──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟒𝟓



















L  E    J  E  U    D  E
—     C    A    R    T    E    S     —

































— Tu es sûre de ce que tu fais, ma petite ?

           Levant les yeux de mon carnet, je croise le regard d’Adélaïde. Debout derrière son comptoir, un chiffon à la main, frottant l’intérieur d’un verre, elle me jauge en silence.

           Je comprends, aux scintillement ses yeux bruns au cœur d’une sclère jaunie, qu’elle désapprouve tout à fait mes actions. Sa réprobation se lit presque, en petits caractères, autour de la ligne de son iris.

           Un soupir franchit mes lèvres et je pose mon stylo.

— Je… Je ne veux pas qu’elle s’en sorte.

— Je ne te parle pas du fait de la punir. Je sais qu’il s’agit plus pour toi d’un moyen de l’empêcher de nuire plutôt qu’une simple vengeance, dit-t-elle en zieutant mon carnet, par-dessus le comptoir.

— Mais…, je lâche dans un soupir, sachant qu’il y en aura un.

           Elle acquiesce à ce mot.

— Mais, Eren n’est pas au courant. Qu’est-ce que tu ferais, toi, s’il allait rendre visite à un passé que tu cherches à fuir et ce, sans ton accord ?

           Mes lèvres se pincent et je ne peux nier qu’elle n’a pas tort. A vrai dire, cette question m’a sérieusement travaillée, pendant que j’élaborais mon plan. Et je ne veux sous aucun prétexte faire de mal à Eren.

           Ma gorge se serre et j’enfouis mon visage dans mes mains.

— Parle-lui, ma petite. Tu ne peux pas prendre ce genre de décisions sans lui en référer avant. Qu’importe combien tu lui veux de bien. Parfois, les personnes préfèrent aller de l’avant et tu n’as pas le droit de les retenir en arrière si ce n’est pas ce qu’elles veulent.

           Je le sais. Malheureusement, je n’en suis que trop consciente. Et elle dit vrai. Je dois aller lui parler.

— Elle a profité de lui… Elle l’a forcé à faire quelque chose qu’il ne voulait pas faire et le pire c’est qu’on peut même pas l’attaquer en justice parce que la justice dira qu’il était consentant ! je lâche dans un sourire désespéré, mouillé de larmes.

           Sa main caresse la mienne et elle acquiesce dans une moue affligée.

— Cette femme est une prédatrice, Adélaïde. Une prédatrice qui connait la loi, sait comment s’en protéger. C’est même son terrain de jeu.

— Alors, amène-la sur le tien.

           Surprise de l’entendre me soutenir, je me redresse. La barmaid fait un signe à un client lui demandant de la resservir avant de se pencher sur moi, par-dessus le comptoir.

           Là, elle chuchote en essuyant ce verre sec depuis longtemps :

— Parle à Eren. Et s’il est d’accord, fais-lui la peau. Et en l’emmenant sur ton terrain.

           Là-dessus, elle s’en va voir son client. Je la suis du regard, désemparée.

           Mon terrain ?





























           Jean a assez bien résumé Eren le jour où il a dit qu’avec ou sans drogue, il demeurait un gamin écervelé. Et j’ai toujours été consciente de cela. Seulement je dois avouer que je ne m’attendais pas à ça.

           Assis sur le banc bordant le bureau de Karim Hafeez, il croise les bras en exécutant une moue boudeuse. Soupirant, j’observe le liquide jaune coulant à grosses gouttes de son sweatshirt et maculant sa tignasse brune.

           A côté de lui, les lèvres pincées et yeux écarquillés, Conny regarde le sol, affligé.

— Vous m’expliquez ?

— C’est de sa faute ! hurlent les deux, en chœur, en se pointant l’un et l’autre du doigt.

           Levant les yeux au ciel, je pousse un soupir atterré. Je n’arrive pas à croire que ces maudits gamins soient en âge de voter. Quel sombre avenir pour notre pauvre pays.

