༄ Chapitre 35

Tout était affreusement calme dans la maison, c'était presque une torture de ne pas entendre de bruit, et ça depuis bientôt trois heures. Bien qu'après la scène qui s'était jouée, cela n'avait rien d'étonnant, personne n'avait envie de se faire remarquer. Dagon avait disparu à l'étage, Azura était toujours dans le salon, devant la télévision, pas plus affolée que cela par la situation et Cadence et Leïn étaient partis chasser. Moi, je tournais en rond comme un fauve dans une cage, je ne savais pas ce que je devais faire, ce qui se passait entre Kori et Dagon, ça ne me regardait pas. Cette femme était arrivée et était venue me voir en me disant de l'amener à son frère, je n'avais pas pu refuser – elle me faisait bien trop peur – et voilà où nous en étions. Un long soupir glissa hors de mes lèvres avant que je ne rejoigne l'immense terrasse où était allée Kori. Elle se tenait près de la piscine, le regard perdu dans le vague. Lentement, je m'avançai jusqu'à elle, je ne lui adressai pas la parole, je me contentai de la fixer.

— Tu comptes me regarder comme ça sans rien dire ? m'interrogea soudainement la princesse.

— Pour être honnête, je ne sais pas quoi dire.

— Alors, pourquoi être là ?

Elle tourna la tête vers moi, m'observant avec un petit sourire amusé aux lèvres. Je haussai les épaules en me mettant à fixer l'eau de la piscine.

— Je sais pas, avouai-je, c'est juste que je n'aime pas rester à tourner comme un lion en cage. Toute cette situation est bizarre, je t'avoue que je ne m'attendais pas à te voir débarquer ou même simplement te rencontrer un jour. Et puis Dagon semblait tellement persuadé que tu n'en avais plus rien à faire de votre peuple.

— Dagon se victimise beaucoup trop, dit-elle, et il ne réfléchit pas plus loin que le bout de son nez. Ce que je trouve idiot de sa part, il est fort et intelligent, c'est un fait. Sauf qu'il n'utilise pas cette intelligence et cette force à bon escient, ce qui est dommage.

Elle n'avait pas tort, néanmoins, je ne pouvais pas être d'accord avec elle sur un point.

— Il ne se victimise pas, je pense juste qu'il a terriblement souffert de votre absence à toi et votre père, ils semblaient vous aimer de tout son être. Ça l'a aveuglé et il a préféré transformer sa souffrance en rage et en mépris pour autrui plutôt que de chercher à comprendre vos sentiments aussi.

— Sincèrement, je ne te comprends pas, Aesma. Avec tout ce qu'il t'a fait, tu arrives encore à prendre sa défense. Ne lui en veux-tu pas ?

— Si, je lui en veux, dis-je en serrant légèrement les poings, il y a des choses que je ne pourrais jamais oublier, mais...

Mes iris virent se reposer sur le visage de la sœur aînée du prince.

— Il y a une partie de moi, la plus importante, qui est attachée à lui et qui veut le soulager du poison qui le ronge sans cesse. Même si j'ai eu du mal à l'admettre, maintenant c'est fait. Je sais que c'est tordu, mais il y a toujours eu une espèce d'attraction entre nous malgré la violence et tout le reste. Je ne veux plus le voir souffrir ni qu'il fasse souffrir et je ferai ce qu'il faut pour ça. Mais pour qu'il y ait du changement en Atlantide, il faut que lui change en premier. Et pardonne-moi, mais je pense que tu es aussi un peu en tord, toi et ton père, même si je suis désolée vis-à-vis de lui.

— Oh, je n'ai jamais dit que nous n'étions pas en tort, mais seulement qu'il ne fallait pas nous tenir pour unique responsable. Il a aussi fait ses choix.

J'approuvai d'un léger mouvement de tête. Il n'y avait que des coupables dans cette histoire, seulement certains l'étaient plus que d'autres.

— Au fait, tu as vu Azura, mais j'ai eu deux fils avec Dagon, lui annonçai-je en évitant soigneusement de parler du reste des filles du prince, si tu le désires, tu peux aller les voir.

— Je ne sais pas si c'est vraiment une bonne idée, je ne voudrais pas envenimer plus la situation.

