𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟗







—    A  M  E    A  S  S  E  R  V  I  E    —
cw — gestes sexuels














武士は食わねど高楊枝
• S 0 2 E 1 3 •

















             MON SOUPIR SE perd dans la chaleur des lieux. Je suis épuisée. Mon esprit est vide, comme transcendé. La sensation que mon corps est en suspend m’apaise. J’ai l’impression de flotter sur le carrelage, me laisser porter.

             Autour de moi s’étend la salle de bain. Celle-là même où Eraser Head et moi avons connu une scène si particulière, tantôt. Où, attrapant mon menton de sa main ferme, il m’a forcée à le regarder droit dans les yeux.

             Tandis qu’il n’était vêtu que d’une simple serviette enroulée autour de sa taille et laissant voir un V sculpté donnant sur ses abdominaux finement dessinés, il a posé ses cinq doigts, sa peau, sur mon visage. Et son pouce est même allé jouer avec ma bouche, titillant son coin.

             Ma gorge se fait sèche, je ne sais pas pourquoi je suis revenue dans ces lieux. Quand je les ai quittés, j’étais si ébranlée que je suis sûre d’avoir fait le serment de ne pas revenir ici de sitôt.

             Mais me voilà, à présent. Entre ces murs carrelés jaunâtres et oranges, devant ces dizaines de cabines alignées les unes à la suite des autres dans mon dos, faisant donc face aux miroirs. Je m’agrippe au bord de l’un des éviers, n’osant affronter mon reflet dans la glace accrochée juste au-dessus de lui.

             Je n’arrive pas à croire que j’ai pu trahir Han aussi facilement, en ce sens que ma langue s’est déliée et je converse dorénavant avec Eraser Head. Même pire, à chaque fois que je me remémore la scène des douches, quand il est sorti pendant que je parlais et a saisi ma mâchoire, un vague sourire aux lèvres, je sens mes cuisses se serrer entre elles.

             Et, évidemment, cette excitation est toujours secondée par cette étrange douleur dans ma poitrine, celle qui s’éveille à chaque fois que j’exécute une action qui trahirait Han. Alors, malgré moi, je repense aux accusations du héros selon lesquelles mon époux aurait bel et bien eu un alter, contrairement à ce qu’il prétendait, et que cet alter consistait en me soumettre.

             Je ne sais plus vraiment quoi penser. Bien sûr, sa théorie est tout à fait invraisemblable, manque de preuve et ne ressemble en rien au mari que j’ai aimé. Mais, par ailleurs, ces quelques jours aux côtés d’humains qui me traitaient avec dignité et respect m’ont poussée à réaliser que Han a peut-être pu se montrer abusif au cours de notre relation.

             Qu’il n’était pas aussi parfait que l’image que je m’en suis faite.

— Toujours dans tes pensées, joli cœur ? me tire soudain une voix de ma douce torpeur.

             Je me raidis tandis que mes yeux s’écarquillent en se fixant sur le miroir devant moi. Une pression chaude dans mon dos m’a poussée à fixer mon reflet. Et quelle n’est pas ma surprise, à présent.

             Il est là.

             Juste derrière moi, son torse collé à mon dos, ses abdominaux se pressant contre moi. Malgré la fine buée sur la surface, je distingue aisément ses cheveux noirs ramenés en un chignon maladroit d’où s’échappent des mèches rebelles collées à son front par l’humidité. Mais ce qui fait le plus battre mon cœur — à présent secoué par une course endiablé — est sans nul doute ses iris intenses avec lesquelles il détaille présentement avidement mon corps.

             Celui-ci est — et je le remarque tout juste, à ma grande surprise — seulement vêtu d’une des serviettes blanches mises à disposition à l’entrée. Mon être se voit parcouru d’un frisson lorsque je réalise la proximité de nos corps, le mien étant simplement protégé par ce tissu et le sien, entièrement nu.

— Eraser He…

— Chut chut chut, murmure l’intéressé en retour, ses mains se posant soudain sur mes hanches et m’arrachant un frisson.

             Mes cuisses se plaquent l’une contre l’autre tandis que j’attrape ma lèvre inférieure entre mes dents pour réprimer un léger couinement.

— Dis mon nom, reprend-t-il dans un chuchotement à mon oreille, projetant son souffle chaud sur moi. J’en ai assez de ces formalités.

— Mais…, je commence à rétorquer, ma poitrine se soulevant tandis que ses doigts appuient plus fermement sur mes hanches.

