𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟗
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C H A P I T R E 1 9
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Du visage de la femme, je ne distingue que des traits ingénus.
Un nez en trompette ponctue deux pommettes hautes, lesquelles sous-plombent de grands yeux de biche. Arqués en une danse guillerette, ses cils adoucissent de profonds iris verts engloutis par deux paupières.
— Qui êtes-vous ? répète-t-elle, croisant les pans de son cardigan autour de sa figure menue.
— Je vous retourne la question.
La femme devant moi dégage une aura tenue, à peine perceptible. Les êtres humains normaux dégagent naturellement une force magique, à l’exception des sephtis qui n’ont aucun pouvoir. La personne me faisant face n’en est donc pas une. Cependant, le résidu à peine marqué de sort l’habitant n’est pas normal.
Considérant l’absence d’aura magique se dégageant d’elle, je ne tarde pas à comprendre.
Sous ma capuche, je pousse un soupir qu’elle n’entend pas. J’ai saisis ce qu’il se passe, ce que Gojo nous cachait. De toute évidence, la femme à qui je fais face ne le sait pas. Cela se voit dans l’émotion de son regard. Elle ignore tout de la réelle raison de notre venue.
— Je suis marquise, finit-elle par répondre.
Sa voix, soufflée, trahit une grande faiblesse. Je reconnais dans le frisson parcourant sa peau le dessin d’une femme qui se fait discrète entre les murs de sa propre maison.
La femme que le marquis a enlevée, prétextant l’aimer… C’est elle. Elle se trouve devant moi.
— Ce marquisat possède un marquis, mais ce dernier n’a pas d'épouse. Aucune marquise n’est connue à ce jour, je rétorque, cherchant à la pousser à décliner sa véritable identité.
— Oh, je vois… Il se trouve que mon époux veut me protéger… Vous voyez, il ne veut pas forcément claironner notre union…
Un sourire étire les lèvres de la femme. J’aperçois quelques espaces béants au niveau de son incisive droite et de ses canines.
Ses canines… Le père de cette femme a déclaré à Satoru que sa fille avait toujours eu l’habitude de mordre. Il s’agissait à la fois d’une tare et d’une excellente technique de défense contre les prédateurs. Plus jeune, cela lui avait valu de nombreuses remontrances de la part de ses professeurs. En grandissant, elle avait su en faire une arme de choix.
Aujourd’hui, ses canines ne sont plus là. Le marquis les lui a retirées.
Arrachée à ses terres, à sa famille, à ses racines, rien ne lui restait. Cependant, même dépossédée de tout et mise à nu, il est parvenu à lui prendre davantage.
Ses dents.
— Quel est votre nom ? je demande au bout d’un moment.
— Je n’ai pas de nom.
— Tout le monde a un nom ou en a eu un. Quel était-il ?
— Je n’ai pas de nom. Je n’ai pas besoin de nom. Je suis la marquise.
Les bras croisés sur sa poitrine tremblante, elle esquisse un rire nerveux.
Plus de racines. Plus de dents. Plus d’identité.
Et la voilà, debout devant moi, à me demander ce que je fais dans cette maison qu’elle considère être la sienne, mais qui ne le sera pas. Jamais. Alors, frissonnante face à une vérité qu’elle refuse, elle me sourit à moi, l’intrus de sa demeure. Celle qui ne devrait pas être là. Pourtant, elle ne me chasse pas.
Peut-être un vestige de sa personne subsiste-il en elle, au fond ? Peut-être l’enfant enfermé dans sa poitrine frappe-t-il contre sa cage thoracique ? Peut-être se doute-t-elle qu’entre nous deux, s’il y a bien une personne qui ne devrait pas être là, c’est elle ?
Peut-être est-ce pour cette raison qu’elle ne me chasse pas ?
— Où est votre époux ?
Ses grands yeux doux se baignent de larmes. Jetant un regard à la tapisserie au mur, elle esquisse une moue navrée.
