𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟖
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟓 𝟖
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Les hurlements fusent, dehors, pris dans la chaleur du soleil rouge. Les yeux écarquillés, les tympans vrillant, je ne sais quoi faire. Il me semble que mes jambes se sont plantées dans le sol, indéracinables.
Un spasme me prend.
Je dois y aller. Me battre. Les aider. Mais, armée seulement de ma haine, sans aucune capacité magique ni facilité avec les armes, à quoi puis-je bien servir ? Comment être sûre de les aider et non les ralentir ?
— Je n’ai rien de commun avec les Poissons ni les Sagittaires… Pourtant, je lis nettement les pensées traversant cette caboche trop pleine, susurre Lycus avec malice, penchant la tête sur le côté.
Un sourire insidieux étire ses lèvres tandis qu’elle rit doucement.
— N’essaye même pas, tonne-t-elle brutalement en tournant la tête.
Hector n’a pas le temps de se lever que ses deux jambes rompent sous son poids. Je hurle à cette vision, me jetant sur l’homme. Mais je n’ai le temps de faire le moindre pas.
Une lame se pose sous la base de mon crâne. Je m’arrête, regardant le Prêtre se tordant de douleur, au sol. A ma gauche, sans que je ne l’aie vue entrer, une femme a dégainé une épée dont elle vient de déposer le bout entre mes cervicales.
Un geste trop brusque et elle me transperce la nuque. Je reconnaitrais cette façon vicieuse de s’approcher par derrière entre mille.
Elle est une sisnasas.
— Hector…, je chuchote d’une voix étranglée.
— Ne bouge pas, sephtis… Ou je fais remonter la nécrose jusqu’au torse d’Hector.
Mon cœur se serre tandis que j’observe les jambes immobiles, sur le sol de l’homme. Les yeux de Lycus sont voilés d’une aura obscure tandis qu’elle exerce son pouvoir sur lui.
— Il a gardé ton secret durant des années…, je crache. Comment peux-tu…
— Il a gardé mon secret car nous avons pactisé. Et le pacte ne comprend aucune close disant que je ne peux pas gangréner son corps.
Avec terreur, je regarde la façon qu’a Lycus de sourire en observant Hector ramper dans la salle, tentant d’atteindre Meeva pour la protéger.
Même là, dans un tel état, son réflexe est de veiller sur elle.
Soupirant, l’ancienne Prêtresse marche jusqu’à lui. Sa mâchoire se serre quand, posant son pied sur le dos de l’homme, elle appuie brutalement dessus, le forçant à se rallonger. Lorsque son ventre frappe le sol, je fais un pas.
Mais la femme dans mon dos saisit aussitôt mon épaule, reposant la lame sur ma nuque.
— Attention, sephtis, gronde Lycus. Je ne peux peut-être pas te tuer mais mes sisnasas en sont capables et le feront volontiers, crois-moi.
Tournant la tête vers l’homme étendu, elle le jauge avec mépris.
— Et lui, je peux lui faire autant de mal que je veux.
— Où est Toji ?
Elle ne répond pas tout de suite, hésitante. Puis, tournant la tête vers moi, elle sourit, dévoilant ses canines pointues.
— Réellement ? Après l’avoir abandonné dans ces décombres ? L’avoir laissé perdre définitivement son âme ? Sachant que son état est maintenant irrécupérable ? Après tout cela ?
Penchant la tête sur le côté, elle me jauge.
— C’est maintenant que tu ne peux plus rien faire que tu me demandes où il se trouve ?
La lame se presse davantage à ma nuque, comme un avertissement.
— Il n’est pas simplement mort, ma chère. Il a perdu son âme. De façon irrémédiable. Même Psychopompe ne peut plus rien pour lui.
Un spasme me prend. Je secoue la tête.
— Une âme ne peut pas simplement disparaitre. Quelqu’un la prend, la garde. Mais elle ne peut pas disparaitre.
— Et pourtant…, rit-t-elle. N’as-tu pas perdu une vie, toi-même ? Effacée ? Ce n’est pas Léthée, la Déesse de l’Oubli, qui a jeté un sort sur le monde t’ayant connu. Les Moires ont simplement décidé de consumer le fil de la vie que tu avais avant.
Trois sœurs, les Moires, ont contrôle sur la vie des mortels. L’une tire le fil. L’autre le mesure. La dernière le coupe. Là où le fil s’arrête, la mort survient.
Selon les anciens, lorsque l’on boit de l’eau du Styx, les Moires mettent le feu à l’un des bouts du fil coupé, effaçant le début de notre vie. Là où la flamme s’éteint, nous reprenons le courant de notre existence.
Effacée en partie.
— Cesse donc tes bêtises, ma chère. Ton bien-aimé est perdu et, même lorsque je t’aurais envoyé aux Enfers, tu ne marcheras jamais assez longtemps pour le trouver.
Elle sourit. Méprisante.
— Il n’est plus. Tout simplement.
Hector se redresse soudain. Furieux, il appuie sur ses mains et chasse la botte de Lycus en remontant brutalement de plusieurs centimètres. La Prêtresse chancèle et bascule en arrière.
Trébuchant, elle tente de s’accrocher à un meuble. Mais ce dernier cède sous son poids et elle tombe à la renverse. Le Prêtre en profite pour ramper un peu plus.
