𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔𝟒

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬



S03E18
aucun spoiler





             Raides comme des piquets, les yeux écarquillés, les quelques survivants de cette douloureuse mission s’apprêtaient à monter en scelle. Suite à une excursion dans l’ancienne maison d’Eren, tous avaient pu assister en premier aux révélations quant à la nature du cauchemar dans lequel ils évoluaient depuis tant d’années.

             Par-delà les murs se trouvait de la vie. Des villes, des grands oiseaux dans lesquels se déplaçaient des gens, des montagnes de sable, des rivières en feu et surtout, la mer. Les titans étaient des humains qui venaient de cet endroit, à l’exception de ceux ayant attaqué le village d’Emeraude et qui, à l’instar des proches de Conny, avaient été transformé dans l’enceinte même de Paradis.

             Car tel était le nom de leur terre. Une île dont les habitants avaient connu l’enfer, affublée d’un nom divin. L’ironie était palpable. Mais la jeune femme était à des années-lumière d’y penser.

             Debout à côté de David, son cheval et fidèle compagnon, elle regardait ceux qui la fixaient depuis quelques secondes maintenant, atterrés par les propos qu’elle venait de tenir, comme s’ils ne comprenaient pas ses dires. Les mots qu’elle avait employés étaient pourtant simples.

— Comment ça « partez sans moi » ? demanda Hanji en tournant son seul œil valide en sa direction. Tu comptes aller où ?

             A côté d’elle, Sacha, Jean et Conny semblaient tout aussi interloqués. Eren, Armin et Mikasa, pour leur part, avaient l’air d’avoir compris ce qu’elle entendait par là. Cela se voyait à leur mine détendue mais quelque peu sombre. Seul Levi n’affichait aucune expression faciale. A vrai dire, il ne la regardait même pas.

             Fixant sa monture qu’il apprêtait de son habituel regard froid, il desserra sa cape salie afin de la poser loin de lui. Il ne supportait pas la saleté et son combat avec les titans ne l’avait pas épargné de ce côté-là.

— La mer, sourit timidement Emeraude en lançant un regard à Armin.

             Celui-ci, encore sonné d’être le nouveau titan colossal, mit quelques secondes à réagir. Mais sa naturelle empathie le poussa à sourire tendrement à la jeune femme au moment où Mikasa quittait les lieux d’un pas décidé.

             Nul ne fit attention au départ de la noiraude, concentrés sur la soldate. Du moins, jusqu’à ce qu’un autre prenne la parole, attirant tous les regards en sa direction.

— J’ai pas le temps de faire l’imbécile, Emeraude, lâcha Levi d’un ton particulièrement sec sans la regarder. Si tu veux me punir de t’avoir sauvé la vie, ce sera une autre fois.

             Là, ignorant soigneusement tout contact visuel avec elle, il entreprit de passer un linge mouillé sur ses mains, nettoyant le sang séché incrusté dans sa chair. En le voyant faire, elle eut un sourire. Elle avait mis du temps à l’admettre mais avait toujours trouvé ses petites manies divertissantes.

             Et, malgré ce croissant de chair, tous entendirent nettement le sanglot étreignant sa voix lorsqu’elle tenta d’annoncer d’une voix légère :

— Tu avais raison.

             Là, elle sembla enfin obtenir son attention. S’arrêtant dans sa tâche de façon brusque, il maintint son tissu sur ses phalanges et s’immobilisa en fixant celui-ci, signe qu’il commençait à comprendre ses dires.

             Et il se maudit lorsqu’elle poursuivit.

— Je ne suis pas faite pour être soldat, dit-elle sans quitter son sourire mouillé de larmes. Là où mes proches défendaient l’Humanité, c’est eux que j’avais choisi de défendre.

             Tous virent la goutte qui perla soudain sur sa joue à l’exception de Levi qui ne la regardait toujours pas. Hanji sentit son cœur se serrer en se remémorant le hurlement effroyable qu’avait poussé son amie lorsque le major était tombé de son cheval.

             Elle la comprenait. Eux tous, à vrai dire. A une exception près.

             Si aucun n’avait cherché à connaitre Emeraude, certains avaient appris quelques bribes de sa vie. Et, même s’il s’agissait de sa première mission aux côtés des bataillons, ils ne pouvaient pas dire qu’elle ne s’était pas assez battue. Pas après tant de pertes. Pas après Edward. Pas après Auruo. Pas après Erd. Pas après Petra. Pas après Gunther. Pas après Erwin.

