𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏











C H A P I T R E 1






























           Le clapotis de l’eau émet une mélodie redondante. Dans le silence des thermes, il résonne sur les parois des bains. 

— Mortel, retentit une voix grave, semblable au vrombissement d’un lion. Es-tu insensible à la chaleur ?

           Assise entre deux colonnes de marbre, je porte mon regard sur le bain creusé dans le sol duquel s’élève de denses vapeurs. Baignant dans ses eaux, le marquis de Wolfrid me regarde, les coudes posés sur les bords du bassin, dans son dos.

           Autour de lui s’affairent des femmes drapées de tissus bleu, lesquels sont pincés çà et là d’ornements dorés. Il s’agit des servantes des thermes, des personnes qui font en sorte que nos patients passent un séjour agréable en ces lieux

           Certaines vérifient que les amphores disposées autour du bain sont encore pleines de vin. D’autres inspectent les bols et plateaux de fruit, ne tolérant qu’aucune surface des aliments soit brunie. D’autres encore s’affairent au-dessus du bassin, ne pouvant le laisser refroidir.

           Chacun de leur geste émet un son qui résonne sur les parois de pierre claires des thermes. Assise entre des colonnes donnant sur l’extérieur, j’entends tout de même chaque soupir, froissement d’étoffe et mouvement avisé.

— Nul mortel n’est insensible à la chaleur, je réponds simplement, observant une femme qui s’agenouille à côté du duc afin de verser du vin dans sa coupe.

— Alors pourquoi t'habiller si lourdement ici ? La chaleur des bains est étouffante.

           Je ne réponds pas tout de suite. Bien sûr, je comprends que le marquis s’interroge de ma résistance à de telles températures. Il est lui-même assis dans un bain bouillant, entièrement nu, et ne cesse de boire pour se rafraîchir. Alors, regardant la lourde armure que je porte, je ne peux qu’imaginer ce qu’il se dit de mon état.

— Je suis là pour veiller au bien être des servantes. Les soldats portent des armures pour se battre. Tout cela n’est que pure logique.

           Le visage du marquis n’est qu’une succession d'angles. Brutal, dur, il semble avoir été taillé directement dans de l’onyx. Sa peau noire, bien que immaculée et dépourvue de cicatrices, trahit d’une certaine façon les épreuves qu’il a endurées.

           Oui. A la façon dont elle se tend sur son visage strict, je lis qu’il a connu la guerre.

— Quel danger peuvent-t-elles bien encourir pour que tu sois présent en permanence ? Six jours que je suis ici et tu es toujours là. Quand un homme prend un bain, qu’il flâne dans les couloirs, ton ombre le suit.

           L’une des servantes lève le nez dans ma direction. Son regard ne croise pas le mien. La capuche que je porte dissimule mon visage. Il ne ressemble qu’à un tas d’ombre, un néant abyssal. Elle ne peut pas me voir. Mais elle me fixe.

           Autour d’elle, ses consoeurs se montrent plus discrètes. Cependant, toutes sont attentives, je le sais. Leurs regards se concentrent sur des amphores, des fruits ou même quelques gouttes d’eau pour donner le change. Mais je ne suis pas dupe.

           Elles nous écoutent.

— Alors ? insiste le marquis après avoir avalé une gorgée de vin. Parle, mortel.

           Les flambeaux de cuivre posés dans la salle projettent une lueur orangé sur les lieux. Cette dernière danse en une valse nébuleuse, ondoyant sur la peau noir du marquis.

           Je crois que si je n’étais pas celle que je suis, cette vision m’impressionnerait. 

— De vous.

— De moi ?

— Le danger que les servantes encourent sont les patients des termes. Comme vous l’avez souligné, il fait chaud ici et elles s’habillent légèrement. Cependant, certains y perçoivent un appel à des actions… inconsidérées.

           Un éclat de malice allume soudain son regard. Observant la femme qui remplit à nouveau sa coupe, il réfléchit un instant à mes paroles. De son côté, elle ne croise pas son regard, fixant le breuvage bordeaux coulant dans le récipient.

— Alors… Que se passerait-il si je convoquais cette charmante demoiselle dans ma chambre ?

— Elle ne viendrait pas.

           Le marquis porte son attention sur moi.

— Et si j’allais personnellement dans la sienne ?

— Vous n’en aurez pas le temps, je déclare simplement en posant la main sur le pommeau de mon épée.

