𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟖

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬






S03E11
aucun spoiler









             Assise à une table vide, Emeraude ne disait rien. Autour d’elle, tous les soldats des différentes escouades étaient partis longtemps avant qu’elle ne vienne. Cela ne l’aurait d’ordinaire pas dérangée, elle qui préférait manger seule.

             Mais en ce soir, après avoir eu une assez longue entrevue avec le major Erwin, ses jambes étaient quelques peu flageolantes et sa tête lui faisait mal. Elle aurait aimé avoir un peu de compagnie à ses côtés, histoire d’oublier le temps d’un instant les paroles du blond.

             Elle savait pertinemment qu’il n’avait pas cherché à la blesser, que ce genre d’acte aurait plutôt été du style du caporal. Il avait simplement été franc. Mais la vérité n’était jamais facile à entendre. Quand bien même elle devait s’efforcer de le faire.

             Suite à l’incident remontant au matin-même, le noiraud n’avait pas perdu une seconde et avait tout de suite ordonné le rapatriement des soldats, abandonnant l’exercice. Puis, après qu’ils aient tous rejoins la ville de Trost où se situait leur nouvelle base, il s’était précipité à la tour où travaillait le major pour lui expliquer la situation dans laquelle elle était empêtrée.

             L’atmosphère entre Erwin et lui avait beau être particulièrement tendue en ce moment, il avait conscience du fait que le major oublierait celle-ci à la moindre mention du nom d’Emeraude. Ils étaient bien moins aptes à se chamailler lorsque la sécurité de la jeune femme était en jeu. Après tout, le dernier souhait de leur ami, collègue et élève nommé Edward avait été que quelqu’un veille toujours à sa sécurité.

             Ainsi, peu de temps après, un soldat était arrivé à la base des bataillons, essoufflé. Sans ne prendre ni pause ou verre d’eau, il s’était précipité face à Emeraude pour lui dire que les deux hommes requéraient sa présence.

             Sans même prendre le temps de protester —elle n’en voyait pas l’utilité et n’aurait de toute façon pas eu le courage de le faire devant eux deux— elle avait empoigné son cheval. Celui-ci était d’ailleurs fraichement renommé même si la jeune femme avait longtemps ramé à lui trouver un nom digne de son combat.

             Cela pouvait sembler stupide ou plutôt d’une banalité affligeante mais elle avait fini par l’appeler David. Ce nom était un hommage à Gunther qui, un jour alors que le moral de la jeune femme n’était pas au beau fixe, lui avait raconté la fameuse scène du combat entre David et Goliath.

             Aujourd’hui, assise seule à la nuit tombée dans cette cafétéria vide, elle repensa à cette soirée où le brun n’avait eu de cesse d’essayer de la conforter. Elle se souvenait d’ailleurs qu’il s’était assez bien débrouillé mais que ce qui avait achevé de la rendre guillerette avait été la venue du restant de l’escouade.

             Elle eut un sourire triste.

— Vous me manquez tellement, murmura-t-elle d’une voix à peine audible.

             Encore plus maintenant. A leur mort, elle avait été confrontée à leur absence. Mais aujourd’hui, c’était à sa propre solitude qu’elle devait faire face. Occupée à se battre contre sa peine, pas un seul instant elle n’avait réalisé combien elle était seule.

             Du moins, jusqu’à ce que le major le lui dise.

             Soit, elle avait Bosuard à ses côtés. Mais la fillette allait à l’école huit heures par jour en semaine. Hormis l’enfant, sa seule amie passait son temps en laboratoire, loin d’elle et elle devait rester aux côtés de personnes avec qui elle s’entendait si peu qu’elle n’était pas sûre que, face à un titan, ils lui viennent en aide.

             C’était davantage le fait qu’Erwin lui-même lui dise les mots qu’il avait prononcé plutôt que ces mots en particulier qui l’avaient blessée. Car cela faisait longtemps qu’elle avait compris combien elle était seule. Depuis la mort de l’ancienne escouade.

— Tu es menacée de mort et tu te comportes si bien avec les autres que littéralement toutes les personnes ayant croisée ton chemin sont suspectes.

             Elle savait que cela était due à l’inquiétude qu’il ressentait, mais elle n’avait pas apprécié la façon avec laquelle il lui avait parlé. Et le caporal, alors à leurs côtés, encore moins.

             S’il s’était d’abord contenté de contracter la mâchoire en silence, il l’avait ouverte lorsque le blond avait affirmé qu’elle se comportait si mal qu’il ne pouvait prendre le risque d’affecter qui que ce soit au rôle de veiller sur elle. En effet, tellement de personnes pouvaient être responsables des lettres de menace et autres machinations qu’il serait capable de la faire protéger par l’auteur de ces actes lui-même en faisant cela.

