𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟐
— 𝐀 𝐅 𝐓 𝐄 𝐑 𝐋 𝐈 𝐅 𝐄 —
« 𝐒𝐢 𝐭𝐮 𝐬𝐚𝐯𝐚𝐢𝐬 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐣𝐞 𝐭'𝐚𝐢𝐦𝐞, 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐭𝐮 𝐞𝐬 𝐧𝐞́𝐜𝐞𝐬𝐬𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐚̀ 𝐦𝐚 𝐯𝐢𝐞, 𝐭𝐮 𝐧'𝐨𝐬𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐩𝐚𝐬 𝐭'𝐚𝐛𝐬𝐞𝐧𝐭𝐞𝐫 𝐮𝐧 𝐬𝐞𝐮𝐥 𝐦𝐨𝐦𝐞𝐧𝐭, 𝐭𝐮 𝐫𝐞𝐬𝐭𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐭𝐨𝐮𝐣𝐨𝐮𝐫𝐬 𝐚𝐮𝐩𝐫𝐞̀𝐬 𝐝𝐞 𝐦𝐨𝐢, 𝐭𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫, 𝐭𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞. »
- 𝐕𝐢𝐜𝐭𝐨𝐫 𝐇𝐮𝐠𝐨
𝟐𝟎 𝐍𝐨𝐯𝐞𝐦𝐛𝐫𝐞 𝟐𝟎𝟐𝟐
𝐂𝐢𝐫𝐜𝐮𝐢𝐭 𝐘𝐚𝐬 𝐌𝐚𝐫𝐢𝐧𝐚
𝐀𝐛𝐨𝐮 𝐃𝐚𝐛𝐢 – 𝐄𝐦𝐢𝐫𝐚𝐭𝐬 𝐀𝐫𝐚𝐛𝐞𝐬 𝐔𝐧𝐢𝐬
Le dernier Grand Prix de la saison n'a jamais été le préféré de Charles.
L'urgence de la fin de saison, la précipitation des pilotes, du gagnant jusqu'au dernier des perdants, à tourner cette page de leur présent presque révolu, les regards qui se portent déjà sur l'horizon avant même que le champagne ne soit sabré.
Lui qui a toujours apprécié la saveur de l'instant présent, le goût acidulé de la victoire et celui, doux-amer de la défaite, le bourdonnement dans ses oreilles juste avant que les feux ne s'éteignent, l'idée de devoir patienter des mois avant de pouvoir remettre ça ne lui apporte aucun soulagement, pas la plus petite once de repos.
Mais cette fois, rien que cette fois, quelque chose est différent sans qu'il ne parvienne à trouver quoi exactement.
Une sorte de sensation agréable qui lui chatouille les entrailles tout au long du week-end, comme s'il avait oublié quelque chose de très important sans parvenir à savoir quoi exactement.
Les résultats des qualifications son bon malgré tout, partir P2, pas assez pour rattraper max, l'inarrêtable pilote et sa Red Bull qu'il est parvenu à dompter, faisant mentir tous les parieurs du début de saison.
P2, c'est la place qu'il doit garder s'il veut rester second du championnat. Lui et Casilia sont au coude-à-coude, égalité dans les points et elle part en P3. Quoi qu'il arrive, le match sera beau et aucun des deux ne cédera le moindre centimètre d'asphalte à son rival.
Casilia justement, à quand remonte la dernière fois qu'ils se sont vus, vraiment vus ? Mexico, il y a presque un mois en arrière, au détour d'une chambre d'hôtel, d'effluves de Tequila et de baisers brûlants.
S'il ne la voyait pas chaque nuit dans ses rêves, Charles pourrait presque croire qu'il a oublié les contours de son visage, le timbre et sa voix et cette façon si particulière qu'elle a de murmurer son prénom.
Oui, pour la première fois depuis que Charles a commencé à concourir, il se dit que peut-être, cette pause hivernale aura du bon.
Disparaître avec elle, sans laisser de traces, quelque part sur une île, au détour d'une montagne, dans un endroit où il n'y aura qu'elle, Casilia et lui, Charles.
La voir quand il en a envie, lui dire ce qu'il est désespéré de lui dire, la regarder respirer, sourire, vivre, des heures durant, tout simplement.
Trouver le courage de lui dire qu'il l'aime.