             Je ne devrais pas mais mes entrailles se soulèvent. Son toucher, même au travers de la serviette, m’électrise. Et la façon si intense qu’il a d’observer mon corps dans le miroir, comme s’il n’avait hérité de ses yeux que pour me voir, moi, est grisante.

             Me coupant dans mes paroles, il remonte une de ses mains qu’il pose sur le haut du tissu m’enroulant, jouant avec son accroche comme pour la faire céder. Et ses doigts, attrapant la matière, caresse ainsi la naissance de ma poitrine, m’arrachant un faible couinement que ne parviens pas à retenir.

— Dis mon nom, poursuit-il en tirant légèrement sur le linge, menaçant de la faire tomber.

             Ma gorge est sèche, je ne sais pas quoi répondre. Je sais qu’il me faut le repousser violemment, courir loin de lui, être furieuse que l’assassin de mon époux, celui qui m’a rendue complice de cet acte odieux, me touche de la sorte.

             Seulement, là, maintenant, je ne me suis jamais sentie aussi bien et grisée. A vrai dire, la torpeur qui s’empare de moi est si apaisante et dense que je ne ressens presque pas de douleur à la poitrine. Elle est là, bien sûr, cette souffrance. Mais lointaine.

             Je me perds contre le corps de ce héros, oubliant momentanément nos griefs et me concentrant seulement sur les sensations.

— Dis mon nom, répète-t-il contre mon cou cette fois-ci.

             Avant que je ne puisse rétorquer quoi que ce soit, je sens ses lèvres chaudes et humides se plaquer contre lui, m’arrachant un gémissement. Je bascule la tête en arrière violemment, mes yeux roulant dans leurs orbites et un fourmillement irradiant dans mon entrejambe tandis qu’il m’embrasse la gorge, sa main toujours posée sur le nœud de ma serviette.

             Je frissonne. C’est surprenant comme, d’un simple contact, il vient de tout chambouler en moi.

— Eraser…, je commence, tremblotante sous sa bouche.

— Dis mon nom, me coupe-t-il contre ma peau.

             Là, brusquement, il ôte le tissu m’entourant. L’une de ses mains se referme brutalement sur l’un de mes seins, m’arrachant un bruyant gémissement tandis que son pouce vient titiller mon téton durci.

             Mes yeux s’écarquillent et s’ouvrent, se posant sur le miroir en face de moi.

             Et je sens alors une profonde terreur s’emparer de moi. Déferlante, elle écrase toute l’excitation que j’ai pu ressenti et me plonge dans un état de léthargie profond.

             Là, la bouche toujours posée sur mon cou mais retroussée de sorte à dévoiler deux crocs acérés plantés dans ma chair, Han me dévisage. Ses yeux, aujourd’hui ambrés et traversés de pupilles réduites à l’état de fentes, me fixent tandis que sa cascade de cheveux blancs tombe sur son front et son épaule.

             Pendant que mes yeux étaient fermés, Eraser Head s’est dissipé et Han occupe maintenant son poste.

             Il n’a plus rien de grisant ou apaisant, contrairement à l’homme qui était à sa place, quelques minutes auparavant. Non.

             Il est terrifiant.

— Traitresse, crache-t-il contre ma peau en refermant sa mâchoire sur ma gorge.

             Avec effroi, je sens ses canines percer ma chair et voit du sang commencer à perler depuis la plaie créée. Mais il coule en quantité bien trop grande et a une cadence trop rapide. Je me vide trop vite du liquide rougeâtre, tout cela n’augure rien de bon.

             Han doit comprendre que j’ai moi-même réalisé que quelque chose n’allait pas car il lance simplement contre ma chair ensanglantée, un sourire mauvais aux lèvres.

— Tu vas payer ta trahison.

             Un sursaut. Mon corps tressaute et je fais un mouvement en avant, comme pour fuir l’étreinte de Han.

             Aussitôt, l’obscurité prend le pas sur la lumière du jour qui baignait la salle de bain. Ma position debout est complètement renversée quand je réalise que je me tiens en réalité assise sur un banc, respirant avec force et fatigue.

             Mon corps est couvert d’une épaisse couche de sueur. Mon cerveau, tandis que mes yeux balayent le paysage autour de moi, réalise que je suis dans les vestiaires, là où je dors inconfortablement depuis deux jours. Ce n’était qu’un cauchemar dans ce lieu où je peine à trouver sommeil.

