──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟔𝟏
L E J E U D E
— C A R T E S —
Un spasme étire les lèvres de la femme en un sourire. A peine perceptible, fanant aussitôt. Mais j’ai nettement lu l’amusement qui a soudain déformé son visage.
Toujours drapée de sa robe de chambre en soie, l’ivoire du tissu fait ressortir l’éclat rouge de ses joues ainsi que l’étrange intensité de son regard émeraude. Me regardant ainsi, à la lumière du soleil, elle ressemble étonnamment à son enfant.
Et je sais, au fond, qu’elle est animée des mêmes valeurs. Alors pourquoi ?
— Je me demandais quand vous en viendriez au fait.
Redressant la tête, je croise les jambes en prenant une profonde inspiration. Ma poitrine se gonfle d’air tandis que je tente de garder la tête sur les épaules, feindre un idéal de quiétude absolu.
Cependant, je dois avouer que son air satisfait et joueur, sa façon de me narguer silencieusement me donner envie d’hurler.
Elle n’est vraiment pas en position d'agir de la sorte.
— Bien, vous aviez remarqué que je ronge mon frein depuis que j’ai posé le pied ici… Bravo, je la félicite froidement.
Elle laisse filer un gloussement.
— Que j’aime cette façon que vous avez de me regarder comme si vos paroles avaient une quelconque importance…
Penchant la tête sur le côté, elle me considère avec une douce condescendance :
— Croyez-vous sincèrement que je serais arrivée là où j’en suis si je me souciais de l’opinion qu’ont les autres de moi ?
Je ris doucement. Mon regard glisse le long de son corps.
Je ne peux pas m’en empêcher. Bien sûr, je sais qu’Eren serait furieux s’il apprenait que je m’adresse de la sorte à sa matriarche. Mais ma colère est telle que je ne réfléchis pas.
Fronçant le nez avec mépris, je susurre :
— Oh non, je peux vous assurez que personne ne croit que vous vous souciez de l’apparence des gens…
Mes yeux se plantent dans les siens.
— Cela se voit.
Un éclat chatoie dans ses yeux. Mes lèvres esquissent un sourire venimeux. Elle ne peut s’empêcher de faire de même.
A ma grande surprise, la conversation houleuse que nous entretenons semble réellement l’amuser. Elle sourit en me contemplant quelques instants.
— Je crois que je peux comprendre ce qu’Eren vous trouve. Il y a de quoi vous estimer.
— Tout le monde ne peut pas s’en targuer…
Elle rit à nouveau. Aussitôt, je sens une chaleur gronder en moi, me poussant à serrer les poings de frustration. Ses réactions m’énervent sérieusement.
Comment peut-elle traiter toutes ces choses avec autant d’indifférence ? Balayer d’un revers de la main le mal-être de son enfant ?
J’aimerais qu’elle s’enrage. Qu’elle me hurle que je ne sais pas de quoi je parle. Qu’elle frappe du pied sur le sol. N’importe quoi.
Un simple geste.
Pour prouver qu’elle l’estime. Qu’il a de la valeur à ses yeux. Juste quelque chose.
— Jamais aucune des petites-amies d’Eren n’a osé me parler comme ça.
— Parce qu’aucune ne l’a aimé comme moi. Aucune ne le défendra comme moi. Y compris si cela signifie aller à l’encontre de ce qu’il veut en me mesurant à vous.
Ses sourcils se haussent en une moue moqueuse. Je vois bien qu’elle ne me prend pas au sérieux. Je ne suis à ses yeux qu’une simple enfant amoureuse qui trépigne du pied en imaginant qu’un prince charmant viendra la chercher.
Et j’ai beau discourir, elle n’écoutera pas. Elle m’entend, oui. Mais sans vraiment le faire. Car aucune de mes paroles n’aura d’importance.
— Ecoutez, vous ne savez définitivement pas ce qu’est l’amour. Je suis honnêtement plutôt touchée de l’intérêt que vous portez à mon enfant et espère que vous lui apporterez quelques jours meilleurs. Mais ne prenez pas cela au sérieux.
Là, c’est à mon tour de rire.
Enfouissant mon visage dans mes mains, je glousse bruyamment. Entre mes doigts, j’aperçois enfin son rictus se faner.
