Altmann, lui annonce-t-elle en ouvrant les bras de manière théâtrale
- Tu veux dire, à part le fait que toi et ton jumeau soyiez des personnes vivantes et tangibles, rit Phoebe
- À part ça, naturellement, acquiesce la blonde. Ma mère a gardé ses affaires pendant des années, elle me les a donné juste avant qu'on parte pour l'Académie

Phoebe pose la main sur le couvercle de la boîte, elle interrompt son geste pour interroger son amie d'un regard. Madeline hoche la tête, lui accordant la possibilité d'ouvrir la boîte. Tandis que la métisse découvre pour la première fois les restes de la vie de William, la blonde reconnaît ce qu'elle a déjà parcouru à deux reprises.

La métisse sort de vieux posters aux graphismes démodés et aux couleurs délavées de la boîte, un petit sourire en coin.

- Radiohead, Queen, Nirvana ... on dirait bien que ta mère est tombée amoureuse du bad boy, s'amuse-t-elle. Je parie que ton père avait l'âme d'un rockeur rebelle
- C'est sûrement un peu de lui que je tiens ma passion pour la musique, réalise la blonde, l'ombre d'un sourire sur les lèvres

Elle qui a longtemps dévisagé les photos de son géniteur dans l'espoir d'y déceler un quelconque lien de parenté apparent, leur ressemblance n'était peut-être pas physique en fin de compte.

En parlant des clichés, Phoebe vient de mettre la main sur une partie d'entre eux. Elle fait défiler les rectangles de souvenirs entre ses doigts, tandis que Madeline s'intéresse à un ancien carnet saturé de notes qu'elle n'avait fait que feuilleter la fois précédente. Les pages sont recouvertes de choses en tous genres : dessins griffonnés à la hâte, score d'une partie de jeu de carte sans fin, quelques vers de poésie inventés au grès d'une balade ... rien de bien folichon.

- Attends une minute ..., murmure Phoebe en examinant de plus près l'une des photos. C'est ... ce n'est pas la superviseure ?
- Priscilla Elder, oui c'est elle, confirme Madeline
- Et donc ? Elle a connu ton père ! Dis-moi que tu as été la bombarder de questions
- Ce n'est pas comme si j'allais lui proposer de boire un thé, grimace-t-elle. Elle est un peu ... bizarre, même pour moi

La blonde pivote la tête vers son amie et sans surprise, la voit en train de fixer la photo du groupe au pied du kiosque niché dans la forêt. La splendeur de ce dernier la frappe avant d'autant de violence qu'elle se souvient tristement de l'état de décrépitude immense dans lequel se trouve l'édifice actuellement. Ce constat lui pince le cœur, sans qu'elle ne sache pourquoi. Peut-être est-ce parce qu'il représente le temps qui passe, ce même temps changeant tant de choses sans qu'on ne puisse avoir de prises sur lui.

- Tiens ... la superviseure flippante, ton assistant en entraînement physique et le séduisant mais beaucoup trop froid prof de self-défense sont tous de la même famille, non ? Ce sont bien des Elder ? réfléchit Phoebe
- Oui, pourquoi ?
- Parce qu'il y a un quatrième Elder. Une quatrième pour être exacte

La brune tend la photo à son amie, ou plutôt le dos de celle-ci où sont inscrits les noms de chaque personne présente sur le cliché. Madeline s'était souvenue avoir lu le nom de Priscilla, elle n'avait en revanche pas retenu celui de Philomen Elder.

- Décidément, toute la famille est concernée par l'Académie, dit Phoebe
- Ça ressemble un peu à un gang, raille la blonde

Tandis qu'elle retourne à la lecture du carnet, une petite note volante glisse d'entre les pages et tombe sur le lit. Intriguée, l'immaculée se penche pour ramasser ce rectangle jauni et tâché, aux bords légèrement déchirés. Une écriture pointue s'étale sur la page, en plusieurs phrases aux lettres ramassées et hautes.

- Qu'est-ce qui est écrit ? lui demande la brune café au lait
- « Je pensais que mon - notre - projet aurait trouvé grâce à leurs yeux, mais il était encore trop tôt. Pourtant, ce changement est nécessaire et je ne suis pas prêt à abandonner cet objectif. Ils finiront par accepter cette cause, tous autant qu'ils sont. Je ne baisserai pas les bras et si l'Académie Dawson refuse ce changement, peut-être qu'il faudra en venir à la Sphère. Là, ils sauront que nous sommes loin d'être seuls ... », lit à haute voix la blonde
- Tu comprends ce charabia ?