             Si je n’étais pas bouffée par ma fierté, je demanderais à Eraser Head de me filer un sac de couchage.

             Un frisson me parcourt. Eraser Head. Ce surnom…

« Dis mon nom. »

             Je déglutis péniblement.

             Non. Son nom de code est celui sous lequel il travaillait quand Han est mort. Je ne dois reconnaitre que lui. Personne d’autre.

             Posant mes coudes sur mes genoux, j’attrape ma tête de mes mains et respire profondément. Un rêve. Tout cela n’était qu’un rêve. Qui a relativement rapidement viré au cauchemar, ma conscience me rappelant à mes devoirs d’épouse.

             Je ne sais ce qu’il m’a pris, pour quelle raison j’ai pu me laisser aller, même en rêve, contre lui.

             Il est l’ennemi, celui qui a ravi mon mari, je ne peux décemment pas le percevoir autrement que de cette façon. Et, pourtant, quand il a joué avec ma serviette, dans ce rêve, que ma tête a basculé en arrière, que des gémissements ont franchi mes lèvres et que les siennes se sont pressées à mon cou, je me suis dit que rien n’était plus doux que cette sensation.

             Comme j’ai honte, maintenant. Han serait tellement déçu s’il apprenait cela.

— Fais chier, je maugrée.

             Qu’importe. Je suis couverte de sueur, ne me suis pas changée et ai besoin de me mettre les idées au clair.

             Mieux vaut que je prenne une douche.

             De plus, Eraser Head a déjà pris la sienne ce matin est ai parti dès midi — la journée d’aujourd’hui étant particulièrement courte — pour se consacrer à son deuxième emploi, celui de héros. Je n’ai donc aucune chance de le croiser et cela est tout de même mieux pour moi.

             Je n’ai strictement aucune envie de me retrouver de nouveau avec lui, seuls, dans cette pièce. Non. Pas après un tel rêve.

             Me levant, je me dirige vers le casier que m’a dégagé le professeur hier et l’ouvre, y dévoilant quelques tenues confectionnées par Momo avant-hier. Aussitôt, mes yeux tombent sur un haut moulant et un pantalon cargo. Ce n’est sûrement pas l’idéal pour dormir. Mais cela est sûrement ce que j’ai de mieux pour une petite sortie dans ma garde-robe à l’heure actuelle.

             Bien que je sois strictement interdit de m’en aller de ce lycée et que le moindre de mes déplacements — suivis par mon bracelet électronique — sera retranscrit à Eraser Head sur le champ, revoir Edward hier m’a fait prendre conscience d’à quel point mes amis m’ont cruellement manqué. Et, au souvenir du bar que tenait Dan, à quelques rues d’ici, je ne peux m’empêcher de me dire que j’ai profondément envie de les revoir.

             Non seulement je me sens seule mais, même du temps de Han, j’ai désespéré de les recroiser dans les rues, ne serait-ce que de tomber sur eux par hasard. Car je sais pertinemment que, plongée dans ma profonde solitude, le simple fait de revoir leur visage, savoir qu’ils étaient encore là, quelque part en ville, m’aurait alors réconfortée.

             Aujourd’hui, mon époux n’est plus là pour m’empêcher de les côtoyer. Alors je compte bien en profiter.

             Saisissant ma tenue choisie, je me tourne vers la porte des douches, déterminée, avant de marcher en sa direction.

             Ce soir, je retrouve ma liberté perdue.






















             L’air frais fouette mes joues, vivifiant ma peau au passage. Si la douche chaude a pu m’endormir, la température froide m’a particulièrement bien réveillée, claquant mon visage depuis que je suis sortie du lycée.

             Avec mon manteau volé sur un portant à côté des vestiaires, je fais bien pâle figure. J’aurais sans nul doute mieux fait d’attraper des gants, un bonnet et une écharpe au passage.

             Le soleil se couche doucement, laissant un ciel à présent rosé derrière lui. Dans une dizaine de minutes, je me doute qu’il tirera davantage sur le violet et, dans une heure, que la nuit sera entièrement tombée. Mais je ne serais pas là pour assister au spectacle.

             Juste devant moi, la porte s’étend. En fer forgé, noire, elle est décorée de quelques graffitis soignés de diverses couleurs. Des arbres, silhouettes, verres de cocktail et étoiles se font voir en violet, bleu, vert et jaune, comme dessinés au marqueur. Tous encadrent le logo du Mirror Bar.