             Et si eux s’efforçaient de se remettre en scelle à chaque coup dur, aucun ne la jugeait de vouloir quitter ces horreurs. Surtout quand, quelques heures auparavant, elle avait volontairement laissé filer la possibilité de sauver l’un de ses proches et avait même entreprit de convaincre le caporal de le laisser mourir.

             Même si elle savait qu’elle avait opté pour la meilleure des options, porter ce fardeau serait lourd et elle le sentait déjà.

— Et j’ai échoué à cette tâche, termina-t-elle en souriant davantage, tentant vainement de dissimuler la douleur qui la déchirait.

             Tous entendaient nettement la souffrance dans sa voix, surtout Levi qui sentit son cœur se presser dans sa poitrine. Ses pensées allèrent vers Edward qui aurait sûrement été dévasté de voir sa petite sœur dans un tel état. Mais autre chose le blessait. Quelque chose qui n’avait de lien avec personne d’autre qu’elle.

             Oui. Il était blessé de la voir souffrir, elle. Non pas la sœur d’Edward mais elle. La femme qui avait petit à petit remplacé son désir de vaincre les titans, celle qui était devenu l’obsession dont lui avait parlé son oncle sur son lit de mort.

— Et, même si ce que je vais dire est tellement lâche que ça souille la cape que j’ai sur les épaules, poursuivit-elle d’une voix de plus en plus tremblante tandis que tous se tournaient vers Levi, comprenant qu’elle ne s’adressait à nul autre qu’à lui, je ne veux pas rester en vie jusqu’à te voir…

             L’interrompant brutalement, il se tourna vers elle. Son visage habituellement austère déformé par ce qui semblait être de la colère. Dans ses yeux gris acier, des éclairs dansaient et la façon dont se contractait sa mâchoire tendait à montrer un certain agacement. Et tous crurent cela.

             Mais Emeraude et Hanji le connaissaient. Et elles savaient donc qu’au contraire, cette expression n’avait rien à voir avec la rage. Non. Il n’était pas facile de le dire car Levi Ackerman ne montrait jamais ce qu’il ressentait et, surtout, que son émotion était rarement celle-ci. Mais la vérité était là.

             Il était terrifié.

— Maintenant t’arrêtes tes conneries et tu mon…, commença-t-il en marchant vers elle à toute vitesse.

             Seulement il n’eut le temps de faire un mètre qu’une main l’arrêta. Petite, relativement fine, cinq doigts enserrèrent pourtant fermement son bras, l’empêchant d’exécuter un pas de plus.

             Surpris, il mit quelques temps avant de se tourner vers celui qui avait osé faire ça. Ses yeux fixés sur le visage baignant de larmes d’Emeraude, il sentit son poing le démanger soudainement et dut faire preuve d’une force mentale conséquente pour ne pas l’abattre dans le visage du nouveau venu.

             D’ordinaire, il contrôlait pourtant relativement bien ses émotions. Mais, lorsqu’il s’agissait d’Emeraude, l’ordinaire n’était plus.

— Caporal, retentit la faible voix de Conny à son oreille.

             Le jeune homme semblait terrifié et, en effet, il y avait de quoi l’être. Nul n’avait jamais osé poser la main sur lui de telle façon ni même empêcher de faire une quelconque action. A l’exception d’Erwin.

Son cœur se serra dans sa poitrine en pensant à son ami et, là, il comprit. Oui. Au souvenir des derniers mots que lui avait adressé Emeraude avant le décès du blond, au contact de ce garçon terrifié qui tentait juste de le résonner, face au visage de cette femme qui, de part son sourire si faux, montrait si bien qu’elle était à bout, il avait compris.

Il n’avait pas le droit de la retenir. Soit, il pouvait encore prendre les armes et le ferait si cela signifiait la liberté de l’Humanité. Soit, il avait connu davantage de décès qu’elle. Soit, les morts qu’elle pleurait, il les avait accompagnés dans leurs derniers instants. Mais il n’avait pas le droit de la retenir.