Madeline secoue la tête, confuse.

- Je ne sais pas jusqu'où était impliqué mon père dans la cause des lunaires ni ce qu'il voulait faire, mais visiblement, il avait des projets
- Désolée de te poser la question aussi franchement mais ... tu ne crois pas que l'Académie a quelque chose à voir avec la disparition de ton père ?
- J'ai de plus en plus de mal à penser le contraire

C'est une réalité limpide, transparente et évidente. En plus des dates concordantes, ce que Madeline a découvert quant à l'implication résolue de son père vient s'ajouter à des soupçons bien trop difficiles à ignorer. N'importe qui effectuerait le même raccourci qu'elle, même sans preuve formelle.

- On dirait que ton père avait des opinions bien arrêtés et vu ce morceau de lettre, il n'était pas tout seul
- Et on en revient encore et toujours à l'éternelle question : qu'est-ce qui a bien pu se passer pendant l'année où mon père a été directeur ?
- Ou autrement dit : qu'est-ce qui lui aurait valu de disparaître subitement ?

☽⁂☾

- Bon, pause deux secondes, on freeze pour mettre quelques petites choses au clair

Madeline attrape le bras de Phoebe pour l'empêcher de continuer à marcher. Les deux amies se regardent fixement, la seconde dévisageant la première en arquant un sourcil. Toutes deux arrêtées en pleine rue du centre-ville de Cherryton, seules les lumières flamboyantes des lampadaires éclairent leurs visages. À cette heure-ci, les commerces ont bien sûr fermé leurs portes mais ça ne signifie pas que la ville est déserte, bien au contraire.

La place centrale de Cherryton ainsi que ses ruelles de charme adjacentes grouillent de vie, en particulier un vendredi soir où le sommeil est encore lointain. Les nombreux pubs, restaurants et autres lieux de divertissement ne sont pas étrangers à cette animation. Elles sont donc loin d'être les seules à déambuler dans la ville, beaucoup de jeunes de leur âge sont également de sortie. Mais pas seulement, des familles sont regroupées autour du carrousel festif tournoyant sur lui-même, des couples se baladent main dans la main ... tout ce monde permet presque de faire abstraction de leurs deux gardes du corps qui leur collent au train, essayant de garder discrètement une distance professionnelle.

- Quoi ? Tu as une bombe à me lâcher tout de suite maintenant ? Encore une ? interroge Phoebe
- Non, justement. Ce soir, il n'y a rien d'autre que toi qui existes, affirme Madeline en posant ses mains sur les épaules de son amie métisse. Pas de drama lunaire, pas de père envolé, pas de Tia portée disparue, pas de secrets ... rien de tout ça, zéro, nada. Tout ça fait partie des sujets interdits de la soirée
- À vos ordres chef, interdiction de prononcer l'un de ces mots ou n'importe lequel qui s'y rattache, acquiesce la brune en faisant un salut militaire

Pour bien profiter d'une bonne soirée, où seule la joie est invitée, il y a quelques principes à respecter.

- Aujourd'hui, c'est ton anniversaire ... il n'y a que ça qui compte, lui promet l'immaculée avec un sourire
- Soirée normale et complètement ordinaire en perspective ?
- Évidemment ! Les super-pouvoirs, les dangers de mort, les attaques surprise, tout ça c'est franchement surfait, raille la blonde en levant les yeux au ciel

Approuvant cette décision d'oublier un temps leur quotidien particulier, Phoebe accroche son bras autour de celui de Madeline en souriant.

- Et c'est parti !
- Allons-y !

Bras dessus bras dessous, les deux amies se remettent en marche avec le sourire. La blonde guide la brune jusqu'au Coin des Capucines, un club unique en son genre et au charme indéniable. Les uns peuvent venir simplement siroter les succulents cocktails que propose le côté bar le temps d'une petite conversation, les autres choisissent de savourer les spécialités et les plats du chef en prenant place dans la salle de restaurant, tandis que les plus festifs ont le loisir de venir se déhancher dans le coin piste de danse. Ou bien, il est également possible de profiter des trois zones du club dans une même soirée, le tout dans un véritable écrin à la décoration chic très parisienne.