— Tchh… Elle n’a besoin d’aucune protection, avait lâché Levi de sa voix grave après avoir claqué sa langue contre son palais. Elle est une arme à elle seule.

             Elle savait pertinemment que, dans la bouche du caporal en particulier, il s’agissait là d’un compliment inestimable. Mais, le ventre vide et la tête pleine, elle n’arrivait pas le moins du monde à se réconforter en repensant à cette phrase.

             Car Erwin disait vrai. Elle était seule.

— Arrêtes de te prendre la tête, petite.

             Elle leva la tête en direction de la voix, regardant le fond de la salle qui donnait sur les escaliers. Elle ne sut pourquoi mais, aussitôt qu’elle reconnut ce grésillement très léger qui la caractérisait, elle se sentit comme délivrée d’un poids énorme. S’il était là, elle ne craignait rien. Ni les autres. Ni elle-même.

             Il était son cinquième as, la carte qu’elle pouvait dégainer à toute instant, celle-là même qui lui permettait de faire face aux situations les plus rudes. Oui, Levi était le seul qu’elle pensait à même de l’aider dans une telle situation.

             Il l’avait rejointe et il tirait maintenant la chaise devant elle pour s’y installer. Cela n’avait pas été compliqué pour lui de deviner ce qui se tramait dans la tête de la jeune femme. Outre son air abattu, elle était assise dans le noir complet, sans une bougie, à une table vide et dépourvue d’assiette. A part déprimer, elle ne pouvait pas faire grand-chose dans une telle position.

— Je me dis simplement qu’Erwin a raison, murmura-t-elle de façon à ce que seul lui l’entende.

             Il croisa les bras et se cala contre son siège, ne prenant la peine d’allumer une torche pour y voir plus clair. Ses yeux s’étaient quelque peu habitués à la pénombre, il discernait légèrement les contours de son interlocutrice. C’était la seule chose dont il avait besoin pour lui parler.

             Là, dans une obscurité telle qu’il ne pouvait presque pas la voir, il se sentait bien. Loin du réel mais proche d’elle, ses muscles se détendaient un à un à ses côtés. Comme s’il pouvait enfin, grâce à la seule présence de la jeune femme, prendre une pause.

— Je vois, dit-il simplement dans un premier temps.

             Il ne la regardait pas, se contentant d’écouter son souffle dans l’obscurité. Comme elle, il avait pris l’habitude de se referrer à ses autres sens pour évoluer dans n’importe quel territoire. Et la façon qu’avait sa respiration de se faire rapide trahissait son angoisse.

             Il ferma les yeux, balançant sa tête en arrière en croisant les bras sur sa poitrine. Emeraude, qui était là depuis plus longtemps que lui et dont les yeux s’étaient donc nettement habitués à la luminosité, voyait nettement les contours de son corps et donc sa pomme d’Adam qui venait de ressortir sous ce geste.

             Tout en sentant ses joues rougir, embarrassée de se sentir chamboulée par cette simple vision, elle ignora ses entrailles qui se tordaient et tourna la tête. Peu habituée à la façon dont son corps réagissait en la présence du caporal, elle se dit simplement qu’elle avait faim.

— Tu ne mourras pas, dit-il d’une voix ferme.

             Dès lors qu’elle l’entendit dire ces mots, elle sentit un poids qu’elle ne soupçonnait même pas s’envoler de ses épaules. Un à un, les muscles de ses bras, dos, cuisses et même bout des doigts se détendirent. Elle réalisa alors à quel point son corps était tendu jusqu’à ce qu’il ne la délivre de cette simple phrase.

             Si Levi Ackerman assurait une telle chose, alors elle pouvait être sûre de s’en sortir. D’autant plus qu’il ne s’arrêta pas là.

— J’y veillerais personnellement.

             Ses lèvres s’arquèrent immédiatement en un sourire soulagé et elle poussa un long soupir, chassant de ses poumons son angoisse. Puis, réalisant qu’elle n’était pas tout à fait en proie à sa solitude comme elle l’avait pensé, remercia le caporal d’une voix rendue légèrement tremblotante par l’émotion.

             Plus que le fait de bénéficier d’une protection plus qu’efficace, elle se sentait le cœur léger car, en cette nuit noire, elle n’était plus seule. Dans cette obscurité dense, face à cette table dépourvue de plat au milieu de chaises vides, elle n’était plus obligée de se confronter à sa solitude.