Soudain, il perçut du mouvement à sa droite. Il suivit l’ombre qui venait de le dépasser des yeux tandis que Conny lâchait doucement son bras. Il s’agissait de Mikasa, un appareil tridimensionnel inutilisé dans la main qu’elle tendit à Emeraude.

Cette dernière, avec un peu de difficulté, se détourna de Levi dont le regard perçant ne cessait de la pénétrer. Ignorant tant bien que mal la force de ces hématites, elle se tourna vers le regard doux que la nouvelle venue posait sur elle.

— Les suppositions d’Armin sont souvent justes, mais l’erreur est humaine, dit-elle simplement. Peut-être reste-t-il des titans en dehors des murs. Tu en auras besoin.

             Son interlocutrice saisit l’objet avec un faible sourire, reconnaissante. Et, avant que Mikasa n’ait le temps de s’en aller, elle déclara tout bas :

— Je t’ai mal jugée.

             L’asiatique mit quelques instants à répondre. Mais aucun jugement ne transparut dans sa voix lorsqu’elle le fit.

— Effectivement.

             Là, la noiraude lui offrit l’un de ses rares sourires. Elle ne lui en voulait pas. Après tout, elle aussi l’avait rudement considérée au départ.

             Elles n’eurent le temps de converser plus longuement qu’une masse violente vint percuter Emeraude de côté qui, s’aidant de ses jambes, ne tomba pas à la renverse. Et, reconnaissant la puissante odeur de sueur caractérisant Hanji et sa mauvaise hygiène, elle sentit sa douleur s’atténuer quelque peu.

             La scientifique n’était pas friande des démonstrations d’affection et elle le savait. Elle non plus d’ailleurs. Mais, n’ayant aucune idée de si elles se reverraient un jour, elle ne s’attarda pas sur ce genre de considération et entoura avec force sa taille, la pressant contre elle.

             Son visage alla s’enfouir dans la queue de cheval si fournie et désordonnée de son amie et elle se permit d’y laisser tomber une larme. Là, sa vue obstruée mais l’étreinte forte, elle se dit qu’elle n’avait jamais connu de choses aussi réconfortantes. Et un soupir de lassitude lui vint.

— Je t’aime, entendit-elle murmurer à son oreille.

             Une autre larme coula et, bougeant frénétiquement la tête dans sa crinière, Emeraude lui fit savoir que son affection était réciproque. Elle était sa meilleure amie, la plus proche alliée qu’elle n’ait jamais connue.

— Tu vas me manquer, murmura-t-elle en retour.

             Là-dessus, elles se séparèrent, se laissant l’une à l’autre la possibilité de voir de nouveau ce qu’il se passait autour d’elles. La plupart des soldats avaient avancé de quelques mètres à l’exception de Levi qui, demeuré au même endroit depuis tantôt, gardait les yeux baissés.

             En le voyant seul devant elles, Hanji comprit qu’ils allaient avoir besoin d’une conversation privée. Alors, après un dernier sourire à l’intention d’Emeraude, elle s’en alla. La jeune femme eut du mal à lâcher la main de la scientifique, sentant un vide se créer en elle. Mais elle finit par le faire.

             Et quand la brune eut rejoint les autres, quelques minutes plus tard, le noiraud se décida enfin à prendre la parole. Les yeux levés vers elle, il n’y avait plus aucune forme de peur ou colère dans son regard. Il semblait résigné.

             Car il avait compris que partir était ce qu’il y avait de mieux pour la jeune femme. Et il ne souhaitait et ne souhaiterait jamais que son bien.

— C’est de ma faute ? demanda-t-il simplement d’une voix qu’il tenta de garder neutre.

             Elle savait de quoi il parlait. Quelques heures auparavant, il l’avait contrainte à déserter un champ de bataille où un ami avait perdu la vie, la forçant à répéter le même schéma que par le passé. Celui qui compliquait tant son deuil.

             Mais il avait tout faux.

— Levi…, dit-elle simplement d’une voix douce.

             Il sentit son cœur faire un bond lorsqu’il vit avec quelle bienveillance elle le dévisageait à présent. Ses yeux semblaient caresser doucement son visage, effaçant d’un simple regard le sang accumulé sur celui-ci depuis tant d’années de combat. Et son ton, lui, enfermait en son sein toute la peine qu’il ressentait. Tant qu’elle était là, tout pouvait aller.

