𝐌𝐚𝐥𝐚𝐝𝐫𝐞𝐬𝐬𝐞 𝐞𝐭 𝐣𝐞𝐮𝐧𝐞 𝐟𝐢𝐥𝐥𝐞 𝐞𝐧 𝐝𝐞𝐭𝐫𝐞𝐬𝐬𝐞

Je relève la tête. Je ne m'étais pas rendu compte qu'à travers mes sanglots, mes pas m'avaient conduit à la grange. Seules quelques bottes de foin me séparent de ma demi-sœur, il ne faut pas surtout pas qu'elle me voie dans cet état.

Je suis tellement surprise d'entendre Cendrillon pleurer que j'oublie un instant ma tristesse. De quoi se plaint-elle ? Elle est si... parfaite. Ce ne serait pas elle qui se ridiculiserait de la sorte.
Il me semble qu'elle bafouille quelque chose dans ses sanglots.

— Si tu savais... Je voudrais tant y aller. C'est tellement cruel de la part de Dame Cécilia de m'obliger à les entrainer chaque jour. Comme... comme pour me montrer tout ce que je ne pourrais jamais avoir.

Sa voix claire se brise dans un sanglot. Cendrillon fait une pause, comme pour écouter quelqu'un. Je tends l'oreille, mais je n'arrive pas à percevoir sa réponse.

— C'est gentil, reprend-elle d'une voix légèrement étranglée. Mais tu sais que c'est impossible.

C'est étrange, je ne vois personne d'autre que la jeune fille. Serait elle devenue si folle qu'elle parlerait toute seule ? Cela ne m'étonnerait même pas. Je me hisse sur la pointe des pieds dans l'espoir d'apercevoir quelque chose au-dessus des bottes de foin, mais je percute sans faire exprès un pot de peinture couleur rouille. Il tombe en produisant un fracas assourdissant et déverse tout son contenu sur le sol.
Prise de panique, je me cache avec extrême discrétion derrière la botte de foin en essuyant mes dernières larmes. Je ravale un cri de rage devant ma maladresse.

— Qui est là ? s'exclame Cendrillon d'une voix plus aigüe que d'habitude.

   Je me demande s'il faut que je sorte quelque chose d'intelligent, du style « personne ! ».

   La jeune blonde regarde autours d'elle d'un air paniqué et s'avance vers la botte foin. Je plaque une main devant ma bouche pour assourdir ma respiration. Finalement, la jeune fille rebrousse chemin, surement prise de peur et s'en va en courant. Je la regarde s'éloigner, pieds-nus dans l'herbe fraiche.

Poussant un soupir de soulagement, je vérifie qu'elle assez loin et m'avance au-delà de la botte pour voir ce qu'elle fabriquait. Je ne remarque rien de spécial, excepté une ses souries qui la suivent partout.

Je me demande soudainement ce que je fais là, seule dans la grange du manoir. Je n'y entre que très rarement. Je me laisse glisser le long d'un mur, les genoux refermés contre la poitrine et ferme les yeux. J'ai besoin de réfléchir. Peu importe si les amies de Mère me trouve étrange, ce qui compte réellement, c'est que mon prince m'aime. Je revois ses yeux bleus, son sourire franc et ses boucles brunes que j'admire tous les soirs depuis des années, devant la photo cachée dans mon tiroir. Il est si doux... Le royaume attend avec impatience le jour où il deviendra roi. Nous savons qu'il saura gouverner loyalement et faire régner la justice. Même s'il est plutôt distant avec son peuple, nous l'aimons tous...

Surtout toi, je rajoute amèrement.