Charles en est presque sûr maintenant, même s'il ne saurait dire à quel point, quantifier cet amour qui lui dévore les entrailles de la plus douce des manières et lui fait remettre en question tout ce qu'il pensait savoir sur le monde.
Charles est follement, éperdument, irrémédiablement amoureux de Casilia.
C'est un sentiment étrange de se rendre compte que l'on est capable d'aimer une personne si ardemment que le monde dans son entièreté s'en trouve transformé. C'est comme ouvrir les yeux un matin et découvrir que la terre n'a jamais tournée autour du soleil, mais qu'elle tournait autour de Casilia. S'apercevoir que le moindre regard, le plus petit sourire, le toucher le plus minime suffit à vous redonner le sourire pour des heures et à se languir de l'autre au point que la plus petite seconde vous séparant en devient intolérable.
Si elle était Eurydice, il serait son Orphée, marchant jusqu'aux Enfers pour la retrouver.
Alors lorsqu'il la voit passer la ligne d'arrivée, son casque étincelant sous le drapeau à damier, à peine une seconde et trois dixièmes d'avant lui, pas un instant, il ne se surprend à regretter.
Être heureux de perdre, il ne pourrait pas être plus éloigné de la mentalité des pilotes, lui qui rêve de première place, le voilà à se contenter de la troisième.
Mais pour rien au monde, il ne voudrait lui retirer la joie.
Debout sur sa monoplace puis dans les bras de Max, serrée contre ses mécaniciens, félicitée par Christian, Casilia est tout simplement magnifique, rayonnante, si belle qu'il en perd un instant ses mots.
Elle est la première femme, une pionnière, deuxième du championnat l'année de son arrivée, une légende en devenir, de celles qui marquent l'histoire et impriment leurs noms dans les esprits aux côtés de Schumacher, Prost ou Senna.
Dieu qu'il est fier d'elle.
Charles à les mains moites, le cœur qui palpite alors que parmi l'agitation de sa victoire, c'est vers lui qu'elle se tourne, dans ses bras à lui qu'elle tombe, sa nuque qu'elle enlace de ses petites mains qu'il aime tant.
Et le reste du monde disparaît alors qu'elle colle leurs fronts ensemble, visière contre visière et plus de joie dans le regard que sur la terre entière.
- On l'a fait, Charles ! Elle crie à travers les larmes. Tu te rends compte ? J'ai réussi, je leur ai montré !
Il regarde ses yeux humides, brillants comme du cristal alors que la sueur se mêle aux larmes et il la trouve belle, magnifique même, la plus belle chose qu'il lui ait été donnée de voir.
- Je suis fier de toi, il souffle.
Charles peut voir l'émotion dans les yeux de Casilia alors qu'on les écarte pour les ramener à la réalité, leurs équipes ont besoin d'eux, ils ont un trophée à soulever, du champagne à verser.
Il la perd de vue alors qu'on le noie de paroles réconfortantes, on lui dit que son tour viendra, que ce n'est que partie remise et que les légendes ne se font pas en un jour, mais Charles n'a pas l'impression d'avoir perdu.
Peut-être qu'il n'est que troisième, mais cette année lui a apporté Casilia.
Il gagnera le cœur des foules un autre jour, tant qu'il a son cœur à elle, la vie aura un goût de victoire.
Charles n'a pas la sensation de renoncer à son rêve alors qu'il monte sur la troisième marche du podium, champion du monde, il le sera, mais il semblerait que parfois, un rêve puisse en cacher un autre alors qu'il se prend à rêver d'un monde où il serait champion du monde aux côtés de Casilia.
Le podium se déroule comme dans un songe, les hymnes lui vrillent les oreilles, mais Charles est sourd à tout autre son que le rire de Casilia alors qu'elle soulève le trophée dans les airs, acclamée par une foule conquise.
Il dépose le sien avec empressement, saisissant au passage sa bouteille qu'il secoue jusqu'à la couvrir de bulles couleur champagne et qu'elle en fait de même.
Ils se tiennent debout tous les deux sous cette pluie victorieuse, les yeux dans les yeux et à cet instant, le monde retient son souffle. Sans savoir pourquoi, sans comprendre la portée du regard qu'ils échangent, ce que leurs yeux disent et que les plus belles paroles ne pourraient jamais exprimer, sans même s'avoir qu'il est possible pour deux être humains d'autant s'aimer. Les spectateurs de ce moment sentent le monde changer, ils voient qu'un nouveau soleil est né.