— Oh non, ne t'en fais pas, la rassurai-je, il n'y a aucun problème. Et je ne pense pas que Dagon soit dans la chambre avec eux. Il faut que j'aille aussi lui parler. Vas-y quand tu en auras envie.

J'offris un léger sourire à ma... pouvais-je réellement me permettre de la désigner comme ma belle-sœur ? Enfin, j'aurais tout le loisir de me poser ce genre de questions plus tard, il fallait que j'aille parler à Dagon avant toute chose, en espérant qu'il ne soit pas en furie. J'abandonnai Kori sur la terrasse pour me rendre à l'étage, en passant devant la chambre des jumeaux, j'y jetai un œil pour voir si Dagon n'était pas là, mais non. Refermant silencieusement la porte, je me rendis dans ma chambre et elle était aussi vide, ce qui me parut étrange, mais en observant plus attentivement, je vis que la porte vitrée donnant sur le balcon était ouverte. Je pris une grande inspiration avant de m'avancer jusqu'à ladite porte, Dagon était là, les mains posées sur la rambarde du balcon, et la tête baissée.

— Dagon ? appelai-je calmement.

J'eus à peine le temps de réaliser que je me retrouvai avec une de ses grandes mains au tour de mon cou. Par réflexe, je m'emparai de son poignet alors que mes iris s'ancrèrent aux siennes où je ne vis que transparaitre un mélange d'émotions. La colère, la tristesse, le doute, le remords et d'autres encore. Il resserra légèrement sa prise au tour de ma gorge alors que je vis sa mâchoire se crisper.

— Pourquoi tu l'as amenée ici, hein ?!

— Elle ne m'a pas laissé le choix.

— Ah bon ?! Je croyais que tu étais quelqu'un qui avait toujours le choix ! aboya-t-il, en colère.

Je n'avais pas peur, pas cette fois, tout simplement parce que je savais très bien qu'il ne s'en prendrait pas à moi. S'il avait eu envie de le faire, ce serait déjà fait, il ne m'aurait pas questionnée avant. Je laissai mon bras retomber le long de mon corps alors que je le regardai toujours.

— Oui, j'ai le choix, mais elle ne m'aurait pas juste laissée partir. Crois-tu réellement qu'elle aurait accepté de rebrousser chemin sans t'avoir vu ?

Je posai une question dont je connaissais déjà la réponse.

— Je comprends que tu lui en veuilles, continuai-je, c'est normal. Mais elle a aussi raison, ça doit cesser. Je t'ai dit exactement la même chose Dagon, tu ne peux pas enlever des gens sans que cela ne provoque des souffrances. Toutes ces filles avaient une famille, comme tu en avais une et tu connais l'horrible douleur de voir ceux qu'on aime disparaître du jour au lendemain.

J'approchai une main de son visage pour le caresser doucement, lui arrachant alors un faible grognement.

— Alors tu peux comprendre ces gens, humains ou non. Oui, ils sont imparfaits, nous le sommes tous quoi qu'on en dise, la perfection, ça n'existe pas. Mais Dagon, contrairement à certains d'entre eux, tu peux avoir une nouvelle famille. Tu en as déjà une...

Ça pouvait paraître niais comme discourt – je n'aurais jamais cru m'entendre dire des trucs pareils un jour –, mais c'était pourtant la vérité. Il avait sa mère, ses filles, ses fils, moi et Kori était de nouveau là. Ce n'était pas cette famille qu'il avait eue à l'époque, mais c'était une famille quand même. Même si j'avais de la peine pour ces filles qui ne pourraient jamais retrouver leur vie d'avant, je voulais quand même les libérer de l'esclavage dans lequel Dagon les avait enfermées de force. Je ne pouvais rien faire de plus pour elles. Un nouveau grognement fit vibrer la poitrine du prince alors qu'il me repoussa brusquement pour m'éloigner de lui.

— Connerie, tu me parles de famille, mais tu ne veux même pas rester avec moi. Tu préfères ce monde, exactement comme Kori.

— C'est vrai, parce que ça a été mon monde et je ne veux pas l'abandonner. Mais je ne veux plus t'abandonner non plus. Je sais que je l'ai fait une fois et je te demande pardon pour ça, mais Dagon, nous ne sommes pas contraints de nous restreindre à un seul choix, à un seul monde.

