𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟏











— 𝐀 𝐅 𝐓 𝐄 𝐑 𝐋 𝐈 𝐅 𝐄 —









« 𝐒𝐢 𝐭𝐮 𝐬𝐚𝐯𝐚𝐢𝐬 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐣𝐞 𝐭'𝐚𝐢𝐦𝐞, 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐭𝐮 𝐞𝐬 𝐧𝐞́𝐜𝐞𝐬𝐬𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐚̀ 𝐦𝐚 𝐯𝐢𝐞, 𝐭𝐮 𝐧'𝐨𝐬𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐩𝐚𝐬 𝐭'𝐚𝐛𝐬𝐞𝐧𝐭𝐞𝐫 𝐮𝐧 𝐬𝐞𝐮𝐥 𝐦𝐨𝐦𝐞𝐧𝐭, 𝐭𝐮 𝐫𝐞𝐬𝐭𝐞𝐫𝐚𝐢𝐬 𝐭𝐨𝐮𝐣𝐨𝐮𝐫𝐬 𝐚𝐮𝐩𝐫𝐞̀𝐬 𝐝𝐞 𝐦𝐨𝐢, 𝐭𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐞𝐮𝐫, 𝐭𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐚̂𝐦𝐞. »

- 𝐕𝐢𝐜𝐭𝐨𝐫 𝐇𝐮𝐠𝐨









𝟐𝟔 𝐉𝐮𝐢𝐧 𝟐𝟎𝟐𝟐

𝐋𝐮𝐧𝐚 𝐏𝐚𝐫𝐤

𝐍𝐢𝐜𝐞 – 𝐅𝐫𝐚𝐧𝐜𝐞



Lunettes de soleil sur le nez, casquette enfoncée sur le crâne et tenue passe-partout, Charles gare la voiture qu'il a empruntée à sa maman, une petite citadine, sur l'immense parking du Luna Park en plein centre-ville de Nice.

Machinalement, il prend en photo le numéro de sa place pour pouvoir la retrouver plus tard avant de lever les yeux vers la boule d'énergie qui sautille à ses côtés.

Une tenue à l'identique de la sienne à l'exception de la longue queue de cheval qui bondit avec elle, Casilia a littéralement l'air de vivre le plus beau jour de sa vie.

Charles s'arrête un instant pour la regarder.

Même après tout ce temps, elle parvient encore à le surprendre.

Avec attention, il détaille sa silhouette élancée rebondir encore et encore, ses cheveux danser autour de son visage, ses prunelles qu'il devine pétillante de bonheur derrière ses lunettes teintées et son sourire, immense et communicatif.

Si l'on demandait à Charles toutes les raisons qui font qu'il trouve qu'elle est la plus belle femme qu'il ait jamais vue, sûrement que toute l'encre du monde ne serait pas assez.

À chaque fois qu'il pense enfin la connaître, elle lui montre une nouvelle facette et c'est comme s'il fallait recommencer du début, le seul jeu auquel il pourrait jouer pour l'éternité.

Impatiente, elle se tourne vers lui et attrape sa main pour le tirer et le forcer à avancer.

- Allez Charles ! Dépêche-toi !

Amusé, il lève les yeux au ciel en lui emboîtant le pas.

- Tu sais, les manèges ne vont pas s'en aller, il rit.

Casilia lui tire la langue malicieusement et ne rétorque pas, préférant accélérer pour gommer au plus vite la distance qui les sépare encore de l'entrée.

Naturellement, le Monégasque entrelace leurs doigts un peu plus étroitement alors qu'ils marchent, en profitant pour embrasser le poignet de la jeune fille lorsqu'il lève la main pour se gratter le nez.

- Je n'en reviens pas que tu ne sois jamais allée dans une fête foraine.

Elle hausse les épaules en récupérant les places qu'il vient juste d'acheter.

- J'imagine que l'occasion ne s'est jamais présentée. J'habitais un petit village où la foire ne s'arrêtait pas et mes amis n'étaient jamais là pendant les vacances.

- Et tes parents ? Tu n'y es pas allé avec eux ?

