Chapitre 8

Géralt n'a pas dit un mot depuis que nous avons quitté la demeure de Triss Mérigold. Le programme a changé, nous partons pour passer l'hiver à Kaer Morhen. Cintra n'a plus d'intérêt depuis qu'elle est tombée aux mains de Nilfgaard.

"Tu ne m'as jamais parlé du droit de surprise que tu as eu par le roi de Cintra lui-même, dis-je après de long kilomètres à braver la neige.

- Je ne pensais pas devoir le réclamer un jour, répondit-il sans voix. Si Calanthe est morte, alors il est de mon devoir de retrouver l'enfant, elle ne peut pas être entre de mauvaises mains.

- Qu'est ce que ça peut te faire ? Tu ne la connais pas, répondé-je étonnée.

- Je ne saurais pas t'expliquer, Eyvor. C'est une sensation que je ressens depuis que je l'ai appris, il faut que je trouve l'enfant.

- Alors pourquoi allons nous à Kaer Morhen ? Nous pouvons la chercher dès maintenant.

- Si son royaume a été attaqué, elle doit se cacher quelque part. Attendons que l'hiver passe."

Les semaines de trajet jusqu'à Kaer Morhen me semblèrent être une éternité. Généralement, nous arrivions avant les premières neiges mais nous avons pris du retard cette année. Les feuilles orangées de l'automne sont toutes tombées et ont fait place à une belle poudreuse blanche recouvrant les chemins de terre et les branches nues des arbres. Le louveteau nous a suivi avec difficulté et a commencé à bien grandir, il m'arrive maintenant au niveau du genou.

Le château de Kaer Morhen se dessine enfin face à nous et les courbatures du transport s'évaporent aussitôt. Nous sommes rentrés. Géralt fait trotter sa jument pour arriver plus vite dans notre maison. Mon cheval suit la cadence et pénètre dans la cour, jusqu'aux écuries où je le dessèle et le libère, ce brave l'a bien mérité.

Je suis la première à entrer dans la forteresse, construite à même la montagne. Je pousse la lourde porte à bout de bras et me faufile dans la salle principale où quelques sorceleurs sont déjà rentrés.

"Eyvor !" hurle une voix qui résonne sur les murs de pierre.

Eskel se dirige vers moi, suivi de prêt par Lambert. Vesemir n'est pas présent. Lorsqu'il arrive vers moi, Eskel attrape mon visage et le regarde de prêt.

"Tu n'avais pas cette vilaine cicatrice quand tu es partie, dit-il en approchant son oeil de la balafre.

- Je suis aussi contente de te revoir mon frère."

Je n'ai aucun lien de sang avec les sorceleurs mais c'était tout comme, je ne me souviens de rien avant cet hiver sanglant où chacun d'entre nous muta et où la forteresse fut attaquée. Je secoue ma tête pour oublier ces images qui me hantent depuis des années maintenant. Eskel me serre si fort que mon souffle se coupe un instant.

"J'ai toujours su que tu voulais me ressembler", finit-il par dire en baladant son doigt sur ma cicatrice puis sur la sienne.

"Il est la raison pour laquelle j'ai toujours voulu refuser mon droit de surprise", gronde Géralt qui vient d'entrer à son tour dans la forteresse.

Eskel lève alors les yeux au ciel, fatigué qu'on le lui rappelle encore une fois. Le sorceleur avait sauvé la vie d'un chevalier et avait acquis en retour le droit de surprise, une enfant qui avait eu comme moi le malheur de naître un jour de soleil noir. Elle était maudite dès sa naissance. Il avait, comme Géralt, évité cette responsabilité mais la malédiction s'empara d'elle et elle devint violente. C'est elle qui lui avait infligé la cicatrice qu'il arborait maintenant sans honte. Il ne m'a jamais raconté la fin de cette histoire et je n'ai jamais posé de question.

J'apprécie Eskel depuis l'enfance, il n'a jamais cherché à être célèbre et n'est pas jaloux de celle de Géralt. Il a tendance à prendre des contrats plus simples, par fainéantise sûrement, car je l'ai toujours considéré plus puissant et dangereux que Géralt.

Il m'adresse alors un clin d'œil contenant bien trop de sous-entendus pour moi, je lui réponds avec toute l'ignorance dont je peux faire preuve et prend Lambert dans mes bras. Lambert c'est l'inverse d'Eskel, il éprouve une jalousie sans nom envers Géralt. Qui peut lui en vouloir ? Il est le sorceleur le plus renommé et le plus riche depuis des décennies. Il me sert dans ses bras mais n'accorde à Géralt qu'une poignée de main.

Eskel se glisse soudain derrière moi et glisse son bras dans le mien.

"Eyvor, nous sommes attendus par Vesemir. Il a une mission pour toi et moi.

- Mon compagnon de voyage a toujours été Géralt. Pourquoi changer maintenant ? Surtout que nous venons à peine de rentrer, dis-je en pensant aux paroles de Triss sur ma destinée.