Madeline a découvert ce lieu singulier en compagnie d'Amy et Graham, il y a de ça plusieurs années. Ils ont tous trois été séduit par le concept novateur de cet endroit, ainsi que par la beauté des lieux. Moulures haussmaniennes, fenêtres en trompe l'œil offrant une vue sur les toits de Paris sur tout un pan de murs, touches de doré ici et là, affiches d'artistes de renom français ... mettre les pieds ici revient à traverser la Manche le temps d'une soirée, tout en mangeant comme des rois et en s'amusant librement. Que demander de mieux ?

Le Coin des Capucines incarne l'endroit idéal pour célébrer un anniversaire, il est donc normal que les deux jeunes femmes retrouvent les cousins à l'entrée du club. Habillés sur leur trente-et-un, le duo les attend distraitement devant la porte d'entrée, leurs regards s'illuminent lorsqu'ils se posent sur leurs amies.

- Et voilà la reine de la soirée ! s'exclame Amy en saluant Phoebe d'une accolade
- De la journée, tu veux dire. Bon anniversaire Phoebe, lui souhaite Graham avec un sourire
- Oui, joyeux anniversaire à toi qui me replace en tant que meilleure amie de qualité dans votre école de richoux, plaisante l'aquamarine en glissant un coup d'œil à Madeline

Cette dernière lui renvoie son regard en secouant la tête, bien que le coin de ses lèvres s'incurve d'amusement.

- Merci à vous deux, ça me fait plaisir que vous preniez toute cette peine juste pour moi, sourit Phoebe
- Évidemment qu'on est là, ce n'est pas tous les jours qu'on a vingt-huit ans, la taquine l'immaculée
- Bon ce n'est pas que je m'ennuie mais e propose qu'on entre avant que je ne regrette la longueur de ma robe, dit Amy en frictionnant ses mollets nus sous sa robe fourreau corail
- Oui allons-y, j'ai hâte de découvrir cet endroit que vous m'avez si bien vendu, acquiesce la métisse. Les autres ne devraient pas tarder de toute façon ...
- Les autres ? répète Madeline, étonnée

À sa connaissance, le seul qui manque à l'appel n'est autre que son frère jumeau, qui a bien choisi son moment pour être en retard.

- Ce n'est pas parce que c'est mon anniversaire que je n'ai pas le droit de faire de surprise, lui répond énigmatiquement Phoebe avec un sourire en coin

Très rapidement, des visages familiers apparaissent dans l'esprit de Madeline quant à l'identité probable de ces mystérieux invités supplémentaires. Une part d'elle s'étonne de constater combien cette pensée s'est manifestée vite, comme si elle espérait profondément croiser l'un d'entre eux ce soir ...

L'immaculée et la lunaire emboîtent le pas des cousins alors qu'ils pénètrent à l'intérieur du club. Et comme à chaque fois qu'elle y a mis les pieds, Madeline s'en trouve subjuguée. Elle serait même tentée de dire que ses souvenirs ne rendaient pas justice à la beauté de ce lieu, tant le moindre détail lui donne l'impression de déambuler dans une galerie de luxe parisienne.
Depuis sa dernière visite, des dizaines de jardinières de fleurs en forme de coupes évasées ont été ajoutées et pendent au plafond. Aux vues des fleurs présentes dans ces vasques blanches bordées d'un liseré doré, leur contenu doit varier en fonction de la saison car ce sont des fleurs printanières qui ornent l'espace aérien du club. Pivoines, tulipes, camélias et bien d'autres splendeurs semblent flotter au-dessus des têtes des visiteurs, toutes s'accordant dans un camaïeu de rose et de rouge.

Alors qu'une serveuse les accueille et les mène à une table dans le coin restaurant, Madeline vérifie une fois de plus l'écran de son portable. Toujours aucune nouvelle de Jefferson, pas d'appel manqué ni de message expliquant la raison de son retard. Il ne changera jamais, pas moyen de le voir se pointer à l'heure celui-là, se lamente sa sœur qui réprime une envie de lever les yeux au ciel. Elle range son portable dans sa pochette en sentant malgré elle une pointe d'agacement grandir dans son estomac.