Charles ne l'embrasse pas, debout sous cette pluie d'or et de gloire, il ne l'embrasse pas, mais ses yeux le font. Ceux de Casilia débordent encore alors qu'elle lui sourit d'un sourire comme on en voit peu, l'un de ceux qui réchauffe le corps et précipite le cœur.
Casilia lui sourit, debout sous cette pluie de soleil en bouteille, elle sourit comme le font les héros de romans lorsqu'ils comprennent enfin, après avoir souffert, après s'être battus, qu'ils sont arrivés au bout du chemin. Des dieux sur le toit du monde, en proie à une joie si vive qu'elle les rend incapables de voir autre chose que l'autre.
Charles et Casilia.
Casilia et Charles.
Le temps d'un instant, d'une course, d'une victoire, d'un semblant d'éternité dans les yeux de Charles, d'une ébauche de fin du monde dans le sourire de Casilia.
Deux êtres qui s'aiment en dépit de tout, du monde et d'eux-mêmes, sans se le dire, dans le silence de leurs âmes enchevêtrées.
Une folie du cœur faite de pleurs, de rires, de vitesse et de passion.
De ce grand amour qui ne frappe qu'une fois.
- Je suis fier de toi.
Je t'aime.
──────────────────────
𝟏𝟐 𝐌𝐚𝐢 𝟐𝟎𝟐𝟑
𝐀𝐯𝐞𝐧𝐮𝐞 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐏𝐫𝐢𝐧𝐜𝐞𝐬𝐬𝐞 𝐆𝐫𝐚𝐜𝐞
𝐌𝐨𝐧𝐭𝐞 𝐂𝐚𝐫𝐥𝐨 – 𝐌𝐨𝐜𝐚𝐜𝐨
Charles aimerait dire qu'il n'hésite pas avant d'enfoncer son doigt sur le bouton de la sonnette, qu'il n'est pas obligé de prendre une grande inspiration pour se donner du courage ou qu'il n'a pas douté pendant des semaines avant de finalement trouver le courage de venir jusqu'ici, la toute dernière étape de son voyage, sans doute celle qu'il redoute le plus.
Nerveusement, il jette un coup d'œil à sa montre, en venant silencieusement à prier pour que celui qu'il est venu voir ne soit pas là.
Combien de fois a-t-il pensé à simplement laisser l'enveloppe dans la boîte aux lettres et à partir sans se retourner, choisir la facilité. Mais Charles n'a pas pu s'y résoudre, reculant encore et encore l'instant fatidique où il doit se tenir sur le seuil de l'appartement du tout dernier des six pilotes.
La dernière lettre de Casilia, presque un an jour pour jour après qu'ils se soient embrassés pour la première fois.
Le geste est beau et pourtant, la seule chose qu'il voit, c'est le temps qui file, l'éloignant irrémédiablement de sa vie passée au côté de Casilia.
C'est, parfois amer, que Charles constate qu'il n'a pu retenir aucun des deux, Casilia et le temps. Peut-être étaient-ils trop libres pour qu'il ne puisse se résoudre à les enfermer au plus profond de son cœur ? Peut-être qu'il aurait dû essayer un peu plus souvent. Grappiller un peu de temps, un peu plus d'elle, des fragments d'eux que nulle n'aurait pu lui arracher.
Mais le temps a passé, Casilia s'en est allé et il n'y a plus que lui, Charles, juste Charles, terrifié par une porte et par celui qui se trouve derrière après avoir parcouru le monde en quête de réponse à des questions qu'il n'avait même pas conscience d'avoir.
Nerveusement, il écoute le bruit de la sonnerie résonner à l'intérieur et tire sur le col de sa chemise. Il a l'impression d'étouffer dans son costume ajusté. C'est puéril, mais Charles a ressenti le besoin d'être bien habillé, apprêté comme s'il se rendait à un examen, l'envie irrépressible de faire bonne impression pour excuser son manque de courage.
C'est une démarche stupide, surtout quand on sait qui il vient voir.
Le Monégasque retient sa respiration lorsque le battant s'entrouvre et qu'ils se font finalement face, les rivaux qui ne l'étaient pas vraiment, plus maintenant.
Qu'elles lui semblent loin, à présent, leurs querelles d'enfants.
Cependant, ils ne sont pas des amis pour autant et ils se dévisagent un instant dans un silence pesant.
