30- Sous haute surveillance
Je me glissai hors du bureau sans un mot, la porte se refermant presque silencieusement derrière moi. Le couloir m'étouffait, chaque respiration semblait plus lourde que la précédente. Mes pensées tourbillonnaient, mais je n'avais pas le luxe de m'attarder là-dessus. J'avais besoin de m'échapper, loin de mon père, de ses attentes, de sa pression étouffante. De la vérité qu'il voulait m'imposer.
Je descendis les escaliers à grands pas, mon esprit toujours en feu, lorsque la voix d'Isaac me fit stopper net. Il se tenait dans l'embrasure de la porte, les bras croisés, son regard perçant planté sur moi. Il y avait quelque chose de... fragile dans sa posture, quelque chose que je n'avais jamais vu avant.
— Camila, attends.
Je me tournai lentement vers lui. Il ne bougeait pas, mais ses yeux brillaient d'une intensité que je ne lui connaissais pas.
— Ce matin, ça m'a déstabilisé, tu sais, dit-il d'une voix plus douce que d'habitude, presque hésitante. Je... je ne savais pas comment réagir. C'est comme si tout avait changé entre nous.
Je le fixai, surprise par cette ouverture. Isaac, l'homme de contrôle, le manipulateur, ici, à me confier ça ? Il s'avança d'un pas, ses bras se décroisant, comme s'il se préparait à tout lâcher.
En levant les yeux, je vis plusieurs personnes qui nous observaient de loin, certains discutant à voix basse, d'autres fixant Isaac et moi avec une curiosité évidente.
Isaac attrapa mon bras sans hésitation, une pression ferme mais pas violente, juste assez pour me guider sans que je puisse protester. Il me dirigea vers une autre pièce, et je n'eus d'autre choix que de le suivre. La porte se referma derrière nous avec un léger claquement, et un silence lourd nous enveloppa instantanément.
Je sentis la chaleur de son corps à côté du mien, une proximité qui me perturbait plus que je ne voulais l'admettre. Il y avait cette tension dans l'air, palpable, presque électrisante. À cet instant, tout ce que je voulais, c'était prendre du recul, mais je restais là, figée, à le regarder dans les yeux.
Ses mains étaient toujours sur mes bras, ses doigts à la fois fermes et d'une douceur que je n'avais pas anticipée.
Je fis un pas en arrière, mais la pièce semblait se resserrer autour de nous, me laissant à peine d'espace pour respirer. Ses yeux restaient rivés sur moi, et je pouvais presque entendre le battement de son cœur, bien que le mien martelait ma poitrine avec force. Un instant, il s'approcha encore un peu, comme s'il voulait dire quelque chose, mais il se tut, les lèvres serrées, son regard captif du mien.
Je pris une inspiration profonde pour me reprendre, pour retrouver ma façade. Je voulais m'éloigner, mais tout en moi semblait me retenir.
C'est alors qu'il avança d'un pas, et sans que je m'y attende, il effleura ma joue du bout des doigts. Un contact si léger, mais qui m'envahit instantanément. Je me figeai, ma respiration s'accéléra un instant. Il n'y avait pas de retour en arrière à ce genre de moments, et je savais qu'il fallait que je m'éloigne, que je me libère de ce regard, de cette proximité.
Je retirai brusquement mon bras de son emprise, et un geste instinctif me fit reculer d'un pas me collant à la porte.
— Ne fais pas ça, Isaac, soufflai-je, ma voix tremblante mais ferme.
Il plisse des yeux et se résigne en reculant légèrement.
— Je croyais pouvoir te gérer, Camila. Je pensais que j'avais encore ce contrôle sur toi. Mais ce matin... tout a basculé.
Je sentis une colère sourde m'envahir.
— Me contrôler ? Me gérer ? Est-ce que tu entends ce que tu dis, Isaac ? Ce que je voulais, moi, c'était que tu me fasses confiance. Pas que tu essaies de me dominer encore, après tout ce qu'on a traversé.