             Mes entrailles se tordent. Je suis nerveuse. Dans cet établissement, derrière le bar s’étendant à gauche ou peut-être au niveau des tables au fond ou même vers le large centre servant de piste de danse, Dan doit travailler maintenant. Là, à quelques mètres de moi, alors que je ne l’ai pas vu depuis tant d’années.

             Un frisson me secoue. Il m’aura manquée.

             Mais, si je ne me décide pas à entrer dès à présent, jamais je ne le ferais. Alors, quand bien même mon estomac se soulève dans mon bassin et je tremble à l’heure actuelle, je dois me résoudre à pousser cette putain de porte.

             Un pas. Je tends la main. Ma paume rencontre la surface plane. Ma gorge se fait sèche. J’appuie légèrement sur la porte. Je déglutis péniblement. Un autre pas. La musique provenant de l’intérieur parvient soudain à mes oreilles. Je l’ai entrouverte. Une lueur chaude et chaleureuse de fait voir depuis l’enceintre du bâtiment. Je prends une profonde inspiration. J’ouvre définitivement.

             Me voici alors. Sur le seuil. Mes yeux balayant la vaste salle.

             Devant moi s’étend un sol noir et parfaitement lisse, presque brillant. Il se poursuit sur quelques mètres, jusqu’à une marche menant sur la section du bar où se trouvent les tables pour manger ou se poser. Chaque angle de pièce et coin d’escaliers sont traversés de fils néons allumés projetant une lumière bleue sur les lieux.

             Quelques personnes dansent déjà sur la piste, juste à côté du bar s’étendant à ma gauche. Et, quand je lève les yeux vers la personne derrière le comptoir, mon cœur rate un battement.

             Dan est là.

             Ses cheveux noirs de jais et lisse ramenés en un chignon, sa carrure impressionnante pas même engloutie par le sweat large et jaune qu’il porte. Sa couleur rappelle d’ailleurs ses yeux bridés ambrés et joue avec son teint basané. Il est métissé.

             Dans ses mains se trouvent un shaker. Et, versant quelques mixtures dedans, il le referme avant de le secouer avec force, lançant un clin d’œil en direction d’une fille dansant. Malgré moi, un sourire étire mes lèvres face à une telle scène et mes yeux me piquent.

             Il n’a vraiment pas changé. Toujours aussi dragueur.

             Précautionneusement, tandis que la porte se referme derrière moi et que la chaleur ayant irradié mon corps se fait complète, j’avance. Mes pas sont timides, je ne sais pas quelle réaction il va avoir. Si Edward a toujours été quelqu’un de compréhensif dont je n’ai jamais eu à appréhender les actes, son ami — et le mien — ici présent est plutôt différent.

             Mais la pire dans la matière demeure Bosuard. Je n’ai, à vrai dire, pas le moins du monde envie de la croiser pour l’instant et suis plus anxieuse à l’idée de la revoir que je ne l’étais dans le boxe des accusés, il y a deux ans.

             Arrivée à hauteur du bar, je me place sur l’un des tabourets. Sans surprise, je vois le noiraud froncer le nez en tournant le menton dans ma direction sans pour autant lever les yeux vers moi, trop occupé à lire un texto sur son portable tout en secouant son shaker.

             Son alter est l’empathie. Il peut ressentir les émotions d’autrui et, présentement, je me doute que ma nervosité attire son attention. Mais pas assez pour qu’il se détourne complètement de ce qu’il fait.

             Qu’importe, il viendra vers moi bientôt, je le sais.

             Versant le contenu de son shaker dans un haut verre, il laisse voir un liquide violet se dégradant en bleu jusqu’à la surface qu’il agrémente d’un parapluie miniature rose et d’un citron qu’il fige au niveau de la tranche.

             Aussitôt le pose-t-il sur le bar qu’une main manucurée saisit le récipient. Il adresse un clin d’œil en direction de la cliente qui glousse avant de saisir un autre verre qu’il entreprend de nettoyer tout en marchant en ma direction.

             Regardant d’abord l’objet, il ne lève les yeux qu’après avoir commencé sa phrase.

— Qu’est-ce que je vous sers, ma j…

             Aussitôt ses iris ambrées tombent-elles sur moi que sa voix meurt dans sa gorge et il se fige, abasourdi. Je vois ses traits se décomposer lentement tandis que sa bouche s’ouvre légèrement. Au-dessus de ses yeux écarquillés, ses sourcils se haussent et il cesse tout mouvement.