- Ah, ricane l'autre, narquois. Tu avais perdu mon adresse ?
- Quoi ? S'étonne le Monégasque.
L'autre pilote lève les yeux au ciel, pas du tout impressionné.
- Je te demande ce qui t'a pris aussi longtemps ? Ou alors tu as eu la trouille ?
Charles hausse les sourcils et recule inconsciemment, déstabilisé par les paroles dures de son adversaire dont le rictus ne fait que s'agrandir ironiquement.
Avec un soupir, il s'efface dans l'encadrement de la porte et tend un bras en direction de l'intérieur, le regard brillant de défis fixé sur le pilote de la Scuderia.
- Entre, il invite. J'ai fait du thé.
- Max, attend je...il hésite.
- Ne me fais pas répéter Charles. Rentre dans ce putain d'appart.
Le Monégasque déglutit lentement avant de hocher la tête et d'entrer. Dans son dos, la porte claque et il fronce les sourcils face à la scène qui s'étend sous ses yeux.
L'appartement du champion du monde en titre est sens dessus dessous, les rideaux tirés plongent l'endroit dans une obscurité partielle, des vêtements par terre, les barquettes de repas préparés par le physio du pilote à peine entamé laissés à l'abandon, absolument tout ce qui l'entoure transpire un mal-être flagrant y compris le Néerlandais lui-même.
Max passe à côté de lui sans le regarder et file s'asseoir dans le canapé en face d'une tasse fumante autour de laquelle il enroule ses doigts, grimaçant légèrement sous la morsure de la chaleur.
Hésitant, Charles cherche du regard une tasse propre sur le comptoir avant de se résigner et de choisir celle qui lui semble la moins sale.
- Kelly et Pénélope ne sont pas là ? Il demande innocemment en s'asseyant.
- P est chez son père et Kelly est à l'hôtel.
Le regard du Monégasque doit traduire sa surprise puisque Max laisse échapper un lourd soupir, agacé, avant de développer.
- On s'est disputé. C'est l'affaire de quelques jours.
Mais tout dans la gestuelle et dans l'apparence du pilote Red Bull laisse entendre qu'il s'agit de quelque chose de plus grave que ça.
Max à l'air malade, le teint blafard, les yeux cernés de noir et la mine sombre. Il est assis sur le canapé, le dos voûté, recroquevillé autour de sa tasse comme s'il s'agissait de son seul point d'ancrage, le grand pilote ne lui a jamais semblé aussi petit et faible qu'à cet instant.
Charles, lui, n'a jamais été du genre à s'intéresser aux relations amoureuses des autres pilotes, mais il n'est pas totalement aveugle non plus et la rupture de Kelly et Max aurait forcément provoqué une explosion médiatique d'envergure.
D'un autre côté, on ne peut pas dire que le pilote Red Bull ait été au meilleur de sa forme depuis le début de la saison, il y a près de deux mois. Les bruits de couloir disent que l'intégration de Sergio Perez à la place qu'occupait précédemment Casilia ne s'est pas aussi bien passé que prévu et qu'il ne règne aucune alchimie entre les deux coéquipiers.
Pire, malgré une voiture des plus performante, aucun des deux pilotes ne parvient à en tirer suffisamment de génie pour parvenir à se hisser sur la plus haute marche du podium et ça, quand ils parviennent à terminer la course.
En effet, toute personne ayant déjà eu à se mesurer à Max Verstappen en course peut témoigner de son changement abrupt sur la piste, passant d'un pilote vif et précis ne commettent jamais d'erreur à un style beaucoup plus animal, risqué voir même dangereux faisant de lui le pilote avec le plus haut taux de DNF depuis le début de saison.
Définitivement pas le même homme que celui qui soulevait la coupe à Abou Dabi l'année passée.
Comme si quelque chose s'était cassé.
La silhouette voûtée qui lui fait face ne fait que le confirmer.
- On n'est pas là pour me psychanalyser Charles, range tes grands yeux de biche effarouchée et donne là moi.
Le Monégasque hausse les sourcils, surpris.
- Te donner quoi ?
- Sérieusement ? Il grogne.
Et voilà que Max le regarde comme s'il était le dernier des idiots avant de laisser retomber son nez dans la tasse brûlante, d'en avaler le contenu d'une traite et d'esquisser une grimace douloureuse qui fait se questionner le pilote de la Scuderia un peu plus.
