𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟑
— 𝐀 𝐅 𝐓 𝐄 𝐑 𝐋 𝐈 𝐅 𝐄 —
« 𝐒𝐢 𝐭𝐮 𝐬𝐚𝐯𝐚𝐢𝐬 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐣𝐞 𝐭'𝐚𝐢𝐦𝐞, 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐭𝐮 𝐞𝐬 𝐧𝐞́𝐜𝐞𝐬𝐬𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐚̀ 𝐦𝐚 𝐯𝐢𝐞, 𝐭𝐮 𝐧'𝐨𝐬𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐩𝐚𝐬 𝐭'𝐚𝐛𝐬𝐞𝐧𝐭𝐞𝐫 𝐮𝐧 𝐬𝐞𝐮𝐥 𝐦𝐨𝐦𝐞𝐧𝐭, 𝐭𝐮 𝐫𝐞𝐬𝐭𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐭𝐨𝐮𝐣𝐨𝐮𝐫𝐬 𝐚𝐮𝐩𝐫𝐞̀𝐬 𝐝𝐞 𝐦𝐨𝐢, 𝐭𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫, 𝐭𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞. »
- 𝐕𝐢𝐜𝐭𝐨𝐫 𝐇𝐮𝐠𝐨
𝟓 𝐃𝐞𝐜𝐞𝐦𝐛𝐫𝐞 𝟐𝟎𝟐𝟐
𝐀𝐯𝐞𝐧𝐮𝐞 𝐒𝐚𝐢𝐧𝐭-𝐂𝐡𝐚𝐫𝐥𝐞𝐬
𝐌𝐨𝐧𝐭𝐞-𝐂𝐚𝐫𝐥𝐨 – 𝐌𝐨𝐧𝐚𝐜𝐨
C'est le son de l'eau qui coule dans la salle de bain qui tire Charles du sommeil.
Lentement, il papillonne des yeux, habituant ses prunelles ensommeillées à l'obscurité de la chambre. Une brise froide sur ses épaules dénudées lui arrache un long frisson désagréable et il s'enfonce un peu plus profondément dans les couvertures, ramenant les draps jusque sous son nez.
L'hiver à Monaco n'est pas si froid, la météo de son téléphone, qu'il est obligé de plisser les yeux pour regarder, lui indique dix degrés à l'extérieur, mais Charles n'y peut rien, il est frileux.
Lui qui a toujours préféré la chaleur sèche des étés méditerranéens à la brise glaciale des hivers sur la principauté, même s'il sait que les températures ne tarderont pas à remonter, il se prépare mentalement à enfiler autant de couches de vêtements que possible.
Encore groggy de sommeil, son regard balaye la pièce à la recherche de la raison de son réveil, ses yeux se fixant finalement sur l'éclat lumineux qui s'échappe de la porte de la salle de bain restée entrouverte.
Sept heures du matin, ce n'est pas une heure pour se lever lorsque l'on est en vacances.
Incapable de se rendormir, Charles tend le bras et attrape son téléphone sur la table de chevet, se perdant rapidement sur les réseaux sociaux et s'amusant de l'inventivité des fans à son sujet. L'un des aspects les plus amusants de la vie médiatique des pilotes, ce sont les rumeurs colportées par des connaissances de connaissances ou par des sites aux sources plus que douteuses.
Si tout ce qui avait, un jour, été dit sur lui devait être vrai, Charles aurait une vie plus palpitante et plus dévergondée que beaucoup de rockers ou de stars de la téléréalité.
Le regard fixé sur son écran, il prête inconsciemment l'oreille aux bruits qui lui parviennent de la salle de bain occupée, guettant le son de la douche qui s'arrête ou le fredonnement de musiques chantonnées en Allemand.
Casilia a passé la nuit ici, comme beaucoup d'autres nuits avant et il l'espère, beaucoup d'autres encore.
Après la soirée de remise des prix de la FIA à Abou Dhabi, il y a trois jours, ils sont rentrés ensemble dans la principauté afin de profiter de quelques jours tous les deux avant d'être rappelés à leurs obligations.
Charles aimerait dire qu'il a profité de ce temps pour faire découvrir à Casilia la beauté de son pays, mais la réalité, c'est qu'ils n'ont pas quitté l'appartement une seule fois depuis leur retour, s'abreuvant l'un de l'autre jusqu'à l'overdose.
Les vêtements éparpillés et leurs valises à peine défaites traînant sur le sol témoignent de leur besoin d'être ensemble, presque collés l'un à l'autre, loin du monde, loin de la réalité, le temps de brefs instants où, après avoir vécus cachés, ils peuvent enfin ne former qu'un.
Ces quelques jours, ils les ont passés enlacés sur le canapé à se saouler au chocolat chaud, critiquant les personnages romancés des films de Noël pour finir par s'embrasser pendant des heures sans craindre d'être surpris, sans urgence.
Simplement parce qu'ils le peuvent.
Ils vivent dans une bulle que Charles aimerait éternelle, s'abreuvant de regards, de lèvres gonflées, d'étreintes immortelles et durant de brefs instants, le Monégasque se surprend à rêver d'un monde où ils n'auraient plus à prétendre être des inconnus l'un pour l'autre.
Un endroit où ils pourraient s'aimer sans que cela ne brise leurs vies, où les gens comprendraient que ces choses-là ne se choisissent pas et que Charles est né pour aimer Casilia.
Envers et contre tous.
Des amants maudits comme on en raffole à la télé.
Quand il passe la main dans les cheveux de Casilia, bien à l'abri dans le secret de leur appartement, il se laisse aller à imaginer prendre sa main dans la rue, lui sourire sans demi-mesure, l'enlacer lorsqu'ils sont submergés par la joie, l'embrasser sur la plus haute marche du podium.
Quel bonheur se serait ce monde-là.
Ses yeux fixent l'écran, mais il ne le voit plus vraiment, plongé dans ses pensées quand les premières notes d'une nouvelle chanson résonnent dans la salle d'eau. Curieux, il tend l'oreille et hausse les sourcils en reconnaissant immédiatement les célèbres accords de guitare.
La voix de la pilote Allemande rejoint bientôt celle du chanteur, fredonnant doucement les paroles que Charles se rappelle avoir entendu maintes fois dans son enfance, chaque fois qu'il prenait la voiture avec son père.
