𝟏𝟓 ¦ 𝐋𝐄𝐒 𝐓𝐎𝐔𝐑𝐍𝐄𝐒𝐎𝐋𝐒
𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟓 ━ 𝟐𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
Les Tournesols,
Vɪɴᴄᴇɴᴛ Vᴀɴ Gᴏɢʜ (1888)
Siméon fut le premier à repérer Jean qui les attendait, devant l'arrêt de tramway. Tout content de le revoir, l'adolescent accéléra le pas pour échanger un drôle de check avec lui. Marco les regarda faire, un sourire amusé aux lèvres. Quand avaient-ils donc inventé cela ? Feignant de l'embêter, Jean attrapa la capuche de Siméon qu'il enfonça sur ses cheveux courts. Il profita de ce bref moment d'inattention pour déposer un baiser sur les doigts de Marco, à qui il adressa un clin d'œil complice. Ce dernier sentit (comme toujours) ses joues rougir face à ce geste qui leur était devenu coutumier.
Les trois garçons grimpèrent à bord du prochain tramway qui passa, une poignée de minutes plus tard. Tandis qu'ils se laissaient transporter, direction le lieu de l'exposition temporaire qu'ils allaient bientôt découvrir, Jean interrogea Siméon sur l'œuvre et la vie de Van Gogh.
— C'est un peintre néerlandais de la fin du 19e siècle, récita le jeune artiste. Il a surtout été inspiré par l'impressionnisme et le pointillisme, même s'il n'a jamais été rattaché à un mouvement en particulier. Il a réalisé une tonne de dessins et de peintures : des portraits, des paysages, des natures mortes... Il devait souffrir d'une maladie mentale car il avait régulièrement des crises. C'est ce qui l'aurait poussé à se couper une oreille, puis à se suicider, conclu-t-il.
Jean poussa un sifflement admiratif.
— On dirait que je n'ai plus rien à t'apprendre !
Vincent Van Gogh faisait partie de ces artistes qui fascinaient les foules, même un siècle après leur décès. Il laissait derrière lui une collection incroyable de toiles, de dessins et de lettres qui permettaient de comprendre un peu mieux ce génie à l'esprit troublé. Car si Van Gogh ne fut guère remarqué à son époque, on le considérait aujourd'hui comme l'un des plus grands artistes de tous les temps.
Le tramway les déposa à une centaine de mètres de l'exposition. Une fois arrivés à l'intérieur du bâtiment qui l'accueillait, les trois nouveaux venus firent la queue pour acheter leur billet. On leur demanda de patienter pendant une dizaine de minutes, le temps qu'un nouveau créneau horaire s'ouvre. Siméon, qui avait franchement hâte de voir ce que donnait cette expérience dite immersive, prit ainsi son mal en patience. Lorsque les prochain‧e‧s visiteur‧se‧s furent invité‧e‧s à entrer dans la salle suivante, l'adolescent fit partie des petit‧e·s impatient‧e‧s qui se pressèrent contre la porte.
Jean et Marco le rejoignirent de l'autre côté où, tout aussi intrigués que lui, ils jetèrent des regards curieux autour d'eux. La salle semblait drôlement spacieuse. Son haut plafond et ses murs blancs contribuaient sans doute à accentuer cet effet. De plus, elle était étrangement composée : des blocs s'élevaient en plein milieu, des escaliers et des rampes permettaient d'atteindre des plateformes... À première vue, l'endroit avait des allures de labyrinthe. C'était un terrain de choix pour les plus jeunes enfants qui se hâtèrent d'explorer les lieux.
Marco observa les parois blanches qui les entouraient. Jean ayant parlé de projection d'art pour désigner cette exposition, il supposa (à juste titre) que les œuvres de Van Gogh leur seraient présentées sur les murs, où l'on pouvait déjà voir un message de bienvenue s'affirmer. Les spots lumineux s'éteignirent progressivement, surprenant certain‧e‧s visiteur‧se‧s, et cédèrent ainsi leur place aux projecteurs qui s'allumèrent au-dessus de leurs têtes. Lorsque le spectacle commença, Marco fut de celleux qui laissèrent échapper un oooh de surprise.
S'il avait bien deviné le principe de cette exposition, il ne s'attendait pas forcément à ce que toutes les surfaces soient mises à contribution. Les peintures de l'artiste hollandais furent non seulement projetées sur les murs, mais également sur les sols et, par extension, sur les visiteur‧se‧s. C'était comme s'iels avaient tou‧te‧s fait un pas à l'intérieur de l'univers coloré de Van Gogh. Voilà donc la dimension immersive qui donnait à cette exposition tout son intérêt.