- La lettre que Casilia a écrite pour moi, t'es venu me l'apporter pas vrai ?
La mine surprise du plus jeune termine d'agacer Max qui se crispe et pose un peu violemment sa tasse contre la table basse en marbre, mais Charles ne lui laisse pas le temps d'exploser.
- Comment tu le sais ? Comment tu peux être si sûr qu'elle allait t'écrire une lettre ? Il interroge.
Les yeux du pilote Red Bull se plissent de mécontentement alors qu'un rictus mauvais étire ses lèvres.
- Peut-être parce que j'étais son coéquipier ?
La voix pleine de sarcasme du Néerlandais ne fait pas broncher Charles qui sent qu'il a mis le doigt sur quelque chose.
Une chose douloureuse et fragile profondément enfouie, cachée derrière un rempart de colère.
Une épine fichée dans le cœur de Max et qui l'empêche de cicatriser.
- Pourquoi est-ce qu'elle t'a écrit une lettre Max ? Qu'est-ce que tu espères y trouver ?
Seul le silence lui répond alors qu'ils s'affrontent du regard, les yeux clairs et assurés de celui qui est en train de se relever contre ceux, bleus et brisés, de celui que le deuil est en train de noyer.
Lorsqu'il regarde Max, c'est lui-même que Charles voit, celui du début, celui qu'il serait sans doute encore sans Casilia.
Casilia qui ne l'a jamais abandonnée, qui est restée à son chevet, qui l'a aidé à se relever, lui a montré comment respirer dans un monde où elle était l'oxygène. La même Casilia dont Max semble tant manquer.
Encore une fois, Charles regrette de ne pas avoir été plus courageux, d'avoir pris tant de temps pour venir jusqu'ici.
Parce que Max aussi avait besoin d'elle.
Et quelque part, il a empêché Casilia d'aider Max comme elle l'a aidé lui.
Alors qu'il le regarde se ratatiner sous ses yeux avec pitié, le Néerlandais détourne finalement le regard, rendant les armes et portant ses prunelles humides sur une petite boîte en bois toute simple que Charles n'avait pas remarquée, innocemment posée là.
La seule chose parfaitement rangée, intacte, chérie.
D'une main tremblante, Max s'en saisit et l'ouvre avant d'en vider le contenu sous leurs yeux.
Et rien n'aurait pu préparer Charles à ce qu'il y découvre.
- Si je suis aussi certain qu'elle m'a écrit une lettre, il souffle. C'est parce que c'est moi qui lui ai donné l'idée de le faire.
L'aveu sonne comme une sentence aux oreilles du Monégasque qui se retrouve projeté, plusieurs mois en arrière, lorsque maître Mayer dévoilait sous ses yeux les dernières volontés de Casilia, les lettres qu'elle lui laissait et qui, sans qu'il ne le sache à ce moment-là, allait le sauver.
Sauf qu'à la place de Mick, Pierre, Lewis, George ou Lando, ce sont les noms de Christian Horner, Jos Verstappen ou encore Daniel Ricciardo qui apparaissent sur les enveloppes qui s'étalent sous ses yeux. Il y a aussi une lettre pour Lando, plus surprenant, une lettre pour lui et enfin, celle qui lui brûle la gorge et lui pince le cœur douloureusement.
Une lettre pour Casilia.
Charles hésite, bégaie, trébuche.
- C'est toi qui lui as donné l'idée...? Mais pourquoi ?
Il n'est pas du tout certain d'apprécier le pauvre sourire que l'autre lui renvoie.
- On traverse tous des moments compliqués, Max élude.
- Comment ça ?
Charles en est certain maintenant, il déteste ce sourire-là.
- Après 2021, je n'étais pas vraiment en odeur de sainteté dans le milieu et j'ai eu un petit passage à vide, il ricane tristement. Casilia est arrivée à ce moment-là et si elle avait un avis sur la légitimité de mon titre, elle ne l'a jamais exprimé.
Le Monégasque ne se souvient que trop bien de la vague de haine qui s'était abattue sur Red Bull et son pilote à l'époque, lui-même était d'ailleurs d'avis que le titre aurait dû revenir à Mercedes et Lewis, mais il n'avait jamais approuvé le comportement de ceux qui s'en étaient pris à Max dont le seul tort avait été d'être avantagé par des règles obscures et des décisionnaires de la FIA dépassés par leurs propres choix.
