𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟗𝟖
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟗 𝟕
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— Toji ?
Un murmure franchit mes lèvres. Il résonne quelques instants dans le silence obscure. Mes yeux papillonnent, cherchant un sens aux ténèbres percés de points blancs devant moi. Lorsque je réalise.
Ces points sont des étoiles. Je suis allongée sous la voûte nuptiale.
— Toji ?
Il me faut le trouver. Mon corps l’appelle. Mon âme le réclame. J’ai besoin de lui. Je ne peux être sans lui tout comme il ne peut être sans moi.
— Toji ! je m’exclame, me redressant brutalement.
— Il n’est pas là, ma belle. Tu vas devoir te contenter de ton aimable serviteur.
Je me fige en entendant cette voix familière, ce timbre joueur que j’ai cru avoir été emporté par une flèche macabre. Mon cœur — que je croyais immobile à jamais — fait un bond quand je me retourne soudain.
Il est là.
Quelques boucles blondes encadrant un sourire machiavélique. Un sarouel tombant sur une taille dénudée et succédant à un torse gravé d’encre.
Lequel s’arque entre deux gigantesque ailes bleu nuit.
— Sullyvan ?
Adossé à une colonne, les mains dans les poches, l’homme me regarde. Un sourire fend mes lèvres et je m’apprête à m’élancer vers lui.
Mes pieds courent dans le sable grenat :
— Ca alors ! Je croyais que tu étais…
Je me tais soudain, m’immobilisant. Penchant la tête sur le côté, il me jauge quelques instants.
— Mort ? demande-t-il. Je paris que tu croyais aussi que tu l’étais. Tout comme ton cher et tendre, d’ailleurs.
Mes sourcils se froncent et je me fige. Nouée, je mets quelques instants avant de me retourner précautionneusement, découvrant le paysage nous entourant.
Du sable de grenat à perte de vues. En dunes se succédant le long d’un paysage infini.
Du sable, du sable et encore du sable. Rien d’autre que du sable. Si ce n’est… Le temple auquel est adossé Sullyvan.
— Où sommes-nous ? Les Enfers ne ressemblent pas à cela.
— Un endroit bâti par ma très chère mère sur la demande d’Hadès. Un lieu où tu as dormi un an après ton premier décès. Un lieu où elle veille sur nous, dit-t-il en désignant le ciel.
Nyx. La Titane. Déesse de la Nuit.
— Sommes-nous morts ou vivants ?
— Aucun des deux. Il s’agit d’un état sommaire. Un lieu où je me trouve depuis un moment, attendant de prendre une décision. Me reposant un peu auprès de ma mère.
Me retournant, je le détaille tandis qu’il observe le ciel avec douceur.
— Après tant de souffrances, la retrouver m’apaise.
Il marche dans le sable de grenat, souriant sous la voûte céleste. Mon estomac se noue tandis que je le regarde. Je ne suis pas sans savoir les conditions de son départ vers ce lieu.
Cela fait un moment que je sais quelle décision il doit prendre.
— Qu’est-ce que je fais ici ? je demande calmement. Je ne suis pas comme toi, je n’ai aucune décision à prendre. J’étais déjà morte et toucher ce fleuve m’a précipitée une nouvelle fois aux Enfers.
Debout au sommet de la plus haute dune de sable, celle où se trouve ce temple, il admire l’horizon s’étalant autour de lui. Puis, un sourire goguenard aux lèvres, il contemple ma curiosité par-dessus son épaule.
Cependant ma question demeure sans réponse. Sullyvan se contente d’observer à nouveau le paysage, au loin. Les plumes de ses ailes s’agitent légèrement, telles des herbes sous la brise, lorsqu’un vent léger nous caresse.
— Tiens… Zéphyr passe dans le coin, marmonne Sullyvan en haussant un sourcil. Il dépose sans doute une âme ici.
Mes sourcils se froncent. Le Dieu du Vent est celui qui nous dépose ici ? Regardant autour de moi, je tente de le repérer.