           Face à mon silence exaspéré, ils rentrent la tête dans leurs épaules. Je tapote le sol du pied, excédée, leur faisant comprendre qu’ils doivent s’empresser de me répondre. Ils capitulent dans un soupir.

— On avait payé Aisha pour qu’elle fasse notre vaisselle et elle nous l’a rendue sale, après avoir pris l’argent.

           Je m’en souviens, effectivement. Ils avaient posé le carton rempli de ladite vaisselle dans sa chambre après y avoir pénétré par effraction.

— Alors on s’est dit qu’on allait se venger. On s’est introduit dans sa chambre par effraction pour mettre un bouillon de cube de sa pomme de douche. Pour qu’elle sente la volaille à sa prochaine douche.

           Pinçant l’arête de mon nez, je soupire en fermant les yeux :

— Putain, des cons pareils, faudrait les mettre sous verre.

           Me redressant, je les encourage d’un signe de tête :

— Bon allez, expliquez-moi la suite.

           Ils échangent un regard. Quelques instants, un silence prend place.

           Mais Eren le rompt violemment, pointant l’autre du doigt :

— MAIS C’EST-CE CON-LA, J’ETAIS EN TRAIN DE FINALISER LE PROJET ET IL A OUVERT L’EAU ! J’ETAIS JUSTE EN-DESSOUS !

— TU M’AS DIT « VAS-Y », JE DEVAIS COMPRENDRE QUOI, TÊTE DE GLAND ?

— QUE TU DEVAIS TE CASSER, ESPECE D’ABRUTI !

           Soupirant, je laisse ma tête tomber sur ma poitrine, les écoutant s’engueuler silencieusement encore quelques temps.

— JE SUIS COUVERT DE BOUILLON DE CUBE, MAITNENANT ? COMMENT TU VEUX QUE JE PELOTE MA COPINE AVEC CETTE ODEUR !

— Et tu as un entretien d’embauche demain, je soupire.

— Ouais, y’a ça aussi, accessoirement.

           Les mains sur les hanches, je lâche un long soupir rauque. Je ne sais pas ce que je vais faire de ceux-là… Et dire qu’à l’origine, je suis venue pour parler de quelque chose d’assez important à Eren.

           Les deux sont repartis dans des hurlements et en viennent même au main — à savoir qu’ils les agitent l’un devant l’autre, leurs paumes se cognant bêtement. Quand, soudain, la porte du bureau de Karim Hafeez s’ouvre sur Aïsha.

           Leur tirant la langue, elle me lâche dans un rire :

— T’as vraiment pas choisi le fruit le plus frais du panier.

           Eren rit et Conny le regarde, suspicieux.

— T’as vu comment elle t’a cassé ? lâche le brun.

— C’est de toi qu’elle parle, abruti.

— Bien sûr que non.

— (T/P), c’est pas toi qu’elle a choisi, peut-être ?

           Les sourcils d’Eren se haussent face à cette logique implacable.

— Ah…, réalise-t-il.

           Coupant court à cet entretien surréaliste, Karim Hafeez se plante dans l’encadrement de la porte. Il s’apprête à parler, ouvrant la bouche, quand son regard se pose sur Eren dégoulinant.

           Il observe le brun quelques instants avant de renoncer en soupirant, fermant la porte en rentrant dans son bureau.

           Quelques instants, nul ne dit rien.

           Soudain, nous éclatons de rire. Mes genoux se plient et Eren m’attire contre lui, s’esclaffant sur mon épaule. Des larmes roulent sur mes joues tandis qu’Aïsha a enfouit son visage dans ses mains.

— Je vous signale que je vous entends, tonne la voix de Karim Hafeez, de l’autre côté du bureau.

           Brutalement, Eren s’éloigne pour rire plus tranquillement. Il prend tout de même le temps de me soulever du sol, me balançant par-dessus son épaule, pour m’emmener avec lui.

