𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟗𝟐























𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  𝟗 𝟐












































           L’éther a cette odeur de révolution, ce soir.

           Le ciel se déchire autour de nous en volutes cotonneux. Paupières closes, je savoure la danse saccadée de la tornade silencieuse qui m’assaille. Jamais je n’avais monté de dragons auparavant. Seulement rien, à l’exception des intempéries les plus violentes, ne peut être comparé à l’exaltation de ce moment.

           Mon cœur se soulevant dans ma poitrine, ma gorge se bloquant, mes doigts s’écartant et laissant filer quelques froides colonnes d’air et mes épaules se détendant… Tout semble si incertain, inutile, sans importance, soudain. Plus rien n’a de sens ni n’existe.

           Bras écartés, paupières closes, je me laisse guider par le vent. En tailleur sur ce dragon rubis, je ne crains pas la chute.

           Oui. L’éther a cette odeur de révolution, ce soir.

— La tribu de Nime est visible, annonce une voix d’outretombe que j’identifie comme étant celle d’Akenir.

           Basculant en avant, j’ouvre enfin les yeux. Devant moi, derrière un nuage que je traverse à toute vitesse, la forêt s’étend. Comme quelques touffes d’herbes minuscules disposées autour de mon pied, elles apparaissent.

           Si petites. Presque futiles.

           Soudain, une caresse. Sur ma joue, un doigt s’est abandonné. Tournant la tête, je réalise qu’il s’agit de la main de Toji. Ailes déployées, il vole juste au-dessus de moi. Sans un regard pour ma personne, les yeux concentrés sur la forêt des Terres Ancestrales, il laisse sa phalange s’attarder quelques secondes de plus sur ma peau.

           Brûlante.

— Je ne ressens pas la présence d’Elio, lance Toji en s’éloignant, ailes plaquées contre son dos, fendant à toute vitesse le vent.

— Tiens-toi prête, jeune humaine, murmure Ilakir, le dragon rubis sur lequel je suis assise.

           Avant que je n’aie pu dire quoi que ce soit, nous basculons en avant. Tournant la tête, j’aperçois les trois autres dragons imiter le premier. Leur longue queue traine dans leur sillage tandis que leur tête, perpendiculaire au sol, coupe presque le ciel.

           Soudain, nous chutons.

           L’air rempli mes poumons, se bloquant en eux tandis que mon cœur remonte dans ma trachée. Il me semble que chacune de mes veines gonfle, palpitant à toute vitesse dans mon corps. Je chute en moi-même, gouvernée par l’élan mortel des créatures ancestrales.

           Enfin, je cri. Un hurlement libérateur s’échappe de mes lèvres. Mes yeux se plissent et une larme de joie en échappe quand, gardant les bras écartés, je laisse le vent me soulever presque de la croupe de l’animal.

           Le sol se rapproche à une vitesse vertigineuse. Les arbres ressemblent moins à des touffes d’herbes à mesures que les secondes s’enchainent. Mon regard glisse sur Ménélas.

           Etalés sur la tête du dragon doré, il dort. Sur la croupe de la créature se trouve une quinzaine de morceaux de viandes.

— Incorrigible, je ne peux m’empêcher de rire.

           Soudain, une ombre passe devant mes yeux. A toute vitesse. Je n’ai le temps de tourner la tête que je me sens basculer avec horreur. Hors du dragon.

           Je tente d’hurler mais quelque chose bloque ma gorge, comme une prise d’acier sur mes cordes vocales. Mes yeux s’écarquillent quand le monde bascule autour de moi.

           Je ne vois plus la terre mais que le ciel. Les nuages au-dessus de moi. Dos au sol, je chute à toute vitesse. Mes jambes et bras se soulèvent, trainant dans le sillage de ce cauchemar.

           Du coin de l’œil, j’aperçois le dragon rubis. Ce dernier fond à toute vitesse mais ses yeux glissent sur moi. L’émeraude me jauge quelques instants avant de s’écarquiller.

           Ilakir vient de comprendre que je ne suis plus sur son dos.

— HUMAINE ! s’exclame le dragon en tentant une patte aux griffes acérées dans ma direction pour me rattraper.

           Je tente de bouger, tendre la main afin de saisir cette patte. Sans succès. Je ne peux pas bouger. Un mal profond et inconnu m’enlise doucement.