La table qui leur est réservée pour cette occasion spéciale occupe l'angle d'un mur, elle est munie d'une banquette en cuir blanc d'un coté et est placée dans un coin légèrement plus reculé, près d'une large photographie en noir et blanc d'une rue verdoyante de Montmartre.

- Vous aviez raison, ce club est carrément dingue, approuve Phoebe en balayant d'un regard admiratif la salle autour d'elle
- Ne me dis pas que tu doutais de notre bon goût ? s'offusque faussement Madeline en déposant son manteau long sur le dossier de sa chaise
- La suite de cette soirée dépend entièrement de ta réponse à cette question, sache-le, lui glisse Graham
- Sans vouloir te mettre la pression, bien entendu, renchérit Amy
- Comment je pourrais douter une seule seconde de votre qualité alors que vous avez fait tout ça rien que pour mon anniversaire ? répond la métisse avec un sourire en coin
- Bonne réponse

Madeline décide de prendre la commande des boissons de ses amis afin d'en profiter pour saluer son ami Camille, barman du club depuis le commencement. Elle échange quelques banalités avec le grand brun aux bras largement tatoués sans bouder son plaisir de le revoir. Elle a beau s'être bien adaptée à sa vie au sein de l'Académie Dawson, même bien mieux que ce qu'elle pensait être possible, elle ne peut s'empêcher de ressentir combien certaines choses lui manquent lorsqu'elle est là-bas. Le petit pincement au cœur que réveille cette pensée ne dure qu'une seconde, elle le relaie aussitôt dans un coin de sa tête et passe en revue les cocktails que lui ont demandé ses amis.

- Et bien et bien, tu dois avoir une grande soif pour commander tout ça toute seule, chérie, lui dit une voix grave qui lui est plus que familière

Elle n'a pas besoin de se retourner, elle sait déjà qui est l'unique homme de ce monde à pouvoir lui donner ce petit surnom mi-affectif mi-moqueur dans la langue de Molière. L'ombre d'un sourire se faufile bien vite dans le coin de ses lèvres tandis que des bulles de joie se mettent à pétiller dans sa poitrine. Ses suppositions quant aux invités mystères de Phoebe se confirment, elle fait volte-face et tombe nez à nez avec Zadig.

- Je sais que je peux compter sur toi pour finir les fonds de bouteille au cas où, n'est-ce pas ? réplique-t-elle avec malice
- Je déteste gâcher, et puis il faut rester hydraté non ?

Les deux amis se saluent d'une brève accolade joyeuse, ponctuée de rires. Alors qu'elle relâche le mannequin et s'apprêtait à lui dire combien elle est heureuse de le voir ici, un mouvement soudain retient son attention. Ses yeux verts se trouvent happés par ce qu'ils voient, comme piégés par une attraction magnétique dont ils ne veulent pas se détacher.

Julian pénètre dans la salle du club et s'avance dans leur direction, et il est plus apprêté que jamais. Pour l'occasion, il a fait tomber sa fidèle veste en jean, remplacée par une tenue entièrement noir et donc incroyablement chic sans pour autant en faire trop. Le jean bleu clair a laissé sa place à une belle veste de costume subtilement oversize, ainsi qu'à un pantalon assorti. Pour ne pas paraître trop formel, le jeune homme a fermé la veste sur un t-shirt noir au col profond, mettant aussi bien en valeur sa taille marquée que la naissance de son torse. Des Converses blanches viennent parfaire son look, créant un excellent alliage entre élégance et décontraction.

Nul ne peut nier que Julian possède un certain charme et ce soir, chaque personne présente au Coin des Capucines peut le constater. C'est pour cette raison que Madeline ne parvient pas à réprimer son petit sourire tandis qu'elle admire son ami, alors que Zadig suit son regard pour mieux comprendre la réaction de la blonde.

- Tiens, je vois que tu as suivi mes conseils vestimentaires frérot ! C'est une première, lui lance-t-il, sa fossette faisant son grand retour
- Et pas une dernière j'espère, commente Madeline. Tu es carrément canon habillé comme ça

Julian ne semble pas avoir prêté tellement attention à ce qu'ont dit son frère et son amie, ses yeux bleus étaient bien trop occupés à détailler l'immaculée de la tête aux pieds. Ces mêmes yeux, devenus d'un bleu si clair, qu'ils trahissent forcément la lueur ébahie se reflétant en eux.