Presque aussitôt, une petite bulle de chaleur se forme dans la poitrine à l'évocation de se souvenir heureux.
Il ne bouge pas lorsque la porte s'ouvre, laissant apparaître Casilia dans un nuage de buée, le corps et les cheveux enroulés dans des serviettes blanches et duveteuses. Presque aussitôt, leurs regards s'accrochent et elle esquisse un petit sourire contrit en comprenant qu'elle est sans doute la cause de son éveil matinal.
- Je t'ai réveillé ? Elle demande. J'ai fait trop de bruit, désolé.
- Tu connais Francis Cabrel ?
Casilia ne relève pas le changement abrupt de sujet et s'assied sur le bord du lit avant de hocher lentement la tête.
- J'essaie d'apprendre un peu de Français, elle explique. J'aime bien écouter des chansons, je reconnais plus facilement les mots comme ça.
Charles est interdit pendant une seconde, il ne savait pas qu'elle essayait d'apprendre sa langue.
La bulle dans sa poitrine grandit encore un peu plus.
La pilote Red Bull le dévisage attentivement et semble saisir son trouble puisqu'elle esquisse un petit sourire amusé.
- Je voulais te faire une surprise, elle confit. Mais il faut croire que je ne suis pas très discrète.
Ses yeux se plissent alors qu'elle plaisante de sa propre maladresse, il la trouve tellement belle.
Dans le fond, Francis Cabrel entonne le refrain de « L'Encre de tes Yeux » de sa voix grave qui rappelle tant de souvenirs heureux.
- Tu comprends les paroles ?
Elle secoue la tête doucement.
- Je l'ai trouvé très belle la première fois que je l'ai entendu à la radio alors j'ai demandé la traduction à un des Français qui travaillent chez Red Bull et je la trouvais encore plus belle après.
Charles hoche la tête silencieusement et, comme pour appuyer ses propos, Casilia se penche au-dessus de lui jusqu'à ce que leurs lèvres s'effleurent sans se rencontrer véritablement et qu'elle de fredonne en rythme avec la chanson :
« Tu viendras longtemps marcher dans mes rêves
Tu viendras toujours du côté où le soleil se lève
Et si malgré ça j'arrive à t'oublier
J'aimerais quand même te dire
Tout ce que j'ai pu écrire
Aura longtemps le parfum des regrets »
Sa voix à quelque chose de râpeux, presque comme du velours alors même qu'elle écorche certains mots avec son accent.
S'il ne pouvait plus entendre qu'une seule jusqu'à la fin de ses jours, Charles voudrait que cela soit ça, la voix de Casilia.
Ils ne se quittent pas du regard alors que les mots meurent dans sa gorge, laissant la voix de Cabrel s'éteindre lentement, rendant sa splendeur au chant de leurs cœurs battant à l'unisson.
Avec une lenteur calculée, elle efface l'espace entre leurs bouches, pressant leurs lèvres dans une danse délicate, suivant un rythme qu'ils sont les seuls à connaître.
Casilia esquisse un sourire contre lui lorsqu'il enroule un bras autour de sa taille et rapproche leurs corps.
- Bonjour, elle chuchote en s'écartant.
- Reste.
Le sourire de la jeune fille se fane légèrement, mais ne disparaît pas pour autant alors qu'elle comprend qu'il ne parle plus seulement du lit et de ses bras.
- C'est l'affaire de quelques jours, elle s'excuse. Je serais revenue en un rien de temps.
Charles grommelle avant de laisser retomber sa tête en arrière, l'entrainant avec lui jusqu'à ce qu'elle repose sur son torse.
- Je ne comprends pas tes sponsors, il râle. Quel est l'intérêt de t'envoyer quatre jours en Indonésie, c'est de l'autre côté de la planète.
Contre lui, elle rit doucement et il la sent rebondir.
- J'ai arrêté de chercher un sens à leurs demandes il y a bien longtemps, elle plaisante. Je vais juste y aller, serrer quelques mains, faire des tas de photos et je serais revenue avant même que tu aies eu le temps de t'en rendre compte.
Charles grince des dents.
- Je n'ai pas envie de te laisser partir, il souffle. On était censés passer les vacances ensemble.
Casilia relève la tête et le regarde un instant avant d'esquisser un grand sourire qui fait automatiquement rougir les joues de Charles, bien conscient de se donner en spectacle.
- Charles, elle ricane. Est-ce que tu boudes ?
Gêné, il détourne les yeux avant de marmonner :
- Non.
Hilare, elle se redresse complètement, prenant appui sur son torse pour le surplomber.
- Mais si ! Elle rit. Charles, tu boudes parce que je m'en vais !
Cette fois-ci, il essaie clairement de la repousser, quitte à la jeter hors du lit, mais Casilia ne se laisse pas faire et une bataille s'engage dans laquelle il tente et s'extirper et où elle s'agrippe de toutes ses forces.
Après quelques instants, ils s'échouent lamentablement dans les draps emmêlés à bout de souffle et morts de rire, Casilia allongé de tout son long contre lui, le visage perché au-dessus du sien, elle est sublime, il en perd ses mots.
Les joues rouges, le regard pétillant, elle lui semble plus merveilleuse à chaque fois qu'il la regarde, plus éclatante encore que tout ce dont il aurait pu rêver.
Le sourire sur les lèvres de Charles retombe lentement alors qu'il se perd sur son visage, contemplant sa chance encore et encore sans parvenir à y croire totalement.
- Tu es tellement belle, il chuchote.
La joie pétille dans ses yeux clairs.
- Menteur, elle glousse. J'ai une serviette sur la tête.
Le Monégasque secoue doucement la tête pour montrer qu'il n'est pas d'accord alors que, d'une main délicate, il saisit les bords du tissu humide et le tire en arrière, libérant la longue chevelure blonde qu'il affectionne tant.
Avec une infinie dévotion, ses doigts glissent dans les mèches emmêlées et elle ferme les yeux, abandonnée toute entière à son toucher délicat.
- Tu es toujours magnifique, il affirme.
Durant une seconde, Charles s'attend à une énième moquerie de la part de Casilia. C'est toujours ainsi qu'elle fait lorsqu'il est question de leurs sentiments, un trait d'humour pour éloigner le sérieux de l'instant, une pirouette pour ne pas parler d'amour.
Mais pas cette fois, non, quelque chose est différent.
