𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟏

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬



S03E11
aucun spoiler









             Le soleil ne s'était levé que depuis quelques minutes maintenant, tant et si bien que ses rayons rougeâtres projetaient toujours leur couleur ensanglantée sur les bâtisses de la rue. Les toitures cuivre semblaient plus intenses et leurs façades blanc cassé, habillées d'un souffle nouveau.

             Emeraude aimait cette atmosphère. Dans le silence froid du matin, dans la fraicheur que le vent nouveau amenait autour d'elle et dans ses vêtements qui n'étaient autre que l'uniforme du bataillon, elle se sentait invincible. Le dos droit et le menton relevé, elle regardait loin devant elle, fière et déterminée.

             Cavalant à côté d'elle sur un cheval ressemblant au sien mais avec qui il n'était pas aussi proche —sa monture habituelle étant aux écuries— Levi gardait le silence. Tous deux n'avaient dit mot depuis plus d'une trentaine de minutes, lorsqu'ils avaient pris la route en direction de Stohess, une ville de Sina.

             Leur base étant située dans l'enceinte du mur Rose, il leur avait fallu un petit moment avant de voir ne serait-ce que les contours de la ville au loin. Mais ils y étaient, maintenant. Après un long silence reposant, ils étaient enfin arrivés.

             Contrairement à ce que la perspective de passer des heures avec le caporal avait fait croire à Emeraude, leur entrevue —bien que silencieuse— n'avait pas du tout été embarrassante. Ils étaient bien en présence de l'autre. Durant les plus beaux jours, ils se risqueraient même parfois à envisager l'éventualité de devenir amis plus tard. Ce qui signifiait beaucoup pour des personnalités comme les leurs.

             La veille, elle s'était réveillée d'un coma de trois jours. D'abord vexée d'avoir dormi si longtemps, Erwin l'avait ensuite rassurée —d'un certain point de vu— en lui assurant qu'elle n'aurait pas dû se réveiller tout court étant donné la dose qu'elle avait absorbé. Elle devait son état aux talents d'Hanji qui était parvenu à concocter un remède à l'aide de son sang, du poison lui-même ainsi que d'un élément secret.

             Aujourd'hui, après s'être remise de ses émotions et avoir visité le corps empaqueté du soldat qui y avait laissé sa vie, elle avait rejoint Levi à l'extérieur. L'homme était déterminé à faire tomber la personne qui avait fait cela. Non seulement il avait tué un jeune homme innocent mais il s'en était en plus pris à quelqu'un qui lui était précieux. Il ne savait pas lequel de ces deux faits le rendait le plus furieux. Ce qui était sûr, c'est qu'il l'était.

             Emeraude n'ayant pas suivi de cours d'histoire, certaines choses quant au monde lui étaient inconnues. Choses que Levi n'ignorait pas, pour sa part. Même si, en leur époque, le papier et le parchemin coexistaient, le premier avait bien du mal à supplanter le deuxième. Seules les personnes ayant l'occasion d'écrire régulièrement achetaient de telles ressources et, généralement, les individus capables de telles choses étaient assez aisés et ne s'incombaient donc pas d'une matière jugée peu noble comme le papier.

             Ainsi, les rares personnes qui étaient alphabétisées sans pour autant être riches au point de s'approvisionner en parchemin se résumaient à un corps de métier : les soldats. Les avis de recherches, formulaire et autres gothiques qui constituaient les premiers imprimés et étaient distribuées à la foule ne pouvaient être fait qu'en une matière peu onéreuse, le papier. Les journalistes, eux, se servaient de bois pour leurs placards qui s'éparpillaient sur les murs de la ville. Les lettres qu'elle avait reçues étant en papier, il y avait fort à parier pour qu'un soldat soit à l'origine du meurtre et de la tentative de meurtre.

             Naturellement, les librairies étaient rares et la plus proche de la base se trouvait à Stohess. Le caporal s'était dit que s'ils accédaient au registre des personnes ayant acheté du papier ces dernières semaines, ils tiendraient sûrement le coupable.

Si un jour on m'avait dit que je mènerais des enquêtes dans l'uniforme des machines à tuer de l'armée, soupira Emeraude en balayant d'un regard la rue autour d'elle à la recherche de l'enseigne.