- Tu poseras toutes tes questions à Vesemir, je ne fais que suivre les ordres. C'est vous qui avez du retard cette année."

Eskel retire enfin son bras lorsque la silhouette de Vesemir apparaît devant nous. Il a l'air concentré et fixe avec intensité un bout de monstre que je ne reconnais pas, trop mauvais état.

Je souris en croisant son regard. Vesemir est, et a toujours été, ma figure paternelle. Il me rend mon sourire et me serre fortement dans ses bras.

"Je n'avais plus de vos nouvelles, j'ai cru que vous ne rentrerez pas cet hiver. Triss m'a raconté par lettre ce qu'il s'est passé avec Stregobor, elle a réussi à le convaincre de te laisser seule.

- Bonne nouvelle, répondé-je simplement."

Vesemir prend un instant pour nous regarder avec insistance Eskel et moi avant de lâcher dans un soupir "J'ai besoin que vous deveniez partenaire. Vous avez l'hiver pour vous préparer. Une mission de haute importance vous attendra dès l'apparition des premiers bourgeons."

*^*


Il fallait que ça tombe sur moi. Mon partenaire avait toujours été Géralt alors pourquoi changer aujourd'hui ? Il n'avait pas eu le temps de lui parler de Ciri, alors pourquoi ? Je pousse un grognement en comprenant. Triss lui avait tout dit à propos de l'enfant, et Géralt allait partir seul la chercher au printemps.

"Ce n'est que le temps d'une année." avait dit Vesemir en voyant mon mécontentement "Tu le reverras l'hiver prochain". Mais si ce n'est pas le cas ? Et si Géralt ne survit pas à la prochaine année ?

J'enchaîne les coups et me déchaîne sur Eskel qui n'a pas le temps d'attaquer. Il esquive une de mes attaques en se jetant à terre et envoie un violent coup de pied dans mon poignet ce qui me fait lâcher brutalement mon épée. Il profite de ma surprise pour se relever et me plaquer au sol. Il coince ma tête au niveau de son genou droit et je ne me défend pas.

"Tu l'aimes encore ?"

Je me libère de son étreinte et ne répond pas. Je récupère mon épée et continue d'attaquer.

"Tu te bats mal Eyvor, ta tête est trop pleine de réflexions. Tu n'arriveras jamais à me toucher en te battant comme ça."

Voyant que je ne réponds toujours pas, il m'assène un nouveau coup cette fois-ci à l'arrière de la tête avec le pommeau de son arme. Je pousse un grognement de douleur. Il a raison, je ne suis pas concentrée.

"Si tu ne veux pas faire équipe avec moi dis le tout de suite Eyvor.

- Ça n'a rien à voir avec toi, répondé-je alors.

- Tu t'inquiètes pour ton Géralt mais il survivra l'année prochaine et toutes les autres. Il reviendra avec la fameuse Ciri et tu deviendras maman, dit-il en rigolant pour me provoquer.

- Tu sais mieux que quiconque qu'il ne m'aime pas.

- C'est vrai. Alors laisse tomber, donne ton coeur à quelqu'un d'autre.

- A qui ? A toi ? grogné-je en lui envoyant de la neige dans le visage.

- Pourquoi pas, je suis peut être l'homme qu'il te faut, dit-il en refaisant un clin d'œil répugnant.

- Non merci."

J'inspire un grand coup d'air frais et tente de me concentrer sur ce qui m'entoure. De la neige à perte de vue, des ruines et mon sang qui par ses tâches, vient perturber la plénitude du lieu. Je n'ai pas réussi à mettre Eskel à terre une seule fois depuis le début des entraînements. Lui au contraire m'avait mis des sacrés raclées, à la chaîne.

Je passe mon pied droit derrière moi, pour l'équilibre.

Mon avant bras gauche devant mon visage sur lequel je pose mon épée, pour la stabilité.

Mon regard est fixé sur les zones que je souhaite toucher, l'épaule, les poignets et le ventre.

Je ferme les yeux un instant pour vider mon esprit de toute pensée négative. Le froid hivernal rend mon souffle visible. Je me concentre dessus.

Je suis une sorceleuse, je ne ressens pas d'émotions.

Les sourcils froncés et le regard déterminé, je rouvre les yeux et fonce dans un hurlement grave sur mon adversaire. Mes coups s'enchaînent avec rapidité et j'arrive à le désarmer, il semble autant surpris que moi. J'arrive à le faire suffisamment reculé pour qu'il se trouve coincé sur l'un des murs froids de la forteresse et glisse mon arme sous sa gorge.

"Et bien voilà, dit-il dans un sourire. Je suis content de revoir la Eyvor que je connais."

Les jours suivants furent les mêmes que celui-ci. Des commentaires d'Eskel sur mes sentiments et des combats à longueur de journée. Je n'ai presque pas vu Géralt de tout l'hiver, seulement durant les repas. Il vient de temps en temps pour discuter après mes sessions d'entraînement, me parler de ses inquiétudes et de la façon dont il compte trouver Cirilla.

Lorsque les bourgeons firent leur apparition, j'étais fin prête.

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