Casilia ne dit rien, elle se contente de lui sourire silencieusement, le regard brillant alors qu'elle se penche pour l'embrasser profondément, lentement, gravant à tout jamais la sensation de ses lèvres contre les siennes.
- Quatre jours, Charles, elle souffle sur ses lèvres. Et je serais de retour. Nous passerons tout l'hiver ensemble, tu verras, je n'aurais pas le temps de te manquer, elle promet.
Comprenant finalement qu'il ne pourra pas la faire changer d'avis, Charles accepte de la laisser partir, desserrant progressivement l'emprise de ses bras autour de son corps menu alors qu'elle se redresse.
Silencieusement, il la regarde s'habiller, fermer sa valise et rassembler ses affaires, chantonnant de nouveau au gré de la chanson qui tourne toujours en boucle en arrière-plan.
- Tu n'auras qu'à m'acheter des fleurs, si tu ne sais pas comment t'occuper, elle suggère, amusée. Je meurs d'envie d'avoir un bouquet de tulipe quand je reviendrais.
- Est-ce que c'est ta manière de me réclamer des cadeaux ? S'amuse-t-il.
Elle lève les yeux au ciel.
- Peut-être ?
Charles ricane.
- Reviens vite, il propose. Et je ferais mieux que t'offrir des fleurs.
- C'est une promesse ? Elle demande, sa curiosité piquée.
- Évidemment, il jure.
Dans la tête du pilote, des idées de dîner romantique et de soirée en tête-à-tête fleurissent déjà alors que sous ses yeux, Casilia enfile un manteau floqué du logo de Red Bull.
Rapidement, elle fait le tour du lit pour revenir à ses côtés avant de se pencher pour presser leurs lèvres dans un baiser rapide, mais appuyé qu'il lui rend immédiatement.
- Il est encore tôt, rendors-toi, elle chuchote. Il faut que j'y aille, je vais être en retard.
- OK, il soupire. Tu m'envoies un message quand tu atterris ?
- Promis, elle sourit. Bye bébé !
Elle se redresse rapidement alors que Charles râle qu'il déteste ce surnom sans pouvoir s'empêcher de sourire lorsqu'elle éclate de rire.
Déterminé à terminer sa nuit, le Monégasque s'enroule dans les draps et ferme les yeux, écoutant distraitement les bruits diffus que Casilia produit en récupérant d'autres affaires éparpillées dans l'appartement.
Lorsque le bruit des clés qu'elle enfonce dans la serrure pour déverrouiller la porte se fait entendre, Charles est pris d'un doute, un doute suffisamment grand pour l'obliger à se lever précipitamment, enfiler un bas de pyjama en quatrième vitesse et traverser l'appartement en courant pour pouvoir la rattraper avant qu'il ne soit trop tard.
Il n'a peut-être pas assez de courage pour lui dire qu'il l'aime, mais il y a tout de même une chose qu'il peut lui dire.
- Casi ? Il l'appel.
- Oui ? Elle répond, sur le pas de la porte.
Charles la regarde, une dernière fois, gravant dans sa mémoire le souvenir de sa silhouette dans l'encadrement de la porte, juste avant qu'elle ne disparaisse pour de bon, un sourire lumineux sur les lèvres, excitée à l'idée de partir pour une nouvelle aventure.
- Tu me manques quand tu pars, il commence avant de se reprendre. Tu me manques toujours.
Il espère qu'elle comprend, elle comprend vraiment ce qu'il n'ose pas lui dire, ce qu'il a juste là, au bord des lèvres sans parvenir à lui avouer.
Son cœur se serre douloureusement, de peur.
Mais il n'a pas de raison d'avoir peur, car dans les yeux de Casilia, il n'y a que de l'amour.
Il n'y a toujours eu que de l'amour.
- Je sais, elle lui sourit. Tu me manques aussi.
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𝟏𝟖 𝐀𝐨𝐮𝐭 𝟐𝟎𝟐𝟑
𝐑𝐞𝐬𝐭𝐚𝐮𝐫𝐚𝐧𝐭 𝐁𝐥𝐮𝐞 𝐁𝐚𝐲
𝐌𝐨𝐧𝐭𝐞-𝐂𝐚𝐫𝐥𝐨 𝐁𝐚𝐲 𝐇𝐨𝐭𝐞𝐥 𝐚𝐧𝐝 𝐑𝐞𝐬𝐨𝐫𝐭 – 𝐌𝐨𝐧𝐚𝐜𝐨
- Charles ? Tu es avec nous mon pote ?
Surpris, le Monégasque reporte son attention sur son voisin de table qui le dévisage avec une pincée d'inquiétude dans le regard. Cherchant à le rassurer, il esquisse un petit sourire et hoche la tête.
- Désolé, j'étais dans mes pensées. J'ai manqué quelque chose ?
Suspicieux, Pierre le détaille encore une seconde avant de finalement secouer la tête doucement.
- La serveuse te demande ce que tu veux manger.
Le pilote Ferrari esquisse une grimace désolée en direction de la pauvre fille qui lui rend un petit sourire crispé par la pression tout en notant assidûment sa commande avant de disparaître discrètement.
- Tu es sûr que tout va bien ? S'assure le Français.
Exaspéré, Charles lève les yeux au ciel, s'attirant quelques rires de la part des autres pilotes assis autour d'eux.
- Oui maman, je suis sûr que tout va bien, il râle.
Son meilleur ami grimace et tire la langue avant de se détourner, non sans un dernier regard scrutateur.
Charles lève les yeux au ciel, encore. Depuis le début de la saison, Pierre agit en véritable mère poule avec lui, le couvant du regard à chaque fois qu'il en a l'occasion et agissant parfois presque comme un mur entre lui et le monde extérieur.
Si cela a parfois le don de l'agacer, surtout quand il le traite comme s'il allait se briser à la première occasion, Charles est le plus souvent amusé par le comportement surprotecteur de Pierre et il se fait un plaisir de lui faire remarquer son nouveau côté maternel à chaque fois que son meilleur ami menace de dépasser les bornes.
Disons simplement que Charles s'accommode de la situation même si, à la réflexion, il n'est pas celui qui doit être le plus agacé par la tournure que prennent les événements. Après tout, il n'a jamais demandé à tenir la chandelle entre Pierre et Francisca et il serait même plus que ravie de pouvoir s'éviter un nouveau dîner romantique à trois, le dernier lui ayant laissé un souvenir impérissable.