Il faut croire que le lunaire approuve la robe blazer blanche qu'a choisi Madeline, ce qui met en avant ses jambes sculptés par son fin collant noir. Si la jeune femme a accordé plus de temps à son maquillage scintillant de paillettes, elle n'a en revanche pas chercher longtemps pour les chaussures et à enfiler ses Vans. Elle aussi incarne une balance entre chic et simplicité, tout en restant elle-même, ce qui ne la rend que plus belle.

- Tu es superbe toi aussi, lui dit-il avec un sourire

L'immaculée lui rend son sourire en sentant son cœur tressaillir à cause de son compliment.

- Et moi alors ? Je ne suis pas carrément canon ET superbe ? s'offusque Zadig tel la diva qu'il est
- On ne t'a jamais dit que la modestie était une qualité très séduisante ? rétorque Madeline
- Non, jamais entendu parler, répond-il en haussant une épaule

Même s'il faut bien avouer que le mannequin en jette, comme d'habitude. Habillé d'un t-shirt près du corps moutarde à fleurs noires, il y a ajouté un veston noir où des arabesques sont contrastées entre tissu mat et brillant et où de fines chaînettes viennent apporter une touche décalée au chic de sa tenue. Associer à ça un pantalon à pince noir et des mocassins camelle et vous obtenez un jeune homme tout ce qu'il y a de plus séduisant.

- Les frères Lington côte à côte et sur leur trente-et-un ... vous allez faire chavirer des cœurs les garçons, rit Madeline en agitant un doigt d'avertissement
- Un seul me suffirait pourtant, dit Julian, les yeux rivés sur la blonde
- Pas quand on a envie de s'amuser un peu. Si vous voulez bien m'excuser, j'ai mon public à aller saluer et un anniversaire à souhaiter à une charmante brune, précise le mannequin

Zadig effectue une révérence avant de pivoter, prêt à partir vers leur table.

- Ne t'étonne pas si Amy pousse un cri ou si elle beugue en ressemblant à un poisson hors de l'eau, dis-toi que c'est l'effet que tu suscites chez les gens, le prévient l'immaculée
- T'inquiète, c'est pour ce genre de situation que j'ai passé mon brevet de secouriste, s'amuse-t-il

L'expatrié à Paris lui adresse un clin d'œil, il s'éloigne ensuite en direction de Phoebe, Amy et Graham, réunis un peu plus loin. Madeline en profite pour vérifier son portable, un soupir de frustration lui échappe quand elle est confrontée à un écran vierge de toutes notifications.

- Quelque chose ne va pas ? lui demande Julian
- Oh, rien de vraiment inhabituel mais ça n'en reste pas moins très chiant : mon frère, qui est physiquement incapable d'arriver à l'heure, lui répond-elle dans un rire amer
- Ah les frères ... toute une histoire, pas vrai ?
- À qui le dis-tu !

Julian se rapproche d'elle en riant, il enfouit ses mains dans les poches de son pantalon en s'adossant au bar derrière lui. Les deux jeunes gens sont maintenant si proches que Madeline parvient à sentir le parfum d'amande et de musc de son ami. Cette odeur la ramène sous les cerisiers, à ce moment suspendu de légèreté qu'ils ont partagé tous les deux dans l'intimité d'une nuit de pleine lune. Juste avant que cette bulle de bonheur ne parte en fumée, littéralement.

La blonde ferme les yeux une seconde, chassant ces pensées qu'elle ne tient pas à voir surgir dans son esprit, surtout pas en cet instant.

- Sinon, tu vas bien ? Je veux dire, si on oublie les membres de la Brigade qui suivent partout en permanence, que ces vacances ne-
- Chut, tais-toi ! le coupe l'immaculée en plaquant sa main sur sa bouche. Il y a des règles ce soir, alors interdiction de parler de ... tout ce qui est bizarre dans nos vies

Julian jette un coup d'œil à la main de la blonde, avant que celle-ci ne la retire de sa bouche, des frissons remontant le long de son bras.