Enfin ! Je ne peux décrire la satisfaction qui me traverse à cette vision.
Ses sourcils se froncent lorsqu’elle demande :
— Je peux savoir ce qui vous fait tant rire ?
Il me faut quelques secondes pour me calmer. Je prends une profonde inspiration, m’efforçant de me calmer.
— Pourquoi riez-vous ? s’impatiente-t-elle.
— Parce que c’est à mon tour de vous demander si vous croyez que je me préoccupe de votre avis.
Un éclair. Fugace. Il traverse ses yeux.
A l’instant où je remarque le spasme de colère qui contracte violemment ses traits, il s’évanouit. Un léger rictus le remplace et elle détourne les yeux, affichant cette moue goguenarde.
Mais je ne suis plus dupe. A l’instant, j’ai vu.
— Vous êtes constamment furieuse, en fait…
Ses sourcils se haussent brusquement. Surprise, elle me considère avec ébahissement quelques instants avant de reprendre contenance.
— Ma chère, mon mobilier est splendide, déclare-t-elle en observant les canapés blancs sur lesquels nous sommes installées, en terrasse. Alors puis-je savoir pourquoi vous semblez les confondre avec le divan bas-de-gamme d’un branquignole qui se croit thérapeute parce qu’il a lu un magazine sur le sujet ?
Je ris doucement.
Note à moi-même : le ton de Carla est toujours doux, son changement d’humeur s’observe dans les mots qu’elle emploie.
— « Branquignole » ? je répète, amusée.
Ne répondant rien, la femme réajuste son fessier sur le fauteuil, conservant son menton haut.
— Cela ne sert à rien de sourire avec élégance et s’employer à faire des gestes lents, maintenant. J’ai lu clair en vous.
— Allons-y, raille-t-elle d’un geste dédaigneux de la paume. Vous n’êtes pas capable de vous connaître et croyez pouvoir m’analyser ? Je vous en prie, ma chère…
— Vous êtes en colère. Encore et toujours. Vous ne parvenez pas à descendre du nuage noir de votre rage.
— C’est qu’elle parle en poète, en plus ! En métaphore et prose ! En images !
La corde sensible a été pincée.
Carla n’est plus calme et assurée. Elle ne parle plus avec tendresse, posant chaque mot comme un objet fragile sur le fil incertain d’une discussion houleuse. Non. Elle les assène.
Brutalement, faisant de grands gestes et arborant une voix moqueuse.
— Ta vie a à peine commencé, gamine. Qui crois-tu être pour me parler de la sorte ? Tu crois que parce que les parties de mon fils le démange, qu’il a choppé la première assez abrutie pour croire qu’il parle avec son cœur et non sa bite, je vais me montrer conciliante ?
D’un geste brusque, elle se lève. Toujours assise, tout à fait détendue dans mon siège, je la regarde faire.
— Mais regardes-toi un peu ! Regarde où tu es et qui tu es ? Tu ne vois pas une certaine dissonance, dans le tableau ?
Rien de ce qu’elle pourra dire ne m’affectera.
Car je sais qu’elle est simplement blessée. Embarrassée d’avoir été cernée si facilement, elle qui s’emploie ardemment à composer l’image qu’elle veut renvoyer aux autres. Gênée que cela n’ait pas fonctionné sur moi.
Alors elle tentera tout et n’importe quoi pour me faire plus de mal que je viens de lui en faire.
— Tu n’es qu…
— Les drogués sont malades à cause de la drogue, pas de leurs proches.
Je n’ai pas eu besoin de hausser le ton pour qu’elle se fige. Ses lèvres se sont tues et elle s’est brutalement suspendue dans ses gestes.
— Vous le savez, n’est-ce pas ?
Les bras de Carla retombent le long de son corps. Elle ne dit rien, ne me regarde même pas une seule seconde.
Je pousse un long soupir.
— Vous savez que vous n’êtes pas entièrement responsable de ce qu’il s’est passé ?
Baissant la tête, elle garde le silence.
— Je reconnais une personne coupable quand j’en vois une. Vous êtes rongée par un sentiment de culpabilité qui s’est transformé en rancœur. Et le visage de cette rancœur est Eren.
Immobile, elle ne réagit pas.
