𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟗𝐎
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟗 𝐎
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Ô doux spectacle que sont ces terres.
Partout autour de nous, des monts grimpent. Se succédant, couverts d’herbes fraiches parfois traversées de marguerites, ils dégagent une odeur délicieuse. Passant au-dessus de l’un d’eux, j’aperçois, au loin, une rivière d’un bleu topaze. Les colonnes de lumières se scindent en sa surface, à la manière de milles diamants perçant sa voûte éthérée.
A perte de vue, la nature s’étend. Parfois, j’aperçois la naissance de forêts. Tant de couleurs caressent ma rétine. La brise fraiche apporte de multiples fragrances.
Soudain, le nuage de fleurs amorce une descente. Nous filons à toute vitesse, fendant le paysage. Akenir file devant nous. Un pont de bois torsadé et enchevêtré rejoint deux monts. Couvert de lierre, il attire mon regard.
A quoi peut-il bien servir ? Les dragons volent.
Akenir file d’ailleurs sous une arcade. Nous le suivons à toute vitesse. L’air soulève mes vêtements et je jette un regard à Toji. Ce que je donnerais pour qu’il soit conscient, qu’on partage cela ensemble.
Soudain, un lac. D’un bleu topaze, profond, il s’étend loin devant nous. Bordé de végétations fouillis, de mille et un types de fleurs qui encadrent le point d’eau. Jusqu’à un pont, lui aussi, bordé de branches torsadés, au loin. Régulièrement, quelques lampadaires anciens allumés de flammes magiques y sont plantés.
— Pourquoi existe-t-il tant de ponts ? Vous volez pourtant et êtes si immense que je suis convaincue qu’il vous suffit d’un pas pour traverser les lacs.
— L’héritier à la couronne n’a pas d’ailes. Il a exigé la création de ce pont, déclare Akenir.
— Et quelle taille fait-t-il, cet héritier ?
— A peu près le quart de vous.
Je n’avais aucune idée qu’il existait des dragons de cette taille. Ceci dit, il y a peu, je ne pensais pas non plus qu’il existait des dragons en réalité.
Mes yeux s’illuminent soudain. Derrière un bosquet de pins et chêne s’élève une falaise. Couverte de mousse, elle est surmontée par un gigantesque palais. De celui-ci s’écoulent diverses cascades en un bruit apaisant, le long du flanc de cette prodigieuse falaise.
Puis, le palais se dresse. Immense, blanc et or, parfois percé de fenêtres turquoise. Des arcades, tours, escaliers se traversent en un sublime monument.
— Et le château est aussi fait pour l’héritier ? je demande en observant ce dernier.
— Non, il s’agit de notre bibliothèque.
Ce dernier mot me coupe le souffle. Une… bibliothèque ? Ce gigantesque palais surpassant tout ce que je n’ai jamais vu et ne verrais jamais, sur terre ? Là, planté dans un deuxième lac, au milieu de cette falaise ?
Nous fendons la brise à toute vitesse. Akenir s’arrête sur la falaise. Ici aussi, des buissons de bosquets de fleurs bordent le lac. Un chemin pavé de marbre est posé sur la surface de l’eau, étrangement stable, et mène à la bibliothèque naissant sous l’eau.
Le coussin de fleurs se dépose doucement sur le bord du lac. Mon regard est aussitôt attiré par une fleur aux allures de collier de perles blancs. Le long de la tige, elles sont suspendues jusqu’à la pointe, en forme d’étoile de cristal.
— Sers-toi, je t’en prie.
Levant la tête, j’observe le regard que me lance le dragon. Il a compris pourquoi je la fixais ainsi. Les perles de staphir sont connues pour leurs vertus énergisantes. Elles sont souvent utilisées pour réveiller les personnes plongées dans le coma.
— Merci, je souffle en sortant une fiole d’eau de lune du sac en bandoulière. Je n’en prendrais qu’une seule.
Débouchant le récipient, je lâche l’une des fleurs dans le liquide. Un sifflement retentit et des pétales s’ouvrent. Eclatante de beauté, la fleur se révèle.
— Réveilles-le, j’appellerais l’héritier ensuite. Il est aussi celui chargé de veiller sur l’extérieur. Il nous dira si une offensive a été menée.
Acquiesçant, je soulève délicatement la tête de Toji que je dépose sur mon genou. La gravité pèse sur sa lèvre inférieure qui se décolle de l’autre. Mon regard s’attarde quelques instants sur ses yeux clos, cette cicatrice barrant sa bouche, rosée.
