𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟕𝟓





















𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄   𝟕 𝟓







































           Les paroles de la femme ont été suivie d’un lourd silence. Nous regardant, nous refusons de dire le moindre mot. Les chevaliers continuent d’affuter leurs larmes, quelques œillades lancées à celle qui a attiré l’attention de tous en quelques mots seulement.

           Derrière le masque de bec de corbeau ornant mes traits, j’esquisse un sourire.

— La Prêtresse Nime, hein ? je répète.

— Elle-même.

           Son menton se lève en une posture impétueuse. Me jaugeant de bas en haut, elle laisse couler son regard hautain le long de mon corps.

— Et c…

— Rentrons. Les chevaux vont s’envoler, me coupe Toji. Nous ne devrions pas être à l’extérieur.

           Je me retourne et constate que quelques femmes habillées de masques squelettiques étirent quelque chose le long du bord du char. Il s’agit d’un balcon. Des barrières qui nous empêcheront de tomber.

           Au-delà du balcon, le fleuve écarlate du Styx ondoie, tranchant abruptement avec l’herbe illuminée et traversée de rocs, çà et là. Des papillons blancs virevoltent parmi les fleurs. Un minuscule courant d’eau coule même, non loin.

           Les bords du char sont dissimulés derrière des arbres ne donnant, non pas la sensation que nous sommes enfermés, mais sur un domaine large. Immense.

           Soudain, une large main se pose dans mon dos.

           Je sursaute avant de réaliser qu’il s’agit de Toji. Fixant le manoir, il me guide jusqu’à ce dernier, m’enjoignant à le suivre. Ils nous suivent bientôt.

— Allons-y sans perdre de temps. Que ce voyage se termine enfin.

           Sa paume est si chaude que je ne proteste pas. Me laissant guider, je marche silencieusement. Cependant, un regard à Toji me fait comprendre qu’il ne s’en va pas, en réalité, pour laisser le décollage se faire.

           Cette femme s’est présentée sous mon nom. Un nom qu’il maudit, qu’il exècre. Tandis qu’il marche, le regard droit, je lis presque dans sa tête les rouages de son cerveau marchant afin d’accéder au meilleur plan de vengeance.

           Quant à moi, je dois m’avouer assez intriguée.

— Suivons le duc ! rit l’imposture.

           Un regard par-dessus mon épaule et je jauge la chevelure rousse de la femme ainsi que les fleurs piquées dedans. A quoi bon prétendre être moi ? Qui gagne-t-elle ?

           Les marches de marbre se succèdent et nous nous engouffrons entre deux colonnes. Aussitôt, un très large escalier nous accueille, menant à des étages.

           Je ne peux m’empêcher de regarder sur les côtés, surprenant un large piano sur un tapis pourpre, jurant avec le restant de la salle blanche et dorée. Cependant Toji me pousse plus franchement vers les marches.

— Nous aurons tout le temps de visiter plus tard, croyez-moi.

— Le voyage sera si long ? je demande en lui emboîtant le pas.

           L’escalier se scinde en deux, filant à droite ainsi qu’à gauche. Il prend le premier chemin et ne me laisse pas m’arrêter pour admirer la vue qu’offre la large fenêtre, à l’endroit des jonctions.

— Quelques jours seulement. Cependant, il risque de ne pas être de tout repos.

— Vous croyez que ces personnes nous poseront problèmes ? je demande en coulant un regard vers les chevaliers, mages et érudits qui viennent à peine d’atteindre la porte.

           Mon regard s’attarde sur la rouquine. Décidément, je ne sais pas ce qui peut bien motiver son mensonge.

— Eux ? Non. Mais au cours de notre voyage, nous allons survoler des zones à risque. Différentes créatures risquent de nous attaquer.

— Des créatures ?

— Gnomes, trolls, lutins… Peut-être même dragons…

— Dragons !? je l’interromps brutalement.

           Le regard qu’il pose sur moi, s’arrêtant de marcher, me laisse savoir qu’il n’apprécie pas du tout qu’on lui coupe la parole.

           Parfait…

— Des dragons… Ils sont si rares ! Est-ce que vous sav…

— Le mieux serait qu’on ne les croise pas. Les espèces sont rares, comme vous dites, et les Dieux interdisent donc qu’on les touche. Si elles nous tombent dessus, nous n’auront qu’à nous laisser tuer une seconde fois.

           Je frissonne. Cela ne me plaît guère.

           Cependant, un léger sourire amusé étire mes lèvres en réalisant la pathétique vengeance dont a fait preuve Toji en me recoupant la parole. Je suis ravie que mon masque dissimule mon émotion.

           Je peux ainsi mieux me moquer de lui.

— Nous y sommes.

           Au sommet de l’escalier, une arcade ouvragée donne sur une large salle. Les étagères garnies de livres, canapés de cuir et parquet donne un aspect sombre au lieu tranchant abruptement avec le reste de la bâtisse.