— Je… Je ne sais pas vraiment… Il m’évite. Nous avons eu une dispute, il y a quelque temps. Depuis, il ne me parle plus.
Ses mains veineuses saisissent ses boucles brunes qu’elle effrite entre ses doigts rachitiques.
— Je ne sais pas quoi faire pour qu’il me pardonne…
— Ne faites rien, retentit une voix dans mon dos tandis que la porte s’ouvre à nouveau. Il n’en vaut pas la peine.
Satoru referme derrière lui en un grincement sinistre. Quelques poussières grises maculent la longue toison de givre lui tenant lieu de cheveux. D’un geste de la main, il balaye les impuretés avant de ramener sa tignasse en un chignon. Ses yeux brillent encore à la manière de deux lueurs azur.
Je reconnais l’allure qu’il revêt maintenant ; il compte se battre.
— Oh, bonjour, monsieur. Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? demande à nouveau la “marquise” dans un sourire doux.
Satoru ignore soigneusement mon regard. Un éclat de douleur traverse le sien et il ne répond pas, soutenant le contact visuel établit par la femme.
Le silence s’éternise sans que l’un d’entre eux ne le brise. Elle finit par s’incliner dans un sourire doux.
— Je m’en vais chercher mon époux pour vous. Qui sait ? Peut-être acceptera-t-il de me parler si je mentionne de nouveaux invités ?
Sans attendre de réponse, elle tourne les talons. Ses pieds galopent à toute vitesse sur le sol, si rapidement qu’elle semble flotter en un nuage cotonneux et sans contour.
Au détour d’un couloir, elle disparaît.
— Dis-le, retentit la voix de Gojo.
Me retournant, je croise le regard de celui qui me fixait déjà. Ses yeux brillants sont ancrés en moi, une puissance crépitant en éclats autour de sa pupille rétractée.
Ce doit être la première fois que je l’entends se montrer si sérieux. La contraction de ses lèvres, ses cheveux noués pour faciliter un combat à venir, la magie pulsant jusque dans ses yeux… Rien de tout cela ne correspond au Satoru goguenard que je connais.
— Je me demandais pourquoi tu avais besoin de toute une équipe pour tuer un marquis de pacotille…
— Maintenant que tu sais la vérité… Tu comptes arrêter la mission ?
Un éclair de crainte traverse ses yeux.
— Va au bout de cette mission, s’il te plaît… Elle a besoin de toi.
— Ce n’est pas elle qui a besoin de moi, je réponds fermement.
La rangée de ses cils blancs s’affaissent lorsque ses iris chutent vers le sol. Abattu, il ne répond pas. Car la seule personne qui a besoin de moi ici, c’est lui. Et il le sait.
— Où est-elle ?
Surpris par ma question, il fronce les sourcils. Sans doute s’attendait-il à ce que, comprenant la vérité, je tourne les talons. Cependant, une promesse a été formulée.
Je ramènerai cette femme chez elle.
— Où est-elle, réellement ? je demande en observant le couloir que la marquise a pris pour nous quitter. Nous avons croisé le fantôme d’une femme qui n’a visiblement pas conscience qu’elle est décédée. Je te demande où est le cadavre que nous devons ramener à son père.
Gojo ne répond pas tout de suite. Une ombre passe sur ses traits. Affligé, il finit par chuchoter :
— Il… Il est dans le beffroi. Le marquis le garde dans un cercueil de verre, exposé.
— Et où est le marquis ?
— D…
— Juste ici, mes chers. Et, il se demande pour quelle raison vous osez pénétrer ses terres.
D’un même geste, Gojo et moi nous tournons vers une silhouette plantée au milieu du couloir. À quelques mètres de nous, drapée d’un lourd manteau de soie brodé d’éclats d’ivoire, un homme sourit malicieusement. Des bagues brillent à ses doigts lorsqu’il pose ces derniers sur ses joues, mimant une profonde stupéfaction.