Depuis toute petite, je rêve d'épouser le prince. Comme la plupart des jeunes filles du royaume, j'imagine... Mais pour moi, c'est différent. Mère dit toujours que je suis destinée à de grandes choses. Et au fond de moi, je sais que la grande chose, c'est lui.

~~~

— Les filles, nous partons dans une demi-heure !

Je commence à paniquer. Je ne suis pas ni coiffée ni maquillée et je ne trouve pas ma ceinture. Je rejoins Javotte devant la coiffeuse pour résoudre mes deux premiers problèmes. Je cache mes taches de rousseur sous du fond de teint, applique du mascara sur mes cils et du rouge à lèvre. J'enlève mes bigoudis, et mes cheveux retombent en jolies ondulations. Je souris nerveusement au reflet que m'offre le miroir. Je ne sais que penser de mon apparence.

— Comment me trouves-tu ? je demande anxieusement à Javotte.

Elle se tourne vers moi, le visage enduit de miel. Cela rend la peau douce, apparemment.

— Hum... Très jolie. Mais tu es toute blafarde...

Je jette un regard à mon reflet dans le miroir, les sourcils froncés. Je suis pale comme un fantôme.

— Donne-moi des claques.

— Comment ? s'exclame Javotte, pas sure d'avoir bien entendue.

— Donne-moi des claques, je répète. Pour rougir mes joues.

Javotte hausse les épaules.

— Heu... Si cela peut te faire plaisir.

Ma soeur se frotte énergiquement les mains avant de me frapper la joue si fort que je ne peux retenir un cri.

— Voilà, comme ça ! je couine, la voix montée d'un octave. L'autre joue maintenant.

Sa main claque dans l'air d'un geste plus assurer. Je serais prête à parier qu'elle y prend beaucoup de plaisir.

Il ne me reste plus qu'à retrouver cette maudite ceinture. Sans elle, ma robe rose bonbon semble encore plus enfantine. J'observe Javotte piquer sa plume verte dans son chignon.

— Tu n'aurais pas vu ma ceinture, par hasard ?

Elle réfléchit un instant.

— Hum... C'est un bout de ruban rose ? Je crois que j'ai vu un rat jouer avec.

Je lâche un hoquet d'étonnement. Non, mais j'hallucine ! Quel genre de sœur laisse les affaires de l'autre entre les pattes d'un rongeur ?!

— C'est bon, s'exclame-t-elle avec un air de légitime défense. Je ne pensais pas que c'était important.

— Ce n'était pas important ?!, je m'écris. On parle de la ceinture dans laquelle mon prince me verra pour la première fois !

— Premièrement, ce n'est pas ton prince. On sera une centaine à ce bal, il n'y a aucune chance qu'il te regarde !

J'encaisse douloureusement. Quel coup en traitre ! Javotte sait très bien que je rêve depuis toujours d'épouser le prince. Je l'ai sans cesse défendu quand elle cherchait à attirer l'attention de Jacob !

— Bon, dis-je en essayant de me calmer. Où l'a-t-il amené ?

— Dans la chambre de Cendrillon, il me semble.

Evidemment. Je soupire et m'efforce de me calmer. Il me suffit de monter l'y chercher, rien de grave.

Je jette un coup d'œil dans le couloir, où Cendrillon astique le carrelage en chantonnant un air ridiculement aigue. Pas la peine de lui demander l'autorisation d'entrer dans sa mansarde. Je fais signe à Javotte de me suivre. J'attends patiemment qu'elle finisse d'essuyer son masque au miel et nous montons en silence jusqu'au grenier.

Je déteste entrer dans cette chambre. Tout y est tellement... cendrilloneux. Une fenêtre ouverte laisse passer dans un léger courant d'air les pépillements des oiseaux qui chantent. Des souris dansent près d'un bouquet de lilas. La définition même du mot cendrilloneux.

Mon regard se promène dans la chambre. Un mannequin de couture est disposé dans un coin, une jolie robe sur le dos, enserrée par un ruban rose.

Ma ceinture.

Javotte a elle aussi aperçut cette abomination puisqu'elle s'en approche avec un air inquiet.

— Anastasie, murmure-t-elle d'un ton pressé. Tu sais ce que ça veut dire.

Bien sur que je sais ce que ça veut dire. Quelle question.

— Ça veut dire que cette pimbèche m'a volé ma ceinture !

Javotte se tourne vers moi en me regardant comme si j'avais dit la chose la plus idiote qui soit. La plume plantée dans son chignon se balance de haut en bas.

— Non, Anastasie, réplique-t-elle d'un ton énervé. CA VEUT DIRE QUE CETTE PIMBECHE COMPTE SE RENDRE AU BAL !

Cendrillon au bal ? Laissez-moi rire. Enfin... Si elle portait cette robe, elle pourrait bien nous y faire de l'ombre. Avec ses rubans roses, ses tissus nacrés brillants et ce corset serré, on dirait une véritable robe de princesse.

J'avale ma salive avec difficulté et m'approche doucement du mannequin. J'effleure les tissus soyeux.

Mon ventre se tord de jalousie. Cette rob ira à la perfection à Cendrillon. Ce rose fera parfaitement ressortir sa chevelure dorée, ses tissus s'enrouleront avec perfection sur le corps de la jeune fille et les perles pures du corset ne seront qu'un rappel de plus à la poésie qui habite son regard.

Il ne faut surtout pas qu'elle se rende à ce bal. Pas si je veux avoir ma chance, car tout est toujours plus simple pour les jolies filles.

Mon cœur se retourne dans ma poitrine et j'attrape les ciseaux posés sur la commode. Tout au fond de moi, enfouie si loin que je peine à entendre ses conseils, une petite voix me murmure que je ne peux pas faire cela, que jamais une princesse n'agirait ainsi.

Mais je ne suis pas une princesse, les circonstances me l'ont rappelé bien trop de fois. Ce soir est ma seule véritable chance d'en devenir une.

Je fais taire cette voix par un violent coup de ciseaux dans le corset.

Et bam, pour ta voix d'ange.

Et paf, pour ta taille parfaite.

Et pour ton regard intense, tes cheveux brillants, ton port gracieux, ton visage délicat, ta générosité !

Chaque coup se fait un peu plus violent que le dernier, et les larmes coulent sur mes joues tel le tissu se détachant de la robe. Mes pleurs n'ont rien de gracieux, je me mouche bruyamment dans ma manche. Mon visage se bouffi. Petit à petit, je m'écroule dans mes sanglots et me retrouve à terre, secouée par les sentiments qui m'habitent depuis des années. Je ne peux plus m'arrêter, ne sais même plus comment ça a commencé. J'ai vaguement conscience de la présence de Javotte à mes côtés, essayant tant bine que mal de comprendre ce qu'il se passe.

Si seulement je le savais, Javotte...

Et je pleure dans mes cheveux hideux, aussi roux que ceux de Cendrillon sont blonds. Je ne peux m'empêcher de comparer tout ce qu'elle est à ce que je ne suis pas. Et puis d'un coup, ce cri. Ce cri qui me terrifie, ce cri duquel je dois me cacher. Cacher mes gouts, mes larmes, mes émotions...

— Anastasie, Javotte !

C'est Mère. Entendre ces quelques mots me fait pleurer davantage encore. Pourtant, que de plus beaux que le prénom d'un enfant dans la bouche de sa mère ? Ce qui fait la différence ici, c'est tout ce que Cécilia fait passer en quelques mots. Les grandes attentes que nous ne pourrons jamais combler, la déception palpable dans sa voix et parfois... parfois même le dégout.

Il ne faut pas qu'elle me voie comme ça. Je dois me présenter au meilleur de ma forme dans quelques minutes, pour le bien de la famille. Je dois me relever, retoucher mon maquillage et me recoiffer. Je dois me tenir droite devant le prince. Je dois le séduire.

Pour la famille.

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