- Tu crois qu'il faut que tu lui demandes la permission de minuit ? Ricane une voix à ses côtés.
Amusé, le Monégasque hausse un sourcil conspirateur.
- Je pensais plutôt faire le mur, il plaisante.
L'autre laisse échapper un rire silencieux, mimant une expression de surprise outrée.
- Mais qui êtes-vous et qu'avez-vous fait du petit prince parfait de Monaco ?
Charles ne répond pas, un sourire canaille plaqué sur ses lèvres.
Lentement, il embrasse la petite assemblée du regard, il faut dire que vingt-trois pilotes et anciens pilotes de Formule 1, ça ne passe pas inaperçu en plein centre d'un Monaco bondé de touristes au milieu de l'été.
La saison de F1 reprend le week-end prochain aux Pays-Bas et pourtant, tous ont fait le déplacement, arrangeant leur emploi du temps pour répondre à l'appel du Monégasque.
Charles ne sait pas vraiment ce qu'il lui a pris, les dîners entre pilotes sont traditionnellement réservés à la fin de saison, célébrer un nouveau vainqueur, tourner une page et regarder vers l'avenir en attendant l'éternel recommencement.
L'idée lui est venue lors d'un repas chez Lewis, tous les deux assis sur la terrasse de son immense appartement, une bière à la main, contemplant les lumières de la ville cosmopolite et plus loin, la mer semblable à une tache d'huile parsemée d'étoiles.
Évidemment, Lewis avait adoré l'idée, après tout, il est habituellement celui à l'origine des repas et il n'avait pas tardé à prendre en charge l'organisation de la soirée, transformant l'idée de Charles, lancée à la va-vite et sans réflexion, en un véritable projet rassemblant les grilles de 2022 et 2023 le temps d'une soirée.
Privatisation du restaurant, envoie des invitations, fausses pistes pour éloigner les paparazzis, avant même d'avoir pu comprendre ce qu'il lui arrivait, Charles s'était retrouvé poussé dans un van loué pour l'occasion à sillonner la principauté en long et en large pour récupérer tous les pilotes vivants sur place.
Pensif, il esquisse un sourire en repensant à la tête de leur chauffeur en découvrant qu'il allait transporter quelques-uns des plus grands pilotes au monde. Le pauvre homme avait échappé à l'infarctus de justesse lorsque Daniel avait proposé de prendre le volant à sa place.
Les voilà à présent au Blue Bay, restaurant du Monte-Carlo Bay Hotel & Resort spécialement privatisé pour l'occasion, attablés autour d'une immense table dressée face à l'horizon. Le cadre magnifique, l'ambiance chaleureuse, jusqu'au choix des menus, fait par Lewis, adaptés aux restrictions alimentaires de chacun, tout est absolument parfait.
A sa droite Pierre continue de lui lancer de petits regards de temps à autre entre deux taquineries avec Yuki, le tout sous le regard amusé de Lewis et Sebastian qui ne manque rien de la scène assis en face de lui.
En bout de table, Lando se plaint du poisson dans l'assiette de Carlos à ses côtés alors qu'Oscar rit des mimiques agacées de l'Espagnol à deux doigts de lancer un morceau de sa dorade à la figure de l'Anglais.
En face d'eux, Alex, George et Lance débattent du meilleur endroit pour partir en vacances et du fait que de toute façon, leurs copines ont toujours le dernier mot sur la destination.
Attentif, le regard de Charles glisse sur sa gauche et sur Max, assit juste à côté de lui, en pleine discussion avec Daniel, exprimant son avis à grand renfort de gestes qui ont le don de déclencher le rire de l'Australien à chaque fois qu'il s'emporte un peu trop.
Max va mieux ou du moins, c'est le sentiment qu'à Charles. Il faut dire que si, six mois en arrière, on lui avait expliqué qu'il passerait une grande partie de son temps libre aux côtés du pilote Red Bull, il aurait sûrement ri.
Mais les choses ont changé en quelques mois et la vie de Charles se partagent maintenant entre le championnat et Max, qu'il accompagne sur le chemin du deuil, passant certain de ses après-midi assit sur les sièges inconfortables de la salle d'attente de la psychologue hors de prix qu'il lui a déniché ou simplement en l'obligeant à quitter sa grotte le temps de quelques heures pour une balade ou un café.
La lente rémission de Max est un secret de polichinelle dans le milieu, tout comme personne n'a parlé de ses propres moments sombres traversés l'hiver dernier, les médias tiennent leurs langues et Red Bull a resserré les liens autour de son protégé, Christian le gardant comme une lionne et son lionceau, n'admettant qu'un petit cercle restreint principalement composé de Daniel, Charles et Lando.
Le Monégasque est heureux de pouvoir faire partie de ce groupe, il est fier de Max et de ses progrès même si certains jours leur semblent simplement insurmontables et où ils passent leur temps libre à pleurer devant « La Revanche d'une Blonde » jusqu'à ce que Lando ou Daniel ne débarque pour les sortir de là ou simplement pour les ravitailler en crème-glacée.
C'est ainsi qu'est la vie maintenant, gagner des courses, rentrer chez lui, ou chez Max dans les mauvais jours, attendre que Pierre lui propose une sortie, entraîner Max avec lui pour ne pas tenir la chandelle, s'entraîner, repartir pour un nouveau Grand Prix, recommencer.
Cette normalité aurait pu lui sembler ennuyeuse, elle l'était, au départ, mais plus maintenant.
À présent, Charles a compris quelle était sa place, il a toujours ses anciens rêves, devenir champion du monde, inscrire son nom dans l'histoire de leur sport, mais il en a d'autres aussi, des nouveaux, moins grands, mais tout aussi important à ses yeux.
Perpétrer l'héritage de Casilia tout comme celui de Jules, permettre à plus de jeunes femmes talentueuses de trouver des sponsors et des écuries prête à les accueillir pour pouvoir, un jour, ouvrir plus largement la Formule 1 aux femmes.
En faire un sport plus juste.
Soutenir les familles des disparus du vol MH370, tous ces gens qui, comme lui, ont perdu quelqu'un qu'ils aimaient ce jour-là. S'assurer que les recherches se poursuivent jusqu'à ce que le dernier disparu ait été retrouvé.