La lumière des lustres au-dessus de nos têtes jouent un jeu particulier sur sa tenue. Un instant, je m’imagine que la luminosité complimente sa puissance. Il me faut cependant quelques secondes pour réaliser qu’il ne s’agit pas d’un effet des chandeliers, en réalité. Quelque chose d’intriguant parsème sa tenue.
Soudain, je réalise.
Ce que je croyais être des éclats d’ivoire, le long de sa robe… Ce sont des dents. Une multitude de dents.
Des canines.
— Gojo, reste derrière moi.
— Et manquer une occasion de t’impressionner ? lâche-t-il dans un rire narquois. Hors de question.
— Rien de ce que tu feras ne pourra m’impressionner, je suis un démon. Reste derrière moi avant d’être blessé.
Un homme qui porte des dents en draperie n’est pas un simple tordu, non… C’est un mage noir. Là où les druides se parent de pierres afin d’optimiser leurs pouvoirs de guérison, de sordides sorciers usent de restes humains pour amplifier leurs capacités d’agression.
— Tu sais ce que tu pourrais faire pour me protéger réellement ?
— Dis “m’épouser” et je te pulvérise, je gronde tandis que le marquis nous observe de loin, son sourire ne quittant pas ses lèvres.
Il patiente sans quitter sa mine outrancière. À la manière d’un mime, d’un acteur de théâtre, il tord son visage en un portrait d’un sinistre presque comique. Sans se presser ni précipiter le combat, il attend que nous attaquions en premier.
— Je n’allais pas dire cela, se défend Gojo dans un rire.
S’avançant, il se plante juste à côté de moi. Brutalement, je me tourne vers lui, prête à l’empoigner et le jeter au loin, dans mon dos.
Il m’adresse un clin d'œil.
— Épouse-moi dans les eaux sacrées des thermes moraïennes.
— Mais je vais le…
Je n’ai pas le temps de finir.
M’interrompant en plein milieu de ma phrase, Satoru se jette sur le marquis. En un battement de cil, il disparaît. Un éclat bleuté brille un instant là où il se trouvait. Mais il n’y est plus, comme envolé.
Un bruit sourd retentit. Le marquis s’effondre.
Gojo apparaît derrière lui, un sourire satisfait étirant ses lèvres. Fier, il se tourne vers moi.
— Jamais, je ne me pardonnerai de t’avoir interrompu pendant que tu parlais… Mais est-ce que j’ai gagné des points auprès de toi, là ? Qu’en dis-tu ? Mon attaque t’a séduite ? Es-tu prête à m’épouser ? As-tu vu ma rapidité ?
Il semble amusé. Pour ma part, je n’ai pas le cœur à rire.
Gojo Satoru est le dernier des cons.
— Tu n’aurais jamais dû faire ça, je murmure, sentant les tapisseries autour de nous commencer à remuer.
Ses sourcils se froncent.
— Faire quoi ?
— T’en prendre à l’hôte d’une maison faite de magie noire.
— Et pourquoi cela ? soupire-t-il dans une moue vexée, visiblement désarçonné par mon manque d’excitation face à son attaque-éclair. Je voulais juste t’impressionner, moi…
Au-dessus de nos têtes, les lustres vacillent. Les tapisseries tressautent sur les murs tandis que leurs broderies se secouent, comme animées.
— Parce que, lorsque l’hôte d’une maison faite de magie noire est en mauvaise posture…
Un sifflement sinistre retentit à mon oreille. Les yeux de Gojo s’écarquillent et il glisse sur le côté au moment où une épée se plante dans sa gorge. Satoru parvient à l’éviter de justesse et elle s’enfonce dans le mur juste derrière lui.
Du sang macule tout de même l’oreille de l’hybride. J’observe la plaie qu’a fait la lame en le frôlant.
— …C’est la maison elle-même qui prend le relais.
Dorénavant, nous allons devoir affronter un sorcier ainsi que son château.
• N D A •
j'espère que ce nouveau
chapitre vous a plu !
prêt pour un combat
gojo - tp
vs
le marquis ?
♡
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