— IMMONDE FILS DE PUTAIN ! hurle-t-elle.
Poussant rageusement le meuble, elle se relève. Dégainant une lame, elle bondit sur Hector et je fais de même, tentant de m’interposer.
Aussitôt, une souffrance lancinante transperce mon bras. Je me cambre brutalement, hurlant de douleur. Mes yeux s’écarquillent et, bientôt, je trouve la force de baisser les yeux vers la source de cette peine.
Dépassant de ma chair, un objet plat et métallique.
La sisnasas vient de me planter sa lame sous l’épaule, la transperçant.
Un hoquet me prend.
Mon regard se pose sur Hector. A plat ventre, il rampe. Au-dessus de lui, son regard vorace enflammé par la rage, Lycus plonge. Hurlant, sa lame brille à la lueur du soleil rouge.
Je veux bouger. Mais je n’y arrive pas. Pour une obscure raison, je ne peux plus rien faire. Mon cœur pulse trop fort.
Je suis impuissante.
Elle va le tuer.
Mais je suis impuissante.
— MEURS, HECTOR !
Mais quelle connasse, celle-là.
Cette voix retentit quand une masse bondit, fendant l’air. Je n’ai que le temps de voir cette tâche de couleur que Lycus hurle, basculant en arrière dans une giclée de sang.
Aussitôt, la lame plantée dans mon bras s’en retire, m’arrachant un spasme de douleur. Je tombe à genoux, incapable de bouger.
Du sang remplit ma bouche. J’écarquille les yeux.
— Em… Empoissonnée…
La lame était empoisonnée.
Immobile, mes muscles raidissent, j’observe Ménélas mordre jusqu’au sang la gorge de Lycus qui s’agite, se débattant de toutes ses forces.
Aussitôt, la sisnasas se précipite sur eux, épée à la main. Mon cœur se fige. Elle va s’attaquer à Ménélas. Elle va s’en prendre à lui. Et il ne peut pas bouger, prisonnier des bras de Lycus qui le retient contre elle.
— VITE ! TUES CE MAUDIT CHAT ! crache-t-elle malgré le sang affluant sur sa poitrine.
Un instant, je me dis qu’il n’est pas normal qu’elle parvienne à parler si librement avec une telle blessure. Mais cette pensée s’efface bien vite, laissant place à la panique. Lycus vient ordonner à sa sbire de tuer mon chat et il me semble bien qu’elle va réussir son coup.
Non.
Ménélas est mon meilleur ami. Mon protecteur. Mon bouclier. Ce que j’ai de plus cher maintenant. Le seul qui est resté à mes côtés face à l’adversité.
Non. Quelqu’un doit faire quelque chose.
Je tente de bouger. Mais je ne peux pas. La sisnasas saisit soudain le chat par la peau de la nuque, lui arrachant un feulement. A bout de bras, elle le soulève et le tient loin d’elle. De sa main libre, sa lame d’épée brille, imbibée de mon sang.
Ménélas frappe l’air de ses griffes. Sans succès.
De la capuche rouge de la sisnasas résonne un rire narquois. Mesquin. Presque brutal. Froid. Glacé.
Elle va le tuer.
Une dense chaleur s’amasse en moi, ne dissipant pas un instant les effets du poison. Réduite à regarder mon meilleur ami se faire tuer, je ne parviens même plus à ouvrir la bouche pour hurler.
Mais je dois agir. Quelqu’un doit agir. Je ne peux pas regarder ça.
Je vous en supplie.
La terreur grimpe en moi, mêlée d’un soupçon de rage qui ne demande qu’à éclore. Sous les pieds de mon âme, le sol menace de s’effondrer. Les murs tremblent et s’écrouleront bientôt, m’ensevelissant sous les décombres.
Soudain, en moi, une voix retentit.
« Tout va bien, ma douce. Je suis là. »
Toji ?
Je n’ai pas le temps de me demander si je viens bien d’entendre la voix de mon amant. Soudain, un hurlement retentit. La sisnasas se tend brutalement, ses doigts s’écartant en laissant tomber ce qu’elle tient.
Ménélas chute dans un miaulement, s’écartant brutalement.
Enfin, je réalise pourquoi la sisnasas vient de crier.
De la lumière émane de son corps. Chaude, orangée, elle s’élève en brûlant. Les flammes grimpent, léchant sa chaire. Elles traversent sa cape rouge, la brûlant de l’intérieur.
Je rêve où elle brûle toute seule ?
Non. Ménélas ne rêve pas. Il s’agit d’un cas de combustion instantané que je n’ai vu qu’une seule fois auparavant. Sur l’île Lycus, lorsqu’elle a organisé son massacre.
Je venais de prendre refuge sur une colline et m’était effondrée dans les bras de mon sauveur, épuisée. Et ce dernier, d’un simple regard, avait enflammé les morts-vivants qui me poursuivaient.
Mon estomac se noue tandis qu’elle hurle, courant dans la pièce et se jetant sur le sol, tentant d’éteindre le feu.
— Putain, je sais pas qui lui a lancé ce sort, lâche Hector, mais c’est un sacré pouvoir.
Je tremble.
Oui, c’est un pouvoir puissant.
Mais il s’agit surtout du pouvoir de Toji.
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j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
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