— Vous aimez votre fils, pour sûr. Mais vous haïssez ce qu’il représente. Votre échec. Je suppose que c’est pour cette raison que vous laissez votre époux le traiter de la sorte ?
Les poings de la femme se serrent.
— Navrée d’être celui qui vous le dit mais personne ne haïra davantage Eren pour ce qu’il est devenu qu’Eren.
Dans un soupir, je me lève.
M’éloignant des canapés pour rentrer dans la maison, je m’arrête à sa hauteur.
— Vous avez le droit d’être en colère, c’est humain. Mais votre enfant a besoin de vous alors quand vous vous serez décidée à arrêter d’agir comme une enfant vexée, que vous serez prête à prendre vos responsabilités, là vous pourrez venir me juger.
Tournant la tête seulement vers elle, je croise le regard noir qu’elle rive sur le sol. Sa mâchoire est contractée, elle est furieuse.
Je crois qu’elle lutte contre l’envie de me frapper.
J’aimerais bien qu’elle essaye, tiens. Elle sera sacrément reçue.
— Vous savez, la plupart des petites-amies d’Eren que vous avez rencontrées ne vous ont pas plu parce qu’elles ont fait énormément d’efforts pour vous impressionner et vous aimez vous moquer des gens qui se plient en quatre pour vous. Vous êtes le genre de nana qui n’avez de considération que pour les gens qui vous chient dessus.
J’esquisse un sourire.
— Alors considérez bien mes paroles quand je vous dis que la raison pour laquelle je ne fais pas autant d’effort, celle où je n’essaye pas de vous impressionner est que je ne me demande pas si vous me considérez comme une bonne petite-amie pour Eren.
Une larme de colère roule sur sa pommette saillante.
— Parce que je préfère me demander si vous avez été une bonne mère, au cours des derniers mois…
Mes lèvres se pincent.
Je le revois, debout dans sa salle de bain, en train de se maquiller, de travestir sa personne entière par crainte qu’elle ne l’apprécie plus.
— Et la raison pour laquelle vous serrez autant les poings maintenant est que vous connaissez la réponse.
Là-dessus, je tourne les talons. Mais je n’ai pas le temps de faire deux pas.
— Vous n’êtes une addicte aussi. Vous ne savez pas ce que cela fait que de vivre aux côtés d’une personne dépendante.
Un rire narquois me prend et je regarde où je suis. Cette demeure vaste dont je n’avais jamais entendu parler car Eren habite dans ma chambre et non ici.
Alors je me contente de déclarer :
— Vous non plus, vous n’en savez rien.
☆
Un sourire étire mes lèvres quand le torse d’Eren se plaque contre mon dos. Ses deux bras imposants s’enroulent autour de mon buste et je laisse mon crâne tomber sur son épaule.
Enfouissant son visage dans mon cou, le brun dépose un baiser sur ce dernier. Et il murmure contre ma chair :
— Tu comptes me dire ce que tu as bien pu faire pour que mes parents soient absolument d’accord sur le fait que tu dois sortir de ma vie ?
— Tu n’as pas l’air attristé par cette nouvelle, je minaude, faussement chagrinée.
Il pouffe dans mon col.
— Disons que je t’ai vu te comporter avec ma mère et que je sais que le fait qu’ils ne veuillent plus te voir est un compliment pour toi.
Je ris.
Il recule d’un pas, me lâchant. Surprise, je me retourne et il saisit alors mon visage en coupe. Ses pouces lissent mes pommettes tandis qu’il promène un regard profondément doux sur mon visage.
— Quoi que tu leur aies dit, je t’en remercie.
Mes sourcils se froncent.
— Ma mère a enfin accepté d’arrêter de prétendre ne pas connaître mes problèmes. Elle est prête à me parler de mon abstinence.
Des larmes mouillent ses yeux émeraudes.
— Je crois qu’elle n’a plus autant honte de moi.
Mon cœur se serre et j’esquisse un sourire fier. Je ne peux exprimer au brun combien je suis soulagée de savoir qu’elle va enfin sortir du silence dans lequel elle s’est murée.
Il a besoin de sentir qu’ils le soutiennent. Malgré leur déception, il doit comprendre qu’ils sont moralement — et non simplement financièrement — présents.
Eren m’embrasse.
— Merci tellement, (T/P).
j'espère que ça vous a
plu !
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