Cependant, rien n’apparait à mes yeux.
Un soupir franchit mes lèvres et je reporte mon attention sur Sullyvan. Sous les lueurs de l’astre, je détaille son profil. Aucun hématome n’orne son visage ni plaie ne se dessine sur son corps. Je remarque que mon corps, malgré cette mort dévorante, demeure aussi en assez bon état. Je ne distingue point de suie, de cendres ou brûlures.
— Splendide, n’est-ce pas ? lâche Sullyvan en me surprenant à contempler la paume et le dos de mes mains, fascinée.
J’acquiesce, hébétée.
Il pousse un long soupir, les mains enfoncées dans ses poches. Admirant l’horizon, il déclare calmement :
— Pour ta gouverne, ma chère, cet endroit est similaire à l’ataraxie. Point de faim, de besoin, de soif, de manque, de douleur… Un simple endroit où l’on peut se recueillir, le temps d’un instant.
Il attend quelques instants avant de murmurer, plus sombrement :
— Le temps de faire un choix.
Un frisson parcourt mon épiderme, redressant brutalement ma colonne et je me tends. L’obscurité habillant les prunelles de Sullyvan ne m’est pas inconnue.
La même m’a envahie lorsque j’ai ressenti le trépas de Toji.
— Quel sera ton choix ?
La question me brûlait les lèvres. Quand bien même je m’attends à une réaction des plus virulentes, peut-être même quelques injures furieuses.
Cependant, à mon grand étonnement, il se contente d’un rictus condescendant.
— Enfin, ma sephtis, je ne vais pas discuter de choses qui te dépassent avec toi. Les affaires des Anges sont hautement plus élevées spirituellement que celles des…
— Feindre de la condescendance ne suffira pas à me repousser, je le coupe calmement. Je connais la vérité, Sullyvan. Je l’ai vue.
Promenant mon regard autour de moi, je regarde les dunes de sables se succédant en un pêle-mêle glacé.
— Ils ne sont même pas là…
Ma gorge se noue. Ma tête se baisse en un geste d’empathie.
— Je suis profondément déso…
— Tu ne sais rien, petite sephtis de pacotille, gronde-t-il en reculant soudain, marchant vers le temple. Tu n’as absolument aucune conscience de la réalité des choses.
Ses remarques ne me blessent point. La douleur s’exprime, le besoin de nier. Ce qu’il ne veut admettre depuis des années cherche à apparaitre sous ses yeux mais il se refuse à le voir.
Cependant, s’il persiste dans ce déni, cela le tuera.
Il m’interrompt avec des mots grossiers pour que je me taise, me forcer à battre en retraite. Seulement Sullyvan est mon ami.
Alors qu’importe combien cela le blessera. Je prononcerais les paroles qu’il se doit d’entendre.
— Mourir ne les fera pas revenir, Sullyvan.
Debout au sommet de cette dune, observant le paysage, je ne le regarde pas. Lui laissant un peu d’intimité, ne voulant le soumettre au joug d’un regard insistant, je laisse quelques graines de sable s’échouer au fond du sablier.
Quelques instants de silence.
Il finit par le briser dans un soupir rauque. Je peux presque deviner la façon qu’ont eu ses ailes de tomber au sol, le long de son dos, en un geste d’abandon.
— Depuis combien de temps es-tu au courant ? demande-t-il soudain.
Mes paupières tressautent et mon regard vacille.
— Je crois que je ne l’ai jamais totalement ignoré. Je m’efforçais de regarder ailleurs pour ne pas avoir à affronter la réalité de ta douleur…
Je me tais un bref instant.
— Mais l’odeur qu’ils dégageaient m’a mise sur la voie, ainsi que ton absence dans la bataille qui m’a coûté la vie… Puis te soigner quand tu refusais de le faire toi-même a été…
Ma voix meurt lorsque ma gorge se serre. Je me force de déclarer d’un ton étranglé :
— Une bien douloureuse preuve.