           Soudain, je réalise ce que je vois, juste devant moi. Ce bras qui traine au-dessus de ma tête, emporté par la chute et nu… Je distingue ses veines.

           Saillantes et blanches. Anormalement blanches. Presque comme ce sang qui coulait en moi, lors de ma bataille avec Lycus.

           Aurais-je été empoisonnée ?

           Au loin, dans le ciel, je distingue presque une ombre se découper. Une silhouette quasiment invisible. Un fantôme bougeant à toute vitesse.

— Un verseau…

           Il me semble qu’Elio, de signe Lion, a un ascendant verseau, en effet. Cela signifie donc qu’il est ici, juste là, sous mes yeux. Près d’eux.

— Il est là…

           Mais mon murmure se perd dans le vent. Je tente de bouger, de parler mais quelque chose enlise mes muscles. Quelques bribes de paroles me parviennent comme depuis derrière un miroir. Comme si le poison m’avait enfermé dans une bulle.

           Je crois que les dragons s’inquiètent pour moi. Seulement je ne les entends pas. Mes oreilles bourdonnent et une douce torpeur. Je reconnais cette plante qui offre un décès langoureux et presque plaisant à sa victime.

           Je suis déjà morte, le poison ne devrait pas avoir cet effet sur moi.

— Regardes-moi…, chuchote une voix, comme à mon oreille. Ce combat est vain. Mais guide-les à mes portes si tu le souhaites, je ne vous vaincrais que plus aisément.

           Un frisson me parcourt. Je ne suis pas empoisonnée mais possédée. Elio s’est emparé de moi afin de me parler. Je dois avoir perdu la pierre bénite par Morphée qui me protégeait de lui.

           Une main glacée se referme sur mon épaule.

— Tu aurais mieux fait d’aller chialer dans les jambes de ton dieu. Maintenant, c’est trop tard pour toi…

           De l’énergie revient dans le bout de mes doigts. Je parviens à remuer un peu mes doigts de pieds ainsi que mes phalanges. Peut-être pourrais-je ouvrir la bouche ? Le mordre ?

           Au loin, je peux entendre les dragons s’affoler. Mais je ne saisis pas ce qu’ils disent.

— J’ai hâte de voir ce maudit Toji Fushiguro pleurer sur ton cadavre, après tout ce qu’il a fait pour te récupérer, quand tu es morte.

           Le ciel bascule autour de moi. Je ne peux rien faire à part écouter cette voix insidieuse jouer avec mon esprit.

— Sais-tu au moins, pourquoi tu as mis une année à te réveiller aux Enfers ? Pourquoi tu as disparu ? Pourquoi les Moires ont décidé de suspendre ton fil ?

           Les Moires sont trois sœurs. L’une d’elle déroule le fil, l’autre le mesure et la dernière le coupe. Chaque fil représente une vie. Lorsqu’elle décide d’asséner un coup de ciseau, rien ne peut y remédier.

           Elles sont la Destinée. Nul ne peut les défier.

— Cet abruti de Toji s’est rendu chez les Moires et a attaché ton fil au sien, de sorte que le tien ne s’arrête pas, ricane-t-il d’un ton moqueur. Cela aurait dû le tuer, vous lier dans la mort. Mais cet abruti a survécu.

           Je frissonne. Non, ce n’est pas possible. Il ment. Nul ne peut faire une telle chose.

           Seulement les paroles d’Akenir sur la raison pour laquelle je suis restée un an endormi me reviennent. Il parlait aussi d’un geste irrespectueux à l’égard des Dieux.

— As-tu une idée de la stupidité de son geste ? Provoquer le destin ainsi ? Vous êtes des âme-sœurs, cela signifie que vos deux fils provenaient déjà de la même bobine. Le sien était doré car il est un Ange et le tien, noir, car tu étais morte.

           Sa vie aurait dû s’effacer. Faire ce qu’il a fait aurait dû, non pas seulement interrompre son existence, mais la révoquer. Lier son fil au mien n’est pas simplement se sacrifier pour me sauver.

           Il sacrifiait alors tout ce qu’il n’a jamais été, tout ce qu’il avait fait, afin de me céder sa place.