             Le noiraud ne répondit pas, se contentant d'un léger hochement de tête. Lui aussi se sentait quelque peu dépaysé par cette nouvelle activité qu'il n'avait pas l'habitude de faire. Ayant été entraîné à tuer des titans, ces dernières semaines passées à se battre contre des humains, en chercher d'autres et enquêter lui donnaient l'impression d'avoir radicalement changé de métier.

             Il ralentit peu à peu son cheval et sa voisine l'imita. Sur le trottoir de droite quelques mètres devant eux se dessinait une petite devanture exigüe couleur sable. En lettres calligraphiques noires étaient peintes l'adresse à laquelle ils étaient, le nom de la boutique « imprimerie et librairie Mizuki » ainsi que les jours de présence du commerçant, à savoir tous.

             Ils s'immobilisèrent et descendirent d'un même geste fluide, l'habitude aidant. Puis, regardant autour d'eux, ils cherchèrent un endroit où attacher leurs chevaux durant quelques instants mais rien de tel ne se trouvait aux alentours.

En mission on les attache jamais pour qu'ils soient capables de venir nous chercher, expliqua Emeraude. Ils sont assez autonomes pour ne pas s'enfuir.

             Levi se tourna vers elle, son habituelle expression indéchiffrable figée :

Viens-tu de comparer un vieil homme imprimeur à des titans ? demanda-t-il.

             Elle haussa les sourcils. De ce point de vue, il est vrai que son intervention paraissait enfantine et stupide. Mais elle était loin d'être dénuée de sens. Ils ne risquaient rien.

             Après un soupir bruyant et exagéré qu'elle ne poussa que pour dire au caporal, sans prononcer ces mots, qu'elle se fichait de son avis, elle se tourna vers la façade dans son dos et s'y engagea d'un pas ferme.

             N'ayant pas pris son système tridimensionnel car l'objet de sa visite ne représentait pas une grande menace selon elle, elle put se déplacer de façon bien plus rapide et légère qu'à l'accoutumée. Ainsi, il ne lui fallut pas bien longtemps avant de pousser la porte de la devanture, suivie de près par son compagnon.

             Son premier réflexe en entrant dans la pièce exigüe fut de toussoter à plusieurs reprises, quelque peu désarçonnée par la poussière y régnant. Puis, elle battit à plusieurs reprises des paupières pour s'habituer à l'obscurité des lieux, le brutal changement de luminosité l'ayant surprise.

             Maladroitement, elle avança de quelque pas dans la salle, se cognant sur des vieilles affiches, placards et exemplaires d'avis de recherche imprimés. La jeune femme haussa les sourcils en se heurtant à une pile qu'elle fit tomber et s'étaler sur le sol. Celle-ci était l'avis de recherche où son visage avait été imprimé pour le meurtre d'un soldat.

             Cela remontait à plusieurs semaines.

             Les poils de sa nuque se hérissèrent soudain et elle sentit des fourmillements agiter sa langue à mesure que sa langue s'épaississait, comme exposée à un produit chimique particulièrement puissant. Derrière elle, le noiraud aussi s'était raidi.

             Quelque chose clochait. L'endroit semblait inhabité mais la porte de la boutique était ouverte. Elle se tourna vers son compagnon. Celui-ci eut tout juste le temps de se jeter sur elle.

BAISSE-TOI ! hurla-t-il.

             Prise de court, elle n'eut pas le réflexe de résister à la pression vive qu'exerça le noiraud en se jetant sur elle et il en fut mieux ainsi. Ses jambes cédèrent brutalement et son dos vint heurter le sol au moment où une déflagration retentit. Emeraude connaissait ce son, il s'agissait d'un coup de feu.

             Terrifiée par ce que signifiait le bruit —à savoir qu'ils se faisaient tirer dessus— elle ne prit même pas un instant pour observer leur position. De toute façon, l'homme abandonna celle-ci très rapidement.

             En effet, ses genoux posés contre le sol de chaque côté de la taille de la jeune femme se mouvèrent vite pour l'aider à se redresser, agrandissant soudain la distance entre leur visage qui était devenue moindre durant leur chute. Et là, son bassin posé sur celui d'Emeraude de sorte à ce que leurs torses soient perpendiculaires l'un à l'autre, il fourra sa main sous sa cape et en tira son sabre dans un tintement métallique.