Du coin de l’œil, je vois Sullyvan s’approcher. Doucement, comme si le moindre geste brusque pouvait briser la sphère de cette discussion, il s’assoit. En tailleur dans le sable de grenat, il détaille l’horizon.
Quelques instants après, je l’imite. Le silence s’installe, de plomb. J’hésite quelques instants avant de chuchoter :
— Depuis quand ?
Sullyvan ne répond pas.
— Depuis quand les habitants de ton village ont-ils été tués, Sullyvan ?
Un voile traverse ses traits, comme une délicate caresse d’une nuit compatissante.
Il baisse la tête. Quelques instants plus tard, il la relève.
— Sais-tu que les habitants de certains coins du désert vivent « à l’envers » ? Ils le disent comme ça, dans la capitale. Il fait si chaud la journée qu’ils creusent une ville sous le sable, dans la roche, au frais, pour y dormir. Ils vivent la nuit.
Je regarde le blond qui fixe l’horizon d’un air absent.
— Alors, chef de village, j’ai protégé les miens des dangers de la nuit. J’ai demandé l’assistance de ma mère, Nyx. J’étais né cancer, protégé par la déesse-lune, Artémis. Puis j’ai demandé bénédiction à la déesse de la Lune, Séléné. Alors…
Ma gorge se noue lorsque j’entends sa voix s’étrangler. Il inspire quelque fois avant de chuchoter :
— Alors Lycus nous a attaqué de jour.
Sa tête se baisse. Une larme dévale sa joue. Soudain, je saisis nettement la source de la haine viscérale qu’il vouait à cette femme, pourtant sa génitrice.
— Lycus n’a… Elle n’a même pas eu besoin d’utiliser ses pouvoirs pour me maitriser… Moi, un Ange, ait été assommé par une…
— Elle aussi, était aidée d’un Ange.
Il lâche un rire triste. Ses épaules se haussent.
— J’ai juré de les protéger. Ils sont partis dormir. J’ai vu ses troupes arriver. J’ai tenté de les attaquer en utilisant mes pouvoirs. Rien n’y a fait. Lycus a atteint ma hauteur…
Il soupire.
— Je me suis réveillé quelques heures plus tard. Aucun villageois n’avait survécu.
Une autre larme dévale ses joues. Je réalise qu’une coule aussi le long de la mienne.
— J’ai couru jusqu’à mon manoir, j’ai dévalé les escaliers pour trouver ma fille et…
Sa main s’élève, tremblante. Ses yeux écarquillés fixe l’horizon et il pose une main sous son oreille droite.
— Lycus l’avait tailladée de là…
Il trace un trait qu’il arrête sous son oreille gauche.
— …à là.
Sa main tremble encore quelques instants. Ses doigts tressautent quand il les laisse tomber sur ses genoux.
Et, dans un râle dévasté, il murmure :
— C’était mon enfant.
Malgré le ciel étoilé, nulle lueur ne se reflète dans les prunelles de Sullyvan. Seul le torrent infernal de larmes qui ne cesseront jamais.
— Alors j’ai fait la seule chose que je pouvais faire. J’ai recousu les corps, nettoyé les plaies et même changé les vêtements imbibés de sang. Puis, j’ai attendu que la nuit tombe, me rechargeant des lueurs de la pleine lune…
Il frissonne.
— …Et j’ai utilisé la nécromancie pour les ramener à la vie.
La nécromancie est une forme de magie permettant d’animer les morts. Ils ne reviennent pas réellement à la vie, sont dépourvus de conscience et leur cœur ne bat pas.
Mais cela créé une illusion.
— Depuis tout ce temps, tu utilises tes pouvoirs pour maintenir ces villageois debout…, je chuchote, le souffle coupé par ce récit.
En visitant le village, j’avais remarqué plusieurs choses surprenantes. Les villageois vivaient le jour, ce qui n’était pas commun dans ce coin du désert. Ils ne semblaient pas impacter par la chaleur mais dégageaient une désagréable odeur.
Non pas celle de la sueur d’un dur labeur. Une plus profonde, écœurante…
Celles de corps en lente décomposition.