Mais elle allait partir.

— Je t’interdis de te blâmer, dit-elle simplement sans pour autant hausser le ton. Il y a quelques mois, je t’ai balancé des horreurs que je regretterais toute ma vie. Car, crois-moi, tu n’as rien à te reprocher.

             Il aurait voulu lui dire qu’il n’était pas sûr de parvenir à continuer si elle partait. Oui, il aurait aimé l’interrompre dans ses mots, maintenant, et lui affirmer qu’il ne ferait sans doute jamais son deuil sans elle à ses côtés, qu’il était terrifié à l’idée qu’elle le quitte car elle emporterait alors une partie d’elle avec lui.

             Mais il voyait dans son sourire faux et les tremblements de ses mains combien elle avait besoin de s’en aller. Et il refusait de la faire souffrir en lui demandant de rester à ses côtés, quand bien même il sentait en lui la déchirure de la guerre s’accentuer avec les années. Il préférait se condamner à la douleur que de lui enlever toutes chances d’être heureuse.

             Alors il ne dit rien.

— Promets-moi seulement une chose, Levi, murmura-t-elle en s’approchant de lui avec un sourire maintenant authentique, comme apaisé par le simple fait qu’il accepte son départ. Arrête de te sentir coupable face aux morts sur ton chemin et réalise combien de vie tu as sauvé.

             Elle marqua un temps d’arrêt, arrivée à une trentaine de centimètres de lui. Et, glissant ses doigts sous le col de sa cape, termina sa phrase en ôtant celle-ci :

— En commençant par moi.

             Il sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine. Ses yeux se perdirent un instant sur le sourire sincère qu’elle affichait et il réalisa un peu plus combien l’apaisement qu’il ressentait à ses côtés allait lui manquer. Reste, pensa-t-il. Mais il ne dit rien.

             Sa cape en main, elle tendit le bout de tissu à Levi en déclarant faiblement dans un rire embarrassé :

— Elle est un peu moins tâchée que la tienne.

             Elle le vit baissé les yeux vers l’étoffe, parcourant le tissu vert qui comportait tout de même de sérieuses traces de sang et terre. Et, là, lui faisant rater un battement de cœur, il lui offrit l’un de ses rares sourires.

             Ses lèvres se haussèrent, propageant une vague d’extase dans le corps de la femme et, en voyant ceci, elle pensa avec un pincement au cœur qu’elle regretterait à jamais cette image. Mais elle ne pouvait pas lui demander de partir avec elle, qu’importe combien elle en mourait d’envie.

             Sa place était à Paradis, au front, et elle le savait.

             Saisissant la cape, il l’enfila sous ses yeux à sa grande surprise. Malgré le fait qu’elle la lui ait donnée, elle aurait cru qu’il la passerait d’abord un peu à l’eau avant de la revêtir. Mais, pour une fois, la saleté ne sembla pas le gêner.

             Alors, apaisée par cette dernière discussion et le sourire dont il l’avait gratifiée, elle put enfin lui tourner le dos. Malgré le pincement au cœur qu’elle ressentit à ce geste, le simple fait que Levi accepte son départ l’aida à mettre un pied devant l’autre.

             Il la regarda rejoindre son cheval, le cœur lourd de la sentir s’éloigner mais quelque peu apaisé par l’idée qu’elle trouverait sans doute la paix. Seulement, à l’instant même où elle s’arrêta devant sa monture, il ne put retenir la question qui lui brûlait les lèvres :

— Est-ce que je peux espérer te revoir un jour ?

             Là, elle se tourna vers lui. Pendant quelques secondes, elle ne déclara rien mais, aux termes de celle-ci, un sourire quelque peu moqueur au visage, elle lança :

— Je doute que le meilleur soldat de l’Humanité ait besoin de mon aide…

             Il serra de sa main fine les pans de la cape d’Emeraude.

— …mais si la situation devient si tendue que ça…

             Elle marqua un temps d’arrêt et son sourire moqueur devint plus tendre, doux. Il sentit son cœur s’emballer. Elle allait lui manquer.




— Tu n’auras qu’à demander les renforts.

 






avec ce chapitre, nous terminons la partie 3

à partir de demain, je publierai un chapitre par jour :)

encore une fois, merci tellement pour les 5k !!!

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