𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟐

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬





S03E03
petit spoiler







             Emeraude marchait calmement dans les rues de Sina, regardant de loin Bosuard déambuler parmi les passants. La fillette affichait un air concentré particulièrement attendrissant mais elle n'y prêta pas vraiment attention. Ses pensées étaient focalisées sur ce qu'il s'était produit, le matin-même.

             Erwin Smith, le grand major, l'illustre soldat dont les multiples exploits avaient bercé l'enfance de la femme s'était fait arrêter sous ses yeux. Du moins, elle n'était pas restée assez longtemps pour les voir l'embarquer mais le simple fait de savoir qu'il était considéré comme un traître la minait sérieusement.

             Ils vont l'exécuter, songea-t-elle tandis qu'elle mordait inconsciemment sa lèvre inférieure. Elle ne se sentait pas bien à l'aise avec l'idée que le blond meurt. Etant donné la présence de Bosuard, elle pouvait affirmer qu'elle ne s'était toujours pas remise de la récente mort de Petra, Auruo, Erd et Gunther. Alors elle ne se sentait pas prête à affronter cela de nouveau.

             Elle ne le connaissait pas bien, s'était contenté de quelques conversations où le simple regard qu'il avait posé sur elle lui avait mis du baume au cœur. Malgré qu'il était tout et elle, rien, jamais il ne l'avait traitée en être inférieur. Il l'avait toujours considérée comme son égale.

             Emeraude se tourna vers le canal paisible à sa droite, observant d'un œil calme cette eau brillant sous le soleil. Hanji lui avait déjà parlé du monde extérieur. Elle n'y avait alors pas prêté grand intérêt. Pourtant, elle se souvint avec quelle facilité elle l'avait entendu parler durant des heures des immenses canaux stagnant appelés jadis océans. Et, si elle avait pu l'écouter sans être ennuyée, c'est simplement parce que son amie était heureuse quand elle parlait de cela.

             La jeune femme se demanda ce qui lui prenait de penser à cela. D'habitude, elle essayait de ne jamais laisser ses pensées divaguer vers ses amis —défunts ou vivants. Alors elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer dans son esprit.

             A l'instant même où elle se dit qu'elle était sans doute en train de faiblir, accaparée par la solitude que la perte de son emploi avait accrue, elle réalisa qu'elle s'était détournée de l'eau et fixait inconsciemment un être encapuchonné comme elle qui dépassa deux soldats des brigades spéciales partageant des avis de recherche.

             Afin de ne pas être arrêtée, elle portait sa cape à l'envers, dissimulant ainsi le sigle des bataillons d'exploration. Le garçon qu'elle dévisageait, lui, en portait une brune. Mais elle aurait reconnu ses traits entre mille. La dernière fois qu'elle les avait vu ne remontait pas à si loin que ça.

             La veille, ce même gamin avait abattu un membre des brigades spéciales. Contrairement à aujourd'hui, il ne cachait alors pas ses cheveux dorés mi-longs. Mais, même s'il dissimulait maintenant sa crinière, Emeraude reconnaissait ses grands yeux bleus innocents. Armin.

             Elle réalisa alors pourquoi elle avait pensé aux océans dont lui avait parlé Hanji. C'est ce mioche qui en avait touché quelques mots à la scientifique, par le passé. Sans doute l'avait-elle vu sans le réaliser et avait, inconsciemment fait une association d'idée.

             Lui, de son côté, ne l'avait pas remarquée. Il tourna les talons après avoir saisi un des avis de recherche de sa main libre, l'autre tenant un sac de toile. Il s'enfonça dans la forêt située derrière le quai où Emeraude et Bosuard faisaient leur course quotidienne. Et là où il s'en allait n'était autre que les bosquets où elles avaient élu domicile.

             Le blond fut bientôt suivi par deux autres personnes qui, elles aussi, tenaient des sacs. Elle reconnue de loin le carré noir corbeau de Mikasa Ackerman et, à côté d'elle, le crâne châtain de celui qui se tenait avec Armin dans la charrette, la veille. Des sacs ? Comme du ravitaillement ? Et vous vous rendez dans la forêt, hmm ? Parfait pour un campement, songea la jeune femme en s'engageant à leur suite, serrant le bois de son arc et l'anse reliée à son carquois.