- On ne faisait pas grand-chose ensemble, ils n'étaient pas souvent à la maison.

Les sourcils de Charles se froncent d'un mélange de compassion et de consternation. Lui qui ne compte plus les nombreux moments qu'il a passé avec ses parents et ses frères durant son enfance, il a du mal à concevoir que l'on ne puisse pas partager ce lien particulier qu'il a toujours eu avec sa famille.

L'Allemande remarque immédiatement le trouble de son compagnon puisqu'elle lui serre doucement la main et gomme du bout des doigts de sa main libre la ridule qui s'est créée sur le front du Monégasque.

- Tout va bien, amour, elle sourit. Je n'ai pas eu une enfance malheureuse, simplement différente de la tienne et puis, je suis contente de pouvoir faire ça avec toi.

Elle ponctue sa phrase d'un doux baiser au coin de la bouche du pilote qui ne peut s'empêcher de vérifier autour de lui que personne ne les a remarqués, amusant Casilia au passage.

- Relax Charles, personne ne fait attention à nous.

- Casilia, chérie, on porte des lunettes de soleil alors qu'il fait nuit. Bien sûr que tout le monde nous a remarqué, il râle.

Le sourire de la pilote s'accentue, carnassier et elle répond :

- Eh bien, donnons-leur une raison de détourner le regard alors.

Et sans attendre la réaction de Charles, elle grimpe sur la pointe de ses pieds, enroule ses bras autour du cou de son amant et comble l'espace entre leurs lèvres, l'entraînant dans un baiser terriblement passionné.

S'il tente d'abord de résister, il se laisse finalement entraîner dans l'échange, une main s'enroulant possessivement autour de la taille de la jeune femme, la seconde remontant le long de sa colonne vertébrale pour saisir sa nuque et imprimer son rythme dans l'échange.

À bout de souffle, ils se séparent et Casilia profite du faible espace entre leurs visages pour frotter leurs nez l'un contre l'autre dans un bisou esquimau. Puis, aussi rapidement qu'elle s'est fondue dans ses bras, elle s'écarte, le laissant pantelant et luttant contre l'envie irrépressible de l'embrasser comme un dément.

- Tu vois, elle rit en tournant sur elle-même. Personne ne nous regarde !

La conscience de Charles, qui met quelques secondes de plus à reconnecter avec son cerveau, l'oblige à sourire comme un idiot avant de secouer la tête et de saisir la main qu'elle lui tend.

- Alors ? Qu'est-ce que tu veux faire ?

Elle réfléchit pendant quelques minutes alors qu'ils s'engagent dans l'allée principale, illuminée par des dizaines de stands de la pêche aux canards au vendeur de churros avant qu'elle ne relève les yeux sur lui.

- Qu'est-ce que l'on est censé faire en premier dans une fête foraine ? Elle demande. Est-ce qu'il faut manger d'abord ou bien faire les attractions à sensation ? Je veux aussi faire les machines à pince, mais on m'a dit que c'était une arnaque alors je ne sais pas trop...

Attendri, Charles se décide à l'arrêter dans sa réflexion.

- Hey, il souffle. C'est toi qui décides, on est ici pour toi et pour que tu t'amuses alors si tu ne veux faire qu'une seule attraction de toute la soirée, c'est OK. Fais ce que tu as envie de faire Casi.

Muette, elle plante ses prunelles dans les siennes pendant un bref instant, par-dessus la barrière de ses lunettes et Charles n'arrive pas à déceler le tumulte d'émotions qui s'y bousculent alors il se contente de sourire avec confiance, traçant de petits cercles de la pulpe de son pouce sur le dos de la main de sa compagne.

Il n'ose pas l'embrasser et pourtant, Dieu sait qu'il en a envie, terriblement envie.

- Alors ? Il demande. Qu'est-ce que tu veux faire ?

Le regard toujours fixé sur lui, l'Allemande semble reprendre pied dans la réalité puisqu'elle le tire de nouveau à elle, levant leurs mains liées jusqu'à son visage avant d'embrasser chacune des phalanges du Monégasque avec dévotion.