- Un jour où on allait à un événement ensemble, elle a cramé l'une des lettres dans ma boîte à gants, il sourit doucement. Elle n'était vraiment pas contente et elle ne s'est pas gênée pour me le faire savoir. Au départ, elle a trouvé que c'était stupide et morbide, personne de sain d'esprit ne prévoit sa propre mort.
Il marque une pause, les yeux fixés sur la table et les lettres qui la recouvre, un petit sourire nostalgique aux lèvres, Charles n'ose pas l'interrompre.
- Finalement, elle devait être aussi saine d'esprit que moi puisqu'on s'est retrouvé à les écrire ensemble, il rit. Je pensais qu'elle me les enverrait s'il devait lui arriver quelque chose, mais te voilà, la dernière crasse qu'elle pouvait me faire.
Max hausse simplement les épaules, comme si la présence de Charles ne l'affectait pas et reporte son attention sur sa tasse vide qu'il remplit à nouveau en même temps que celle de son invité.
- C'est elle qui m'a offert ce thé, il explique. Je le trouve vraiment immonde, mais à force de le boire pour lui faire plaisir, je m'y suis habitué.
- Comment est-ce que tu vas ? Risque le Monégasque.
Le regard vaguement perdu de Max revient sur lui, comme si la question lui semblait parfaitement incongrue.
- T'es pas obligé de faire ça, Charles, il arrête. On n'est pas des amis, on n'est même plus des rivaux, donne-moi la lettre et tire-toi.
Le cadet fronce les sourcils, vexé, mais il ne baisse pas les bras pour autant.
- Ce n'est pas une lettre.
- Quoi ?
- Ce que Casilia t'a laissé, ce n'est pas une lettre.
Sous ses yeux, le visage du Néerlandais se transforme, la méfiance et l'antipathie laissant place à de la curiosité mêlée d'une touche d'espoir presque enfantine et Charles sait, il sent qu'il est temps. Délicatement, il sort de son sac à dos la grosse enveloppe en papier kraft qui l'accompagne dans tous ses déplacements depuis des mois.
- Je ne voulais pas regarder, il précise. Mais un bord s'est déchiré et j'ai deviné ce que c'était.
Lentement, il tend le tout dernier souhait de Casilia au pilote qui l'accepte avec révérence, comme s'il s'agissait de la chose la plus précieuse au monde, dévoilant lentement l'ébauche d'un magnifique album photos.
Max pleure à chaudes larmes avant même d'en avoir ouvert la première page et Charles ne peut que l'imiter car sur la couverture, accroché maladroitement avec du scotch pailleté, une photo de Max et Casilia tout sourire, bras dessus bras dessous dans leurs combinaisons Red Bull.
Charles ne saurait pas dater la photo, mais Max semble la reconnaître. Immédiatement, ses doigts tremblants effleurent le contour de leurs silhouettes, un sourire ému aux lèvres alors que les larmes continuent de couler à flots sur son visage.
- L'Australie, il chuchote. La première fois qu'elle est montée sur un podium. J'étais en colère de ne pas avoir pu finir la course, mais elle était tellement heureuse et sa joie était communicative. On a passé la nuit dans un bar tous les deux à boire comme des trous, Christian avait dû venir nous chercher, je me rappelle encore du savon qu'il nous avait passé.
Attentif, le Monégasque écoute chaque information, chaque souvenir que l'autre a à lui confier. Il hausse très haut les sourcils lorsque le plus âgé l'invite d'un signe de la tête à le rejoindre sur le canapé afin qu'ils puissent découvrir l'album ensemble.
La décoration du livre est enfantine, pleine de strass, de paillettes, de fleurs et de cœurs dessinés aux feutres de toutes les couleurs avec des légendes amusantes et touchantes.
Tout l'album respire l'amour que Casilia ressentait pour Max.
Les photos les montrent souvent tous les deux, parfois avec d'autres membres de l'écurie, Christian, Daniel ou Lando. Ils sont souvent dans des positions amusantes et désordonnées. Il y a aussi toutes les photos que Casilia a prises quand Max ne regardait pas, naturelles, presque intimes parfois, des photos de famille aux yeux du Monégasque qui découvre leur relation au travers de l'objectif de Casilia.