             Même dans l'obscurité de la pièce et le ridicule de leur rempart de fortune qui se résumait à une pile de placards —qui leur évita d'ailleurs les deux autres coups de feu qui venaient d'être tirés depuis l'extérieur du magasin— sa lame brillait de mille feux. Et, observant depuis en-dessous ses traits sévères et son dos droit, elle sentit sa gorge s'assécher. Là, il n'était plus l'emmerdeur qu'elle côtoyait chaque jour. Non.

             Sous cet angle et ainsi armé, il était simplement le héros de son enfance. Levi Ackerman. Et elle avait le sentiment d'être sauve.

Bats-toi ! la réprimanda-t-il en voyant qu'elle restait inerte.

             Seulement, dès lors qu'il lui lança ses mots, ses yeux tombèrent sur la cape de la jeune femme. A cause de leur position, les pans de l'étoffe s'étaient ouverts dans sa chute, dévoilant son torse qui n'était paré que d'un uniforme.

             Un autre coup de feu retentit alors qu'il fronça les sourcils, visiblement paniqué.

Mais c'est pas vrai ! Quel genre de soldat ne prend pas d'armes avec lui en mission ! cingla-t-il en se penchant un peu plus, les coups de feu continuant de pleuvoir autour d'eux.

             La jeune femme déglutit péniblement. Ils s'étaient préparés pour venir parler avec un octogénaire qui vendait du papier et imprimait des manuels scolaires. Venait-il vraiment de lui poser cette question ?

Le genre saint d'esprit ! le rabroua-t-elle en avançant un peu son visage malgré sa position allongée pour lui montrer qu'elle lui tenait tête.

             Il contracta la mâchoire, comprenant que se disputer ne servirait à rien mais maudissant les étourderies de la jeune femme. Ils étaient dans de beaux draps, maintenant.

             Promenant son regard autour de lui en écoutant attentivement les coups de feu qui n'en finissaient pas, il tenta d'évaluer la situation. Il s'agissait surement d'un guet-apens. Ils avaient attendu qu'ils pénètrent la boutique pour les canarder depuis la rue. Au vu des coups de feu, il comptait au moins quatre individus.

             Il soupira. Il n'avait pas le choix.

Fonce au fond de la boutique, dit-il en désignant un rideau que l'on voyait depuis leur position à côté de la caisse. Dans ce genre de bâtiment, ce genre de marches mènent directement aux toits afin de protéger des incendies... ou des titans.

             Elle l'écouta en fronçant les sourcils. Lui demandait-il de fuir ?

Hors de question, répondit-elle simplement.

             Il tira son deuxième sabre d'un geste énergique et le lui fourra dans les mains avant de rouler à côté d'elle pour lui laisser la liberté de se mouvoir librement.

Tu n'as pas de système tridimensionnel et ai beaucoup moins douée que moi au combat, cingla-t-il. C'EST UN ORDRE !

             Elle tressaillit. Si Levi Ackerman criait, mieux valait obtempérer. Sans plus de cérémonie, elle se leva à moitié, de sorte à ne pas s'exposer aux coups de feu et courut comme elle put jusqu'au rideau pourpre.

             Le noiraud la suivit des yeux, soulagé de la voir obéir. Son torse se souleva difficilement au rythme de sa respiration et il se recroquevilla pour mieux se cacher, attendant que ses assaillants n'aient plus de munitions pour riposter. T'inquiètes pas Eddie, je veille sur elle, songea-t-il en voyant le rideau bouger quelque peu, signe qu'elle venait de le traverser.

             Elle gravissait maintenant la cage d'escaliers exigüe, les larmes aux yeux. D'un côté, elle n'était pas du tout prête à se battre contre des armes à feu sans autre système défensif qu'un sabre. De l'autre, elle n'était pas non plus en adéquation avec l'idée de laisser son compagnon seul. Mais il savait ce qu'il faisait et elle ne voulait pas trainer dans ses pattes.

