𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟔
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟒 𝟔
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IL EST LA.
Des cristaux d’émeraudes se confondant en paysage mirifique autour de l’obsidienne d’une pupille. Ronde, s’élargissant au gré des secondes s’écoulant, elle écrase un peu plus les éclatantes lueurs smaragdines dans leur anneau. Puis, la sclère de givre demeure inchangée. Un lac blanc, si froid qu’on y devinerait aucune émotion.
Pourtant, elles sont bien là. Enfouie dans les terres reculées de ses yeux.
— Monsieur le duc ? je chuchote.
Il me semble que ma propre voix m’apparait comme un écho, lointain. Les contours de son corps se floutent et je n’arrive à correctement le distinguer. Mon cœur siffle tandis que ma tête se fait lourde.
Je n’arrive toujours pas à bouger. Pourtant, il me semble que je tangue. Mes paupières se ferment mais le vacillement de la terre persiste, comme si celle-ci n’était plus qu’eau.
— Chut…
Une voix douce souffle au-dessus de moi quand une main caresse doucement ma joue. Un instant, ce contact m’apaise.
Le monde cesse de vaciller. Mes pensées se confortent et je souris presque.
— Je peux sentir la colère qui consume ton âme à ma simple pensée, chuchote soudain une voix contre moi.
Ses cheveux caressent ma joue. Son torse frôle le mien et je ne peux pas bouger. Sa chaleur m’embrase et je ne peux ignorer le fait que je me sens immensément bien, là.
— Mais saches que n’importe quand, que le soleil brûle ou que la lune gèle, que Zeus fasse pleuvoir la foudre ou que Poséidon fasse trembler les océans, même si Hadès lui-même ouvre les Enfers… Je viendrais.
Son souffle est brûlant contre ma joue. Je n’ouvre pas les yeux ni ne tente quoi que ce soit. Je le hais.
Cependant, je suis effrayée à l’idée qu’au moindre mouvement, il disparaisse.
— Saches-le. Si tu as besoin de moi, je suis là.
Ses doigts caressent doucement mes tempes.
— Les sephtis ont toujours chanté cette complainte avant de mourir et ma mission est que cela ne se reproduise pas. Alors, je t’en supplie…
Ses caresses sont infiniment tendres et brûlantes. Je n’arrive pas à lutter contre le bien-être m’envahissant.
— Ne chante jamais autre chose que mon nom.
Un instant, je songe que je n’ai pas besoin d’un sauveur. Et il l’entend peut-être car il murmure soudain ;
— Je ne suis pas ton sauveur.
Deux lèvres se pressent à mon front. Puis, contre lui, elles murmurent :
— Je suis ton soldat.
Mes yeux s’ouvrent.
Aussitôt, le soleil m’aveugle. Mes paupières se referment et je tourne violemment la tête, me redressant dans le sable chaud.
Il n’est pas là. Mes yeux s’habituent à la luminosité et ma gorge se serre. J’ai vraiment cru qu’il était venu. Mon cœur se fait lourd.
Cela avait l’air tellement réel.
— Vous n’avez rien imaginé.
Je sursaute en hurlant.
Me retournant, je croise deux yeux bruns sous d’épais sourcils broussailleux. Ceux-là appartiennent à un visage planté sur un corps d’oiseau.
Un autre hurlement me prend. Je me lève.
— A L’AIDE ! je hurle en courant.
— Vous êtes d’un ridicule…
— PAR TOUS LES DIEUX, SI J’AI VRAIMENT LA FAVEUR D’HADES, A L’AIDE !
— Vous vous fatiguez bêtement…
— BETEMENT ? VOUS AVEZ ESSAYE DE ME BOUFFER LES YEUX !
— Ça valait vraiment le coup de leur faire un grand discours sur votre grandeur si c’est pour fuir comme eux… Enfin, de façon encore plus ridicule…, lâche-t-elle en me jaugeant d’un froncement de nez.
Je continue de reculer, le cœur battant à toute vitesse. Peut-être le soleil avait-t-il frappé trop violemment ma tête, mais je ne ressentais aucune peur, il y a quelques secondes. J’avais effectivement accepté mon sort.
Et à présent, je réalise à quel point cette décision était inconsidérée.
— Restez où vous êtes ! je m’exclame.
— Je n’ai même pas avancé d’un iota.
Je frissonne, réalisant qu’elle a raison.
La vision que j’ai vue, de son visage déformé par la haine, était absolument terrifiante. Je ne sais pourquoi je ne l’ai pas réalisé tout à l’heure, demeurant détendue alors que la mort me guettait.
Cependant, je dois avouer qu’à présent, elle ne semble pas particulièrement agressive.
Simplement ennuyée par ma simple existence.
— Je… Pourquoi vous ne m’attaquez pas ? je chuchote. Je croyais que vous étiez là pour ça.
— Si tu y tiens, nous pouvons toujours le faire.
— Non ! je tonne en secouant la tête.
Un sourire doucereux étire ses lèvres et elle lève les têtes. Dans les airs, ses sœurs continuent de tournoyer.
— Nous tournoyions en attendant que les mégères s’en aillent. Nous savions qu’il suffisait de notre présence pour qu’elles fassent dans leur culotte et partent… Comme quoi… Elles ne sont pas si puissantes que ça.