- De tout ce qui est bizarre ? Je vois. On ne pourra pas parler de mon frère alors, rit-t-il
- J'aimerais tellement que ton frère soit la chose la plus bizarre de ma vie, si tu savais
- Mais la vie est une drôle d'ironie, elle en a décidé autrement. De quoi est-on autorisé à parler ce soir, dans ce cas ?

Vaste question. Madeline penche la tête sur le côté et aperçoit une chose très familière, dans le coin du restaurant.

- On n'a pas besoin de parler. Viens, suis-moi

Elle attrape la main de Julian et le guide à travers le club, une petite idée en tête. Non loin de leur table, où Zadig fait grande impression à côté d'une Amy en hyperventilation, se trouve un piano. Posé dans un coin sous une affiche reprenant les paroles de la Vie en Rose, à l'entrée d'un couloir, ce piano droit d'un noir verni très brillant lui donne une petite idée.

- Il me semble que ça fait un moment que tu ne t'es pas exercé au piano, dit l'immaculée en se plaçant face au clavier. À moins que tu ne t'entraînes sans moi ?
- Jamais. C'est toi qui m'as donné envie d'apprendre le piano, alors tu es la seule. La seule et unique
- C'est bon à savoir

La blonde détourne la tête pour se concentrer sur l'enchaînement de touches noires et blanches qui lui est si cher. D'une main, elle entame les premières notes simples d'une ballade qu'elle n'a pas choisie au hasard.

Le rire léger de Julian renforce son sourire et lui prouve qu'il a reconnu cet air. Un air qu'ils ont partagé de nombreuses fois, sur le clavier du piano à queue trônant dans la salle commune du château.

- Autant faire plaisir à Phoebe tout en te remettant sur les rails, s'amuse la pianiste
- Espérons que j'ai de bons restes ou tu vas me taper sur les doigts, plaisante le lunaire en se positionnant à ses côtés

De sa main droite, il rejoint les notes de Madeline et les complète dans une harmonie totale.

- Ah oui ! La la land, j'approuve complètement ! s'exclame Phoebe en agitant l'index en direction de ses amis

Ces derniers sourient d'un même mouvement, tout en poursuivant de jouer à deux. Comme ils l'ont fait tant de fois, créant une bulle autour d'eux.

- Tu crois qu'elle finira par accepter la fin du film un jour ? demande Julian en faisant référence à la métisse
- Oh ça non, j'en entends parler à chaque fois qu'elle le regarde. C'est-à-dire très, très souvent, se lamente faussement la blonde

La première fois qu'ils se sont essayés à cette chanson, c'était lors d'une soirée tardive à l'Académie. La neige tombait en quantité, les flocons emprisonnaient le château dans une boule à neige cristalline. En ce vendredi soir, les autres élèves vaquaient à leurs occupations ailleurs, laissant le salon libre de tout occupant. Ce soir-là, Phoebe avait laissé son adoration pour Ryan Gosling parler librement et avait mis au défi Madeline d'interpréter au piano l'une des œuvres de sa comédie musicale préférée. Toujours partante pour enflammer les touches d'un piano, surtout après ce genre de mise à l'épreuve, l'immaculée a alors choisi de jouer les notes jazz de City of stars, une ballade romantique. Julian passait cette soirée avec les deux jeunes femmes, c'est comme ça qu'il a demandé à Madeline de lui apprendre à jouer cet air.

- Mais tu sais, je ne crois pas que Phoebe soit vraiment objective quand Ryan Gosling est impliqué dans quelque chose, glisse la blonde sur le ton de la confidence
- Je peux la comprendre, la fin est ... frustrante. Tu ne trouves pas ?

Tout en continuant de jouer, Madeline réfléchit à sa question et finit par hausser les épaules.

- Est-ce que les deux personnages principaux auraient dû finir ensemble ? Évidemment, répond-elle. Mais est-ce que le film est moins bon à cause du dénouement ? Je ne crois pas, non. Parfois, ce n'est pas toujours l'arrivée qui compte mais la façon dont s'est déroulé le voyage, surtout en amour

La blonde sait de quoi elle parle, ses mots sont empreints de vécu personnel. Et qui mieux que Julian pour comprendre son point de vue ?

