༄ Chapitre 32

DAGON


L'ambiance à la maison était lourde, oppressante même. Aesma était partie travailler, ne nous adressant pas un mot depuis qu'Azura et moi avions débarqué dans sa chambre. Cette situation me mettait hors de moi, ce n'était qu'une humaine, pas besoin de la sauver. Pourtant, j'essayais de comprendre, de me mettre à la place de cette idiote, mais je n'y arrivais pas. Je n'y arrivais plus. Se soucier de l'autre, j'avais oublié comment faire. Pourquoi se soucier des autres quand personne ne se souciait de vous ? Que personne ne se souciait de ce que vous pourriez ressentir ? Je soupirai en m'observant dans le miroir humide de la salle de bain, puis j'attachai une serviette au tour de ma taille pour quitter la pièce. Mais je percutai Cadence qui tomba sur les fesses suite au choc, je l'observai alors qu'elle levait aussi les yeux vers moi. Mais ça ne dura pas, elle se remit debout et marmonna des excuses avant de tourner les talons pour s'en aller.

— Cadence, l'interpellai-je d'un ton neutre.

— O... oui, mon prince ?

Je tiquai légèrement en l'entendant m'appeler ainsi. Je ne m'y attendais pas vraiment, elle était libre après tout, pourtant, elle continuait de s'adresser à moi avec ce titre. Cette différence entre Aesma et cette fille me perturbait un peu. Pourquoi continuer de se comporter comme ça alors qu'elle n'était plus sous mes ordres ? Elle s'était retournée et m'observait de son œil visible, les épaules légèrement voutées comme si elle cherchait à se cacher. Cette fille était définitivement une petite chose fragile et soumise.

— Est-ce que tu me hais ?

Son seul œil visible s'écarquilla soudainement face à ma question. Elle resta muette, ouvrant et fermant la bouche à plusieurs reprises, comme un poisson hors de l'eau. Elle jouait aussi nerveusement avec ses doigts, elle avait peur.

— Tu peux répondre franchement, je ne te ferai rien.

— ... Oui, je vous ai détesté pendant un temps.

Je fronçais les sourcils, légèrement sceptique face à cette réponse.

— Mais après, mon avis sur vous est devenu plus neutre, poursuivit l'artificielle à la chevelure blonde, bien que je n'ai jamais approuvé vos actes pour autant. Je sais très bien que si vous ne m'avez plus touchée après que Kawena m'ait défigurée, c'était pour me protéger...

Je la regardais silencieusement, c'était vrai que j'avais éloigné Kawena d'elle de cette manière. Cadence était une des rares artificielles pour qui j'avais eu de la pitié, cette fille me semblait déjà brisée avant même tout ce qui avait pu lui arriver suite à son enlèvement et sa transformation.

— Alors pour ça, je vous remercie. Merci d'avoir pensé à me protéger, même si je ne suis rien pour vous.

Mes entrailles se serrèrent quand elle m'adressa un sourire rempli de bonté et de sincérité, c'était la première fois que je la voyais sourire. Un horrible sentiment s'empara de moi, je ne pus mettre un nom dessus, mais je n'aimais pas du tout ce que je ressentais à cet instant. C'était comme prendre un coup de poignard dans la poitrine. Mais la douleur était différente de celle que j'avais ressentie quand j'avais découvert que Aesma était partie. Je gardai pourtant une expression impassible adressant seulement un mouvement de tête à Cadence, elle se détourna et s'en alla rejoindre le rez-de-chaussée. Je soupirai lourdement alors que je regagnais ma chambre pour pouvoir me vêtir, même si les mots de mon ancienne maîtresse tournaient en boucle dans mon esprit, comme un refrain entêtant. Je regrettai presque de lui avoir posé cette question, je n'aurais pas cru que sa réponse provoquerait un tel malaise en moi. Je sortis de ma chambre pour rejoindre celle de mes fils, mais je ne m'attendais pas à tomber une nouvelle fois sur Azura. Comme à son habitude, elle me lança un regard empoissonné par la haine. Je ne pus m'empêcher de gronder face à cette attitude qui me mettait hors de moi.

— Tu comptes continuer de me regarder pendant combien de temps ?

— Jusqu'à ce que tu crèves, me cracha-t-elle avec mépris.

Je vins l'empoigner par son haut pour la soulever légèrement, elle se retrouva sur la pointe des pieds, son regard si semblable au mien n'avait pas changé. Aucune trace de remords ou de peur, seulement de la haine.

— Je suis ton père, est-ce que je dois te le rappeler ? Aesma n'est pas là pour te protéger Azura, ne l'oublie pas.

— Je n'ai pas besoin d'elle pour être protégée de toi. Tu crois que j'ai peur de toi, que j'ai peur que tu lèves la main sur moi ? Désolée de te décevoir, mais ce n'est absolument pas le cas.