Son regard se fit plus intense, plus vulnérable. Il s'approcha encore, comme s'il voulait me dire quelque chose d'encore plus profond, de plus personnel.
— Camila..Je croyais qu'on avait encore une chance de garder une certaine distance. De garder un certain contrôle. Mais j'ai déconné. J'aurais préféré que tu ne me laisses pas entrer comme ça. Que tu me repousses encore. Ça aurait été plus simple pour moi.
Je le dévisageai, abasourdie. Il venait de poser sur la table ce qu'aucun d'entre nous n'avait voulu admettre. Un instant, je sentis l'envie de l'exploser sous mes mots, mais je me retenais. Je ne pouvais pas lui donner ce pouvoir sur moi, pas maintenant.
— Qu'est-ce que tu insinues par là ?
Il sembla hésiter, puis, lentement, il baissa la tête. Une gêne évidente se peignait sur son visage.
— Si j'avais pu garder une certaine distance... J'aurais pu réussir. Mais là, tout a changé. Et je... je ne sais plus comment agir avec toi.
Je pris une grande inspiration pour contenir ma frustration. J'étais en colère, mais c'était surtout contre moi-même. Parce que je ne voulais pas admettre que, peut-être, tout ça m'affectait plus que je ne voulais bien l'avouer.
— Je n'ai pas besoin de ta protection, Isaac. Je vais me débrouiller. Comme je l'ai toujours fait.
Il ferma les yeux un instant, comme s'il était frappé par mes mots. Puis il se rapprocha encore, ses yeux cherchant les miens, un peu perdus.
— Tu crois vraiment que tu peux tout affronter seule ? Tu crois vraiment que tu n'as pas besoin de moi, ou même de ton père, pour ça ? Tu penses qu'en restant seule, tu vas gagner ?
Je n'avais aucune réponse. J'avais l'impression que chaque mot qu'il prononçait me frappait, me réduisait à l'état de simple humaine, à une créature vulnérable. Mais je devais garder ma façade. Je ne pouvais pas lui montrer la moindre fissure.
— Ne me fais pas ça, Isaac, soufflai-je. Ne me fais pas ce discours.
Un silence pesant s'installa. Il me regardait toujours, cherchant un moyen de briser le mur que j'avais érigé. Mais il ne le pouvait pas.
Je me détournai alors brusquement, prête à m'éclipser sans un mot de plus. Mais avant de franchir la porte, je laissai échapper ces quelques mots, presque malgré moi :
— Je veux que David tombe. Et je ferai ce qu'il faut pour ça. Même si je dois...
Je laissai ma phrase en suspend. Il savait. Isaac savait exactement ce que cela impliquait. Et pourtant, il me fixa avec cet air que je détestais : celui d'un homme qui savait plus que moi, qui anticipait déjà les conséquences que je refusais de voir.
— Ce que tu envisages... Ça ne s'effacera jamais. Pas de ta mémoire. Pas de ton âme.
Je me levai brusquement, incapable de supporter la douleur implicite dans ses mots.
Isaac soupira profondément, une exhalation de frustration, et me regarda, épuisé par cette conversation.
— Mais à quoi bon si tu ne restes pas toi-même ?
Je tournai la tête et laissai échapper un rire amer.
— Et qu'est-ce qui te fait croire que tu me connais vraiment ?
Je ne lui donnais pas la possibilité de répondre. A quoi bon ? Nous étions trop différents maintenant, et ça, il le savait aussi bien que moi.
Je m'éloignai d'Isaac, cherchant à échapper à ce moment, à ce malaise. Mais mon esprit ne s'arrêtait pas. Il ne pouvait pas s'arrêter. Pas avant que je ne finisse ce que j'avais commencé.
Il me fallait réunir les filles. Le groupe. Mon équipe.
POINT DE VUE I S A C C
Je la regarde s'éloigner, chaque pas qu'elle fait résonnant dans le couloir, comme un coup de marteau dans ma tête. Elle s'éloigne, mais la porte qui se referme derrière elle ne fait que m'enfoncer un peu plus dans cette idée fixe, ce besoin irrationnel d'essayer de comprendre. Essayer de comprendre ce qui m'attire chez elle. Et cette situation. Ce qu'elle vient de dire.
