𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟓
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 2 5
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JE N’AI PAS desserré la mâchoire depuis que j’ai appris par quel subterfuge le duc comptait nous faire entrer tous les deux au palais impérial. Devant, assise solennellement sur la banquette, Mélania me regarde.
A ses côtés, Ménélas dort à poings fermés. Citrouille en a profité pour se lover sur lui. Tous deux ronflent de façon synchroniser.
— Si vous ne venez pas au bal, pourquoi avez-vous cette tenue ? je demande.
— Je viens au bal. Mais pas en tant qu’invité du duc. Egarca ne m’invite que parce que je suis l’enfant de Prométhée. Les autres demi-dieux seront aussi là.
Elle serre la mâchoire en évoquant cela. Je me doute que cela ne l’enchante que très peu. Prométhée n’est pas encensé parmi les dieux, ni parmi les Hommes d’ailleurs.
Soit, les verseaux le vénèrent car il est leur divinité. Mais cela ne va pas plus loin.
— Le duc a bien fait de m’assigner à votre voiture, je grommelle. Je ne sais si j’aurais supporté le voyage en sa compagnie.
— Si cela peut vous contenter, je vous assure que la vengeance que vous avez préparé le fera sortir de ses gongs, s’enquit Mélania.
Mes sourcils se froncent en une moue surprise. Elle rit doucement.
— Allons… Inutile de prétendre l’ignorer. Vous avez choisi cette robe intentionnellement. Et vous ferez mouche, je vous le garantis.
Un sourire amusé étire ses lèvres.
— Il sera humilié.
Je ne réponds pas, la jaugeant. Mes yeux se plissent quelques instants et, comme une claque, la stupeur s’abat sur moi. Je défronce brutalement le pli entre mes sourcils, réalisant.
— Vous n’êtes pas son amie… Vous êtes sa gardienne.
— Plaît-t-il ? demande-t-elle.
— Et bien, j’étais désarçonnée de vous voir rire de votre chef ou encore de vous moquer de la couturière qui le tient en haute estime. De même, il me semblait étrange qu’elle vous porte si peu de respect puisque, vous l’avez dit vous-mêmes, vous êtes plus haute qu’elle dans la hiérarchie.
Elle ne répond pas, une lueur allumant son regard. Je devine que j’ai vu juste.
— La seule raison pour laquelle cette femme qui cire les pompes du duc, au propre comme au figuré, ne vous tient pas en haute estime est que lui non plus, ne vous respecte pas, je réalise.
A tort, j’ai pensé que pour lui léguer tant de pouvoir, cette femme devait être une amie chère à son cœur. Or il se trouve qu’elle est simplement… Une punition.
— Vous le surveillez. Sa punition l’empêche d’acheter certaines terres et il se doit de protéger les sephtis coûte que coûte mais, en plus, il est sous votre surveillance…
Elle ne répond pas. Cela, plus que n’importe quel hochement de tête, suffit à me faire comprendre que j’ai raison.
J’éclate de rire.
— Vous m’êtes tout de suite beaucoup plus sympathique ! je m’exclame. Je ne comprenais pas qu’une femme de votre stature se coltine une telle brute !
— Toji n’est pas une brute.
Je hausse un sourcil. Ma soudaine joie fond telle neige au soleil.
— Pourtant, vous ne sembliez pas l’apprécier…
— J’aime qu’on lui enseigne une leçon, surtout lorsqu’il oublie les torts qu’il a… Je vous soutiens lorsque vous lui demandez d’avoir honte. Et je comprends votre envie de l’humilier lorsqu’il s’imagine que quelques sous rachèteront ce qu’il a fait. Mais il n’est pas une brute.
Un rire mauvais franchit mes lèvres.
— Sacrifier un peuple afin de s’enterrer plus aisément entre les jambes d’une femme ? Il n’y a rien de brutal là-dedans ? Il nous a sacrifié pour quelques instincts bestiaux que sa main aurait pu satisfaire.
Je me renfrogne, fusillant le paysage défilant du regard.
— Lycus n’a jamais été l’amante de Toji. Je vous croyais assez intelligente pour ne pas tout écouter de sordides rumeurs. Le fait qu’il ait été puni par l’impératrice montre qu’il est réellement allé chercher Lycus mais rien n’a jamais révélé qu’il l’a fait par amour.
— Je crois mes sources, je grommelle.
Un sourire énigmatique étire les lèvres de Mélania.
— Et bien, vous qui êtes de nature méfiante et solitaire… Je serais bien curieuse de savoir quelle langue affutée a pu si résolument vous induire en erreur.
Je ne réponds pas, luttant contre l’envie de jeter un regard au chat endormi. Elle n’insiste pas.
— Quoi qu’il en soit, j’espère que vous me croirez avec autant de fermeté. Il n’y a jamais rien eu d’amoureux ou même amical entre eux. Je crois qu’il la hait autant que vous… Si ce n’est plus.