S'assurer que l'on ne puisse pas les oublier, jamais.
Aider Mick à publier son livre de cuisine, être présent pour Lewis et pour son association animalière, soutenir la famille Russell, veiller sur Carlos et Lando, soulager Max de sa peine un peu plus chaque jour.
Toutes ces petites choses tellement importantes que Casilia avait commencées de son vivant et qu'il se doit de perpétrer, parce qu'elle le mérite.
Parce qu'ils le méritent tous.
Charles à envie d'être cette personne, celle à qui l'on peut parler de tout, appeler quand on a une idée un peu folle, solliciter lorsque l'on a besoin d'aide, parler lorsque l'on a besoin d'être écouté. Soutenir par de petites actions, être présent, simplement.
Petit à petit, Charles devient la lumière qu'il a reçue.
Un soleil né des cendres de l'ancien.
- Pauvre Charles, tu es vraiment à côté de la plaque ce soir, plaisante Fernando. Tu devrais demander à Gasly de rentrer te border et te raconter une histoire.
Amusé, le Monégasque secoue la tête.
- Je lui demanderai une fois que l'on t'aura déposé à la maison de retraite, papi, il sourit.
- Mais non, vous n'avez pas compris, corrige Daniel. Charles travaille son regard de champion du monde.
- Mon quoi ?
L'attention de toute la table se reporte progressivement sur eux et chacun y va de son petit commentaire.
- Ton regard de champion du monde, affirme l'Australien. Lewis, Seb, Fernando et Max ont le même, vous regardez tous le vide comme si vous étiez les seuls à voir quelque chose. Je trouve ça assez snobe, il renifle.
En face de lui, Seb et Lewis se regardent un instant avant de hausser les épaules et Daniel lève les yeux au ciel alors que Max rit.
- Je ne suis pas champion du monde, fait remarquer Charles.
- Mais tu es en passe de le devenir, contredit George.
Le Monégasque hausse les épaules sans répondre, ce n'est pas comme si le championnat était déjà joué, certes, il a une confortable avance dans les points, mais Lando et Lewis ne sont pas assez loin pour lui permettre de se reposer sur ses lauriers et c'est sans compter sur la remontée de plus ne plus rapide de Max dans les classements.
Il est trop tôt pour le déclarer gagnant et ça, il en est parfaitement conscient, c'est la raison pour laquelle il passe la majorité de la pause estivale à s'entraîner et à monopoliser le simulateur.
Pour la première fois depuis qu'il est en formule 1, Charles entrevoit une possibilité de remporter le championnat.
Aucune chance qu'il la laisse filer.
- Rien n'est joué, il conclut simplement.
Le calme revient graduellement alors que les serveurs apportent petit à petit les boissons de chacun et que Lewis se lève, son verre à la main, bientôt suivi par le reste de la tablé.
Tous debout, un verre levé dans le restaurant silencieux et désert, l'instant à quelque chose de solennel.
- Tout d'abord, merci à tous d'avoir accepté mon invitation malgré des délais plutôt courts, commence le septuple champion du monde. Je sais qu'habituellement nous nous retrouvons plutôt en fin de saison, mais les derniers mois nous ont montré à tous que rien n'est figé dans le temps et que tout peut changer en l'espace d'un instant.
La poitrine de Charles picote légèrement, mais elle ne lui fait pas mal, plus maintenant.
Soucieux, il tourne la tête en direction du Néerlandais dont l'expression crispée ne traduit pas le même discours même s'il semble légèrement plus détendu que ce que Charles redoutait. La pression d'une main sur son poignet lui fait tourner la tête et il esquisse un petit sourire amusé en découvrant le visage de Pierre qui le dévisage exactement de la même manière qu'il regardait Max quelques instants plus tôt.
Certaines choses ne changent jamais.
Ce n'est peut-être pas si mal.
- Tous ici, nous avons eu la chance incroyable de connaître et de piloter avec et contre Casilia Lorenz à un moment ou à un autre de nos carrières et nous avons tous, à notre manière, été changés par l'empreinte qu'elle a laissée sur notre sport et dans nos vies, il poursuit.
Le regard de Charles croise celui de Lando de l'autre côté de la table et celui-ci lui adresse un petit sourire mystérieux qui fait se froncer les sourcils du plus âgé, quelque chose se prépare.
Curieux, il examine le reste de l'assemblée et remarque immédiatement deux comportements différents.
Les regards tristes et concernés de certains, souvent les yeux baissés sur la table et ceux, brillants et fiers de quelques-uns qui gardent la tête haute et se sourient, complices.
- Au cours des derniers mois, nous avons fait le deuil d'une rivale, d'une camarade, d'une amie, d'une compagne et, pour certains d'entre nous, sans doute que la blessure mettra encore de longues années avant de pouvoir se refermer, il glisse un œil dans leur direction.
Charles tourne la tête pour croiser le regard de Max qui, comme lui, commence à comprendre que quelque chose se trame. Son visage se tord d'un mélange de curiosité et d'anxiété de la même manière que celui du pilote Ferrari.
Surtout quand il s'aperçoit que Pierre affiche un grand sourire ravi qui donne un frisson à Charles.
D'abord Lewis, puis Lando et maintenant Pierre, quelque chose cloche.
- Mais il est également de notre devoir d'avancer tout en nous rappelant ce qu'elle a fait pour nous en tant qu'hommes, mais aussi pour la Formule 1. Casilia s'est construite elle-même à force de persévérance et de talent, elle ne doit sa carrière qu'à la force de ses convictions et au respect qu'elle a su gagner. Elle était une force de la nature, un prodige qui force l'admiration et nous tous qui l'avons connue, nous ne pouvons qu'espérer voir plus de pilote comme elle à l'avenir.
Charles retient son souffle à mesure que le sourire de Lewis s'agrandit et que les contours de ce qu'il s'apprête à dire se dessinent dans l'esprit du Monégasque.
- C'est pourquoi, avec quelques autres ici, son regard voyage sur la table. Nous sollicitons votre aide pour donner naissance à la fondation Casilia Lorenz incubateur de jeunes talents prometteurs ouverte à tous ceux qui n'ont pas la chance d'avoir le soutien financier nécessaire à la poursuite de leurs rêves de pilotes.
Charles n'a pas le temps d'intégrer l'idée que de l'autre côté de la table, Lando prend la suite de Lewis.