             Elle ne sut alors pourquoi, peut-être parce que l’atmosphère détendue s’y prêtait, que la faible luminosité lui donnait l’impression de bénéficier d’un bouclier ou même simplement qu’elle avait finalement confiance en lui, mais elle se sentit libre de lui confier ce qu’elle avait sur le cœur. Même plus, elle savait qu’il était la seule personne à qui elle était capable de le révéler.

             Même face à Hanji, son amie, elle s’était tue sur ce point.

— J’ai voulu te tuer, commença-t-elle simplement. J’ai affuté mes flèches durant des heures entières avec cet objectif en tête.

             Elle le sentit se redresser devant elle. Elle avait éveillé son intérêt.

— Tu étais pour moi la pire personne sur terre, celle qui avait laissé mourir mes amis. Et je n’étais tout simplement pas capable de te pardonner.

             Ses yeux à présent habitués à la luminosité, il pouvait maintenant voir un peu mieux ses traits. Elle ne le regardait pas. A vrai dire, ses prunelles fixaient le vide avec intensité, perdues dans des souvenirs particulièrement douloureux.

— Seulement dernièrement, j’ai commencé à réaliser que je te détestais de façon superficielle, en surface. Simplement pour cacher la personne envers qui ma haine, à l’intérieur de moi, était tournée.

             Il ne dit rien, se contentant de se rappeler cette après-midi où, les joues rouges de colère, elle lui avait hurlé qu’elle aurait préféré qu’il y reste. Ce moment l’avait marqué.

— Je vois la vérité maintenant, dit-elle simplement. Et je crois qu’au terme de ce long parcours de réflexion et malgré ce que j’ai pu dire…

             Elle marqua une pause, fronçant les sourcils. Elle parlait à mesure qu’elle prenait elle-même conscience de ses sentiments.

— Tu es finalement la seule personne à qui je confierais ma vie sans hésiter.

             Il releva la tête, surpris. Bien sûr, il savait que nombreux étaient les soldats qui, du fait de ses capacités, seraient prêts à bien des choses pour se battre à ses côtés en croyant s’offrir sa protection. Mais jamais il n’aurait parié sur Emeraude.

             De tous ses collègues, il lui avait toujours semblé qu’elle était la seule à ne pas lui faire confiance. Non pas qu’elle doutait de ses capacités. Plutôt de sa loyauté.

             Un dense nuage de chaleur se répandit soudain dans son ventre. Il ne sut pourquoi mais cette simple affirmation venait de le toucher comme un puissant aphrodisiaque. Emeraude ne lui en voulait plus.

— Quand même sous quelques réserves, ria-t-elle pour empêcher le ton de devenir trop larmoyant. Je m’attends pas à ce que tu me rattrapes si je saute d’un toit sans équipement.

             Il sourit quelque peu, à la fois réjoui de partager ce genre de moment avec elle et attendri par son embarras. Dans une tentative maladroite, elle avait essayé de changer le ton de la conversation mais il ne l’aida pas, encore concentré sur ses révélations.

             Malgré l’obscurité, elle le vit nettement sourire. Le coin de ses lèvres s’incurva légèrement, plissant quelque peu ses yeux en amande qui en apparurent moins perçants. Son cœur rata un battement à cette vision et elle eut du mal à déglutir. Elle n’était pas habituée à le voir ainsi.

             Tout en sentant ses entrailles se tordre davantage et une dense chaleur se répandre dans son être, elle se leva maladroitement. Sa chaise crissa contre le plancher mais elle y fit abstraction. Le rictus de Levi l’avait plongé dans un état tel qu’elle crut être prise d’un coup de fatigue.

— Il se fait tard, je vais me coucher.

             Elle le vit acquiescer faiblement du coin de l’œil et le dépassa donc d’un pas claudiquant, ses jambes rendues flageolantes pas ses récentes et bouleversantes émotions. Il ne lui fallut pas bien longtemps pour atteindre le seuil.

             Elle n’était pas habituée à une telle douceur entre eux, sans doute son problème était-il trop grave pour qu’il en soit autrement maintenant. Mais elle qui était accoutumée aux regards noirs et remarques acerbes se sentait chamboulée par ce revirement de situation.

             Avant qu’elle ne puisse franchir le seuil de la porte, il l’interpella.

— Je le ferais, dit-il simplement.

             Interloquée par cette phrase énigmatique, elle cessa tout mouvement et se tourna vers lui. Dos à elle, n’ayant pas quitté la position dans laquelle il l’avait laissée, il sembla pourtant deviné qu’elle attendait des explications.

— Si tu sautes d’un toit sans équipement. Je te rattraperais.

 





double update pour vous remercier d'avoir passé les 3k de vues et 400 votes sur ma fanfiction !

je suis vraiment super contente de voir que ça plaît !

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