- Tout, répond-elle. Je veux tout faire.

C'est exactement ce qu'ils font, toute la soirée et une bonne partie de la nuit, manège après manège, crêpes après gaufres après churros.

Alors peut-être que Charles explose son régime et peut-être aussi que pour la première fois depuis qu'il gagne sa vie en tant que pilote de Formule 1 son compte bancaire est à découvert, mais cela en vaut largement la peine.

Rien qu'à voir ses yeux brillants de bonheur, son sourire immense qui dévoile sa dentition blanche et sa main qui ne quitte pas la sienne de toute la soirée, la pressant doucement à chaque fois que leurs regards se croisent.

Juste comme ça Casilia est heureuse et c'est tout ce qu'il faut à Charles pour être heureux aussi.

Il y pense parfois, quand les battements de son cœur s'affolent et qu'il s'attarde un peu trop sur la façon dont son corps se fond parfaitement contre le sien quand il l'enlace, ce bonheur si évident qu'il a l'impression d'avoir cherché toute sa vie.

Peut-être que c'est ça, l'amour ?

L'idée que maintenant, le monde tourne autour de Casilia.

Et sûrement qu'il devrait trouver cela terrifiant, mais ça ne l'est pas vraiment. C'est même plutôt grisant, cette sensation d'avoir mis le doigt sur un secret bien gardé, la dernière pièce d'un puzzle qu'il aurait passé sa vie à essayer de compléter.

- On rentre à la maison ? Il demande après qu'elle ait bayé pour la troisième fois.

Malgré la fatigué, elle secoue la tête et enroule un bras autour de la taille du pilote alors qu'il en profite pour enlacer ses épaules.

- Je n'ai pas envie que ça se termine, elle geint.

Amusé, il laisse échapper un léger rire tout en lui frictionnant le dos.

- On pourra revenir, tu sais ? Ce n'est pas si loin et puis la foire ouvre tous les ans.

Casilia reste silencieuse quelques instants, la tête pressée contre l'épaule du Monégasque, debout au milieu de la foule.

- Tu le promets ? Elle souffle. De revenir avec moi l'année prochaine, c'est une promesse ?

Dans sa poitrine, le cœur de Charles s'offre un tour de montagnes russes et pourtant, pas une seconde, il n'hésite avant de répondre.

- C'est promis.

- D'accord, elle sourit. Alors on peut y aller.

Il hoche la tête silencieusement, la suivant dans l'allée chatoyante de lumières artificielles, ralentissent patiemment lorsqu'elle s'attarde devant un stand. Quelques mètres plus loin, elle pile net devant le comptoir d'un jeu de tir à la carabine, l'air d'une enfant excitée plaquée sur le visage.

- Charles ! Elle s'exclame.

- Quoi ?

- Viens jouer au tir à la carabine !

Il lève les yeux au ciel en la rejoignant devant le vendeur qui ne semble pas parler un mot d'Anglais et regarde la pilote Allemande avec de grands yeux.

- Tu veux faire une partie ?

Le sourire de la jeune fille s'accentue encore plus et il redoute sa réponse.

- Non ! Je veux que tu gagnes pour moi.

Surpris, le Monégasque éclate de rire alors qu'elle a toujours l'air aussi sûr d'elle.

- Qu'est-ce que c'est que cette idée ? Il se moque.

- Arrête de rire, elle râle. Je veux faire comme dans les films, tu sais, quand le garçon gagne une peluche qu'il offre à la fille qu'il veut impressionner.

- Tu veux que je t'impressionne ?

- Non, mais je veux que tu m'offres une peluche.

Il croise les bras sur sa poitrine et elle n'en démord pas.

- Je pourrais très bien t'en acheter une.

- Ce n'est pas pareil. Je veux que tu me le gagnes à la foire.

- Mais je suis nul à ça !

- Je suis sûr que non, si un enfant peut le faire, tu peux le faire aussi, elle ricane.