           Les respirations se coupent. Chaque servante se fige et même le clapotis de l’eau s’arrête. Le silence de la nuit n’est plus perturbé que par le froissement des flammes dans les flambeaux.

           Une ombre voile les traits du marquis.

           Les thermes moraiennes sont un lieu de repos pour les combattants. Ici, les guerriers défilent, traités par des femmes aux connaissances médicales infinies. Cependant, du fait de leur condition de servantes et de leur genre, peu parmi nos patients les considèrent de la même façon qu’ils considéraient un docteur.

           Si elles prennent soin de surveiller la température du bain, ce n’est que parce qu’une eau trop froide ou trop chaude pourrait activer certaines molécules contenues dans nos traitements. Le fruit de berrys sur le pectoral du marquis efface la moindre cicatrice, mais, exposé à une température glaciale, son jus nécrose la peau. La chair se détache alors en des lambeaux gorgés de pus. 

           De même, l’attention portée à l’aspect des fruits et du vin est que le mal le plus répandu est l'intoxication alimentaire. Nombreux sont les hommes qui, revenant de combats, se sont habitués à consommer des vivres périmés. Nos guérisseuses sont là pour éviter un empoisonnement.

           Face à tant de délicatesse, certains patients imaginent à tort qu’elles doivent combler leur moindre besoin et désir. Or, ma mission est de leur rappeler qu’elles ne leur doivent rien.

           Et je n’ai que faire de menacer un marquis de mort pour lui faire comprendre cela.

— Tu serais capable de me tuer ? demande-t-il, sa voix vrombissant dans le silence des lieux. Je ne suis même pas sûr que tu parviennes à m’approcher à moins de trente pas.

— Ne sous-estime pas mes gens, Wolfrid.

           Toutes les servantes se lèvent lorsque la voix de Mora résonne. D’un signe de la main, elle leur indique de rompre leur salut. Aussitôt, elles retournent à leurs tâches respectives tandis que la doyenne pénètre la salle.

           Habillée d’une longue robe blanche, le foulard de ses cheveux scintillant de la même couleur, elle approche du bord du bassin. Le marquis pose une main sur son cœur, fermant les yeux en signe de respect.

— Mora… Les thermes moraiennes portent ton nom et sont reconnus dans l’Empire. Jamais je ne sous-estimerai tes gens, déclare-t-il dans un sourire amusé. D’ailleurs, je me dois de reconnaître le courage d’un homme lorsque je le vois.

           D’un geste du menton, il me désigne.

— Et ce guerrier semble bien téméraire.

           Naturellement, en voyant ma silhouette lourdement armée et encapuchonnée, les personnes me rencontrant concluent que je suis un homme. Je ne cherche d’ailleurs pas à leur révéler la vérité. Qu’ils sachent que je suis une femme n’est pas utile.

           Mora, la directrice des thermes, ne dément pas non plus leurs préjugés. Nous deux ne trouvons rien d’intéressant à ce que les patients sachent qu’une femme se cache sous cette armure.

— Alors ne menace pas mes gens, Wolfrid.

           Le marquis acquiesce, la paume toujours sur le cœur afin d’exprimer son respect. 

           À la seconde où Mora s’assoit sur un siège bordant le bassin, une guérisseuse lui apporte une coupe de fruit. Elle accueille ce geste d’un hochement de tête reconnaissant : 

— Ne te préoccupe pas de moi, mon enfant. Tu as un patient dont tu dois t’occuper.

           Ce dernier fixe la femme tandis qu’elle acquiesce et retourne à ses précédentes occupations. Comme aimantées, ses iris se figent dans la silhouette de la guérisseuse.

           Bientôt, sans cesser de la regarder, il prend la parole : 

— Et ton guerrier… Il sait se battre ? Je veux dire, réellement ? Ou il ne s’agit que d’une force dissuasive ?

           Un rire secoue la poitrine de Mora, lequel se finit en une quinte de toux. Aussitôt, une femme lui apporte à boire. Elle la remercie d’un geste du doigt, caressant sa joue de son majeur.

           Avalant une gorgée, la doyenne reprend finalement contenance.

— Bien sûr que mon guerrier sait se battre. Crois-tu que j’engagerais n’importe qui ?

— Tu lui fais confiance ?

           Les yeux de Mora se posent sur moi. À l’instar des autres, elle ne peut pas voir mon visage. Cependant, il me semble que nos regards se croisent un instant.

— Plus qu’à n’importe qui.

           Un rictus satisfait étire la bouche du marquis.

— Dans ce cas… Pour combien me le prêtes-tu ?

