𝟐𝟓 ¦ 𝐋𝐄 𝐉𝐔𝐆𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓

𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟓 ━ 𝟏,𝟓𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
Le Jugement Dernier,
Mɪᴄʜᴇʟ-Aɴɢᴇ (1541)

     Marco sentait ses narines picoter. Il fronça le nez, mais il ne parvint pas à retenir un vilain éternuement. Caché par quelques nuages, le soleil s'élevait pourtant haut dans le ciel en cette belle journée de printemps. Et si le vent ne soufflait pas aussi fort, il aurait probablement fait cinq ou six degré de plus. Au vu des aléas météorologiques propres au climat normand, Marco avait jugé plus prudent de s'équiper d'un bon pull pour sortir. Il ne comptait pas s'attarder, mais un coup de froid était vite arrivé. Et le jeune homme était certain d'une chose : celui qu'il attendait ne méritait pas qu'il attrape un rhume par sa faute.

     Cela faisait déjà quelques minutes que Marco patientait dehors, en face de son ancien lycée. Il y avait une sorte de petite place, devant le bâtiment, avec des arbres et des bancs, comme celui sur lequel l'étudiant s'était installé. Autour de lui, des lycéen‧ne‧s allaient et venaient au rythme de leur emploi du temps scolaire. Marco les observait discrètement avec une certaine nostalgie. Il gardait énormément de souvenirs des années passées dans cet endroit ; des bons, comme des mauvais. C'était probablement ce genre de contradictions qui expliquait l'incommodité que le jeune homme pouvait éprouver lorsqu'il se rendait ainsi dans des lieux notoires qu'il avait eu l'habitude de fréquenter, à un moment ou à un autre de sa vie. Car il échouait toujours à se remémorer les bons moments qu'il y avait passé sans être rattrapé par les mauvais. Et la personne qu'il avait accepté de retrouver ici illustrait à la perfection ce paradoxe regrettable.

     Suite au message de Romain, Marco avait longuement hésité quant à la réaction qu'il devait adopter. Quelques jours après sa visite chez Ymir, qui s'était (comme toujours) révélée de bon conseil, il avait rassemblé le courage nécessaire pour répondre. La conversation qui en découla fut courte. Romain lui confirma qu'il l'avait bien aperçu en boîte de nuit, ce jour-là, et qu'il avait simplement eu envie de prendre de ses nouvelles. Sans surprise, il proposa rapidement à son interlocuteur de se revoir, s'il était toujours dans le coin. Marco le connaissait suffisamment pour se douter qu'il allait s'aventurer sur ce sujet. Il consentit donc à ce rendez-vous.

     Il avait beau s'être mentalement préparé à l'idée de revoir Romain, Marco avait l'impression que ses appréhensions pouvaient aisément se lire sur son visage aux traits tendus. Sa seule résignation ne barrait malheureusement pas la porte à son anxiété. Une boule d'angoisse semblait grandir dans sa poitrine au fil des minutes. Le jeune homme commença à étouffer, au point qu'il pria pour que Romain pointe enfin le bout de son nez. Il voulait juste en finir au plus vite. Néanmoins, lorsqu'il reconnu l'intéressé qui s'avançait justement dans sa direction, Marco sentit la boule d'angoisse tripler de volume. Cette fois-ci, il était définitivement en apnée.

     Le sourire poli qu'il adressa au nouveau venu ressemblait étrangement à une grimace, mais celui-ci ne sembla pas le remarquer. Fidèle à lui-même, Romain n'hésita pas un seul instant avant de lancer la conversation. Il s'intéressa aux études de l'étudiant en psychologie, pris des nouvelles de sa famille, s'enquit des chemins pris par les quelques ami‧e‧s dont il se souvenait vaguement du prénom... Marco répondait brièvement, puis il se contentait de lui retourner la question. Comme l'auraient fait de vieux copains, qui se retrouvaient après s'être perdus de vu pendant de longs mois. Sauf que l'histoire qu'ils partageaient s'avérait un peu plus complexe.

     — Et sinon, tu vois quelqu'un en ce moment ? demanda alors Romain, l'air de rien. J'ai remarqué que tu étais accompagné, l'autre soir, précisa-t-il.
     — En quelque sorte, acquiesça prudemment Marco.
     — En voilà, une drôle de réponse, commenta l'autre en riant. Tu sembles hésiter. C'est pas sérieux, c'est ça ?
     — Non, je ne dirais pas ça. C'est curieusement très sérieux.

     Romain n'eut pas l'air de comprendre. Maintenant qu'il avait repris du poil de la bête, Marco en profita pour le détailler. Physiquement, il n'avait pas beaucoup changé : les mêmes boucles blondes, les mêmes yeux couleur noisette, le même air nonchalant. En l'écoutant parler, Marco se rappela ce qui l'avait attiré chez ce garçon ; son calme, son attention, son sourire. Il ne put empêcher son esprit d'opérer une comparaison rapide entre Romain et Jean. Tous deux dégageaient un charme fou dont ils étaient conscients et dont ils profitaient d'une manière ou d'une autre. C'étaient des extravertis, des séducteurs, des esprits libres. En surface, ils partageaient des similitudes évidentes. Et pourtant, les deux garçons n'auraient pas pu être plus opposés l'un de l'autre.