Ce n'est pas une simple menace. Elle l'a dit de manière calme, presque naturelle, comme si c'était juste une étape nécessaire dans le processus. Et même si une partie de moi hurle que ce n'est pas bien, que c'est la ligne qu'elle ne doit pas franchir, il y a une autre partie de moi, plus sombre, qui est intriguée. Fascinée.
Elle a toujours été une énigme pour moi, mais maintenant... maintenant c'est plus qu'un jeu. C'est comme si je venais de découvrir une facette d'elle que je n'avais jamais soupçonnée. Une facette impitoyable, déterminée, prête à tout pour atteindre ses objectifs. Et bordel, ça m'attire.
C'est dérangeant, mais c'est la vérité. Je n'arrive même pas à me l'expliquer. Ce n'est pas ce que je devrais ressentir. Elle va trop loin. C'est dangereux. Et pourtant, je ne peux pas détacher mon esprit de ce qu'elle a dit. De ce qu'elle est prête à faire.
Je ferme les yeux un instant, un soupir d'agacement s'échappant de mes lèvres. C'est absurde. Je suis un homme de principes, un homme d'ordre. Et voilà que cette femme vient tout chambouler, me mettre dans des états que je n'ai pas connus depuis bien trop longtemps. Ce n'est pas normal. Je suis censé avoir le contrôle. Mais là, elle a trouvé une fissure, et elle l'exploite sans même le savoir.
Je prends une dernière inspiration, cherchant à retrouver ma concentration. J'ai un boulot à faire. La situation est loin d'être simple. David est sorti de prison, et tout va s'accélérer. Je dois m'y préparer et même si nous avions des objectifs différents avec Camila je devais rester concentré sur les miennes.
Le bureau de la DEA m'attendait. Et avec lui, une journée pleine de crise. Quand j'arrive, l'ambiance est électrique. Le retour de David en liberté chamboule tout le département. La gestion de crise est activée. Tout le monde est sur le qui-vive. Il y a des regards tendus, des murmures dans chaque coin du bureau, des écrans allumés avec des cartes, des photos et des informations stratégiques qui défilent.
Je m'approche du bureau de mon supérieur sans perdre de temps. Les ordres sont clairs. La situation de David doit être gérée avant qu'il ne devienne trop dangereux. On sait qu'il a des alliés, et si nous laissons le moindre écart, la situation pourrait vite devenir incontrôlable.
— Isaac, je veux que tu sois en charge de la surveillance extérieure, me dit mon supérieur d'un ton autoritaire. On a besoin de tout le monde sur le terrain.
Je hoche simplement la tête, sans dire un mot. Les autres agents autour de moi sont en pleine effervescence, chacun prenant son poste, se préparant à interagir avec la situation. Mais pour moi, c'est une routine. Rien de tout ça ne m'effraie, même si je sais que la sortie de David va compliquer les choses. Je suis froid, concentré, comme je le suis toujours.
Plus tard, dans les vestiaires, je me change rapidement, mais au moment de jeter un coup d'œil dans le miroir, je remarque les marques dans mon dos. Elles sont visibles, indéniables. Quelques égratignures, quelques griffures. Je prends un instant pour les observer, me forçant à ne rien laisser paraître.
C'est ce que j'ai laissé derrière moi, ces marques. Je me demande vaguement si elles resteront. Mais c'est inutile. Je me tourne pour enfiler mon uniforme, une pensée fugace m'envahissant à propos de Camila. Je n'ai pas le temps de me laisser aller à la réflexion. Le boulot est ce qui compte. Je ne suis pas là pour me poser des questions.
Juste au moment où je m'apprête à bouger, Markov et Lance, s'arrête derrière moi en voyant les marques. Ils se moquent gentiment, avec leurs sourires moqueur habituel.
— Alors, Isaac, On dors pas beaucoup en ce moment. T'as plutôt dû avoir affaire à une véritable lionne, hein ?
