𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟒
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 2 4
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LES LEVRES PINCEES et le menton levé, j’observe avec un certain mépris le visage du duc devant moi. Ce dernier, affalé sur son siège aux accoudoirs sculptés, a planté son coude dans l’un d’eux et laisse sa tête reposer sur sa main.
Il regarde la scène que je lui offre d’un air tout à fait ennuyé.
— Non. Toujours pas. Décidément, rien ne vous va, soupire-t-il.
Ma mâchoire se contracte tandis que les trois femmes autour de moi s’empressent de s’excuser en courbant l’échine. Avec force, elles défont les corsets d’or qui cintrait ma robe ivoire. Puis, elles montrent les autres toilettes étalées sur le lit.
Il les jauge d’un air absent avant d’acquiescer. Elles s’empressent de saisir un tissu rouge sang qu’elles approchent de mon visage afin de montrer au duc comment ce dernier ressortira avec cette couleur.
Il fait signe de la main de continuer.
A nouveau, elles enfilent autour du fin tissue de la robe blanche me servant de sous-vêtement d’autres habits. Avec soin, elles les disposent autour de moi, étudiant la façon dont elles devraient placer chaque épingle pour un meilleur rendu.
Cela doit faire trois heures que je suis dans la chambre d'hôtel du duc. Il m'a faite venir afin de trouver une élégante toilettes à me mettre. Après tout, il ne peut pas se présenter aux côtés d’une femme vêtue comme une druide au bal.
Lorsque je suis arrivée, la pièce était vide. Deux femmes m’ont montrée une baignoire remplie à ras d’une eau légèrement rosée où flottaient des pétales de fleurs. J’ai froncé les sourcils, leur demandant quel genre de remède était ceci. Elles m’ont informée qu’elles avaient ordre de me préparer comme les princesses du palais impérial.
Après une baignade plutôt longue, elles ont entrepris de frictionner ma peau à l’aide d’une brosse qui avait été enduite d’un mélange d’huiles onéreuses et d’eau cristallisée afin de créer le savon le plus inutilement cher qui soit.
Puis, me sortant, elles m’ont balancée de l’eau froide dans laquelle quelques glaçons avaient été abandonnés afin de raffermir ma peau. Grelottante, je me suis séchée. Lorsqu’elles ont souhaité huiler elles-mêmes ma peau, je leur ai demandé d’aller voir ailleurs si j’y étais. A grand renfort de protestation, j’ai obtenu qu’elles me laissent appliquer ces produits toute seule.
Après une dizaine de minute, un enchainement de diverses concoctions sur ma peau et mon visage, je les ai rappelée. Là, elles m’ont tendue une robe servant de sous-vêtement avant d’appeler le duc.
Je suis montée sur un petit tabouret à la manière d’un caniche de compétition que l’on présente lors d’évènements. Il s’est assis sur sa chaise. Elles ont commencé à m’habiller sous son regard agacé.
A chaque tenue, il a refusé le résultat, assurant que je devais en enfiler une autre. Aucune ne semble trouver grâce à ses yeux. Je suppose que, même parée de la plus sublime étoffe, il ne pourra jamais me trouver belle.
Est-ce que cela m’intéresse ? Non.
— Et celle-ci, monseigneur ?
Il lève les yeux au ciel sans prendre la peine de répondre. Aussitôt, elles se dirigent vers un autre tissu.
Je déteste cette position. Debout sur ce tabouret, exposée tandis qu’il siège sur son trône, j’ai la sensation de n’être qu’une bête de foire, une charmeuse, une marchande de désirs dévoilée à ses yeux assoiffés.
— Il suffit.
Elles se figent en entendant ma voix ferme. Visiblement, elles ne sont pas habituées à entendre quelqu’un hausser le ton en présence de leur maitre. Echangeant un regard apeuré, elles semblent attendre la suite, légèrement intéressées.
Les yeux smaragdins du duc ne me quittent pas. Sa tête demeure plantée dans sa main, un air désintéressé habillant ses traits. Mais un éclat allume soudain son regard.
Un léger rictus hausse le coin de ses lèvres.
— Laissez-nous.
Sans perdre un instant, elles tournent les talons. Je ne m’en préoccupe guère, continuant d’observer le duc avec agressivité. Il ne me sert plus à rien de jouer les douces druides — si un jour j’ai même pu lui faire croire que je l’étais.
La dernière fois que je l’ai vu, je l’ai menacé de mort. Il aime prétendre que cela ne s’est pas produit. Seulement nous nous en souvenons tous les deux et savons que l’autre s’en souvient aussi.