Jean tira doucement sur le bras de Marco qui tressaillit. Réalisant qu'il était resté parfaitement immobile, ce dernier cligna rapidement des yeux avant de suivre le châtain. Siméon étant déjà parti faire un petit tour de son côté, les deux amis prirent eux aussi le temps de se promener dans l'univers du peintre hollandais. Comme tout le monde, Marco s'émerveilla de voir les tableaux prendre vie autour de lui. Les peintures s'animaient au rythme de la musique qui résonnait dans les enceintes. Leurs éléments s'assemblaient, se détachaient, se déformaient, se métamorphosaient. Le génie à l'origine de ce projet avait pris de l'art... pour en faire de l'art !
Marco posa quelques questions à Jean qui se fit un plaisir d'y répondre, lui apprenant ainsi les titres, les dates ou les inspirations de certains tableaux. De retour de sa petite vadrouille en solitaire, Siméon en profita lui aussi pour écouter les anecdotes de l'étudiant en art. Parfois, ce dernier lui désignait une œuvre que l'adolescent essayait d'identifier, de mémoire, avant qu'elle ne disparaisse. Lorsqu'il n'y arrivait pas, Jean lui donnait la bonne réponse.
— Terrasse du café le soir, 1888. C'était la première fois que Van Gogh peignait un ciel étoilé, précisa-t-il. On le retrouve plus tard dans ses deux Nuits étoilées.
La projection enchaîna justement avec la Nuit étoilée sur le Rhône représentant la ville d'Arles. L'artiste avait réussi à capter les reflets de l'éclairage au gaz sur l'eau miroitante du fleuve. Il aimait peindre la nuit et ses lumières, qui étaient au cœur de ses toiles les plus célèbres. En témoignait la Nuit étoilée, peinte un an après, qui représentait ce que Van Gogh pouvait voir depuis la chambre de l'asile qu'il occupait en 1889. On considérait souvent ce tableau comme étant son grand œuvre en raison de son impressionnante renommée.
Les célèbres tourbillons firent bientôt leur apparition autour d'eux, s'étirant sur toutes les surfaces disponibles. Le ciel qui se créa ainsi semblait presque animé par une volonté propre. Il s'accompagna de ses étoiles dont le jaune lumineux contrastait avec les tons bleutés du reste de la toile. Des cyprès s'élevèrent les uns après les autres, reproduisant l'œuvre encore et encore jusqu'à ce qu'elle occupe tout l'espace. On avait l'impression de plonger littéralement dans le tableau qui étirait ses spirales, prêt à avaler tou‧te‧s celleux qu'elles toucheraient.
— Van Gogh trouvait la nuit beaucoup plus vivante et richement étoilée que le jour, murmura Jean à l'oreille de Marco. Les volutes et les tourbillons du ciel rappellent les nébuleuses. La Lune, Vénus et les étoiles sont entourées d'un halo qui les fait ressortir sur le fond sombre.
L'artiste désigna l'arbre qui grandissait devant eux.
— En revanche, le cyprès a été rajouté pour la composition de la toile. C'est l'arbre des cimetières. Sa présence serait symbole de mort. Il est d'ailleurs ici représenté entre le ciel et la terre. Ce qui est vraiment triste, c'est que Van Gogh est bien mort un an après, en 1890. Il s'est tiré une balle, ici.
Jean posa brièvement sa main contre la poitrine de Marco, où son cœur battait un peu plus vite que la normale. Il reconnaissait avoir toujours été sensible à son toucher, même lorsqu'il essayait encore de se prouver le contraire. Mais aujourd'hui, les souvenirs qui affluaient dans son esprit à chaque fois qu'il posait ses yeux sur lui ne l'aidaient vraiment pas à rester calme. Car la dernière fois qu'ils s'étaient vus, Jean et Marco ne portaient pas autant de vêtements.
Certes, il y avait des gestes qui ne trompaient pas, des regards qui trahissaient la présence de ces souvenirs qu'ils s'efforçaient de garder sous clé. Mais il s'agissait plutôt de sourires complices que de coups d'œil embarrassés. Il n'y avait pas de malaise ou de regret entre eux, rien qu'une nouvelle familiarité à laquelle Marco s'habituait peu à peu. Une nouvelle familiarité dont ils devaient d'ailleurs discuter... Seulement, avec Siméon dans les parages, il se demanda s'ils pourraient vraiment parler de leur relation aujourd'hui.