             Je n’ai pas le même alter que lui, mais il ne me faut aucun pouvoir pour deviner combien il est surpris.

             Un faible sourire peu convaincant étire mes lèvres.

— Salut…, je lance simplement d’une voix presque éteinte.

             Il ne répond pas tout de suite, visiblement abasourdi. Je comprends qu’il me vaut mieux étayer les raisons de mon absence et peut-être même celles de mon retour.

— J…Je…Han et moi ne sommes plus ensemble.

             La surprise sur ses traits croit et j’avoue que même moi suis traversée de la même émotion en réalisant mes paroles. J’aurais pu dire que je l’avais perdue, que j’étais veuve ou même occulté cette partie et simplement lancée que j’avais envie de le revoir.

             Mais non.

             Ouvrant la bouche, je m’apprête à rectifier mes paroles. Mais le large sourire qui fend le visage de mon ami me prend de court. Il saisit quelques bouteilles ainsi que son shaker avant de lâcher, chantonnant presque :

— Enfin débarrassée de cette pourriture, ça veut dire que tu reviens vraiment ?

— Je…

             Son rictus en coin m’avait manqué. Nos soirées dansantes, ma musique assourdissante, les fous rires dans ce bar. Je crois que je ne m’étais pas rendue compte combien, toutes ces années, je n’avais aspiré qu’à une unique chose : retrouver ma liberté perdue à leurs côtés.

             Alors, tout simplement, je rétorque :

— Oui. Je reviens vraiment.

— Mais c’est génial, ça ! lance-t-il, laissant ses ustensiles de côté et se penchant par-dessus le bar pour m’étreindre.

             Légèrement surprise, je me laisse quand même fondre dans ses bras et surprend une chaleur réconfortante se répandre en moi. Cela fait longtemps, depuis que mon mariage avec Han s’est dégradé, que je n’ai pas connu ce genre de contact avec un être humain.

             Mes yeux me brûlent. Je réalise que j’en avais vraiment besoin, de cette étreinte. De retrouver Dan, mon ami.

— Tu m’as manqué, murmure-t-il tandis que ma joue est écrasée à son épaule.

             Notre position, arcboutés au-dessus du comptoir, est fort désagréable. Mais, présentement, je m’en contrefiche. Je me sens simplement apaisée par la chaleur émanant de lui et le parfum, à la fois familier et ancien, qui se dégage de sa personne.

             De la sciure de bois.

             Autour de nous, l’ambiance festive se poursuit tandis que nous nous écartons l’un de l’autre, un sourire aux lèvres. Les silhouettes sur la piste de danse continuent à se trémousser au rythme de la musique envahissant le bar et Dan se replace derrière le comptoir.

             Je le sais, je le sens à son regard hésitant, il veut me parler d’Han. Parmi le trio, il était sans nul doute le plus furieux quand je leur ai annoncé mon mariage à l’homme. Il n’arrêtait pas de me dire qu’il ne le sentait pas, qu’il était une ordure et que je ne pourrais jamais être heureuse à ses côtés.

             Malheureusement, malgré mon amour pour mon mari, je me dois bien d’admettre que ce dernier point était vrai.

— Dis-moi ce que tu veux savoir, je déclare simplement en fermant lentement les yeux, un sourire légèrement amusé aux lèvres.

             Aussitôt, sa langue se délie et il saute sur l’occasion. Il faut croire que certaines questions l’ont vraiment bouffé de l’intérieur durant ma période où j’étais éloignée de lui.

— Pourquoi tu l’as quitté ?

             Je me raidis. J’avoue que je ne m’attendais pas à cette question, ce qui est surprenant de ma part compte tenu du fait qu’elle s’impose logiquement dans le schéma de notre conversation.

             J’ouvre et ferme successivement la bouche, pas sûre d’être prête à répondre.

             Fort heureusement le gong me sauve. Et, par le gong, j’entends une voix grave chantant qui jaillit soudain sur une mélodie depuis les enceintes en un son que Dan et moi ne connaissons que trop bien.

I wanna boom bang bang with your body, yo

We're gonna rough it up before we take it slow

Girl, let me rock you, rock you like a rodeo

(It's gonna be a bumpy ride)

             Je vois nettement les yeux de Dan s’écarquiller et mon cœur se met lui-même à battre avec plus d’entrain. Bumpy Ride par Mohombi et Pitbull, une chanson qui sut rythmée des soirées dans ce bar à boire et danser.