Je déglutis péniblement. Je ne comprends rien…
Dans les légendes, je n’ai jamais entendu à propos des Harpies que d’horribles choses. Elles planent au-dessus de leur victime tel un mauvais présage avant de les dévorer vivantes, ne laissant rien derrière elles à l’exception de leurs excréments.
Elles ne sont censées exister que pour infecter le monde, le profaner. Elles ne sont pas justice mais vengeance.
Elles punissent de la façon la plus vile qui soit. Virgile l’avait décrit.
« Leurs traits sont d'une vierge ; un instinct dévorant
De leur rapace essaim conduit le vol errant ;
Une horrible maigreur creuse leurs flancs avides,
Qui, toujours s'emplissant, demeurant toujours vides,
Surchargés d'aliments, sans en être nourris,
En un fluide infect en rendent les débris,
Et de l'écoulement de cette lie impure
Empoisonnent les airs, et souillent la verdure. »
Alors je suis surprise d’être en vie. Mais aussi que Podarge discute si librement avec moi.
— Je vois que tu es effrayée…, analyse-t-elle de ses yeux plissés, son corps toujours planté dans le sable. Tu as raison de l’être.
On leur attribue divers méfaits. Certains disent qu’elles terrorisent même les Dieux, ayant enlevées les filles de Pandare élevées par des Déesses afin de les réduire à l’état d’esclaves. Elles sont censées occuper un point précis du Tartare.
Je ne comprends ni leur présence, ni le fait que l’une d’entre elles ne me dévore pas, au lieu de discuter.
— Nous sommes la vengeance divine et la dévastation, mais nous sommes aussi dotées d’intelligence. Contrairement aux récits faits de nous, nous ne dévorons pas tout sur notre passage et ne vivons pas pour se repaitre de chair.
— Alors pourquoi êtes-vous ici ?
— Pour te parler.
Je frissonne. Elle sourit, me voyant faire.
— Contrairement à ce que pensent les Pages, les Dieux ne réagissent pas dès qu’ils les invoquent de leurs sceptres. Aphrodite ne l’a pas mené ici parce qu’il exigeait de son bout d’émeraude savoir où se trouvait l’amour de Sullyvan. Elle l’a puni.
Déclarant cela, elle désigne un point du menton. Me retournant, je découvre le corps étendu de Hank. Encore inconscient.
— Elle l’a en réalité puni. Ainsi que les autres Pages. Nous sommes sur le point du Désert des Evilans le plus reculé de toute forme de civilisation. Il est impossible de regagner un village tout seul, à partir d’ici.
Je déglutis péniblement.
— Beaucoup de Pages oublient qu’ils sont les messagers des Dieux et que ce ne sont pas eux que les Humains doivent vénérer, mais les Dieux.
— J’avais la sensation qu’Hank était plutôt conscient de cela…
— L’Impératrice vaut plus que les Pages et c’est l’Olympe qui le dit. En refusant de suivre son ordre et te considérer comme cheffe, en décidant de ne pas te consulter avant de laisser tes chats de côté, il a bafoué l’ordre d’Egarca par orgueil.
— Et l’orgueil est la plaie des gens de pouvoir…
La Harpie acquiesce.
— Il se réveillera d’ici quelques heures avec un mal de crâne et sera obligé de rentrer au palais, bredouille, parce qu’il lui faudra à tout prix un point d’eau. Ce n’est qu’une minuscule punition, à la hauteur de sa faute. Il ne s’est pas prétendu Dieu…
— Mais a agi comme s’il valait mieux que leurs lois, je comprends.
Aussitôt, mon cœur se serre.
— Mais cela signifie que je suis complètement perdue ?
— Non, car nous sommes justement venues te prêter main forte.
Mes sourcils se froncent brutalement.
Podarge semble deviner ce que je pense car, fixant ses sœurs quelques instants, elle pousse un soupir.
— Moi aussi, je suis surprise… Mais il semble bien que pour la première fois de notre existence, nous n’allons pas châtier un humain mais l’aider.
Mes sourcils se froncent, je ne comprends plus rien.
— Mais cela n’a aucun sens…
Elle hausse ses épaules, laissant ses ailes suivre son geste.
— Disons qu’une personne très particulière nous a demandé de te protéger… Et que nous avons aussi intérêt à ce que tu retrouves Sullyvan.
Je décide sciemment de laisser de côté le début de sa réponse, me concentrant sur la fin de sa phrase.
— Depuis quand vous intéressez-vous aux Pages Ancestraux ? je demande, surprise.
— Ce n’est pas à eux que nous nous intéressons mais aux morts. Après tout, nous habitons normalement le Tartare.
— Et ? je tente de comprendre.
Elle laisse filer un profond soupire.
— J’apprécie assez Sullyvan pour espérer qu’il ne finisse pas au Tartare. Seulement, si quelqu’un ne le retient pas à temps, c’est exactement là qu’il trouvera sa fin.
Je tremble à ses mots.
— Mais… Que suis-je censée l’empêcher de faire, au juste ?
Podarge me fixe quelques instants, comme si elle songeait au fait qu’une humaine n’est pas assez puissante pour endiguer telle calamité. Puis, secouant la tête avec résignation, elle déclare :
— Sullyvan souhaite commettre un génocide.
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j'espère que ce chapitre
vous a plu ! je voulais
vous remercier de lire
encore cette fanfiction !
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