Un rire franchit mes lèvres. Mauvais.
— Voilà une bien drôle de façon de le montrer. Aller la chercher, là-bas… Qu’il devait être heureux, lorsque Hadès a accepté. Oh… Ils devaient se marrer, eux deux !
Ma gorge se serre. Durant des années, j’ai prié et honoré les dieux. Jamais je n’aurais imaginé que l’un d’entre eux aurait été capable d’autoriser pareille chose…
Je dois lutter contre l’envie d’éclater en sanglots. J’ai l’impression de ne faire que cela, ces derniers temps. Mais les souvenirs sont trop douloureux. Je ne parviens pas à surmonter leur brûlure.
— Heureux ne serait pas le mot que je choisirais, non…
— Y étais-tu ? je gronde.
Elle me regarde, légèrement désarçonnée. Je me penche en avant, montrant presque les dents lorsque j’insiste :
— Y étais-tu seulement, pour oser dire pareille chose ?
Elle ne répond pas. Mes poings se serrent.
— Dis-moi quelle grande excuse vas-tu brandir pour justifier les actes de ton maitre ? Hein ? je demande en penchant la tête sur le côté. Toi qui es censée le surveiller, comment comptes-tu t’expliquer ? Ne savait-t-il pas ce qui allait se produire ? N’en avait-t-il pas conscience ?
Elle ne répond pas.
— N’en avait-t-il pas conscience ? je répète à plus basse voix.
— Si.
Je me redresse, satisfaite de cette réponse. Mais je ne puis digérer le goût amer qu’elle laisse sur ma langue. Mes mains tremblent presque.
Je continue à regarder le paysage, pensant cette discussion close. Cependant Mélania lance, dans le silence du véhicule :
— Je n’excuserais pas son geste. Mais je le comprends.
Je me tourne vers elle, les yeux écarquillés. Elle affronte mon regard. La gorge sèche, je la fixe, stupéfaite. Je ne prête même pas attention au carrosse qui s’arrête ni au cocher hurlant que si nous avons de petits besoins à satisfaire, nous devrions nous en occuper maintenant.
— Que dites-vous ? je crache.
— Je dis que je n’en dirais pas plus car cela ne me regarde pas. Mais je ne tolère pas que vous traitiez Toji en brute, même si je comprends votre peine.
Ma main se referme brutalement sur la poignée de la portière.
— Par respect pour votre père, je ne vous cracherais pas dessus. Mais sachez bien que je vous emmerde, Mélania.
Je sors d’un pas furieux. L’air frais de la nuit tombant presse mon corps. Malgré ma cape de druide, je ne parviens à retenir mes dents claquant l’une contre l’autre. Qu’importe, marcher me fera du bien.
Je commence à m’enfoncer dans la forêt devant laquelle nous nous sommes arrêtés. Je n’ai même pas besoin d’uriner, seulement de me tenir loin de cette maudite femme.
Soudain, un manteau épais est posé sur mes épaules. La chaleur soudaine m’apaise et mes muscles se détendent. Mais je me crispe en identifiant le propriétaire de l’odeur musquée émanant du vêtement.
— Avant de protester, je ne récupérerais pas ce manteau, tonne Fushiguro, juste à côté de moi. Hors de question que j’arrive au bras d’une femme dont le nez coule à cause de ses caprices.
Mes dents se serrent. Mais je prends sur moi et ne laisse rien voir.
— Je veux faire le reste du trajet avec vous.
Bien que je ne le regarde pas, je peux sentir son regard surpris braqué sur moi.
— Allons bon. J’avais pourtant la sensation d’être le pire goujat que cette terre ait porté.
— Vous l’êtes. Mais je préfère encore la compagnie d’un génocidaire qui admets ses torts d’une mine sombre que celle de sa cireuse de pompe attirée qui justifie ses actes, je crache. Le trajet se déroulera en silence, je ne vous parlerais pas et j’ose espérer que vous ferez de même.
Là-dessus, je commence à marcher pour m’éloigner. Après ces heures de trajet, me dégourdir les jambes me fait du bien.
Seulement sa voix résonne, dans mon dos, m’interpellant :
— Ne lui en voulez pas. Elle vous aime bien. Je sais qu’elle n’a pas voulu vous blesser.
— Je ne prends pas d’ordre de vous, je réponds. Je lui en veux si je le souhaite.
Je continue à marcher mais l’entends me suivre. Je lève les yeux au ciel en réalisant qu’il ne me laissera jamais tranquille.
— Je vous en prie, insiste-t-il.
— Quoi ? Vous me priez de quoi ? je tonne en me retournant brutalement. De comprendre l’excellente raison qui vous a poussé à aller chercher cette femme aux Enfers en sachant ce qu’elle ferait aux miens ? Car ce n’était même pas par amour, d’après ce que j’ai compris !
Je ris d’un air mauvais, amère de cette conversation et de toutes les autres. Je reprends ma marche. Il me regarde faire quelques instants avant de lancer :
— C’était votre clan ou le mien.