             Elle passa devant Bosuard en acquiesçant faiblement pour lui faire signe de ne pas bouger. L'enfant n'eut pas besoin de plus pour comprendre son instruction et obtempéra. Emeraude se dit qu'elle pouvait la laisser seule deux minutes, le temps qu'elle repère leur campement. Elle y reviendrait plus tard pour accomplir son dessein.

             Elle marcha en direction du bosquet et, bientôt, le sol sous ses pieds se fit plus tendre et l'air, plus frais. La luminosité autour d'elle baissa et les visages condescendants des habitants de Sina laissèrent place à de grands arbres robuste. Elle y était.

             Le brouhaha du quai devint au fur et à mesure de ses pas un murmure lointain puis un silence complet. Loin devant elle, discutant à voix modérées, le trio avançait. Elle leur avait laissé un peu d'avance pour ne pas se faire repérer.

             Au bout de cinq longues minutes, Emeraude se décida à sortir son grappin. Aucun soldat ne patrouillait aux alentours, autrement ses sens en alerte le lui auraient signalé. Elle pouvait donc se servir librement de son système tridimensionnel sans craindre un contrôle d'identité.

             D'un geste précis, elle envoya sa prise se planter dans la branche la plus épaisse de l'arbre à côté d'elle. Puis, elle ouvrit sa bouteille de gaz et en tira un peu pour décoller. En un clin d'œil, elle arriva parmi les feuilles épaisses du chêne et ferma ses bouteilles. Celles-ci émettaient un sifflement aigue qui, même s'il était modéré, suffirait à la faire repérer lorsqu'elle s'approcherait du campement et de ses résidents.

             A présent cachée dans les branchages touffus, elle eut bien moins de scrupule à s'approcher du trio. Dans la plus grande discrétion, elle s'aida de la proximité entre les troncs pour se déplacer sans toucher la terre ferme. Bientôt, elle atteignit la distance qu'elle considérait comme convenable : vingt mètres. Assez pour qu'elle les voit mais pas qu'ils l'entendent.

             Elle maintint cet écart durant un certain moment, jusqu'à ce qu'ils ralentissent enfin le pas. Là, elle vit Armin tendre l'avis de recherche à un homme assis au sol. Son cœur manqua d'exploser dans sa cage thoracique. De loin, elle ne l'avait pas reconnu car ne pouvait le distinguer. Mais c'était lui, elle en était sûre. Levi Ackerman.

             Ses mains devinrent subitement moites et sa gorge, sèche. Elle savait pourtant, en s'enfonçant dans la forêt, qu'elle allait tomber sur lui. Mais son corps réagissait comme si elle ne s'y était pas attendue. Comme si cela était une surprise.

             Contrairement à la veille où elle avait bondi de sa cachette, les sabres brandis afin de le tuer, elle ne savait aujourd'hui pas comment réagir. Immobile, ses yeux fixés sur le visage de celui qu'elle ne voyait pas bien mais devinait mieux, elle sentit ses bras trembler.

             Que faire ?

             C'était la seule chose qui lui venait à l'esprit. Si concentrée par le caporal, elle n'avait pas le moins du monde prêté attention aux autres soldats. Comme si, juste par sa présence, il avait soufflé le monde autour de lui. Comme s'il était tout.

             La veille, elle avait eu à plusieurs reprises l'opportunité de lui planter son grappin dans la nuque. Opportunités qu'elle n'avait pas saisies. A ce moment-là, elle s'était dit que c'était parce qu'elle voulait que, lorsque l'occasion se présenterait, elle puisse profiter de la sensation de sa lame coupant son cou, de celle du sang coulant sur ses doigts. Mais la vérité était que, au lieu de tuer l'homme, elle l'avait sauvé.

             Agacée par le raisonnement qui venait de s'imposer dans son esprit, elle saisit son arc et une flèche d'un geste brutal. Pense à Eddie. Elle banda ses muscles et tira brutalement sur la corde. Pense à Erd. Elle ferma un œil et pointa le bout de sa flèche vers le caporal. Pense à Petra. Elle prit une profonde inspiration et s'assura que l'impact tue l'homme sur le coup. Pense à Auruo. Sa gorge serait touchée. Pense à Gunther. Jamais elle ne manquait une cible. Pense à toi.