Un nouveau grognement fit vibrer ma poitrine, rapidement suivi par celui de mon aînée. Mais je ne m'attendais pas à recevoir un coup de poing dans la mâchoire. La douleur se répandit dans la partie droite de mon visage et j'avais lâché le vêtement d'Azura sous la violence de l'impact. Un goût métallique se posa sur ma langue.

— Qu'est-ce que tu crois au juste hein ? siffla-t-elle les poings serrés. Que je suis faible ? Une pauvre petite chose fragile ?! Tu sais, ça me rend dingue l'attention que tu leur portes, ce sont mes frères, je les aime, mais parfois j'aurais préféré qu'ils ne viennent jamais au monde.

Même si mon sang bouillonna, je l'écoutai, me retenant pour une fois de l'ouvrir.

— Tu ne m'as jamais regardée, les seules fois où tu posais les yeux sur moi, c'était pour me regarder avec dédain ou indifférence, comme si je n'étais qu'un vulgaire objet sans la moindre valeur. Tout comme tu n'as jamais plus regardé tes autres filles, mes sœurs. Tu m'as même arraché la seule personne que j'aimais dans cet endroit de malheur, une prison sombre où tu as jeté tes propres enfants. Tout ça à cause de notre sexe, si nous avions été des mâles, tu nous aurais exhibé avec une fierté démesurée.

Ses yeux brillaient à cause de la rage qui l'animait, mais aussi à cause des larmes qui s'y accumulaient au fur et à mesure qu'elle débitait ce qu'elle avait sur le cœur.

— Tu ne nous as même pas accordé une chance, reprit-elle la gorge serrée, tu nous as juste abandonnées. Tu n'es pas notre père, tu n'es que notre géniteur. Tu ne sais pas ce que c'est que d'être un père. Tout ce que tu sais faire, c'est faire souffrir les gens qui t'entourent. Tu n'as aucune conscience de ce que tes actes provoquent.

— Tu ne sais pas de quoi tu...

— Je sais très bien de quoi je parle !

Sa voix avait claqué comme un coup de fouet, me faisant serrer la mâchoire.

— Tu as entraîné ton propre peuple dans la noirceur, les humains brisent des vies, mais notre peuple aussi. Tout ça parce que tu l'as décidé ! Tu as décidé de passer ta frustration sur ceux qui t'entourent, peu importe le prix que ça coûtera. Tu es un égocentrique, tu ne penses qu'à ta souffrance ou alors ton bon plaisir. Et si tu ne me crois pas, regarde Cadence, Kawena et toutes les autres femmes de ton foutu harem ! Aujourd'hui, il ne reste plus rien, mes sœurs n'ont plus de mères et ça aussi c'est à cause de toi. Tu laisses les gens t'aimer pour ensuite ne rien donner en retour, je sais bien que ce n'est pas Aesma qui les a tuées, mais elles, elles voulaient la tuer et encore une fois, tout ça c'était à cause de TOI.

Le sentiment désagréable que je ressentais depuis que Cadence m'avait adressé la parole ne fit que croitre, me compressant la poitrine de manière insupportable.

— Tu ne mérites pas l'amour que l'on te donne, parce que tu n'en donnes à personne. Et tu ne mérites certainement pas ces fils que Aesma t'a donnés. Tu crois que ça va te soulager de détruire les autres de manière égoïste ? Que ça va refermer le trou béant qui s'est ouvert dans ta poitrine ? Tu te trompes. Ça ne fera que l'effet inverse. Et à la fin, il ne restera vraiment plus rien, tu finiras seul, même Aesma s'en ira et là, peut-être, que tu comprendras enfin tes erreurs.

Je vis une larme rouler sur sa joue avant qu'elle n'aille s'écraser sur le sol. Toute la colère que j'avais ressentie quelques instants auparavant était retombée pour ne laisser place qu'à... quoi au juste ? Je ne savais pas, mais je n'aimais pas du tout ça une fois de plus, ça m'oppressait et j'avais l'impression d'étouffer. Azura s'avança et me bouscula de l'épaule exprès, elle dévala ensuite l'escalier pour rejoindre le salon où se trouvait déjà Cadence et certainement Leïn. Je ne cherchai pas à la rattraper, à quoi bon ? J'aurais aimé que ça ne me fasse rien, que je puisse simplement ignorer ses mots. Pourtant, j'avais l'impression qu'une tempête frappait mon cœur. Et à ce moment-là, je me rappelai de ce qu'était ce sentiment désagréable. Voilà bien longtemps que je n'avais pas ressenti ça : la tristesse. Mais s'il ne s'agissait que de tristesse, ça aurait certainement été plus simple à gérer, il y avait autre chose, un autre sentiment qui pesait si lourd dans ma poitrine.

Je me rendis dans la chambre et observai les deux berceaux dans lesquels mes fils dormaient paisiblement, n'ayant pas conscience de l'accrochage que leur sœur et moi venions d'avoir juste devant la porte. Je n'osai pourtant pas m'approcher d'eux. Je m'en sentis incapable à cet instant, comme si les mots d'Azura avaient dressé une barrière entre eux et moi. Une barrière que je n'arrivais pas à abattre.

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