     Romain était un baratineur, un fabulateur, un manipulateur. Il avait ce besoin presque viscéral de plaire, à n'importe quel prix. Et il usait sciemment de ses charmes pour parvenir à ses fins. Alors que Jean... Jean n'avait pas besoin de tromper son monde pour y exister. Il savait pertinemment quel genre de personne il était et, plus important encore, il en était suffisamment fier pour le revendiquer tout haut. C'était un passionné, un artiste, un mordu. Il était certes charmant, mais il était surtout profondément bienveillant. Une qualité qui faisait cruellement défaut à Romain, quel que soit le masque qu'il portait. Et quand on prenait le recul nécessaire pout s'en rendre compte, son sourire donnait soudainement la nausée. En le voyant faire un pas en avant, Marco se retint de ne pas en faire un en arrière. Car il savait exactement ce que Romain s'apprêtait à lui demander, à mots couverts.

     — Je ne vois personne de mon côté, si ça t'intéresse...
     — Je n'ai pas accepté de te revoir pour qu'on se remettre ensemble, trancha Marco. Ça n'a jamais été mon intention.
     — Mais qui te parle de se mettre ensemble ?

     Romain prit un air malicieux, lequel se voulait séducteur. Marco ne lui rendit qu'un rictus agacé.

     — En effet, siffla-t-il en secouant la tête. J'oubliais presque que tu n'étais pas du genre à t'engager.

     Le blond leva les mains en l'air, paumes ouvertes, un sourire presque innocent aux lèvres. Cependant, Marco ne s'y laissa pas prendre. À cet instant précis, il compris que le jeune homme n'avait pas changé du tout ; il était toujours cet imbécile qui lui avait brisé le cœur et, pire encore, il serait capable de recommencer sans éprouver le moindre remord. Romain était ainsi ; il ne pensait qu'à lui, jamais aux autres. Tout le contraire d'un certain artiste. Et en réalisant qu'il ne faisait que de penser à Jean depuis qu'il était arrivé, Marco comprit qu'il n'avait plus rien à faire ici. Il était temps pour lui de partir. Mais avant cela, il avait certaines choses à dire.

     — Romain, je dois être honnête avec toi, le prévint-il. Je vais faire court, alors aie au moins la décence de te taire.

     L'intéressé eut encore le culot de prendre un air étonné. Mais rien n'aurait pu empêcher le flot de paroles que Marco s'apprêtait à lâcher, telle une bombe jetée sur son visage.

     — Tu m'as menti, affirma-t-il avec humeur. Par omission, c'est vrai. N'empêche que tu t'es quand même bien foutu de ma gueule. J'ai peut-être été naïf, mais je ne le suis pas assez pour penser que c'était moi le fautif dans l'histoire. Tu es celui qui m'a fait du mal. Tu es la raison pour laquelle j'ai mis des mois à m'en remettre. Et je paie encore les frais de tes mensonges. Je ne m'attend pas à ce que t'excuses. Mais je ne veux plus jamais avoir affaire à toi, l'averti-t-il. Notre relation est l'un de mes plus gros regrets. Parce que j'ai gâché un an de ma vie pour toi. Et je refuse de perdre une seconde de plus.

     À peine Marco eut-il terminé sa tirade qu'il se releva du banc sur lequel il était assis. Ses yeux glissèrent sur le visage de Romain comme s'il n'existait pas et, aussi simplement qu'il était venu, le jeune homme s'en alla. Il ignorait quelle expression pouvait bien arborer celui qu'il laissait derrière lui, mais il ne voulait même pas le savoir, alors il ne se retourna pas. Marco partait le cœur léger, car la boule d'angoisse qu'il ressentait habituellement dans sa poitrine en songeant à Romain avait été remplacée par un grand vide. C'était là tout ce qu'il éprouvait pour lui, désormais.

     Le jeune homme réalisa qu'il avait eu besoin de cette confrontation afin de tourner la page. Ses doutes, ses questions, ses incertitudes restées sans réponses depuis la fin de cette relation l'avait (bien malgré lui) maintenu attaché au passé. Aujourd'hui, il pouvait enfin lâcher prise. Car il lui suffisait de repenser à la manière dont Jean le regardait pour s'assurer que celui qu'il abandonnait sur ce banc ne pourrait jamais lui offrir quelque chose de comparable. Et puisqu'il n'y avait rien à espérer, il n'y avait plus rien à regretter depuis longtemps.

     En rentrant chez lui, Marco tomba nez-à-nez avec Siméon, qui enfilait ses chaussures. L'adolescent était visiblement sur le départ. Il informa son grand frère qu'il allait passer un peu de temps chez Jean. Cette fois, il avait même demandé la permission de sortir à sa mère, qui avait évidemment accepté à condition que Siméon ne rentre pas trop tard. En l'entendant mentionner le nom de Jean, Marco sembla réfléchir.

     — Attend, décida-t-il soudain. Je viens avec toi.

Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Ça fait un bout de temps que j'ai mentionné l'existence de Romain, mais aujourd'hui vous faites enfin sa connaissance ! J'ai volontairement essayé de ne pas tout dévoiler dans ce chapitre. Vous comprendrez pourquoi :)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top