Malgré la magie ralentissant le processus, les cadavres ambulants pourrissaient. Sullyvan n’aurait pas pu demeurer éternellement ainsi. Quand bien même la douleur d’accepter la réalité risquait de le tuer.
— Les maintenir éveillés occupait tous tes pouvoirs… Là est la raison pour laquelle, lorsque j’étais avec les Harpies, tu n’as pas utilisé ton pouvoir mais celui de ta mère.
— Je n’ai pas la puissance de vaincre les Harpies, rit-t-il doucement. Elle m’a aidée. Je ne pouvais, en fait, pas lancer le moindre sort.
— Et, quand Lycus a de nouveau envahit ton village, tu as disparu car tu n’étais pas capable de te battre et de maintenir le sort…
Je m’empêche de faire le moindre commentaire sur le fait qu’Hank et Meeva sont morts en essayant de protéger des villageois qui avaient déjà trépassé. Non pas car je ne veux pas affecter davantage Sullyvan.
Simplement car je me doute qu’il se fiche profondément de leur sort.
— Maintenant, tu dois te regénérer… Mais pour cela, il faut que tu acceptes de lever le sort. Définitivement.
Il ne répond pas.
Me penchant, je pose une main douce sur son épaule. Il ne réagit pas mais je m’avance tout de même, murmurant :
— Sullyvan, tu dois les laisser partir.
Ses paupières se ferment.
— C’est mon enfant.
— Je sais.
— J’ai besoin d’elle.
— Je sais.
— C’est ma famille.
— Je sais.
D’autres larmes dévalent ses joues et il saisit son visage. Mon cœur se gonfle et je détourne les yeux.
— Et si tu devais choisir entre mourir ou vivre sans Toji ? lâche-t-il d’une voix éraillée. Tu arriverais à le laisser partir ?
Mon cœur se fige et mes yeux s’écarquillent.
— T… Que dis-tu ?
Me retournant, je croise le regard épuisé de Sullyvan. Nous nous observons quelques instants en chien de faïence, sans que l’un d’entre nous ne dise quoi que ce soit.
— Alors… C’est pour ça que je suis ici ? Que lui n’est pas là ? C’est pour faire ce choix ?
Il ne répond pas. Quelques larmes naissent en moi.
— N… Non ! Je ne peux pas revenir ! Même s’il est devenu mortel ! Il a vu mon visage ! Pour que Arès fasse de moi un Ange, il ne devait pas avoir vu mon visage !
— Mais pourquoi penses-tu que c’est Arès qui t’a déposée ici ? demande Sullyvan d’un œil vitreux.
Mes sourcils se froncent.
— Il… Il était question que je… Enfin…
— Le Dieu de la Guerre s’est montré intéressé par ta façon d’être… Mais il n’est pas la seule divinité qui l’a fait.
Je secoue doucement la tête.
— Toji est déjà l’Ange d’Hadès.
— Je ne te parle pas de lui. Il y en a une autre… Une divinité qui t’a accompagnée dans de grandes épreuves, qui a joué un rôle essentiel dans celles-ci.
Je ne comprends pas. Malgré les larmes, il force un sourire vénal.
— Enfin, sephtis. Ne me dis pas qu’une druide de renom n’est même pas capable de réaliser que les sephtis ont une divinité…
— Certains disent qu’Hadès ou l’Ange de la Mort…
— Mais on se fiche de ce que « certains » disent ! s’exclame-t-il dans un rire. Réfléchis ! Quelle est la divinité qui occupe une place centrale dans la Cérémonie de l’Ash ? Une divinité qui vient même de causer ta mort, il y a quelques instants ?
Mes yeux s’écarquillent. Il est coutume pour moi de voir en elle un fleuve plutôt qu’une déesse. Mais elle en est une.
La splendide et puissante fille d’Erèbe et de Nyx.
— Le Styx ? je chuchote d’une voix étranglée.
Il acquiesce dans un rire.