Charles voit bien qu'elle se moque de lui, mais il sent aussi qu'une partie d'elle espère vraiment qu'il gagne cette peluche. Une chose qu'il a remarquée chez elle, c'est cette passion pour les films et pour la vie romancée qu'ils dépeignent, comme si elle fondait ses attentes sur la vie fantasmée des héroïnes de cinéma.

Il ne peut s'empêcher d'être attendris et de la laisser gagner, encore, toujours.

- OK, il abdique. Mais je te préviens, je ne suis vraiment pas bon à ce genre de jeu, il y a peu de chances pour que l'on gagne quoi que ce soit.

Et il n'oubliera jamais ce qu'elle a dit à ce moment précis, penchée par-dessus la table pour examiner les cibles après avoir déposé un petit baiser de remerciement sur ses lèvres, presque comme si de rien n'était, simple comme un « Je t'aime » chuchoter à son cœur.

- Mais si, Charles, elle sourit. Tu vas gagner. Peu importe le temps que ça prendra, tu gagneras.



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𝟓 𝐌𝐚𝐫𝐬 𝟐𝟎𝟐𝟑

𝐂𝐢𝐫𝐜𝐮𝐢𝐭 𝐈𝐧𝐭𝐞𝐫𝐧𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥 𝐝𝐞 𝐒𝐡𝐚𝐤𝐢𝐫

𝐌𝐚𝐧𝐚𝐦𝐚 – 𝐁𝐚𝐡𝐫𝐞𝐢𝐧



Debout dans le couloir qui mène à l'avant de son garage, Charles prend une grande inspiration.

La clameur du dehors lui parvient malgré les murs épais et les écouteurs qu'il a enfoncés dans ses oreilles. De toute sa vie, c'est la première fois que le tumulte de la foule lui semble si assourdissant, peut-être parce qu'il lui semble que plusieurs années se sont écoulées depuis la dernière fois qu'il a mis les pieds sur un circuit, peut-être aussi parce que Shakir n'a jamais accueilli autant de public que cette année.

Soixante-dix-mille spectateurs, rien à voir avec Silverstone, Spielberg ou Monza, mais à cet instant, elle semble à Charles terriblement imposante, intimidante même, cette masse bruyante qui concentre son attention sur lui, attendant un signe de sa part.

Le Monégasque sait qu'il est scruté, il le sent à chaque fois qu'il a le malheur de mettre un pied dehors. Sa nuque le brûle lorsqu'il arpente le paddock, sa voiture qui revient encore et encore sur les écrans géants et cette passion des journalistes qui se font un devoir de filmer ses yeux à chaque fois qu'il relève sa visière.

Il aimerait dire que toute cette attention ne le dérange pas, qu'il a l'habitude d'être sous le feu des projecteurs, mais c'est sans compter sur Casilia.

Casilia qu'il voit à chaque fois qu'il ouvre les yeux, Casilia sur les écrans géants, Casilia dans la bouche des journalistes, Casilia sur les drapeaux, sur les vêtements, dans les yeux des gens.

Comme si le monde entier avait revêtu le visage de Casilia, le visage de l'amour.

Et Charles ne veut pas détourner le regard, il ne veut pas fermer les yeux peu importe à quel point le brassard noir accroché à son bras le démange, à quel point ses mains tremble à chaque fois qu'il croise ses prunelles inanimées.

Pour rien au monde, Charles ne souhaiterait manquer ça, il veut graver sur ses rétines l'image de tous ces gens unis pour elle, martelé sur son cœur le souvenir de son sourire.

Casilia le soleil, une toute dernière fois.

La poitrine compressée par l'appréhension, une nouvelle musique démarre dans ses oreilles et il sursaute quand une main agrippe son épaule.

Surpris, il découvre le visage crispé mais souriant de Carlos qui lui lance un regard incertain. Comprenant qu'il est temps, le Monégasque retire ses écouteurs et les rangent dans leur étui avant de relever les yeux vers son coéquipier.

- Ça va aller ? Demande l'Espagnol.

Charles hausse les épaules.

- Ce n'est qu'une parade, il souffle.