C'était sincère, j'étais désolée de ce que j'avais fait, j'étais partie et je l'avais abandonné, moi aussi. Mais la situation était différente à ce moment-là, et à cet instant, je me rendais bien compte que j'avais besoin de lui, même si j'avais nié cette évidence au départ, je n'en étais plus capable. Peut-être bien que j'étais folle de ressentir cela pour l'homme qui m'avait tout pris, mais c'était comme ça, on ne pouvait pas lutter indéfiniment contre ses sentiments, qu'ils soient bons ou mauvais. Autant je détestais son côté bestial, méprisant et dominateur, autant j'étais attirée par son côté plus vulnérable et torturé. À bien y réfléchir, c'était bizarre, je n'arrivais pas à m'expliquer pourquoi c'était ça en particulier qui me plaisait tant chez lui. Chez mes anciennes conquêtes, c'était totalement autre chose qui m'avait séduite. Amber, ça avait été sa joie de vivre et chez la plupart de mes ex, c'était leur humour ou leur intelligence. Pas leur côté... fragile. Mais voir ce type, qui avait tout du mâle alpha, avoir un côté aussi vulnérable, ça me donnait envie de rester près de lui.

— Si tu veux que je sois ta femme, alors je le serais. Tout ce que je te demande, c'est de me donner du temps et de t'en donner aussi. Parle avec ta sœur, apprend à aimer ce monde un minimum. Je veux seulement que les choses s'arrangent, Dagon, et si tu ne le fais pas pour nous, fais-le au moins pour Zaire et Xander.

Je ne savais pas si nous pourrions réellement avoir une relation de couple normale, peut-être que la nôtre ne fonctionnait qu'avec les coups et les cris, mais je voulais au moins qu'il fasse un effort pour nos fils, que ces deux enfants n'aient pas à grandir au milieu d'un chaos perpétuel à cause d'un différent opposant l'Atlantide et le monde des humains. Je le vis légèrement plisser les yeux avant de détourner son regard de moi, se mettant à fixer un point invisible quelque part, pensif.

***

Je n'arrivais pas à dormir, la place à côté de moi était vide et je n'avais aucune idée d'où est-ce que Dagon avait pu partir encore. Il ne m'avait rien dit, il avait juste quitté la maison en disant qu'il avait besoin de prendre l'air pour réfléchir après notre petite entrevue et n'était, visiblement, pas revenu. Un long soupir m'échappa alors que je jetai la fine couverture sur le côté pour pouvoir m'extirper du lit et me rendre dans la cuisine histoire de boire un verre d'eau. Je m'emparai d'un verre dans un des placards pour ensuite ouvrir le robinet sur l'eau froide, mon téléphone, que j'avais abandonné sur l'îlot central, sonna soudainement, je coupai l'eau alors que mon verre était à moitié plein pour aller répondre, même si je trouvais ça étrange qu'on m'appelle à passer minuit. J'activai le haut-parleur avant de me détourner pour retourner à ce que je faisais. J'aurais vraiment dû faire attention au numéro qui s'était affiché sur l'écran.

— Allô ? dis-je calmement.

— Aesma ?

Je me figeai alors que mon sang ne fit qu'un tour. Cette voix, je l'aurais reconnue entre mille, elle m'avait accompagnée pendant presque toute ma vie, elle m'avait réprimandée, consolée et surtout encouragée. Je pivotai lentement en direction du smartphone comme si une créature dangereuse allait en jaillir à tout moment. Dans une tout autre situation, j'aurais été heureuse d'entendre la voix de mon père.

— Aesma, répéta-t-il avec émotion, je sais que c'est toi, s'il te plait, dis-moi quelque chose.

Cette phrase avait suffi à me mettre le cœur en miette, il avait l'air si désespéré, mais en même temps si soulagé. J'avais envie de lui répondre, plus que tout, mais je ne devais pas, je ne pouvais pas. Je me rapprochai du téléphone et pris appui sur le bord de l'îlot en observant l'appareil posé à plat sur celui-ci.

— J'y croyais pas quand ta mère m'a dit que tu avais appelé à la maison, j'ai cru qu'elle avait rêvé alors je lui ai dit d'oublier, que c'était impossible que tu t'en sois sortie lors de cet accident de bateau. Mais elle a insisté...

Il fut coupé par un sanglot, je l'imaginai très bien assis dans le fauteuil du salon avec le téléphone dans la main. L'image de mon père dévasté avec les larmes au bord des yeux fit monter les miennes alors que mes doigts se crispèrent sur le marbre au point que mes jointures blanchirent.