— Ma chère sœur a toujours montré une fascination pour la femme qui avait décidé de devenir une sephtis. Je crois que dès l’instant où tu as prêté ce serment, elle a compris qu’elle ne te laisserait pas mourir.
Un frisson court le long de mon échine.
— Le déesse Styx… Veut que je devienne son Ange ?
— Pas exactement.
Il se tourne vers moi.
— Connais-tu la légende du Phénix ? L’oiseau qui renait de ses cendres ? Crois-tu que cet oiseau, qui revient à la vie dans le feu, le fait de n’importe quel feu ?
Mes sourcils se froncent.
— Le feu qui marque la renaissance du Phénix est celui du Styx, celui-là même qui sépare les morts des vivants.
— Alors, je peux littéralement… Renaître de mes cendres ?
Il acquiesce.
— Actuellement, toi et Toji êtes un tas de cendres. En mourant sur lui, ton feu a consumé son corps. Mais si le feu du Styx attise vos cendres…
Je me fige. Mes yeux s’écarquillent.
— Nos cendres ? je répète. Tu veux dire que je ne reviendrais pas seule d’entre les morts ?
— Tu n’es pas, à proprement parler, définitivement morte et… N’oublie pas que le gros cerveau d’abruti de cet empoté a lié vos fils alors si tu vis, il vit, si tu meurs, il meurt.
Mon cœur s’emballe. Je le sens battre dans ma poitrine. Assurément, je suis vivante.
— Alors ? Satisfaite ? soupire-t-il en me voyant me lever.
Un frisson me parcourt.
— Vas-y, murmure-t-il. Entre dans ce temple, dépose une offrande à Styx et retourner buter cette enflure qui m’a pris ma fille.
Me retournant, je regarde Sullyvan. Assis sur le sol, il ne semble pas décidé à se lever.
— Suis-moi.
Surpris, il me jette un regard par-dessus son épaule.
— Tu es mon ami. Et mon frère d’arme alors d’une certaine façon, tu es aussi ma famille. Je sais que le passé n’a pas été tendre avec toi mais, même si cela sera particulièrement dur, je te promets que cela en vaudra la peine.
Il ne me regarde pas, ses yeux abandonnés sur le sable grenat.
— Sullyvan, laisse-les partir.
— Oui, papa, laisse-nous partir.
Surprise, je me retourne, découvrant une silhouette que je ne connais que trop bien, entre les colonnes du temple.
Derrière la petite fille qui dévale les escaliers, quelques villageois se trouvent, un sourire aux lèvres. Une vieille dame regarde Sullyvan avec douceur :
— Ne vous en voulez pas, jeune chef, vous avez fait tout ce qui était en votre capacité pour nous. Nous sommes très fiers de vous.
Les yeux écarquillés, le blond les regarde. Médusé, il les détaille quand une voix omnisciente s’élève, résonnant dans la vallée, douce :
— Dis-leur aurevoir, mon fils. Hadès doit les gouverner, à présent.
La Titane Nyx. Parlant à son enfant.
Ce dernier tremble, regardant les villageois. Un homme s’avance, saisissant un chapeau qu’il abaisse sur sa poitrine en signe de respect.
— Vous avez vraiment été un bon chef. Vous avez beaucoup fait pour nous.
— Je vous ai laissé mourir !
— On a été heureux.
— Je ne vous ai pas protégé !
— On a été aimé.
— Je vous ai abandonné !
— On a été ensemble.
L’homme sourit doucement, marchant jusqu’au blond. Il abandonne une main sur l’épaule du garçon, malaxant celle-ci.
— Nous sommes prêts, jeune chef. Nous l’avons toujours été.
Quelques larmes dévalent le visage de Sullyvan.
Soudain, dans un geste qui me surprend, il se laisse tomber contre la poitrine de l’homme. Son crâne chute sur son épaule et le villageois le prend dans ses bras.
— Ça va aller, mon petit. Ça va aller, chuchote-t-il en tapotant le dos du blond.