             Mais elle ne fit rien. En équilibre sur une branche à vingt mètres de sa cible, le dos droit et les muscles bandés, prête à tirer sa flèche fatale, elle ne fit rien. Non pas qu'elle ne voulait pas. Elle désirait ardemment le tuer, l'effacer de la carte et l'empêcher de laisser d'autres personnes mourir pour lui.

             Mais était-ce vraiment pour ça qu'elle voulait le tuer ? Avait-elle besoin de le punir ou de se punir, elle ? Elle qui n'avait pas embarqué avec eux lors de cette mission, elle qui n'avait jamais réalisé qu'Eddie était mort, elle qui l'avait laissé se rendre à l'armée seule, elle qui restait toujours en retrait quand ils se battaient au front. N'était-ce pas elle, la fautive ?

             Elle le jalousait. Elle le haïssait. Elle enviait sa position, celle qui lui épargnait tout sentiment de culpabilité. Si Levi ne pouvait pas se reprocher la mort de ses hommes, elle, elle le pouvait. Et c'était simplement pour oublier l'immense poids que la culpabilité pesait sur ses épaules qu'elle s'était mise en tête de la supprimer. Il était son bouc émissaire.

             Mais tout cela, elle n'en réalisa rien. Encore en position d'attaque, la corde de son arc tendue au maximum, elle ne songea pas un instant aux raisons qui la poussait à faire cela. Son esprit était blanc, vide. Immobile, les yeux grands ouverts fixés sur Levi qui se tenait dans une position vulnérable, à sa merci, elle ne pensait rien. Elle savait juste. Au plus profond d'elle-même, elle savait que ce choix n'était pas le bon.

             Soudain, ses poils se dressèrent sur son échine et elle sentit ses cheveux se hérisser. Quelqu'un d'autre était là. Tout près. Elle se retourna vivement et constata que ses sens ne l'avaient pas trompée -comme d'habitude. Derrière elle, à trente mètres de sa position et donc cinquante du campement, un duo de soldat avançait.

             De loin, elle ne pouvait discerner quoique ce soit d'eux. Seulement le fait qu'ils portaient tous deux des uniformes ainsi que des fusils lui suffit à réaliser qu'ils étaient membres des brigades spéciale. La jeune femme se raidit. Vu la façon dont Levi et ses compagnons parlaient sans se soucier des bruits aux alentours, il y avait peu de chance qu'ils entendent leur pas à moins qu'ils soient tout proche d'eux. Et, à ce moment-là, il serait trop tard.

             La jeune femme, qui n'avait pas détendu la corde de son arc, reporta son attention sur le groupe. Et là, elle se surprit à hésiter.

             Une seconde. Il ne lui faudrait qu'une minuscule seconde pour relâcher la corde de son arc et sa flèche n'aurait pas besoin de plus de temps pour venir se figer dans la gorge du caporal. Elle raffermit sa prise, entendant les soldats s'approcher derrière elle.

Et merde, jura-t-elle.

             D'un mouvement sec, elle relâcha la corde qu'elle avait maintenu jusque-là. Sa flèche fendit l'air à une vitesse ahurissante, comme si elle avait attendu impatiemment qu'Emeraude tire enfin. Et, lorsqu'elle se planta finalement, se fut comme une libération pour la jeune femme.

             Tous sursautèrent, le caporal y comprit. Le craquement d'une branche venait de retentir. Ils prêtèrent l'oreille quelques instants, interrompant leur conversation. Bientôt, ils captèrent des bruits de pas et entendirent des bribes de conversations lointaines. Quelqu'un approchait.

             Emeraude les regarda faire quelques instants, s'assurant qu'ils réagissent bel et bien. Lorsqu'ils se levèrent, elle reprit le chemin inverse en jurant et pestant intérieurement. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle venait tout juste de manquer volontairement l'opportunité de tuer Levi en plantant sa flèche dans une brindille, de sorte à émettre un bruit pour les prévenir de la présence des brigades spéciales. C'est pathétique.

             Comprenant qu'elle ne pourrait pas mener à bien sa mission aujourd'hui, elle ne s'attarda pas davantage sur les lieux et continua de rebrousser chemin à vivre allure, se promettant de retrouver le caporal plus tard et d'en finir avec les morts qu'il semait sur sa route.