Je dépose la fiole près de celle-ci et la soulève. Le liquide coule mais je veille à ce que la fleur ne tombe pas dedans. A l’intérieur de ses lippes, le remède brille quelques instants avant que son niveau ne s’abaisse, coulant dans sa gorge.
Je dépose la fiole sur le sol et caresse sa tempe avec douceur. Bientôt, son nez se fronce. Il renifle quelques instants avant que ses cils ne s’agitent. Entre leur ondée, je les distingue bientôt.
Ses mirifiques et étincelantes émeraudes.
Ses yeux s’ouvrent enfin. Ma poitrine se gonfle d’une douce torpeur parfumée tandis que je m’enlise dans le lac ivoire de sa sclère. Emportée par la douceur du liquide laiteux, je me noie quelques instants avant que mon corps n’échoue sur l’anneau brun entourant son iris. Celle-là, enchevêtrement d’éclats d’émeraudes, forme un paysage d’une époustouflante familiarité. Les perles d’obsidiennes brillent, m’appelant.
Par Aphrodite, quels yeux…
Ces derniers m’observent quelques instants avant de s’illuminer. Sa main se glisse contre ma joue et son pouce caresse le coin de mes lèvres. Il le hausse quelques instants avant de le relâcher. Puis, il lisse ma pommette.
— Suis-je… Aux Champs-Elysées ? murmure-t-il d’une voix enrouée, ôtant sa main de ma joue et posant ses doigts sur ma bouche pour caresser distraitement mes lèvres.
Quelques secondes, je me perds dans cet instant. La brise chaude nous caressant, sa main s’attardant sur moi, la chaleur de son corps. Je m’oublis dans ce moment.
Ataraxie.
Soudain, un son. Sourd, un beuglement s’élève. Les yeux de Toji se plantent au-dessus de moi et je suis son regard. Akenir, dressé sur ses pattes avant, pousse un hurlement.
La mine que je découvre en observant Toji vaut le détour. J’éclate de rire face à ses yeux écarquillés.
— Nous ne sommes pas sur les Champs-Elysées, Ange. Vous vous trouvez sur nos terres.
— Tu as réussi, Toji, je chuchote dans un sourire radieux, mes poumons se gonflant de bonheur. Tu nous as emmenés sur le continent des dragons !
Ses yeux s’écarquillent davantage et il pose une main par-dessus la mienne, sur sa joue. Sans doute la joie le gagne-t-il car il embrasse soudain ma paume puis mes doigts.
— On y est enfin. Nous allons connaitre la vérité.
— Monsieur l’héritier, c’est un plaisir de te rencontrer, prononce gravement la voix du dragon, au-dessus de nous, tandis qu’il s’incline.
D’un même geste, Toji et moi nous tournons vers la silhouette qui s’avance d’un pas chaloupé le long du chemin flottant. Mon cœur fait d’ailleurs un bond à sa vision.
— Ne me dis pas que c’est…
— Si, c’est lui, je lâche, médusée, mon muscle cardiaque ne sachant s’il doit rater des battements ou les doubler tant lui-même, simple organe, est sous le choc.
Sa fourrure se secoue autour de lui tandis qu’il gambade, tête haute. Sa tête brune parcourue de rayures demeure droite et son épaisse queue ronde pointe le ciel.
— Mais dites-moi que je rêve.
Je sais que ma beauté prête à confusion mais je ne suis pas un mirage. Je suis bien là.
— MENELAS !
Un hurlement franchit mon large sourire et je m’élance. Sautant sur la première dalle, je cours à toute vitesse sans la moindre crainte de tomber dans l’eau.
Les oreilles du félidé se plaquent sur sa tête et il fait mine de faire demi-tour. Trop tard. Je le soulève de terre et le presse contre moi, tournoyant. Ses griffes se plantent dans mes vêtements pour s’accrocher.
— Ménélas ! Je n’aurais jamais cru te revoir ! j’éclate de rire, quelques larmes perlant sur mes joues. Mon petit bébé !
Mon petit quoi ? Akenir, réagis ! N’est-ce pas un crime de lèse-majesté, selon vos lois ? s’exclame-t-il en posant ses pattes sur ma poitrine, tendant les pattes le plus possible pour mettre une distance entre lui et moi.
— Je savais bien que j’avais sentie l’odeur de Ménélas sur vous, déclare Akenir de sa voix d’outretombe.
Tu ne te laves toujours pas, alors ? grogne le matou. Je te signale que cela fait un an qu’on ne s’est pas vu.