             Les marches étaient petites et poisseuses. Elles n'avaient pas dû croiser un balai depuis une éternité mais Emeraude s'en fichait bien. Ses jambes les gravissaient à toute allure et son souffle leur faisait écho, comme encourageant. Il lui fallait atteindre le toit. Depuis cette position, elle pourrait lancer son sabre et peut-être même des tuiles du toit de sorte à venir à bout d'au moins deux de leurs assaillants. Ils n'auraient ensuite plus qu'à fuir ensemble, elle et Levi.

             Lorsqu'elle parvint à la porte menant au toit, elle ne s'arrêta pas pour réfléchir un seul instant. Elle y était. Dans quelques poignées de secondes, elle sauverait le héros de son enfance. Elle s'inquiétait d'ailleurs tellement pour lui qu'elle venait de dévaler l'équivalent de deux étages en moins d'une dizaine de secondes. Elle ne savait pourquoi, lorsqu'il s'agissait de lui, elle semblait capable de tout.

             Elle se jeta sur la porte, l'ouvrant à la volée dans un fracas assourdissant. La luminosité, soudain bien plus vive que dans la boutique, la surprit et elle dut cligner des paupières à plusieurs reprises pour s'y habituer. Mais cela ne l'empêcha pas de courir. Déterminée, elle se dirigeait vers le bord du toit à grand enjambée, le sabre du caporal brandit dans sa main gauche. Elle ne voyait rien d'autre que les tuiles rougeâtres et leur limite.

             Soudain, le sol sous ses pieds tressauta et une détonation retentit. Sous la surprise et le souffle de la minuscule déflagration, sa cheville se tordit et elle s'effondra de tout son long. Quelqu'un lui tirait dessus.

             Etant donné l'impulsion qu'elle avait donné à son corps en courant et la forme du sol —en pente— son corps roula sur plusieurs mètres avant qu'elle ne plante le sabre de l'homme dans le toit fragile avec un hurlement de rage. Sa prise l'aida à s'immobiliser. Le bord ne se trouvait qu'à une dizaine de centimètres derrière elle.

             Mais elle n'avait pas peur.

             Tout en se relevant, elle regarda autour d'elle. Le calcul était vite vu. Trois individus fondaient en sa direction, l'arme au point. Tous la tenaient en joug mais nul ne comptait tirer. Ils semblaient vouloir l'arrêter. Purement et simplement.

             Et c'est là que ça la frappa. De plein fouet. Violemment. Face à elle, toutes les personnes qui s'avançaient étaient habillées d'un uniforme de l'armée. Elle n'en connaissait aucun et ne voyait pas le blason sur leur veste mais leur démarche ne les trahissait pas. Ils étaient habitués au système tridimensionnel, cela se voyait. Ils n'étaient pas des imposteurs.

             Sa gorge devint sèche et ses mains, moites. Dos au vide situé juste derrière elle et face à des soldats bien mieux armés qu'elle. Elle ne faisait pas le poids. Tout n'était qu'une question de secondes avant qu'ils ne l'appréhendent. Elle était cernée.

Je le ferais.

             Son corps fut pris d'un frisson tandis que la voix grave de Levi résonnait de nouveau en elle. Elle voulut se maudire de penser à des souvenirs en sa compagnie dans un moment pareil mais se résolut à ne rien en faire. Si en ces derniers instants de vie songer à lui la réconfortait, rien ne servait de lutter.

             Mais soudain, la suite de la conversation qu'ils avaient eu, cette nuit-là, lui revint.

Si tu sautes d'un toit sans équipement, je te rattraperai.

             Les soldats devant elle se rapprochaient à grand pas. Ils ne s'agissaient plus que d'une dizaine de secondes. Elle écarta les bras, mettant son corps en position de croix. Certains en face d'elle semblèrent comprendre car ils s'immobilisèrent, écarquillèrent les yeux ou ouvrirent la bouche pour hurler.

             Une larme, à mi-chemin entre la peur et l'espoir, coula sur sa joue.

             Puis, fermant les yeux pour se délecter des sensations que la gravité insufflait à son corps, elle se laissa basculer en arrière. Le sol se détacha d'abord de la pointe de ses pieds puis de leur plante et, finalement, du talon. Ses cheveux s'envolèrent autour de son visage et elle rouvrit les paupières, regardant le ciel au-dessus d'elle. Elle venait de sauter du toit, sans équipement.








             Tu as intérêt à tenir ta promesse, Levi Ackerman.










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