I wanna boom bang bang with your body, yo

We're gonna rough it up before we take it slow

Girl, let me rock you, rock you like a rodeo

(It's gonna be a bumpy ride)

             Un rire franchit les lèvres de Dan tandis que la musique se poursuit autour de nous.

— Crois-le ou non, c’est une playlist aléatoire avec plus de cinq mille titres et c’est la première fois depuis que t’es partie que je l’entends, lâche-t-il. Faut croire que même ce bar était las de toi.

             Un gloussement me prend. Il est vrai que, durant mon absence, j’ai ressassé bien des nuits passées ici. Des heures, j’ai fredonné cette mélodie dans ma tête — Han m’interdisait de chanter à haute voix — me remémorant les mouvements de mes hanches.

I wanna boom bang bang with your body, yo

We're gonna rough it up before we take it slow

Girl, let me rock you, rock you like a rodeo

(It's gonna be a bumpy ride)

             Et, là, maintenant, comme si le destin lui-même avait souhaité mon retour en ces lieux, je suis accueillie par cette chanson si dansante et joyeuse, sur laquelle on ne peut que bouger.

I wanna pull you over, pull you under

Make your body surrender to mine (Ooh, ay-oh)

Girl you can make me suffer, do whatever

'Cause I know you're one of a kind (Ooh, ay-oh)

             Dan contourne le comptoir, un sourire aux lèvres. Devinant ses intentions, je secoue mollement la tête de droite à gauche durant quelques instants, comme pour rejeter d’emblée sa proposition. Mais il n’en démord pas et, simplement, tend la main en ma direction.

— Mademoiselle, me feriez-vous l’honneur de cette danse ?

             Même si, il y a encore un instant, j’ai voulu refuser. Là, maintenant que sa paume se présente à moi, quelque chose s’éveille en moi. Comme une passion du passé, le souvenir trop ardent d’une époque où j’étais heureuse, l’envie de recouvrer avec les liens de l’amitié.

             Alors, sans réellement y songer, je saisi sa main.

— Who can love you ? chantent en chœur les personnes dansantes, reconnaissant cette partie emblématique de la chanson.

— NOBODY ! je réponds en hurlant avec Dan, un sourire aux lèvres.

— HOLD YOU ?

— NOBODY !

— MAKE YOUR BODY WIND LIKE ME !

— YOU WILL NEVER FIND SOMEONE LIKE ME !

             Un rire secoue ma gorge tandis que j’avance parmi les silhouettes, me surprenant à rigoler avec de parfaites et parfaits inconnus.

             Je réalise tout juste combien je suis détendue, là, maintenant.

— WHO CAN LOVE YOU ? je hurle.

— NOBODY ! répond une grande femme ébène à l’afro resplendissante.

— HOLD YOU ? cri Dan.

— NOBODY ! rétorque une brune à la peau mate.

— MAKE YOUR BODY WIND LIKE ME ! s’exclame un homme rasé de près.

— YOU WILL NEVER FIND SOMEONE LIKE ME !

             Là, le refrain éclate. Et, telle une machine bien huilée, mes gestes s’exécutent eux-mêmes, se calquant sur la mélodie sans même que j’y songe. Je balance mes hanches, frappe les mains, remue les fesses dans une chorégraphie connue de ce lieu puisque les autres autour de moi font sensiblement la même chose, hilares.

             A la base sexuelle et lascive, cette danse est devenue comme l’emblème de l’endroit. Et, malgré les années sans que cette musique est retentit entre ces murs, tous semblent s’en souvenir.

I wanna boom bang bang with your body, yo

We're gonna rough it up before we take it slow

Girl, let me rock you, rock you like a rodeo

(It's gonna be a bumpy ride)

             Je ne sais pas comment l’expliquer. Je ne me vois pas, n’ai pas pu me dresser à mon avantage mais, là, en cet instant précis, je me sens confiante. Je maitrise mon corps, le pousse dans des actions auxquelles il n’est pas habitué, l’essouffle.

             Et je n’en ressors que plus belle, presque grandie.