— Un an… C’est ce qu’il a fallu à Thémis pour décider quoi faire de toi. Un jugement à ton réveil a été conclu. Si tu réussissais, tu devenais Ange. Sinon, les Dieux votaient de ton sort. Et ils ont voté. Un long test auprès de Toji au terme duquel tu devrais prouver ta valeur.

           Un rire franchit les lèvres de l’attaquant invisible.

— Tu l’as prouvée, sephtis…

           Mon corps se fige.

— …Tu ne vaux rien. Tu n’est qu…

           Soudain, les mains glacées me relâchent. Un hoquet me prend et mes yeux s’écarquillent. Je ne suis plus possédée. Je peux bouger.

           Mes membres s’agitent et je hurle, appelant à l’aider.

           Un bras s’enroule autour de mon corps et je suis brutalement déviée de ma trajectoire. Ma tête rencontre quelque chose de chaud que je réalise être un torse. Des doigts se glissent sur ma nuque et j’inspire une bouffée de cette odeur.

           Toji. Il me tient. Il est venu me chercher.

— Il… Il est là…, je chuchote contre lui, la tête s’enfouissant dans le creux de son épaule.

— Je le sais. Nous n’arrivions pas à t’approcher. Un barrage invisible t’éloignait de nous… Je l’ai forcé.

           Nous sentant ralentir, je réalise que nous allons atterrir et écarte ma tête du creux de son épaule. Posant ma joue sur cette dernière, j’observe son profil quand mes muscles se fige.

           Son visage est couvert de sang.

           Un bleu orne sa pommette et sa lèvre est fendue. Son arcade sourcilière saigne abondamment tandis qu’une marque presque noire orne son cou.

           Le ciel se fait sombre. Nous avons en réalité pénétré la forêt. Bientôt, il s’arrête, cessant de voler.

           Les pieds au sol, il me porte toujours dans ses bras. Les yeux rivés sur un point au loin, il fuit mon regard. Lovée contre lui, j’observe avec horreur les blessures ornant son visage.

           Avançant une main tremblante vers ce dernier, je déglutis péniblement. J’ai si peur de lui faire mal. J’ose à peine bouger mais finit par effleurer une parcelle de peau intacte.

           Il se tourne vers moi. Ses yeux se plongent dans les miens.

           Jamais mon cœur n’a battu aussi fort que dans ce moment. En cet instant, portée par ses bras puissants, son cœur battant à toute allure contre moi, je déglutis péniblement.

           Mon doigt demeure sur ce visage, le caressant doucement.

— Que s’est-t-il passé ? je murmure d’une voix étranglée.

— J’ai brisé le barrage qu’il avait créé autour de toi. Cela a fait des dégâts.

           Ma gorge s’étrangle et je chuchote :

— Non, je voulais dire… Quand je suis morte ? Avec les fils ?

           Sa pupille tressaille, au cœur de l’étendue émeraude de son iris. Et il chuchote dans le silence de la forêt ancestrale :

— Tu m’as reproché de ne jamais savoir ce que je ressentais pour toi, de toujours changer d’avis. Mais j’ai toujours su. Depuis le jour où tu es tombé dans mes bras, sur l’île Lycus. Ce que je ne savais pas, c’est si t’aimer était une bonne chose.

           Une goutte de sang coule sur mon doigt.

— J’ai voulu venger mon fils en te demandant de te sacrifier. Seulement je ne suis pas parvenu à tenir la promesse silencieuse que je lui avais faite de ne pas te céder.

           Je tremble.

— Je devais aller voir les Moires. Je le devais. Même si cela m’effaçait. Ce monde n’est pas digne d’exister sans toi. Je devais réparer cette faute.

           Une larme coule sur sa joue.

— Je t’aime. Je devais le faire.

           Je remue doucement la tête, le cœur gros. Mon visage se rapproche du sien tandis qu’il parle. Ses yeux louchent sur mes lèvres alors qu’une torpeur nous enlise.

— Je ferais tout pour toi. Tout ce que je n’ai pas fait, je le ferais. Même si cela signifie défier l’Olympe.

           Sa main se pose sur ma joue. Nos fronts se touchent. Mes yeux se ferment.

— Laisse-moi me racheter, ma douce.

           Tout n’est plus que silence lorsque ses lèvres se pressent aux miennes avec douceur.























enfin !

j'espère que ce chapitre
vous aura plu !






























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