           Nous deux nous tournons vers l’homme qui s’avère être parfaitement sérieux. La doyenne ne répond pas, lui laissant le soin d’étoffer ses paroles.

— Un bal est organisé, au palais impérial, pour célébrer le retour des Pages Ancestraux. Vous savez très bien qui les escorte. Il est hors de question que je ne sois pas protégé là-bas.

           Mon pouce se fige sur le pommeau de mon épée. Mora patiente quelques secondes avant de répondre : 

— Mon guerrier ne peut pas quitter les thermes et laisser les filles seules.

— Je te donnerai mes troupes.

— Emporte tes troupes chez l’impératrice, alors.

— Tu sais très bien que depuis le Coup d’État de l’année dernière, elle n’autorise pas les groupements armés dans son palais. Seule une personne peut m’escorter dans l’enceinte du château.

           Son regard se pose brièvement sur moi avant de se reporter sur Mora.

— Et si tu confies la protection d’une centaine de femmes à un seul soldat, je suppose que ce dernier doit revêtir quelques caractéristiques… exceptionnels.

           La doyenne garde le silence. Nul ne peut lire sur son visage ce qu’elle pense. De marbre, elle n’affiche aucune émotion.

— Mora… Ton prix sera le mien. S’il est aussi exceptionnel, ton soldat ne craint rien.

— Le danger n’est pas l’empire ni même les Pages Ancestraux et tu le sais… Il y a une raison pour laquelle tu veux être escorté. Et c’est pour cette raison que je ne peux consentir à envoyer mon précieux soldat là-bas.

— Allons, ricane-t-il en se prélassant dans le bain. Ce n’est pas un champ de bataille.

— Ça l’était encore, il y a quelques mois.

           Il y a peu, une bataille a éclaté dans le palais impérial, suite à un Coup d’État. À la fin des affrontements, les douze mages les plus puissants de l’Empire ont disparu. L’impératrice Egarca Evilans a désigné un homme pour aller les chercher.

           Enfin… “Homme” n’est pas le terme le plus approprié.

— Il sera là ? demande la doyenne. Tu semblais dire qu’il allait à nouveau escorter les Pages Ancestraux. Il est parti les chercher après la guerre alors, il serait logique qu’il les accompagne pour leur grand retour.

           L’œil sombre, le marquis ne répond pas.

— Toi, marquis de Wolfrid, grand guerrier admiré, tu as peur de lui. Là est la raison pour laquelle tu veux une escorte. Alors ne me fait pas croire que mon soldat ne risque rien.

           Il ne répond pas. La tête baissée, l’homme n’a de toute évidence plus aucun argument à avancer. Le silence s’éternise.

           Je finis par le rompre : 

— L’homme dont vous parlez, celui qui escorte les Pages Ancestraux… Il s’agit bien du dernier survivant du clan Gojo, n’est-ce pas ?

           À nouveau, les servantes se figent dans leurs gestes. Chaque tête se tourne vers moi et le marquis me dévoile un regard obscur. 

           Sans même répondre, il hoche la tête.

           Le clan Gojo a toujours joui d’une sordide réputation. Même lorsque la Pythie des Âmes les a quasiment exterminés, leurs survivants, au nombre de deux, ont poursuivi des desseins bien funestes.

           Il y a plus de dix ans, Lycus a commis un génocide sur la population sephtis. L’année dernière, elle a lancé une offensive et tué plusieurs Pages Ancestraux. Au cours de cette bataille, la Prêtresse Nime l’a tuée, mettant fin à sa terreur. Cependant, des vestiges de son règne sombre perdurent. Des rumeurs affirment même que la Pythie des Âmes était Lycus, qu’elle était la créature responsable de la disparition de son clan.

           Son fils, Gojo Satoru, ne tardera sans doute pas à commettre des atrocités similaires.

— Je suis d’accord, je déclare dans le silence des thermes. Je vais vous escorter.

           Il y a quelques jours, Gojo Satoru a perturbé ma méditation. 

— Es-tu sûr de ton choix, mortel ?

           J’acquiesce sombrement.

           L’heure est venue pour nous de nous rencontrer, Gojo Satoru.

















• NDA •

que serait un début de ff
sans un petit loupé ?
je faisais de l'urbex en
robe sur une île hier
(oui oui). donc je n'ai
pas eu le temps de rentrer
à l'hôtel pour vous
publier le chapitre 1.

pour me faire pardonner
je vous envoie le 2 dans
la foulée.

swipez ;)





























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