— Et même si je ne voulais pas y croire, ça m'a travaillé pendant des jours, continua-t-il, et j'ai fini par me dire que ça ne me coûtait rien de vérifier si elle avait raison, et si effectivement elle avait tord, je pourrai définitivement faire mon deuil. Putain Aesma, où est-ce que tu es ? En fait, je m'en fiche, rentre à la maison, je t'en supplie... On a besoin de comprendre avec ta mère... Qu'est-ce qui s'est passé bon sang ? Pourquoi tu ne nous as jamais rappelés avant ça ? Pourquoi tu...

Un nouveau sanglot l'interrompit, il eut beaucoup plus de mal à se reprendre cette fois. Si seulement je pouvais tout leur dire, ce serait tellement plus simple. J'avais envie de retrouver mes parents, c'était certainement la chose que je désirais le plus au monde, même si je m'étais fait une raison quant au fait que ce ne serait jamais possible. Je levai une main au-dessus de l'écran tactile sur lequel quelques perles salées terminèrent leur course après avoir dévalé mes joues.

— Je t'aime, papa...

Je ne lui offris pas la possibilité de me répondre que je pressai déjà le bouton rouge pour couper la communication. Je restai quelques instants sans bouger, puis, petit à petit, mes épaules furent secouées par mes sanglots étouffés alors que mes larmes souillèrent mes joues abondamment. Mes pleures emplirent bientôt le rez-de-chaussée, c'était des ces moments-là que je me sentais seule, il n'y avait personne pour me consoler, pour me dire que tout irait bien. Je ne pouvais pas toujours être forte, même si j'essayais, mais j'avais aussi mes limites et ne pas regretter mes parents, c'était tout bonnement impossible. Je relevai vivement la tête quand je sentis une présence proche de moi, je plongeai directement dans deux océans bleus qui me fixaient avec compassion.

— Je suis désolée, me dit-elle avec franchise.

— P-pour quoi ? balbutiai-je en me redressant pour sécher mes larmes avec mon haut.

— Que mon frère t'ait privée de ta vie et de ceux que tu aimais.

Kori n'avait pas à s'excuser, elle n'était pas responsable, mais ça me faisait du bien de recevoir de la compassion de sa part. J'entendis soudainement un des jumeaux pleurer, rapidement suivi par l'autre, à l'étage, je m'excusai auprès de la princesse pour me rendre au premier. Cadence était déjà là, tenant un des petits princes dans ses bras. Je me sentais un peu coupable vis-à-vis d'eux aussi, je n'étais pas une très bonne mère, je déléguais ce rôle à Cadence et à leur demi-sœur alors que j'avais pourtant envie de m'occuper d'eux, mais il fallait bien que quelqu'un travaille. Je pris l'autre rejeton dans mes bras pour le bercer doucement et tarir ses pleures.

— Désolée que tu doives tout le temps t'occuper d'eux...

— Ce n'est pas grave, je les aime beaucoup et je n'ai rien d'autre à faire. Mais tu vas bien ?

— Là, tout de suite, pas vraiment...

— Tu t'inquiètes pour Dagon ?

— Non, lui, rien ne peut lui arriver, il faut juste espérer qu'il ne se laisse pas envahir par son côté bestial s'il croise quelqu'un. C'est juste que je viens d'avoir mon père au téléphone...

Je vis les yeux de Cadence s'ouvrir grands, je me doutais que ça devait être très confus dans sa tête, après tout, nous n'étions pas censées reprendre contact avec nos proches. Cet appel n'était pas prévu, c'était de ma faute, j'aurais dû faire plus attention tout simplement. Du coin de l'œil, je vis Kori prendre appui contre le cadre de la porte, nous observant calmement.

— Vous voulez bien qu'on discute un peu ? nous demanda Kori. Je crois qu'il y a des choses que l'on doit régler de manière urgente, même si tout risque de ne pas vous plaire.

Elle avait dit ça avec beaucoup de sérieux, je ne savais pas pourquoi, mais j'avais la conviction qu'elle avait raison. C'était vraiment une soirée étrange, il se passait beaucoup trop de choses en même temps et comme Kori, j'avais le sentiment que ce n'était que le début d'une histoire déplaisante.

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