- L'idée serait de sélectionner ensemble des talents prometteurs dans toutes les disciplines automobiles, pas seulement la Formule 1 et de leur offrir une bourse qui viendrait compenser l'absence de sponsor, il explique.
- Mais pas seulement, poursuit Pierre. Dans la mesure où nous les aurions sélectionnés nous-même, nous leur apporterions également notre expertise et nos contacts afin de maximiser leurs chances de succès.
- L'idée n'est pas de concurrencer nos différentes Driver Academy, reprend Lando. Mais plutôt de travailler de pair avec elle afin de permettre à un maximum de pilotes de se révéler et d'atteindre leurs rêves sans être freinés par des problématiques monétaires.
Un silence pensif s'abat sur la petite assemblée alors que tous dévisagent les trois pilotes à l'initiative du projet.
- Vous avez l'air d'avoir beaucoup réfléchi à la question, sous-entend Valtteri, relativement silencieux jusque-là.
- Pierre a fait un PowerPoint, acquiesce Lando.
Quelques rires s'élèvent alors que les joues du Français prennent une vive teinte cramoisie et qu'il fusille du regard son homologue Britannique.
- Nous y réfléchissons depuis plusieurs mois, explique Lewis. C'est un projet que nous comptions mener à bien par nous même avant de nous rendre compte qu'il aurait encore plus d'impact si nous étions tous impliqués dans sa réalisation.
- J'en suis, approuve immédiatement Daniel. Dites-moi où est-ce que je dois signer.
- Pareil pour moi, rejoint Sebastian.
- À quel ordre est-ce que l'on doit mettre le chèque ? Ricane Fernando.
Un murmure d'assentiment parcourt des rangs des pilotes rassemblés, simplement coupé par le rire caractéristique de Lewis qui secoue la tête comme si rien de tout cela ne le surprenait vraiment.
Peut-être qu'il a raison, après tout ce n'est pas comme si quelqu'un avait un jour pu refuser quoi que ce soit à Casilia.
Ça n'allait pas commencer aujourd'hui.
- Merci, à tous, nous pourrons en parler autant que vous voulez pendant le repas, mais tout d'abord...
Délicatement, presque solennellement, il lève sa coupe un peu plus haut, rapidement suivi par les autres.
- À Casilia, il souffle.
- À Casilia, reprennent-ils en cœur.
Plus tard, profitant des conversations et de l'engouement général autour de leur nouveau sujet de travail, Charles se redresse et entreprend de quitter la table. Il s'arrête lorsqu'une main saisit son poignet et son regard croise celui, curieux et légèrement inquiet de Max qui ne le relâche pas.
- Où est-ce que tu vas ? Demande le Néerlandais.
Charles hésite une seconde.
- Je vais aux toilettes, il répond. Je ne serais pas long, je reviens.
Sans qu'il ne sache comment, une forme de compréhension éclaire le regard de Max qui hoche doucement la tête et presse un peu plus fort sa main avant de la relâcher, le laissant partir.
- OK, il expire. Prends ton temps.
- Max, je...
- Je sais Charles, il coupe. Je comprends, vas-y.
Touché, le Monégasque déglutit lentement avant de hocher la tête et de lui tourner le dos, les lèvres pincées, les épaules tendues alors qu'il s'éloigne, mettant de la distance entre lui et les rires des pilotes qui partagent leurs souvenirs de l'amour de sa vie.
Les mains tremblantes, Charles se faufile jusqu'à un pan de terrasse invisible aux yeux de tous, le laissant seul avec la lueur des lanternes et la pureté de la nuit. Sous ses yeux, la mer s'agite en contrebas, sombre d'obscurité, argentée d'éclats de lune, le ressac des vagues s'accordant petit à petit au tumulte de son cœur alors qu'il s'appuie contre la balustrade, défiant du regard le monde qui s'étend à ses pieds.
Ce même monde qui avait amené Casilia jusque dans le creux de ses bras avant de lui reprendre comme on prive un homme de sa liberté.
Pendant un instant, il se demanda s'il la retrouvera un jour, quelque part après la fin du monde, si elle esquissera l'un de ses fameux sourires en voyant ce qu'il était devenu, ce qu'elle avait fait de lui.
Il espéra silencieusement qu'elle soit là-bas, quelque part, aux côtés de son père, de Jules et de tous les autres, partis avant eux, attendant qu'il les rejoigne et enlace de ses bras tremblants l'éternité à leurs côtés.
Cette pensée le fait sourire, l'espace d'un instant, ce besoin viscéral de les savoir ensemble, lui qui connaît si bien la douleur de la solitude.
Son regard brille de larmes et fébrilement, ses doigts s'égarent sur le renflement de son costume, tout contre son cœur, le seul endroit que Casilia n'a jamais quitté.
Avec mille précautions, il extirpe l'enveloppe de sa protection de tissu, caresse avec dévotion les bords écornés par le temps du petit rectangle en papier couleur crème, comme s'il s'agissait d'un trésor.
S'en est assurément un, un trésor, les tout derniers mots de Casilia Lorenz, le dernier présent qu'elle lui a laissé.
Un sourire triste étire ses lèvres alors qu'il retourne le courrier, dévoilant la petite note collée à la va-vite, l'encre des mots à moitié effacés :
« Charles, je me fiche de l'ordre dans lequel tu donneras les lettres, mais s'il te plaît, attends de les avoir toutes données avant de lire la tienne. J'espère que tu comprendras. Casilia »
Oui, il comprend maintenant.
Il lui aura fallu du temps et des larmes pour saisir la beauté cachée de ces quelques mots, l'amour dissimulé derrière cette ultime requête et plus que tout, la manière délicate et magnifique qui permettrait à Casilia de le sauver.
Quelle chance il a eue de tomber pour cette femme qui l'aimait si profondément que même la mort n'a pu les séparer.
Casilia Lorenz a vaincu la mort pour lui permettre de vivre, elle l'a aimé de la plus immortelle des manières, survivant à travers le souvenir qu'il avait d'elle, à travers les souvenirs qu'ils avaient tous d'elle.
Ce n'est ni lâche, ni égoïste que de refuser de partir tout à fait, au contraire, c'est beau, c'est courageux, c'est le réel sens du mot amour que de permettre à ceux que l'on n'a aimé si fort de graver une part de vous au plus profond d'eux-mêmes.