Sullyvan le serre avec force contre lui. Je peux voir ses épaules tressauter lorsqu’il pleure.
— Je suis fier de toi, petit.
Ils s’écartent. Sa main se pose sur la joue du blond.
— Tu peux faire quelque chose pour moi, mon petit ?
— Tout ce que vous voulez, monsieur Evilans.
Evilans ?
— Dis à mon petit-fils de ne plus s’en vouloir du pacte passé avec Lycus. Il voulait protéger sa mère et c’est honorable.
Sullyvan acquiesce.
— D’accord, je le dirais à Hector.
Ma gorge se noue et la fille de Sullyvan court vers lui. Il force un sourire, des larmes dévalant ses joues, et saisit l’enfant qu’il porte à sa poitrine.
Elle enfouit son visage dans son cou.
Là, quelques mots sont murmurés, trop précieux pour être entendus. Je ne distingue que des larmes coulant le long de leur visage. Des baisers se perdent sur des joues et dans des cheveux.
— Tu es très courageuse, ma petite-fille, chuchote Sullyvan en la berçant légèrement.
Là, demeurant contre elle, il ferme les yeux. Savourant cet instant quelques temps, l’ultime étreinte d’un père aux abois, il se laisse aller à ce dernier élan de douceur.
Les graines de sable tombent dans le sablier. Les paupières de Sullyvan restent closes.
Une première silhouette disparait en une brise sombre. Un frisson me prend et une deuxième suit. Doucement, un troisième fait de même. Puis un autre. Encore un autre. Le parvis du temple se fait voir. Dans un hoquet, je découvre un homme, dans l’encadrement de la porte, qui observait tout depuis le début.
Ses yeux émeraudes semblent assombris par la douleur. Mais ils s’illuminent légèrement lorsque je m’approche.
Ma main caresse la joue de Toji et, dès que je le vois, je réalise combien j’ai mal. Alors, me laissant tomber contre la poitrine de mon amant, j’enfouis ma tête dans ses pectoraux et il me sert dans ses bras.
Tous les villageois sont partis. Il n’en reste qu’une. Celle qui se trouve dans les bras de Sullyvan.
— Je ne veux pas voir ça, je couine dans un murmure.
— Alors ferme les yeux, mon amour.
La main de Toji se pose sur mon crâne. Il me semble entendre trois mots d’amour, au loin. Je tente de me soustraire à ce qu’il se passe.
Quand un hurlement retentit.
Long. Empreint de désespoir. Il m’arrache un spasme et Toji me sert mieux contre lui. Seulement le son griffe chaque paroi de mon corps et je tremble.
Quelques instants, il continue. La nuit se fait plus chaude, comme pour apporter quelque réconfort.
Le silence revient, solennel.
Je me redresse doucement et me tourne vers Sullyvan. A genoux dans le sable, essoufflé, il respire difficilement.
Toji pose une main dans le bas de mon dos. Nous marchons ensemble vers le blond qui tremble encore.
Cependant, lorsque nous lui tendons nos mains. Il les saisit et se relève.
Puis, dans un silence recueilli, sans un mot, nous marchons jusqu’au temple. Droits, calmes, solennels, nous franchissons les quelques marches et traversons les colonnes.
Pénétrant l’endroit sombre, nous ne voyons que le large autel devant nous, simple. Une bougie brille, au centre.
Je m’agenouille devant elle. A gauche, Toji m’imite. A droite, Sullyvan.
Je saisis une tige d’encens que j’allume à la bougie. Le bout rougi brille quelques instants avant de s’éteindre dans une odeur de cèdre. Malgré l’obscurité, je distingue le filet de fumée s’élevant dans les airs.
Je dispose l’encens au centre du récipient de sel.
Puis, nos paumes se posent sur nos cuisses. Nos nuques s’arrondissent et nos têtes se penchent quand nos yeux se ferment.
D’une même voix, nous chuchotons :
— Ô, Déesse Styx, je t’adresse cette prière…
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alors ? soulagé.e ?
j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
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