- Tu savais qu'elle gardait toutes ces photos ? Il demande doucement.
- Non, mais je ne suis pas surpris, une fois, je lui ai dit que je n'avais pas beaucoup de photo de moi avec les membres de ma famille parce que j'avais l'impression de ne pas être moi-même en leur présence.
- Pourquoi ?
Max hausse les épaules simplement, comme si ce fait ne le dérangeait pas ou plus.
Lentement, il continue de tourner les pages, découvrant de nouveaux passages de leur vie figés sur papier glacé.
- Toute ma vie, j'ai eu l'impression de jouer le rôle que l'on attendait de moi, il souffle. Mon père rêvait que je sois un champion, alors je le suis devenu. Red Bull avait besoin que j'améliore ma réputation, alors je suis mis avec une fille qu'on avait choisie pour me donner une image de type rangé et stable. Et même Kelly, elle avait besoin de quelqu'un de célèbre pour sa communauté et assez doué pour plaire à son père. J'ai toujours eu le choix et en même temps, personne n'a envie de savoir qui je suis vraiment, on a besoin de mon image, de mon talent, mais pas de mon avis.
Charles pince les lèvres, lui qui considère avoir toujours été quelqu'un d'entier sait parfaitement qu'être pilote rime avec l'abandon une partie de soi pour pouvoir coller aux attentes des autres, il ne pensait simplement pas que Max aussi était dans ce cas-là.
La preuve, il ne l'avait jamais vu pleurer.
- Avec Casilia, c'était différent. Il suffisait qu'elle me lance un sourire au milieu d'une réunion pour qu'elle devienne supportable, qu'elle glisse une blague pendant un repas pour que je retrouve l'envie de manger. Savoir que, quoi que je fasse, elle ne serait jamais déçue, c'était magique. La meilleure année de ma vie.
Charles aimerait bien ajouter ses propres anecdotes, mais il sent que ce n'est pas ce dont Max a besoin. Il a besoin de parler, parler comme il ne l'a peut-être jamais fait, plus depuis la mort de Casilia en tout cas.
Alors il garde les lèvres closes et accepte qu'aujourd'hui, pour la première fois depuis longtemps, l'âme en peine, ce n'est pas lui.
C'est Max.
- Casilia, c'était le genre de personne qui rendait la vie plus supportable. Même quand ça n'allait pas, elle trouvait toujours le moyen d'y voir du positif et d'en rire. Quand elle s'est mise en tête d'écrire ces lettres avec moi, j'ai trouvé ça stupide parce qu'elle ne pouvait pas... C'était Casilia et il n'y avait aucune raison qu'elle... Elle n'aurait jamais dû...
Le Néerlandais ravale un sanglot et Charles ne peut que lui laisser du temps, parce qu'il sait qu'une étreinte ne le réconfortera pas, que des mots de ne toucheront pas.
Que lorsque le monde s'effondre toute la bonne volonté n'est parfois pas assez.
Max n'a pas envie d'être réconforté, il a besoin d'avoir mal, sentir la douleur lui lacérer le cœur pour se convaincre qu'il en a toujours un, emprisonné dans sa poitrine. Souffrir pour exister, pour continuer de se lever le matin et d'avancer en sachant pertinemment que la meilleure part de soi est morte avec Casilia.
Charles a été comme ça, il l'est encore, parfois, il sait ce que cela fait d'avoir mal sans pouvoir se passer de la douleur.
À la manière d'une drogue qui redonne le goût de vivre en vous tuant à petit feu.
- Ils auraient pu tout me prendre, tout, je leur aurais donné, la voiture, les trophées, mais pas Casilia, pas elle, il sanglote. Elle ne pouvait pas mourir, ils n'avaient pas le droit de la prendre.
Hésitant, Charles pose doucement une main sur l'épaule du pilote, glissant dans son dos avec compassion tout en tournant une nouvelle page de l'album, dévoilant une photo de Max et Casilia grimaçant face à l'appareil et un Christian les yeux pétillants d'humour et de désespoir en arrière-plan.
Ils étaient une famille, c'est la constatation qui frappe Charles en découvrant ces nouvelles photos, discrète mais soudée autour d'un seul et même soleil.
Max aimait Casilia comme on aime une sœur, peut-être même plus qu'il n'a jamais aimé sa propre famille et sans doute l'aimait-elle avec autant de force.