             Tout en dépassant les soldats, elle se demanda si Bosuard était saine et sauve. Elle avait dû laisser la fillette bien plus d'une dizaine de minutes. Elle espéra qu'il ne lui soit rien arriver puis, elle se reprit vivement. Comment veux-tu qu'il arrive quoique ce soit à une illusion ? se maudit-elle. Décidemment, sa solitude était bien trop vive.

             Au loin, elle vit une vive lueur. C'était la lumière du soleil provenant du port. La forêt se terminait donc dans une dizaine d'arbres. A la vitesse à laquelle elle allait et l'habitude aidant, elle n'en aurait que pour quelques secondes. Une minute, au maximum.

             Elle inspira à plein poumons, se délectant de la douce odeur embaumant les lieux. Pétrichor. Avec un sourire, elle repensa aux après-midis entières qu'Eddie avait pu passer dans la forêt à renifler ce parfum par simple plaisir.

             Elle le comprenait, maintenant. Auparavant, elle s'amusait à le charrier mais, dorénavant, elle réalisait pourquoi cette flagrance lui plaisait tant. Une larme naquit dans son œil droit.

             Cette odeur, c'était lui. C'était une expression de plénitude sur ses traits enfantins. C'était du réconfort lorsque la faim était trop grande. C'était la sensation d'apaisement quand les jours étaient trop rudes. C'était ce qui avait maintenu l'illusion qu'il vivait lorsque ce n'était plus le cas. Oui, c'était lui. C'était chez eux. Et, surtout, ce n'était plus.

             Elle secoua vivement la tête. Ce n'était pas le moment de se montrer émotive. Voulant quitter au plus vite cet état second dans lequel elle était plongée, elle tenta de se donner de la contenance en pensant à autre chose. Aussi, sans préparation, elle sauta de la branche sur laquelle elle venait d'arriver.

             Le sol était loin en contrebas mais elle s'en fichait bien. Elle avait fait cela mille fois, elle savait comment se réceptionner. La plante des pieds étaient parallèles au sol ainsi que ses bras pour ralentir sa chute et atténuer le risque de blessures. Les jambes légèrement fléchies pour que le choc ne soit pas trop fort, elle respirait calmement.

             Lorsqu'elle atterrit, les feuilles mortes sous ses pieds amortirent considérablement l'impact. Ses genoux se fléchir et elle atterrit dessus après un rebond sur ses pieds. Elle n'avait pas le moins du monde eut mal. Elle sourit : le port n'était qu'à quelques mètres d'elle, elle allait bientôt rejoindre Bosuard.

             Seulement, dans sa tentative d'oublier son frère, elle avait négligé un point très important avant de sauter. Elle n'avait pas jeté un œil aux alentours. Elle n'avait pas assuré ses arrières.

             Soudain, elle sentit un objet fin de forme circulaire presser son dos à travers ses vêtements. Vu le contact sur ses omoplates, elle comprit bien vite que quelqu'un debout derrière elle avait posé son fusil directement sur elle. Dans cette position, elle n'avait aucune possibilité de désarmer cette personne. Elle était fichue.

Caporal Dan Eisenstein, brigade spéciale.

             Elle se raidit brutalement, sans pour autant lever les bras. Non pas qu'elle prévoyait de sortir discrètement une arme pour le blesser. Non, elle était simplement abasourdie et incapable de faire le moindre mouvement. Les brigades spéciales ?

Et toi, je suppose que tu es Emeraude. L'officieuse membre de l'escouade Levi.

             Elle ne répondit rien. Même si ce qu'il venait de dire était faux, cela ne servait à rien de se justifier. Il s'agissait d'un complot organisé par le pouvoir royale contre les bataillons d'exploration. Elle ne pouvait rien faire pour se défendre, ils la considéreraient toujours coupable.

Je t'arrêtes pour le meurtre de l'officier Brown Teyber, complotisme en vue de commettre un coup d'état, conspiration, délit de fuite, complicité dans le meurtre du directeur Reeves, infraction de l'article 6 de la Charte de l'Humanité et acte de terrorisme. Lève-toi.

             La jeune femme ne prêta même pas attention aux faits qu'on lui reprochait injustement. Une goutte de sueur coula sur sa tempe. Le plus important était ce que signifiaient de telles charges.





             Elle allait être condamnée à mort.









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