- Tu sais très bien que ce n'est pas que ça.

- Je sais, il détourne le regard. Elle aurait adoré être le centre de l'attention.

À côté de lui, Carlos lève les yeux au ciel et retire sa main, un léger rictus peint sur les lèvres.

- Oh que oui, il rit. Quelle peste.

Charles secoue la tête pour effacer le petit sourire qui a élu domicile au coin de ses lèvres. Les deux pilotes Ferrari s'adressent un bref regard de connivence avant de quitter le garage côte à côte, Ray Ban sur les yeux et casquette écarlate visée sur la tête.

Marcher jusqu'au bus censé les amener autour du circuit prend un peu plus de temps que prévu à cause de la foule compacte qui refuse de les laisser progresser et ils sont les derniers à gravir les marches qui mènent jusqu'à la plateforme découverte qui se met en mouvement immédiatement après la fermeture des barrières de sécurité.

Naturellement, Charles rejoint Pierre et s'intercale entre le Français et Alex Albon sans prêter attention aux caméras qui se fixent sur lui, transmettant son image sur tout le circuit.

Pierre ne lui lance pas un regard, les yeux fixés sur la foule qui s'agite devant eux.

- Quitte à coller sa photo partout, ils auraient au moins pu en choisir une où elle n'a pas l'air sur le point d'éternuer, râle le pilote Alpine.

Amusé, Charles lève les yeux sur les affichages officiels de la FIA qui présentent tous le même cliché assez peu flatteur de la pilote Allemande.

- C'est mignon de défendre ta meilleure amie Pierrot, il ricane.

- Ne parle pas de malheur... Si on me demande encore une fois de dire à quel point elle était incroyable, je jure que je jette ma voiture dans le muret au premier virage.

Le Monégasque laisse échapper un rire amusé.

- Pauvre de toi, j'oubliais que vous étiez les pires ennemis du monde.

- Vas-y, moque-toi, peste l'autre. Dès qu'elle était dans les parages t'étais le pire des canards.

- Vous parlez de la folle histoire d'amour/haine entre Pierre et Casilia ? Interromps le pilote Thaïlandais.

- Quoi ?!

Pendant que Pierre s'offusque dans son coin, Charles hausse les sourcils et croise les bras sur sa poitrine, amusée.

- Bah alors Pierrot ? Tu me fais des cachotteries ?

- « Pourquoi est-ce que Charles est tout le temps avec elle ? Qu'est-ce qu'il lui trouve ? », mime Alex à ses côtés.

- « Charles était mon meilleur ami avant qu'elle ne soit née, d'où est-ce qu'elle se permet de me le voler ?! », enchaîne Esteban en face d'eux.

- C'est faux ! Je n'ai jamais dit un truc pareil !

- Tu rigoles ? S'exclame Georges. On en a tous entendu parler ici, à croire que c'était toi la copine de Charles et pas Casilia.

Outré par les moqueries de ses adversaires, Pierre se renfrogne et tourne la tête dans la direction opposée d'un air boudeur. Hilare, Charles décide de venir à son secours et passe un bras autour des épaules de son ami.

- Awwn Pierrot, s'amuse-t-il. Ne boude pas, tu sais très bien que c'est toi qui as la plus grande place dans mon cœur.

- Menteur.

Le Monégasque esquisse un petit sourire amusé avant de le relâcher, il n'a jamais vraiment cherché à comprendre la mésentente entre Pierre et Casilia.

Pensif, il reporte son attention sur la foule en face d'eux et son regard accroche le dos de Lando, adossé à la rambarde avec Carlos. Lentement, il se décale pour les rejoindre.

- Vous croyez qu'elle aurait aimé ça ? Il demande.

- Casilia ? Elle aurait adoré avoir toute l'attention sur elle et parader en nous en mettant plein la vue, sourit Lando.

- Elle aurait surtout été incapable de tenir une minute de silence sans rigoler, ricane Carlos.

Les deux autres pouffent discrètement.