Charles pince les lèvres, les sourcils froncés par la compassion alors que sa main ne quitte pas le dos de Max, totalement recroquevillé autour de l'album dont il tourne la dernière page, le cœur brisé en million de fragments irréparables.
Sur la toute dernière page, au milieu d'un nuage de paillettes de toutes les couleurs, des dizaines de petites photos de Casilia qui sourit, qui lève les pouces en l'air en signe d'encouragement et une grande, collée au milieu de toutes les autres la représentant debout dans une robe d'été aux motifs fleuris baignée dans la lumière du soleil couchant alors qu'elle semble agiter les bras en direction de la personne qui prend le cliché.
Et malgré le soleil, malgré la distance, malgré les larmes qui brouille sa vision, rien n'est plus visible que l'immense sourire qui orne les lèvres de Casilia, rien n'est plus audible que le son de son rire qui irradie de ce cliché en papier glacé, rien n'est plus précieux que l'étincelle qui pétille dans ses prunelles alors qu'elle semble les regarder droit dans les yeux, tous les deux, ses amours.
À ses côtés, le corps du Néerlandais est secoué de sanglots alors que ses doigts effleurent les mots qu'elle a laissés là.
« Max,
Je sais à quel point vivre fatigue, mais je sais aussi que parfois, on rencontre des personnes qui justifient le monde et qui nous aident à vivre par leur seule présence. J'espère avoir été cette personne pour toi, comme tu l'as été pour moi.
Tu mérites que l'on te répète chaque jour de ta vie ô combien tu es beau et important, tu mérites que l'on accepte tout de toi, y compris ce que tu redoutes de montrer, tu mérites que l'on voie ta tristesse derrière tes sourires de façade, que l'on t'épaule, que l'on te soutient envers et contre tous. Tu mérites tout ce que l'existence a de meilleur à offrir et plus que tout, tu mérites que l'on t'aime toi et seulement toi avec tes failles et tes blessures.
Tu n'as pas besoin d'être parfait pour que l'on t'aime, tu l'as toujours été et tu le seras toujours.
Je te quitte dans cette vie pour t'attendre dans celle d'après, mon frère.
Je t'aime.
Casilia. »
Et Charles ne peut que sourire à travers les larmes, parce qu'encore une fois, elle a su trouver les mots justes, ce que l'on espère entendre et qui éteignent l'incendie. Ceux qui vous enveloppent de leur amour si profond et si vrai qu'il parvient à redonner des couleurs à la vie.
Après tout, Casilia leur a toujours fait cet effet-là, marquant à tout jamais de son empreinte la vie de ceux qui ont eu la chance de l'approcher. Elle faisait partie de ces gens qui, d'un regard, vous redonnent vie et, quelque part, il n'est pas étonnant que sa mort l'ait fait aussi.
Dans ses bras, Max pleure sans s'arrêter, mais Charles n'est pas inquiet, il peut presque le voir, le sentir dans les sanglots libérateurs du pilote.
L'épine a été retirée.
La guérison peut commencer.
Alors Charles ne bouge pas, il serre toujours Max dans ses bras, il le ferra le temps qu'il faudra, des heures, des jours, des années, il se sent prêt à attendre jusqu'à la fin des temps.
La dernière lettre a été délivrée, l'histoire est achevée, mais il n'a pas peur, il n'a pas de regrets, parce qu'au fond de lui, Charles sait qu'une autre histoire ne fait que commencer et que quoi qu'il arrive, Casilia sera pour toujours à ses côtés.
──────────────────────
La dernière lettre a été délivrée, le périple de Charles est achevé.
Certains d'entre vous avaient compris que la lettre reviendrait à Max depuis un moment déjà et il me semblait nécessaire de finir le périple de Charles par celui qui l'a initié.
Charles avance dans son deuil et maintenant, il est assez fort pour prendre soin de ceux qui ont mal.
Je sais que les nouveaux chapitres mettent longtemps à arriver alors je voulais remercier ceux qui sont toujours là et que l'attente n'aura pas découragé, merci du fond du cœur de faire vivre Charles et Casilia.
Je ne peux pas vous dire quand sortira le dernier chapitre, vous commencez à me connaître, quand je donne une date ce n'est jamais bon signe...
La prochaine fois que vous verrez ces deux-là, Charles ouvrira sa lettre et Casilia pourra lui dire au revoir.
Bye les copains ♡
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top