La porte se ferme. Nous sommes seuls.
Là, il se lève. Je le fixe avec hargne tandis qu’il quitte son trône de bois, marchant jusqu’à moi. Il ne lui faut que quelques pas pour se planter devant moi. Le tabouret est si haut qu’il doit lever les yeux pour me regarder.
Cela a quelque chose de jouissif.
— Détestez-moi autant que vous le souhaitez, ma chère, mais vous irez à ce bal avec moi. Et vous le ferez dans la tenue que j’aurais choisi.
Regardant ma tenue, il détaille le tissu drapé sur mon épaule. Doucement, il lève la main, comme pour le toucher. Je m’apprête à frapper sa paume quand il l’immobilise dans les airs, à quelques centimètres seulement de moi.
— Face à moi, vous pouvez faire ce que vous voulez. M’insulter, me cracher dessus, me lâcher des noms d’oiseaux ou b…
Sa voix meurt dans sa gorge et ses paupières se ferment brutalement. Sur sa joue, une matière visqueuse et blanchâtre coule. Sa mâchoire se contracte et une ombre voile ses yeux.
Je sens bien qu’il lutte contre la colère l’envahissant.
— Et bien quoi ? Vous venez de dire que je pouvais vous cracher dessus ? Ce n’est pas vrai ? C’était un mensonge ? Comme lorsque vous prétendiez vouloir le bien des seph…
Il ne me laisse pas finir ma phrase, m’attrapant par la gorge et me poussant du tabouret. Mon cœur remonte dans ma trachée en me sentant chuter mais il m’empêche d’atterrir sur le sol en me plaquant férocement contre le mur.
Mes omoplates vrillent sous la douleur. Sa main se referme sur la manche de ma robe qu’il arrache. Puis, essuyant le crachas sur sa joue avec, il le jette au sol avec colère.
Je me sens ridiculement petite, face à lui. Il me surplombe de tout son être, penché sur moi tandis que mes genoux légèrement pliés tentent de me maintenir debout. Acculée, dos au mur, je ne peux que lever la tête et feindre d’affronter son regard vorace.
Mais celui-ci a changé. Sa colère est telle que ses pupilles se sont entièrement dilatées, dissimulant toute trace de couleur dans ses yeux. Ses iris ont disparu, laissant place à une rage incommensurable.
Il ne sert pas ma gorge. Mais la main qu’il pose dessus est un avertissement. Et je peux voir ses dents serrées lorsqu’il grogne :
— Je peux supporter vos caprices de gamine traumatisée mais ne songez même pas à me couvrir de honte devant l’Impératrice.
Je devrais me taire. Je le sais. Mais mon cœur bat à tout rompre.
Une gamine traumatisée, dit-t-il ? Des caprices, qualifie-t-il ? Mon sang ne fait qu’un tour. Je ne peux m’arracher aux images de cette nuit-là. Mes pieds martelant le sol. Les cadavres courant après moi. La colline sur laquelle ils grimpaient. Mon corps s’effondrant. Les morts. Les vivants. La frontière disparaissant.
La peur qui ne m’a pas quittée.
Alors, forte de ces images, cette rage indéracinable, cette fureur inénarrable m’aliénant, j’avance la tête et, les yeux écarquillés de noirceur, crache :
— Votre seule existence devrait vous faire honte.
Là, sa main quitte ma gorge. Puisqu’elle ne la serrait pas, je pouvais respirer. Mais je prends quand même une grande inspiration lorsqu’il recule de plusieurs pas.
Quelques instants, il me regarde. Je ne peux définir la noirceur dans ses iris presque brunes. J’essaie mais ne parviens pas à poser le moindre mot sur ce que je vois. Alors je me contente de le dévisager, la mâchoire serrée.
Quelques instants s’écoulent. Sans me lâcher du regard, il finit par prononcer à haute voix :
— Revenez. Vous avez une robe à finir.
Aussitôt, les trois femmes s’engouffrent dans la pièce. A leur regard, je comprends qu’elles ont tout écouté de notre conversation. Mais je m’en contrefiche.
Cet abruti est une honte à la vie et il fallait que quelqu’un le lui dise. Qu’elles pleurent donc ! Cela ne changera rien.
Le duc les double, marchant jusqu’à la porte.
— Vous ne souhaitez pas rester pour le restant des essayages, monseigneur ? demande la plus âgée d’entre elles.
— Je me fiche de ce qu’elle met.
Là-dessus, il franchit la porte. Celle-ci se referme dans son dos. Ma mâchoire se contracte.