Je cesse de marcher brutalement. Mon corps s’immobilise. Je ne me retourne pas.
Mais, comprenant qu’il a mon attention, il poursuit :
— Rien n’excusera jamais le choix que j’ai fait, cette nuit-là. Alors je voulais bien que vous me haïssiez. Je ne vous ai rien dit pour que vous ne vous sentiez pas embarrassée par votre colère. Il me semblait même qu’il s’agissait de la première punition véritable que j’endurais depuis dix ans… Je n’avais jamais réellement payé pour mes actes.
Ma gorge se serre.
— Rester avec vous m’obligeait à affronter votre regard. Et j’ai vu dans vos yeux ce que j’avais fait, là-bas, lorsque j’étais descendu.
Je n’ose même pas me retourner. Mon souffle se coupe.
— Les sisnasas avaient un plan bien rôdé. Si leur grande cheffe se faisait attraper, il leur fallait trouver quelqu’un qui avait la faveur d’Hadès et qui pourrait descendre chercher cette femme, la ramener. Car elles savaient qu’elle se ferait exécuter un jour ou l’autre alors il leur fallait un plan.
J’entends presque les sanglots dans sa voix. Il tente de le maitriser mais elle se serre violemment. Il toussote, tentant de l’éclaircir.
— Je n’étais pas duc, à l’époque. Simplement membre d’un clan. Le clan Zenin. Ils étaient un peu moins nombreux que les sephtis mais occupaient beaucoup de terres. La Terre des Anciens.
Je connais cet endroit. Je ne m’y suis jamais réellement penchée mais je sais effectivement qu’il s’agit d’un lieu où différentes familles amassées en tribu vivent depuis des siècles.
Mon sang se fige.
Ils y vivent, ils y naissent et, surtout, ils y meurent. Là-bas sont enterrées leurs défunts. A proximité d’eux.
— J’avais la faveur d’Hadès. Alors elles m’ont demandé d’y descendre. Je n’étais qu’un jeune soldat, à l’époque. Tout ce qui m’importait était de nourrir mon gamin et de le protéger.
Mes mains tremblent. Je n’aime pas la tournure que prend cette histoire. Je ne pourrais décemment pas continuer à le haïr s’il…
— J’ai refusé la demande des sisnasas. Je leur ai dit d’aller se faire foutre. Lorsqu’elles ont insisté, j’en suis même venu aux mains avec l’une d’entre elles.
Mes épaules tremblent.
— Le lendemain, nous nous sommes réveillés au son du cor. On sonnait un rassemblement des chefs de tribus. L’heure était grave. Les populations du nord du continent avaient été décimées. Leurs propres défunts étaient sortis de terre pour les tuer. Il s’agissait de l’œuvre de nécromanciens, de cancers, de…
Il s’interrompt brièvement avant de lâcher dans un souffle :
— …de sisnasas.
Mes paupières se ferment tandis que la naissance de mes sourcils se haussent. Mon menton tremble.
— J’ai refusé à nouveau. Quatre autres familles ont été décimées. Les sisnasas m’ont fait savoir que la prochaine serait la mienne. Que mon fils… Mon fils…
A nouveau, il se tait durant quelques instants.
— Alors j’ai accepté de perdre mon humanité. J’ai fait ce que j’avais à faire. J’ai supplié Hadès qui a refusé. Je me suis engagé à certaines choses et, il a dû avoir pitié de moi…
Mon cœur se serre.
— Aujourd’hui, je suis banni de mes propres terres. Je n’ai pas pu y retourner car jamais ils n’auraient accepté un tueur de masse parmi les leurs. Je n’ai pas vu mon fils depuis dix ans…
J’ouvre les paupières, regardant à nouveau les arbres plongés dans la pénombre.
— Jamais je ne pourrais me racheter pour ce que je vous ai fait, à vous et votre peuple.
Je me retourne enfin. Avec stupeur, je réalise que des larmes coulent le long du visage du duc. Ses traits demeurent indéchiffrables et ses yeux bloquent toutes émotions seulement des perles salées brillent sur ses joues.
Il me regarde.
— Mais c’était votre clan ou le mien.
J’acquiesce, ne parvenant à dire quoi que ce soit. Ma gorge est trop enflée et mon cœur bat la chamade. Alors je me contente de marcher jusqu’à sa personne.
Me plantant devant lui, je le regarde quelques instants. Il soutient ce contact visuel, inerte.
Sortant un tissu de ma poche, j’essuie ses joues humides avec douceur. Il sursaute très légèrement, de façon à peine perceptible, à ce contact.
Puis, dans le silence de la nuit, nous tournons les talons et regagnons le carrosse.
Sans un mot.
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voici le vingt-cinquième chapitre
de cette fanfiction !
j'espère que ce double-update
vous aura plu ! surtout les
révélations sur toji !
merci énormément d'être encore
là !
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