Parce que l'amour est la seule chose qui ne peut jamais vraiment mourir.
Et ce sont des ruines de ce grand amour que Charles se relève, chaque jour un peu plus, couvert de cendre et de larmes, d'éclats de cœur et de souvenirs en lambeaux, mais bien vivant.
Les larmes brûlantes qui bordent la frontière de son cœur glissent le long de ses joues sans parvenir à éteindre le sourire apaisé de ses lèvres alors qu'il ouvre la toute dernière lettre et reconnaît son écriture faite de courbes et de tendresse.
« Charles,
Mon amour, ne m'en veut pas d'écrire ça, d'envisager la possibilité d'un avenir où je ne suis pas. Je n'ai pas abandonné, je n'y ai même pas songé, mais tu me connais, pour la première fois de ma vie, j'ai voulu être préparée, avoir un morceau de moi à te donner.
Je tenais à te laisser quelque chose, pour après. Je voulais te dire que le jour où j'ai croisé ton regard dans cette allée déserte, j'ai su que j'étais la femme la plus chanceuse au monde, parce que je t'avais trouvé.
J'aurais pu passer ma vie sans être tout à fait complète, mais à chacun de mes pas, tu étais là et moi, j'étais entière.
J'ai dépensé toute mon énergie, mis toutes mes forces pour vivre une vie sans regret et toi, tu as rendu chacun de mes rêves possibles, chacune de mes envies accessibles, tu as donné à ma vie cette petite touche de magie que la magie elle-même n'aurait su inventer.
Je t'aime Charles, merci pour la vie que tu m'as donnée.
Tout ira bien, Charles, peu importe quand ou comment nous serons séparés, je sais que je n'aurais pas mal. Comment peut-on souffrir alors que l'on est tant aimé ?
Prends soin de toi et sache que jusqu'au bout, j'aurai tout fait pour rester avec toi. Il n'y a nulle part ailleurs où j'aimerais être, qu'ici, dans tes bras, pas même au Paradis.
Je ne veux pas que tu sois triste, Charles, rappelle-toi plutôt de toutes nos aventures et de notre vie, incroyable. Je ne veux pas que tu pleures, mon amour, je veux que tu ries, que tu vives, je ne veux pas que tu penses à moi avec tristesse, mais avec bonheur en pensant à la chance que j'ai eu de te connaître. Chaque moment passé avec toi a fait de ce monde un endroit plus agréable et sache que je mourrais mille fois plutôt que de manquer une seule seconde de cette vie-là.
J'ai eu la chance incroyable de passer les meilleurs moments de ma vie à tes côtés, mon grand amour. Mon âme-sœur. Avec toi, chaque journée n'a été que joie et bonheur, des millions d'éclats de rire. Tu es la meilleure personne que j'ai jamais rencontrée, ne laisse personne te dire le contraire. Tu n'as jamais fui lorsque j'étais indécise, lorsque c'était compliqué, tu es resté. Même dans les pires moments, je ne me rappelle que de ton rire et de la façon dont tu me faisais rire.
Je t'aime Charles, je t'aime plus que la vie elle-même et c'est pour ça que tu dois me laisser m'en aller.
Le temps est la chose la plus précieuse qui m'ait été donnée et je suis heureuse d'avoir pu passer mon temps avec toi. Je sais que ça sera dur, mais je sais aussi que tu débordes d'une force insoupçonnée et qu'elle t'aidera à traverser toutes les tempêtes jusqu'à nos retrouvailles.
J'ai le cœur brisé de devoir te dire au revoir et savoir tout ce que tu devras traverser à cause de moi me brise le cœur encore un peu plus, car c'est bien la dernière chose que je souhaitais. J'espère malgré tout, qu'avec le temps, tu parviendras de nouveau à penser à moi avec le sourire. Parce que tu as un trop beau sourire pour ne plus jamais le laisser s'exprimer.
On a eu une vie incroyable ensemble, Charles et je serai pour toujours avec toi. Tu es tout pour moi et j'ai adoré chaque seconde à tes côtés.
Merci pour cette vie qui a été la plus merveilleuse qui soit. Merci d'avoir fait de chaque jour une aventure. Du fond de mon cœur, je te souhaite une longue vie heureuse.
Je t'aime.
Casilia. »
Lorsque Pierre pose le pied sur la terrasse, plus tard ce soir-là, Charles est toujours adossé contre la balustrade, dos à lui, contemplant l'écume des flots qui s'échappent en volutes depuis le rivage en contrebas et s'élèvent vers le ciel, portés par le vent chaud venu du sud.
Le silence règne pendant quelques instants sans que le Français, mal à l'aise, ne parvient à le briser.
- Qu'est-ce que tu fais là, Pierrot ?
Pour se donner contenance, le pilote Alpine bombe le torse et relève le menton avant de le rejoindre et de s'adosser à son tour contre la rambarde, fixant son regard sur l'horizon à son tour.
- Les toilettes sont de l'autre côté du restaurant, il explique simplement.
Amusé, Charles esquisse un bref sourire avant de relever les yeux vers son ami et de hausser les épaules.
Prenant ça pour une invitation, Pierre se retourne plus franchement dans sa direction et le détail un instant, s'arrêtant sur ses yeux rouges d'avoir pleuré, mais d'où plus aucunes larmes ne s'échappent. La forme ronde de ses épaules, presque apaisée, comme si un poids imaginaire s'en était allé et enfin, le fantôme d'un sourire échoué au coin de ses lèvres, un sourire que Pierre n'avait plus vu depuis bien longtemps.
- Tu sais, commence le pilote Ferrari. Je ne suis pas un perroquet.
Comprenant l'allusion, Pierre laisse échapper un rire et reporte son regard sur l'horizon.
- Je sais, il acquiesce. Mais tu sais quoi ? Je crois que moi, je le suis.
Curieux, Charles hausse un sourcil, mais ne dit rien, laissant à son ami le temps de trouver les mots qui lui manquent.
- Il y a ce truc qu'elle a dit, il hésite. Dans sa lettre. Ça me perturbe depuis que je l'ai lu et je n'arrive pas à le sortir de ma tête. Quelque chose qui disait que la mort révèle l'amour, que l'inconsolable pleure l'irremplaçable. Ça m'a fait réfléchir sur toute cette colère qu'il y avait entre nous sans raison valable et sur le fait que l'on n'a jamais eus la moindre chance de devenir amis parce que dès le départ, j'ai tout gâché.