— Mais… Je… Je te signale que je suis réveillée depuis peu et ma mission a été un peu chargée, quand même… Et puis si, j’ai même pris un bain, il y a quelques h… !
Un seul ? Par tout l’Olympe, écartez cette chose de ma personne sacrée.
Aucun doute, Ménélas est toujours Ménélas. Je suppose que lui dire que je me douche tous les jours aux cascades ne servira à rien. Le posant sur le sol, je me tourne vers Toji qui est debout.
Le temps d’un instant, il me semble qu’il sourit.
— Ma chère humaine, veuillez regagner la rive, je vous prie. Les humains n’ont pas le droit de se trouver sur ce chemin de dalles.
— Oui, bien sûr ! Navrée ! je m’exclame en parcourant le chemin inverse sur la pointe des pieds.
Une fois sur la rive, je me retourne. Ménélas ne m’a pas suivie et s’assoit sur l’une des dalles. Haussant un sourcil, je le regarde entreprendre de faire sa toilette.
Je secoue la tête, atterrée.
— Mais quelle diva.
Toji éclate de rire. Je me tourne vers lui et contemple quelques instants cette vision apaisante.
— Ménélas, ces humains sont devenus te demander si tu as ordonné l’offensive du char d’Apollon, il y a peu ?
Le matou cesse aussitôt de se lécher et relève la tête. De tous les endroits où je l’aurais cru être, jamais je n’aurais parié ici. Et je me demande bien comment il a bien pu se débrouiller pour finir héritier au trône d’une espèce qui n’est pas la sienne.
Le char d’Apollon ? J’ai peut-être mes privilèges avec les Dieux mais je n’irais jamais demander une telle chose à mes dragons. Je l’aime bien, mon Soleil, moi.
— Alors cela n’était effectivement qu’une illusion…, chuchote Toji, son visage s’assombrissant.
Pourtant, tandis qu’une ombre plane sur son visage, je distingue une lueur dans ses yeux. Emprunte d’adrénaline, comme si ses doutes se confirmaient.
Et bien, vous avez votre réponse ! Je ne veux pas vous mettre à la porte mais j’ai un poulet à fini…
— Ménélas, cela doit faire longtemps que tu n’as pas vu tes amis et ils ont fait une longue route, peut-être pourrions nous les inviter à diner ? Ton poulet peut attendre, surtout que je l’ai jeté, il ne me semblait pas frais.
Tu as fait quoi ?
— A vrai dire, ma compagne ne vous en a sans doute par parlé car j’ai préféré attendre d’avoir la réponse à cette question, commence Toji en relevant la tête. Mais j’aurais d’autres questions à vous poser. Elles nécessiteraient votre bibliothèque.
— Notre bibliothèque est proscrite aux humains, tonne aussitôt Akenir d’une voix sans appel.
— Nous avons réellement besoin de ces informations ! Il s’agit de l’équilibre de nos mondes !
— Bien des humains justifient leur pillage ainsi. Par le passé, nous avons fait l’erreur de vous ouvrir nos portes et cela a eu d’affreuses conséquences.
— Mais…
— Ce n’est pas négociable.
— Ecoutez…
Attendez, attendez, attendez, s’exclame Ménélas quand le ton monte. Parlons calmement, en créatures civilisées. Et commençons par le plus important.
Nous trois nous tournons vers le matou. Ce dernier regarde le dragon.
Où est le poulet ?
— Ménélas, soupire Akenir dans un long râle.
— Toji, pose les questions que tu as à Akenir et il saura peut-être y répondre sans que nous ayons besoin de nous rendre dans la bibliothèque, je tente doucement.
Le noiraud acquiesce aussitôt. Se tournant vers Akenir, il déclare doucement :
— Trop de choses étranges se produisent.
— Parlez-vous de votre animal de compagnie ?
Mes sourcils se haussent. L’animal de compagnie de Toji ? Celui qui tuait les sisnasas, lorsque nous nous sommes rencontrés ? Celui que j’ai cru être l’Ange de la Mort ?
— Comment… Comment savez-vous, pour lui ?
— Il est issu d’un métissage entre un dragon et une chauve-souris titanesque alors nous nous inquiétons de son sort. Il est l’un des nôtres, après tout.
— Que s’est-il passé ? je demande.
Toji pince les lèvres, hésitant. Puis, il se tourne vers moi.
— Je lui avais donné des instructions claires. Mais il ne les a pas suivis. Il s’en est pris à une personne qui n’est pas une sisnasas et a bien faillit le tuer. Hadès a ordonné son enfermement durant trois ans.