- C'est dingue quand même, tous ces gens qui lui rendent hommage. Je suis sûr que la moitié d'entre eux la critiquaient avant l'accident.

- Sans doute, soupire le Britannique. Mais personne ne s'y risquera maintenant, à part Pierre évidemment, mais c'est parce qu'il ne veut pas reconnaître qu'il est jaloux d'elle.

Ils rigolent encore, mais Charles sent peser sur lui le poids du regard des autres pilotes. Il a bien remarqué que certains lui jetaient de petits regards lorsqu'il a le dos tourné et que de manière générale certains sont plus réservés à son égard.

Ennuyé, il laisse échapper un soupir avant de se tourner vers le groupe, tournant le dos au public. Cette parade lui semble soudainement interminable.

- Je ne vais pas m'effondrer, vous savez. Vous pouvez poser vos questions sans que je ne me mette à pleurer, il ricane.

Il prononce ces mots sur le ton de la plaisanterie, mais il sait pertinemment que la nouvelle de sa relation avec Casilia n'est pas forcément bien passée auprès de tous les pilotes de la grille et il préfère autant crever l'abcès pendant qu'ils sont tous présents.

- Depuis quand est-ce que vous étiez ensemble ?

Patient, il tourne son regard vers Lance qui vient de poser la question.

- Quelques mois. On a commencé à se voir après Miami l'année dernière, mais je ne saurais pas vraiment dire à quel moment on est devenus un couple, il mime les guillemets avec ses doigts.

Charles voit à leurs réactions que certains accusent le coup, c'est beaucoup à avaler.

Dans deux mois, cela aurait fait un an.

- Comment ça se passait pendant les Grand Prix ? Est-ce que vous vous avantagiez l'un l'autre ?

Voilà la question qu'il attendait depuis le début, la question qu'il sait tourner dans l'esprit de certains de ses camarades depuis l'annonce de leur couple. Se sont-ils aidés ? Ralentir au bon moment, laisser passer le bon concurrent, percuter le mur avant le bon Grand Prix, Charles sait que certains se sont imaginé les pires bassesses de leur part.

Charles et Casilia contre le reste du monde.

Charles et Casilia en dépit du monde.

Mais pas sur la piste, jamais en travers de leurs rêves respectifs.

- Est-ce que quelqu'un ici imagine Casilia capable d'avantager quelqu'un d'autre au championnat ? Il sourit, lasse.

Sa question semble faire mouche puisque certains pilotes affichent des grimaces sans équivoque.

- J'aime Casilia, il s'arrête. J'aimais Casilia plus que je n'ai jamais aimé quiconque dans ma vie, j'étais prêt à lui demander de m'épouser, il lâche un rire. Mais nous avions nos propres rêves et nos propres objectifs à atteindre. J'avais beau l'aimer comme un damné, pour rien au monde, je ne l'aurais laissé me battre pendant une course et elle aurait fait exactement la même chose.

- Est-ce que tu vas bien ?

Touché, il adresse un sourire à Nyck De Vries, le rookie Alpha Tauri.

- J'ai l'impression que tout le monde me pose cette question. Je ne vais pas bien, j'ai perdu quelqu'un d'important pour moi, mais ce n'est pas la première fois. Je sais que ça peut sembler étrange comme ça, mais Casilia m'aide à avancer et je sais qu'avec le temps, ça finira par aller mieux.

Les autres hochent la tête et leur approbation réchauffe le cœur du Monégasque qui ne se serait pas vu affronter la défiance de ses camarades pendant toute la saison.

À vrai dire, il se fiche un peu de l'avis des autres, il n'a pas eu besoin de leur assentiment pour tomber amoureux d'elle et qu'ils le comprennent ou non lui importe peu, mais une partie de lui avait besoin de ça, tourner la page publiquement pour pouvoir la refermer intimement.

Charles ne regrettera jamais d'avoir aimé Casilia, c'est comme ça.

- Vous pensez qu'ils vont nous passer l'hymne Allemand pour lui rendre hommage ? Demande Yuki.

Une vague de protestation s'élève dans les rangs des pilotes à l'exception de Max qui lève les yeux au ciel.