Compréhensif, Charles hoche la tête sans détourner son regard de l'horizon devant eux.
- Si ça peut t'aider, il souffle. Je ne crois pas qu'elle te détestait vraiment et qu'elle savait que toi non plus.
- Bien sûr qu'elle s'avait, ricane le Français. Est-ce qu'il y a seulement une chose que Casilia ne comprenait pas avant tout le monde ?
Charles hausse les épaules, sûrement que non, mais cela n'a plus grande importance maintenant.
- C'est pour ça que tu fais tout ça ? Il questionne à la place. La fondation Casilia Lorenz ? C'est pour te rattraper que tu t'investis autant ?
Pierre ne répond pas tout de suite, mais Charles n'est pas pressé, ce n'est pas une course, ça ne l'a jamais été.
- Peut-être que j'essaie de me racheter ? Soupire le Français. Pas que j'ai la trouille à l'idée qu'elle puisse me maudire depuis l'au-delà, mais je crois aussi que c'est quelque chose de bien, cette fondation. Ça ne changera sûrement pas la face de la Formule 1, mais je me dis qu'elle aurait fini par le faire un jour ou l'autre alors autant donner un coup de main.
Le Monégasque approuve lentement.
- Et toi, Charles, qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?
Charles repense à la lettre, que va-t-il faire ? Le sujet est vaste, ardu.
Là, maintenant, il se dit qu'il a envie de retourner à l'intérieur, auprès de ses pairs, de ses frères, passer une soirée aux côtés des seuls hommes au monde à pouvoir le comprendre parfaitement.
Demain, il emmènera Max à son rendez-vous chez la psychologue et peut-être que s'il en trouve le courage, il prendra un rendez-vous pour lui aussi. Parler à quelqu'un, délier sa langue et dire toutes les choses que l'on retient pour protéger les autres, pour se protéger soi-même d'une vérité trop lourde à accepter.
Le week-end prochain, il y aura les Pays-Bas, Zandvoort. Il devra battre Max sur ses terres, le défi promet d'être grand, passionnant. S'il veut gagner le championnat, chaque course sera un combat, un challenge à préparer, une voiture à dompter et des adversaires à connaître sur le bout des doigts.
Le mois prochain, ce sera l'anniversaire de Casilia. Il faudra tenir bon, s'entourer, ne pas s'effondrer, pour lui, pour Max, pour tous ceux qui l'on connut. Passer cette journée à attendre le lendemain en espérant que la douleur s'atténue avec le temps et que chaque anniversaire sera moins éprouvant que le précédent.
L'année prochaine, peut-être que parler d'elle ne lui fera plus aussi mal. Peut-être qu'il parviendra à sourire à chaque fois et pas seulement quand le souvenir est heureux. Peut-être qu'il arrêtera de confondre sa silhouette avec celles des inconnues dans la rue. Peut-être qu'il parviendra à ne plus penser à elle à chaque fois que le jour se lève, à chaque seconde de chaque journée.
Charles ne sait pas combien de temps il lui faudra avant de pouvoir de nouveau ressentir un bonheur sincère, sans ombre et sans regret, il ne sait même pas si cela arrivera de nouveau un jour.
Tout ce qu'il sait, c'est que, quoi qu'il fasse, où qu'il aille, le soleil brillera toujours au-dessus de lui et dans le fond de son cœur.
Lentement, il prend une grande inspiration et se redresse avant de croiser le regard attentif de son meilleur ami.
Non, il ne sera, plus jamais, seul.
- Je ne sais pas encore, il sourit. Mais je crois que ça va aller.
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Bonjour tout le monde, j'espère que vous allez tous bien.
Il n'y aura pas de note dans l'épilogue alors je vais conclure ici.
Afterlife a (enfin) atteint son apogée et il est temps pour nous de laisser Charles et Casilia s'en aller.
Merci à vous tous de les avoir autant aimés, de vous être tant investis dans cette histoire et d'avoir donné sa chance à l'intrigue qui n'a rien de très joyeux. Commencer une histoire en connaissant déjà la fin et en sachant par avance qu'il n'y aura pas de Happy End, c'est un pari risqué que vous avez relevé avec brio et je suis fière d'avoir pu suivre votre progression, comme celle de Charles tout au long de ces treize instances chapitres.
Afterlife, c'est ma plus grande création, ma plus belle écriture et sans doute l'histoire qui me ressemble le plus, dans les bons, comme dans les mauvais côtés. L'idée de Charles et Casilia ainsi que l'écriture des premiers chapitres coïncident avec la perte d'un être cher, le deuil que j'ai exorcisé à travers l'écriture et aujourd'hui, je trouve la force d'écrire la fin dans l'un des moments les plus durs de ma vie.
Je me suis livrée toute entière dans ces lignes, toute la beauté, toute la poésie dont j'étais capable et même si cela m'a pris du temps, je suis heureuse d'avoir réussi à vous montrer à travers Charles que même de la douleur la plus vive peut ressortir de la beauté et que l'on trouve toujours la force de construire à partir des ruines de ce que l'on espérait.
Merci à vous d'avoir fait vivre Charles et Casilia, merci à Andrew sans qui cette histoire n'aurait jamais vue le jour, merci à llahun pour les longues discussions qui m'ont données confiance et m'ont permis d'évoluer, merci à -alcools, _vagabondage et RedBoulette qui ont supportées des mois de teasing et de crash test, certains des plus beaux passages de cette histoire n'existent que parce qu'elles sont là.
Merci à vous tous qui avez lu et commenté cette histoire, j'ai aimé vous voir rire, parfois pleurer, tomber amoureux de Charles et Casilia, de leur vie ensemble et de leurs vies d'après.
L'épilogue sortira demain et quelques bonus arriveront sans doute de temps en temps, car il y a encore quelque de morceaux de vie que j'ai envie de vous montrer.
C'est ici que nos chemins se séparent, j'espère vous retrouver ailleurs sur Collision ou Eldorado et prochainement sur de nouveaux projets.
Passez de bonnes fêtes de fin d'année, joyeux Noël, n'ayez pas peur de dire je t'aime car le risque en vaut la chandelle.
Je vous souhaite à tous et à toutes de trouver votre Charles ou votre Casilia.
Bye les copains ♡
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