L'occasion leur fut finalement donnée par une petite dame rondelette que Jean reconnu, au détour d'un autoportrait de Van Gogh. Il présenta ainsi Madeleine aux deux frères Bodt. Même s'il l'avait logiquement rencontrée quatre mois plus tôt, Marco ne se souvenait pas du tout d'elle. Il s'en excusa, tout en évitant de préciser que la seule chose qu'il avait retenue de ce fameux atelier était le regard passionné de Jean sur lui.
En apprenant que Maddie était elle aussi une amatrice d'art, Siméon fut très enthousiasmé de faire sa connaissance. Fidèle à lui même, il décida de passer un peu de temps avec sa nouvelle amie, laissant Jean et Marco derrière. La coïncidence de cette rencontre était telle que ce dernier se demanda si le châtain n'avait pas mis en place un plan pour se retrouver seul avec lui ! Il lui jeta un regard suspicieux auquel Jean répondit par un sourire qui avait (au moins) l'air innocent.
— Et maintenant, si tu me disais ce que tu veux de moi ?
Marco le laissa attraper ses doigts entre les siens tandis qu'il réfléchissait à la manière dont il pouvait formuler ses envies.
— J'aimerais juste continuer ce qu'on fait déjà, expliqua-t-il en toute simplicité. Les rendez-vous et... tout le reste.
— Est-ce que le sexe en fait partie ? plaisanta à moitié Jean.
Cette remarque fut sourire Marco qui acquiesça néanmoins. Il avait effectivement passé une très bonne nuit en sa compagnie et espérait bien en connaître d'autres. C'était quelque chose qu'il lui avait déjà assuré au téléphone, mais Jean avait probablement raison de s'assurer que, même avec du recul, sa réponse restait inchangée. Et, à bien y réfléchir, il avait encore un détail que Marco aurait aimé clarifier entre eux.
— En parlant de sexe, hésita-t-il, je- Enfin, c'est pas très cohérent avec ce que j'ai pu dire avant, mais je-
Il bafouillait, ignorant vraiment comment aborder le sujet.
— Tu veux m'avoir pour toi tout seul ? devina Jean.
Marco se mordit l'intérieur de la joue, mais il hocha la tête. Quelle que soit la relation qu'il envisageait partager avec Jean, il espérait que celle-ci soit exclusive. C'était un point qu'il redoutait d'aborder avec lui, au vu de ses aventures habituelles. Mais c'était aussi un point primordial pour Marco qui ne pourrait jamais supporter d'être un corps parmi d'autres. Pas après ce qu'il avait vécu. Il avait un peu peur de la réponse de Jean, qui pouvait tout bonnement décider de renoncer à lui. Marco avait parfaitement conscience de l'incohérence de ses envies et du casse-tête de ses angoisses. Il était compliqué. Pourtant, une fois de plus, Jean ne lui en tint pas rigueur.
— Je ne couche avec personne d'autre que toi en ce moment, lui assura-t-il. À vrai dire, tu es le seul auquel je peux penser depuis que je t'ai rencontré. Alors ça ne me gène pas de continuer ainsi.
Marco releva des yeux surpris vers lui. Venait-il vraiment de céder à son dernier caprice, sans même ciller ? Jean ne faisait généralement pas dans l'exclusivité, il le savait très bien. Pourtant, celui-ci venait d'accepter la relation sur-mesure qu'il lui demandait honteusement. Car il ne fallait pas regarder très loin pour se rendre compte que Marco désirait quelque chose qui se rapprochait drôlement d'une situation de couple, même s'il refusait d'utiliser ce terme. Jean était-il vraiment prêt à jouer ainsi sur les mots ? Le châtain lui donna vite sa réponse.
— C'est notre relation, Marco. On en fait ce qu'on veut. Peu importe qu'elle ressemble à un modèle ou à un autre sans en porter le nom. Ça nous regarde. Et du moyen qu'elle te convient ainsi, elle me convient aussi. C'est tout ce qui compte.
Marco ignorait comment Jean était capable de dire exactement ce qu'il avait besoin d'entendre. Et, pour une fois, il n'avait même pas envie de questionner la sincérité de ce garçon qui lui donnait des papillons dans le ventre. À vrai dire, il était si béat qu'il ne pouvait plus s'arrêter de sourire. Poussé par des ailes invisibles, Marco glissa une main derrière la nuque de Jean, et il l'embrassa au beau milieu des tournesols de Van Gogh qui tombaient autour d'eux.
Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Pour écrire ce chapitre, je me suis inspirée d'une exposition sur Van Gogh qui tourne dans le monde. J'ai aussi vu quelque chose de semblable sur Cézanne, il y a un an et demi, et c'était vraiment une chouette expérience !
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