- Une histoire d'amour, aussi intense soit-elle, n'est pas toujours vouée à être éternelle. Ça n'enlève rien à sa beauté pour autant
- C'est très juste, approuve le lunaire

Les deux amis continuent de jouer avec bonne humeur, leurs regards se trouvent un instant. Si Julian doit reporter ses yeux bleus sur les touches pour ne pas commettre d'erreur, Madeline continue de regarder le profil de son ami avec un sourire. Ce petit moment, volé au détour d'une soirée et entre le noir et blanc d'un piano, lui semble si simple et pourtant si parfait.

Au fur et à mesure que la musique avance, elle peut apprécier les progrès de Julian en musique. Une pointe de joie et de fierté éclate près de son cœur, répandant une chaleur agréable tout autour. Elle décide même de le laisser terminer la musique, Julian l'exécute à la perfection. Jusqu'à la dernière note, qu'il enfonce hardiment, mais qui résonne en un aiguë faisant grincer les dents. Les deux amis grimacent, bien que cette seule et unique note mal accordée les fasse éclater de rire. La légèreté de ce moment de complicité se renforce, lorsque leurs regards s'ancrent l'un dans l'autre.

Mais toutes les bonnes choses doivent avoir une fin, d'une façon ou d'une autre.

- On devrait aller rejoindre les autres, suggère Julian
- Tu as raison, acquiesce Madeline. Je vais essayer d'appeler Jeff pour savoir ce qu'il fabrique. Vas-y, j'en ai pour une minute

Le lunaire hoche la tête, l'immaculée se retourne en tapant sur l'écran de son portable. Portant son téléphone à son oreille, elle décide de s'isoler un peu pour passer son appel. Elle emprunte le couloir et pousse la porte qui mène à l'arrière du club. Tous les commerces, les restaurants et autres bâtiments de la rue possèdent une sortie comme celle-ci, et elles débouchent toutes dans cette ruelle éclairée par des lampadaires en fer forgé.

La fraîcheur nocturne fait frissonner la blonde. À l'autre bout du fil, les sonneries se succèdent avant de basculer sur la messagerie. Poussant un énième soupir excédé, Madeline rappelle aussitôt en faisant les cent pas dans la ruelle. Une fois encore, le répondeur est la seule chose qui daigne réagir à son appel.

- Jeff, c'est Made. Qu'est-ce que tu fous ? Je sais depuis longtemps que tu n'es pas le roi de la ponctualité mais là, tu abuses. C'est l'anniversaire de Phoebe qu'on fête ce soir alors si tu ne te pointes pas avant le gâteau, je t'étriperai de mes propres mains, compris ?

Elle presse rageusement l'icône rouge sur son écran et se retourne, prête à rentrer au club. Mais c'était sans compter sur une voix féminine et froide, qui perce le calme de l'obscurité.

- Je crains que ton frère ne soit pas en état de répondre à ton appel

Madeline se fige, scrutant la ruelle en fronçant les sourcils. Une silhouette se dégage de sous un réverbère, elle effectue quelques pas et met ainsi en lumière son visage. L'immaculée reconnaît de suite les traits de la femme qui s'en est pris à elle, ce fameux soir après l'incendie dans les bois.

À ce souvenir, une vague de colère s'éveille dans ses veines, amplifiée par les propos que cette femme vient de tenir. La peur qu'elle soit la raison du silence de son frère fait bouillonner chaque fibre de l'être de Madeline.

- Qu'est-ce que vous avez fait à mon frère ? demande-t-elle sur un ton dur
- Moi ? Rien. Je ne suis pas là pour lui : tu es celle qui m'intéresse
- J'imagine que je devrais me sentir flattée, raille la blonde. Et que me vaut cet honneur ?

Les deux femmes se jaugent à distance, l'atmosphère se charge d'une tension électrique palpable. Les intentions de l'assaillante aux yeux noirs sont ouvertement hostiles, mais Madeline n'a pas l'intention de se laisser impressionner. Cette fois-ci, tu ne vas pas t'en tirer comme ça ma vieille ... surtout si tu t'en es pris à Jeff, songe-t-elle.

L'adversaire fait un pas de plus, son sourire droit et obscène s'apparente davantage à une grimace terrifiante.

- C'est au nom de ton père que je suis là, Madeline Harvey. Et ce soir, je ne te laisserai pas voir une pleine lune de plus

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