Je sais exactement de qui il parle. Il y a plus d’un an, j’ai soigné Elio Evilans. Il présentait les mêmes blessures que les sisnasas or, il n’en était pas un. Je n’ai jamais saisi pour quelle raison il avait été attaqué.
Je suppose que Toji non plus.
— Tu sais bien que jamais il n’aurait désobéi à tes ordres, soutient Akenir.
— Evidement, que je le sais ! cri presque le noiraud d’une voix qui me laisse entendre combien cette affaire lui a fait mal.
Je réprime l’envie d’entrelacer mes doigts aux siens. Je crois qu’il avait la même affection pour la créature que celle que je voue à Ménélas.
— J’ai été convaincu qu’il s’en était pris à lui pour une bonne raison… Mais Hadès a fait boire un sérum de vérité à Elio Evilans qui a assuré ne pas être un sisnasas. De toute façon, Lycus n’a jamais admis des hommes dans ses rangs.
Akenir ne répond pas tout de suite. Mais il finit par déclarer :
— Dis m’en plus, sur ces comportements étranges.
Il acquiesce.
— Il y a cette femme qui a tout sacrifié pour avoir un enfant mais chercher à la tuer maintenant et il y a…, sa voix meurt dans sa gorge et il finit par poursuivre, …Megumi, mon enfant, a torturé une femme. Il faut savoir qu’il est un orphelin des Terres Ancestrales.
Qu’est-ce que ça change ? demande Ménélas.
Akenir est celui qui répond :
— Les orphelins des Terres Ancestrales sont élevés par des religieux. Des personnes qui tiennent la vie en adoration, comme le veulent les coutumes ancestrales. Ils n’ont même pas le droit de tuer des moustiques.
— Il existe cette légende, sur le vieux sage qui avait un nid de frôlons dans son office. Malgré le danger, il a refusé de s’en débarrasser car cela pouvait tuer l’une des bêtes. Il en est mort, raconte Toji.
En effet, je comprends donc bien mieux son effarement à la vue d’Egarca. Si le meurtre n’est pas admis, la torture l’est encore moins.
— De plus, l’illusion de dragons dont je vous ai parlé m’a bernée, moi, un Ange. Elle ne peut pas avoir été créée par un humain.
Akenir acquiesce, depuis sa hauteur. Ses yeux ambrés se posent sur le lac infini et il semble réfléchir profondément aux paroles que vient de prononcer le noiraud.
Je ne vois qu’une seule explication.
— Je dois avouer que moi aussi. Plus jeune, j’ai lu tous les ouvrages de la bibliothèque. Je les ai dévoré et tous ces symptômes correspondent à quelque chose de très précis.
La possession.
Mes sourcils se froncent. Jamais je n’avais entendu parler d’une telle chose.
— Vous voulez dire que des entités malveillantes prendraient possession de ces personnes ?
La possession est plus compliquée que cela. Nous avons tendance à penser que quelqu’un de posséder se soustrait à lui-même, qu’une nouvelle entité parle et agis à sa place or, bien que cela soit possible, il existe des cas bien plus compliqués.
— Parfois, le mal qui possède quelqu’un fausse sa vision de la réalité. Cela peut expliquer que vous, humains, ayez cru à une attaque de dragons.
Cela explique aussi ce que j’ai vu, lors de la bataille où toi et Lycus êtes mortes. Te souviens-tu du moment de votre confrontation, dans la villa de Sullyvan ? Elle s’est disputée avec un être que personne ne voyait, comme si elle était en plein délire. Elle s’arrachait les cheveux.
J’acquiesce. Il est vrai que cette image diffère radicalement de celui de la froide cheffe de guerre que tous connaissent. A l’époque, j’avais été légèrement décontenancée.
— Donc vous pensez que quelqu’un possède les gens ? Qu’un Dieu s’en prend à eux ? Mais dans quel but ? Quand les Dieux veulent quelque chose, ils le disent clairement ! Ils passent des marchés ! s’exclame Toji que je sens très concerné, ses pensées sûrement empreintes de la vision de son enfant.
— Un Dieu ?
Je suis certaine que si Akenir possédait des sourcils, ceux-là se fronceraient. La créature tourne la tête en notre direction, nous jaugeant calmement.
Puis, il déclare :
— Ce sont les Anges qui pratiquent la possession, pas les Dieux.
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alors, ce petit retour
de ménélas ?
demain, vous aurez
une autre révélation
de taille !
j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
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