           A vrai dire, cela me rappelle davantage le manoir du duc.

— Chacun a ses appartements. Si vous prenez les escaliers, vous atterrirez forcément ici. Vous n’avez aucun moyen de vous rendre dans la chambre d’autrui.

— Pourquoi cette magie ? je demande, devinant qu’il s’agit d’un sort.

— Par sécurité.

           Ses yeux smaragdins se posent sur moi tandis qu’il caresse la reliure des livres de la bibliothèque.

— Après tout, nous ne savons jamais réellement aux côtés de qui nous vivons.

           Son regard s’attarde sur moi. Juste assez pour me mettre mal à l’aise. Je saisis ma cape noire afin d’essuyer mes mains moites et il louche sur mon geste.

           Aussitôt, il émet un rictus. Visiblement ravi de m’avoir embarassée.

           Cette vision m’emplit d’une colère si brutale que je claque l’air de ma langue presque aussitôt, ne supportant pas qu’on — et surtout, lui — se joue de moi.

— Les rumeurs disent que vous avez connu la Prêtresse Nime ? Pourquoi ne pas l’avoir salué plus franchement ?

           Son corps massif se fige et ses yeux s’immobilisent, fixant un point sur le sol. Une ombre voile ses traits, sans pour autant m’intimider. Penchant la tête sur le côté, j’esquisse un sourire malin.

           Avec qui croyait-t-il jouer, au juste ?

           Il met de longs instants avant de me répondre. Silencieux, il ne pipe mot jusqu’à lever le nez. Là, son regard se pose sur moi.

           Et, à ma grande surprise, il me sourit.

— Si les rumeurs le disent, alors… Je suppose que c’est vrai. N’est-ce pas ?

           Les mains dans le dos, il avance d’un pas.

— Quelle femme érudite faites-vous ! Ne basant ses certitudes que sur des rumeurs…

           Un autre pas. Il progresse à la manière d’un félin guettant sa proie.

— Et faites-moi le plaisir de me dire ce que les rumeurs disent d’autre ?

           Il s’arrête devant moi, me surplombant de sa hauteur. Son aura crépitante plane sombrement. Je ne peux m’empêcher de déglutir péniblement, passablement intimidée.

           Cependant je ne veux le lui montrer et me contente de lever le menton, soutenant son regard derrière ce bec.

— Alors ? insiste-t-il. Ne voulez-vous pas poursuivre votre pensée ?

           Soit, je suis intimidée. Mais la façon qu’a sa cicatrice de se hausser en un rictus moqueur, ses yeux émeraudes se plissant et le dédain qu’il ne se cache pas de ressentir pour moi… Tout cela me pousse à remuer le couteau dans la plaie.

— Les rumeurs disent qu’elle vous menait par le bout du nez. Sans doute est-ce pour cette raison que vous avez si docilement baissé les yeux devant elle.

           Sa poitrine se secoue en un rire que je n’avais pas anticipé.

— Vraiment ? Cette femme semblait éblouissante, à vous entendre…

— A m’entendre ?

           Penchant la tête sur le côté, il esquisse un sourire soudain doux. Plus de moquerie, simplement une certaine tendresse.

           Cette vision me surprend. Je ne l’aurais jamais cru du genre tendre avec ses domestiques.

— Vous vous trompez, susurre-t-il.

           Ma poitrine se bloque. Sa main se lève et saisit un morceau du tissu noir pendant autour de ma tête, en capuche. Je frissonne, sentant ses doigts se faire si près du masque que je porte.

           Il en lorgne la frontière, comme s’il souhaitait l’ôter.

— La Prêtresse Nime n’était pas éblouissante. Ceci dit, la revoir tout à l’heure m’a fait quelque chose…

           Il esquisse un sourire carnassier.

— …Elle est bien plus belle que dans mes souvenirs.

           Sa main relâche le tissu de ma capuche et il tourne les talons. Courroucée, je le regarde s’éloigner dans la pièce, atteignant la bibliothèque.

           Comment cette ordure ose-t-elle ?

— Oh, et vous serez gentille de nettoyer ma chambre avant que je m’y installe, déclare-t-il sans même m’accorder le moindre regard.

           Ce dédain… Il me blesse bien plus que ce que je n’aurais jamais pu imaginer.

— Après tout, là est le travail des domestiques.

           Toujours concentré sur son livre, il tourne une page sans me prêter attention. Ma poitrine se gonfle de colère :

— Vous savez où vous pouvez vous le mettre, vot…

— Les domestiques ne répondent pas à leur maître.

           Sa voix est ferme.

           Il lève enfin la tête, me jaugeant. Toute trace de sourire a disparu :

— Tâchez de le retenir. Je m’en voudrais de devoir vous l’inculquer de force.


















j'espère que ce chapitre
vous aura plu !



































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