Je lève les yeux au ciel, agacé par sa remarque. Je suis habitué à ce genre de taquinerie, mais aujourd'hui, ça m'agace encore plus. Je ne prends pas la peine de répondre. Et je le fais bien comprendre en me retournant brusquement, me concentrant sur le reste de mon uniforme.
— Tu te fais des idées. Ma voix est calme, mais ferme, laissant peu de place à la conversation.
Il rit, et un autre collègue se joint à lui. Leur rires se dissipent rapidement lorsque je les ignore. Je n'ai pas le temps pour ce genre de distraction. J'ai d'autres choses à penser, et ils le savent. Aucun d'eux n'ose insister.
Mais même après cette interruption, quelque chose en moi n'arrive pas à oublier ce que Camila a dit. Quelque chose dans son regard, dans sa façon de parler.
Je m'approche de Lance, gardant le ton froid, mais cette fois un peu plus direct, un peu plus pressé.
— Lance, j'ai besoin de ton aide.
Il tourne la tête, me scrutant un instant. Il connaît la dynamique de notre travail, et il sait que je ne demande jamais de service à la légère. Ses yeux se plissent, cherchant à évaluer la situation, à sentir où je veux en venir.
— Je t'écoute, Isaac. Sa voix est calme, mais il perçoit bien l'urgence dans ma posture.
Je m'éloigne un peu pour qu'on puisse parler sans être écoutés. La tension dans le vestiaire est palpable, et je ne veux pas que quiconque sache ce que je m'apprête à dire.
— Camila... Je m'arrête un instant. Je n'aime pas parler d'elle comme ça, mais il faut bien que quelqu'un sache. « Je veux que tu la surveilles. »
Il me fixe, un sourire en coin se dessinant sur son visage, une lueur de curiosité dans ses yeux. Bien sûr, Lance est un type loyal, mais il n'est pas du genre à poser trop de questions. Si je lui demande de surveiller quelqu'un, il le fait sans discuter. Mais il doit se douter qu'il y a plus derrière.
— Camila, hein ? répète-t-il, avec un léger rictus. Ça doit être sérieux si tu demandes ça. Qu'est-ce qui se passe ?
Je prends une respiration, me forçant à rester calme, à garder mon flegme. Il ne faut pas que mes émotions prennent le dessus. Pas avec lui. Pas dans ce contexte.
— Elle est... vulnérable, mais elle ne le montre pas. Et je ne veux pas qu'elle prenne trop de risques. Pas sans surveillance.
Lance semble saisir la gravité de la situation en un instant. Il hoche lentement la tête, son expression devenant plus sérieuse, presque concentrée. Il connaît bien la rue, il sait comment ça peut déraper quand on fait confiance aux mauvaises personnes.
— T'inquiète pas, Isaac. Je vais la garder à l'œil.
Il ne me pose pas de questions supplémentaires, ce qui est une bonne chose. Il est fidèle, et il comprend la nécessité de ce genre de tâche sans chercher à comprendre tous les détails.
Je le regarde, sentant une étrange sensation de soulagement dans ma poitrine. C'est peut-être de la paranoïa. Peut-être que je me fais des films. Mais quelque chose me dit que ce n'est pas le cas.
Je lui tends une dernière fois un regard, celui d'un homme qui sait qu'il peut compter sur lui.
— Merci. C'est tout ce que je dis. Un mot sec, mais qui porte toute l'intensité de la demande.
Lance me fait un signe de tête et se retourne, reprenant son activité sans se soucier de plus. C'est fait. Je sais qu'il fera son boulot.
Je me remets en route, me concentrant sur la mission, mais la pensée de Camila, de ses paroles et de ses actions, persiste. Et je sais, sans vraiment vouloir l'admettre, que cette fascination pourrait bien me conduire à un endroit dangereux. Mais aujourd'hui, c'est le boulot qui prime. Et tant que je n'ai pas le contrôle, je n'ai pas le droit de me laisser distraire.
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