— Ça valait bien la peine de me faire essayer toutes ces conneries, je grommelle.
— Mais enfin, petite effrontée, s’il avait accepté la première robe, votre rendez-vous se serait finit ! Plus il refusait les robes, plus vous deviez rester avec lui ! Il voulait juste passer du temps en votre compagnie !
Haussant un sourcil, je regarde en coin la cheffe des tailleuses. Je sais qu’il s’agit de son statut car elle est la seule qui se soit permise d’adresser la parole au duc.
Et, de ce que je vois, elle tire grande fierté de ce poste. Elle croit même que cela l’autorise à se montrer condescendante.
— De toute évidence, vous ne connaissez rien à la gent masculine ! ajoute-t-elle avec un sourire assez hautain en défaisant ma robe rouge. Ne savez-vous pas lire les mots « j’ai envie de passer du temps avec vous » sur le visage d’un homme ?
— Et vous, vous ne savez pas lire les mots « casse-toi de ma vue avant que je te botte le cul » sur le visage d’une femme ? je réponds en la fusillant du regard.
Ecarquillant les yeux, elle se redresse d’un bond, visiblement atterrée. Un rire éclate et nous toutes nous tournons vers la femme debout dans l’encadrement de la porte.
Les bras croisés, Mélania a déjà enfilé sa robe de bal. Un bustier nait sur sa poitrine, composé de deux arcs formant un cœur dissimulant ses seins. Puis, une longue jupe fluide couleur nacre s’étend, épousant le moindre de ses mouvements telle une délicate ondée. Sur son haut, mille et une fleurs ont été cousues, donnant la sensation que le bustier est constitué de pétales. Elles se font moins présente à mesure que la jupe descend. Sur son épaule droite seulement, une bretelle faite de marguerite et pivoines s’étend.
Dans ses cheveux, des fleurs ont aussi été plantées. Quelques touches rosées scintillent. Elle me sourit, visiblement amusée par mes dernières paroles.
— Que… Fille du traitre, lâche la couturière. Que fais-tu ici ?
— La fille du traitre, comme tu dis, est plus haute que toi dans la hiérarchie et t’interdis de la tutoyer. Tu ne lis pas non plus sur ce visage de femme-là les mots « casse-toi de ma vue avant que je te botte le cul » ? demande-t-elle en montrant ses traits.
La couturière ne peut que s’exécuter. Les poings fermés, elle la dépasse. Mais, s’arrêtant à sa hauteur, elle lâche juste avant de partir, regardant Mélania de haut en bas :
— Comme si vous étiez une femme.
Mélania ne réagit pas, se contentant de laisser l’autre s’en aller. Mais je devine, à l’ombre sur son visage, que cela la touche.
Les deux autres n’osent bouger, ne sachant visiblement quoi faire.
— Ne te préoccupes pas d’elles, me lance la demi-titane. Elle fait sans arrêt du zèle et feras tout pour opiner dans la direction de son chef.
Elle place une main à côté de sa joue, comme si elle dévoilait un secret mais chuchote assez fort pour que tout le monde l’entende :
— Je crois qu’elle a un faible pour lui.
Je ris doucement. Mélania n’est pas comme le duc. Je l’ai sue lorsque, face à l’animal de l’Ange de la Mort, elle ne s’est pas moquée quand j’ai évoqué les sirènes.
Elle est bien plus respectueuse.
— Je peux savoir ce qui t’amène ? je demande.
— Toji veut que je t’emmène au bal. Donc tu choisis ta robe, on passe chercher des affaires chez toi et on y va.
— Des affaires ? je répète.
— Le palais est à des lieux d’ici. Vous allez y rester au moins une semaine.
Mes sourcils se haussent.
— Je… Je n’avais pas compris cela comme ça.
— J’espère au moins que tu as compris que tu n’y allais pas en temps que druide mais en tant que duchesse ?
Mon sang ne fait qu’un tour. Voyant mon incompréhension, elle poursuit :
— Même les ducs ne peuvent pas inviter qui ils veulent à ce bal. Je suis le bras droit de Toji mais je vais rester aux portes du palais. Pour te faire venir, il a dû te présenter comme Madame Fushiguro… Duchesse de ce duché.
Ma mâchoire se contracte brutalement ainsi que mes mains. Je crois que je vais exploser.
Il a fait quoi ?
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voici le vingt-quatrième chapitre
de cette fanfiction !
surtout, restez connectés ! le
chapitre 25 sera publié dans
quelques instants ou l'est
peut-être même déjà !
merci énormément !
j'espère que ça vous aura plu !
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