- Parti comme c'est, râle Lando. Je crois qu'on va déjà bien assez l'entendre comme ça cette année.

Un rire échappe à Charles qui se rend à peine compte que la parade est terminée. En faisant la queue pour descendre du bus, certains viennent leur voir, tapent sur son dos gentiment ou pressent son épaule en signe de soutien. Il accepte toutes ses démonstrations avec gratitude, vu de l'extérieur, ce n'est pas grand-chose, mais le message caché derrière ces marques d'affection est unanime.

Cet hommage à Casilia, c'est le courage qu'il manquait à Charles pour prendre son envol.

Debout dans le couloir qui mène à l'avant de son garage, Charles prend une grande inspiration.

D'ici quelques minutes, il devra traverser le couloir, franchir le seuil de son garage et monter jusque sur la grille de départ où l'attend déjà sa monoplace, fin prête à l'emmener vers la victoire.

Sous ses pieds, le sol tremble de l'agitation de dizaines de milliers de spectateurs, autour de lui, les murs vibrent d'électricité, l'air brûle d'anticipation et ses oreilles bourdonnent du vacarme de son cœur lancé dans une course contre ses propres peurs.

Dans quelques minutes, sera lancé le départ du premier Grand Prix de 2023.

Son premier sans Casilia.

Nerveusement, le bout de ses doigts caresse les contours épurés de son casque, ses yeux, brillants d'émotion, retracent avec vénération les contours du soleil qu'il a sur sa protection et dans le fond du cœur.

Le monde autour de lui hurle Casilia.

Mais Charles sait parfaitement que cela ne lui ressemble pas.

Casilia préférait les courses en journée aux spots aveuglant de celles de nuit, elle aimait conduire sous la pluie loin de la poussière brûlante du désert, elle préférait les circuits de ville, sinueux et stratégiques aux courbes artificielles et aux interminables lignes droites.

Casilia, c'est l'élégance de Monaco, le tracé légendaire de Spa, la passion de Monza.

Lorsqu'il sort sous les lumières artificielles, son casque étincelant enfoncé sur la tête, la visière teintée dissimulant son regard au reste du monde, Charles cherche la présence de Casilia. L'ombre d'une monoplace dans son rétroviseur, une silhouette perdue dans la foule, une voix sur la bande son d'un journaliste, même la plus minuscule parcelle de lumière du soleil dans l'obscurité pesante de la nuit.

Il ne s'arrête pas une seule fois sur le chemin jusqu'à sa voiture, ne détourne pas le regard, ne baisse pas la tête, ne fait pas attention aux murmures, aux pleurs de certains, il est dans sa bulle.

Charles, la course et Casilia.

En s'asseyant, il entend la voix du speaker qui explique dans les haut-parleurs que le numéro 72 a été retiré de la liste de la FIA, comme le 17 de Jules Bianchi avant elle. Une partie de lui est rassurée, il n'aura plus jamais à piloter contre une voiture portant son numéro, honnêtement, il n'est pas sûr de pouvoir y arriver si le cas devait se présenter.

Happé par la concentration, il bronche à peine lorsque la main de Lewis tape contre son épaule, les sourcils froncés, il lève les yeux vers le septuple champion du monde qui, comme lui, a déjà enfilé son casque.

Leurs regards se croisent et Charles n'a pas de mal à comprendre le message qui transmet les prunelles de l'Anglais.

Gagne.

Gagne la course.

Gagne le championnat.

Gagne-le pour toi.

Gagne-le pour Casilia.

Et ensuite enterre là.

Au plus profond de ton cœur, tatoué à même ton âme, inhume la dans un coin de ton esprit qui n'appartient qu'à toi, un endroit où le temps et l'oublie ne l'atteindront pas et puis enfin, relève-toi.

Les yeux fixés sur les cinq feux rouges qui s'embrasent comme pour attiser la flamme de son cœur, Charles pourrait jurer qu'il entend son rire alors qu'il enfonce la pédale de l'accélérateur.