I wanna boom bang bang with your body, yo

We're gonna rough it up before we take it slow

Girl, let me rock you, rock you like a rodeo

(It's gonna be a bumpy ride)

             Mes yeux se ferment, mes hanches basculent. Avant, jamais il ne m’aurait traversé l’esprit de jalouser quelqu’un comme Midnight. Je l’aurais traité de la même façon que je regarde les filles à présent autour de moi. Je me serais simplement dit qu’elle était belle, époustouflante.

             Pas que je devais l’écraser et que je serais toujours trop nulle pour le faire.

I'ma spin you around, push your buttons

Buy you plenty of stuff (Ooh, ay-oh)

Let me take you down, to the bottom

Work you all the way to the top (Ooh, ay-oh)

             A vrai dire, maintenant que j’y songe, Han m’a poussée à adopter ce genre de comportement maladif. Et je me rends compte maintenant qu’ils me détruisent. Peut-être ne pensait-il pas à mal, souhaitait-il simplement me pousser à m’améliorer. Après tout, c’est en me comparant à outrance aux autres que j’ai sublimé mon alter.

             Mais cela a tout de même été douloureux pour moi.

             Soudain, deux mains se posant sur mes épaules et j’ouvre les yeux. Sans surprise, je reconnais le visage de Dan devant le mien et, plus particulièrement, son habituel sourire en coin qu’il laisse voir lorsqu’il a un plan derrière la tête.

— Code rose ? je demande.

— Code rose, affirme-t-il.

             Etant un empathique, Dan s’est souvent servi de son alter pour deviner s’il pouvait conclure avec autrui ou non. Et, par le passé, lorsqu’il donnait le code rose à Edward, Bosuard ou moi, cela signifiait qu’il souhaitait rendre jaloux sa future conquête pour la pousser dans ses bras.

             Il demande par-là donc implicitement que je joue le jeu.

             J’hésite un instant. Ce ne serait que des câlins, peut-être quelques caresses mais rien de bien méchant. Je doute qu’Han me tienne rigueur pour ce genre d’actes.

             J’acquiesce simplement, un sourire aux lèvres.

             Sa main se pose alors sur ma joue, il place son pouce sur le coin de ma lèvre. Un frisson parcourt ma colonne au souvenir de ces exactes mêmes gestes pratiqués par Eraser Head, ce matin-même. Mais, là ce n’est pas pareil.

             Moins intense.

Tell me who can love you, nobody

Hold you, nobody

Make your body wind, like me

You will never find someone like me

             Il se penche en ma direction, faisant mine de m’embrasser. Pourtant, je le lis dans ses yeux, il se retient de toutes ses forces de ne pas éclater de rire et je sais qu’il n’ira pas au bout de son geste.

             Il tente quelque chose de bien plus téméraire que ce qu’il a pu faire croire auparavant. Si sa main s’était déjà trouvée sur ma joue, jamais il n’avait penché la tête de la sorte, comme s’il s’apprêtait à m’embrasser.

— Prête pour le spectacle ? me murmure-t-il.

             Je fronce les sourcils.

— Trois…

             Je n’ai aucune idée de quoi il parle.

— Deux…

             Je suis abasourdie.

— Un…

             Mais, aussitôt, son mot meurt dans sa gorge. Sa main quitte ma joue et il disparait de mon champ de vision, comme aspiré par la droite. Un fracas retentit quand il s’effondre au sol.

             Les silhouettes s’immobilisent, plus personne ne danse. Nous tous avons les yeux rivés sur le corps solidement attaché de Dan au sol. Et si la plupart ici se demande ce qu’il s’est passé, il ne me faut qu’un bref coup d’œil aux bandages gris servant de liens au garçon pour deviner qui me fera face quand je vais lever la tête.

             Et, effectivement, quand je redresse cette dernière, une silhouette reconnaissable s’étend devant mes yeux. Tout en muscles dissimulés sous ses vêtements lâches, sa main fermée à hauteur de sa poitrine marque la naissance des bandes. Puis, au-dessus d’elle se dessine son visage percé de deux rubis étincelant et un halo formé par ses cheveux s’élevant dans les airs.

             Eraser Head. C’est lui.

— On va avoir une sérieuse conversation, (T/P).

 












武士は食わねど高楊枝

















4778 mots

voici le chapitre 9 et les
choses se corsent !

leur relation évolue enfin
et on va rencontrer pas
mal de personnes et oc
nécessaires à l'histoire

je suis contente j'ai
l'impression que l'histoire
commence enfin !

bref j'espère que ça vous
a plu

:)

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