           Je m’agite furieusement, voyant Aïsha s’éloigner à mesure qu’il avance. Immobile, elle tape son poing sur son cœur avant de l’embrasser et pointer le ciel, comme pour me souhaiter bonne chance.

— MAIS VIENS M’AIDER, ABRUTIE ! IL PUE LA VOLAILLE !

           Elle se contente d’éclater de rire.

— EREN, LACHES-MOI, TU SCHLINGUES ! EREEEEEEEEEN !

           Soudain, une porte s’ouvre, juste à côté de nous. Un professeur furieux apparait dans son encadrement :

— Il y a un CM, juste à côté de vous, je vous sign…

           La voix de l’homme meurt dans sa gorge lorsqu’il découvre la scène. Eren, couvert de bouillon de cube, me portant par-dessus son épaule, le poing levé à la manière d’un super-héros tandis que je frappe ses omoplates.

           De notre position, nous pouvons voir une partie de la salle : à savoir quelques rangées d’un amphithéâtre rempli de regards rivés sur nous.

           Le professeur reprend ses esprits :

— Dans le bureau de votre responsable, maintenant.

— On en vient, je couine d’une petite voix, mal à l’aise.

           Soupirant, il capitule. Sans un mot de plus, il retourne dans l’amphithéâtre, claquant la porte dans son dos. Nous observons celle-ci quelques instants avant d’éclater de rire.

           Je pose une main sur les lèvres d’Eren et l’autre sur les miennes afin d’étouffer le son. Le brun, nous secouant dans son hilarité, reprend sa route, s’éloignant.





















           Sortant de sa troisième douche, Eren frotte son oreille d’une serviette blanche tout en faisant quelques pas dans la chambre. Mon carnet devant les yeux, je ne peux m’empêcher de laisser mon regard loucher sur ses abdominaux finement tracés ainsi que les tatouages couvrant ses bras.

           Partant de son jogging gris, un « V » encadrent quelques reliefs remontant sous d’imposants pectoraux. Je salive honteusement, détournant le regard.

— Dis-moi que l’odeur est partie, je t’en supplie.

— Demandé si gentiment…, je fais remarquer dans un rire.

           Me levant, je marche jusqu’à lui avant de me placer devant lui. Inspirant de l’air, je réfléchis quelques instants avant de murmurer :

— Bon, tu reprendras deux douches demain et ça devrait aller.

           Un shampoing, un gommage crânien, un après-shampoing, un masque, un exfoliant au parfum fleuri, un gant de hammam désincrustant, un savon en barre, un gel douche, une huile parfumée, une lotion, une brume et un parfum n’ont pas suffit à avoir entièrement raison de cette odeur.

           Cela lui donnera matière à réfléchir.

— Qu’est-ce que tu fais ? lance-t-il en désignant le carnet abandonné sur le comptoir de la chambre.

           Lançant un regard à ce dernier, je lâche un soupir. Mes lèvres se pincent et j’attrape l’objet.

           Eren doit avoir remarqué ce changement soudain d’attitude car, fronçant les sourcils, il affiche maintenant un grand sérieux.

— Je dois t’avouer quelque chose, je murmure.

           Il m’observe, penchant la tête sur le côté.

— Vas-y, je t’écoute.

— Je crois que tu ferais mieux de t’assoir.

           Ses sourcils se haussent et il semble surpris. Evidemment, une conversation commençant comme cela n’augure rien de bon et je saisis son appréhension.

           Car elle est fondée.

           Il finit par s’assoir, toujours aussi attentif. Je fais de même sur un fauteuil, en face de lui. Puis, prenant une grande inspiration, je m’efforce d’ignorer mon estomac se tordant.

           Et, le regardant droit dans les yeux, je commence mon aveu :

— Alors, voilà…

































































on attaque la partie compliquée...

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