Porté par une force qu'il pensait avoir perdue en ce fameux jour de décembre, il y a quatre mois, Charles fonce vers sa destinée.

S'il gagne, c'est qu'il l'aura mérité.

S'il perd, c'est qu'il aura échoué.

S'il meurt, c'est qu'il sera allé la retrouver.

57 tours, 308 kilomètres, c'est tout ce qui le sépare de la ligne d'arrivée, de cette victoire qu'il compte bien arracher. Il n'y a pas de peur, pas d'appréhension, de retenue dans les yeux du Monégasque, rien d'autre que cette sensation d'imploser alors qu'il fait exactement ce pourquoi il est né, ce pourquoi il serait prêt à crever.

Et si sa voiture ne peut pas le porter, alors il finira la course à pied.

Charles n'a rien à perdre et tout à prouver, à lui-même, à Casilia, au monde entier.

Sa voiture file dans la brise poussiéreuse du désert de Shakir, éclipsant tout autre concurrent. Dans son oreille, son ingénieur parle, mais il ne l'entend pas, il n'entend que le son du rire de Casilia, comme un million de clochettes alors que l'attraction terrestre compresse son cœur dans le fond de sa monoplace.

Il n'hésite pas, ne ralentit pas, n'écoute que lui et le son des clochettes qui lui transperce l'âme autant qu'il lui fait pousser des ailes. L'adrénaline et la rage l'emmènent plus loin qu'il ne l'a jamais été, plus rapide que tout ce qu'il aurait pu espérer.

Charles n'a que faire de battre des records, de dépasser des espérances, d'atteindre un nouveau palier.

Durant un bref instant, tout ce qu'il souhaite, c'est que sa voiture aille si vite qu'elle lui permette de remonter le temps.

Et lorsqu'enfin le drapeau à damier apparaît au loin, au bout de cette ligne infinie que ses pneus ne cessent d'avaler, retour forcé à la réalité, Charles s'autorise, le temps d'une brève seconde, à se laisser aller.

Le pied sur l'accélérateur, ses mains relâchant doucement le volant et il ferme les yeux. Il n'entend pas la liesse qui explose autour de lui lorsque sa monoplace passe la ligne d'arrivée, il ne voit pas les feux d'artifice qui éclate dans le ciel au-dessus de lui, illuminant la nuit, il ne sent pas les larmes brûlantes qui dévalent ses joues.

Tout ce que Charles peut faire, débout sur sa monoplace victorieuse, le visage tourné vers le ciel, les yeux désespérément clos, c'est profiter de cet instant précis où son corps, malmené jusqu'à sa limite, implose de l'intérieur, irradiant d'endorphines, de dopamine, de sérotonine et d'ocytocine.

Le seul moment désormais où il pourra entendre le doux son de la voix de Casilia.

Comme un accro à l'adrénaline, Icare volant toujours plus proche du soleil, il a besoin de triompher pour se rappeler du goût sucré des lèvres de sa bien-aimée, d'exceller pour se remémorer la tendresse de son toucher.

Charles Leclerc gagne Shakir.

Quelques jours plus tard, il gagne Djeddah.

Et dans le fond de son cœur rayonne la présence éternelle de Casilia.



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Ils sont de retour ♡

Après deux mois sans nouveau chapitre, Charles et Casilia reviennent pour vous dévoiler la fin de leur histoire.

Aujourd'hui est un jour un peu particulier pour moi puisque j'ai un an de plus et je suis contente de pouvoir le fêter en vous offrant ce chapitre dont je suis fière et qui ouvre la voie à la conclusion de cette histoire.

Dans le prochain chapitre (l'avant-dernier) nous rencontrerons le dernier pilote à qui Casilia a écrit une lettre, de qui pensez-vous qu'il s'agit ?

J'ai aussi commencé à travailler sur quelques idées de bonus qui sortiront après la fin de la publication, y a-t-il des choses, des moments ou des souvenirs que vous souhaitez voir ?

Je ne m'attarde pas trop, vous vous en doutez, j'ai beaucoup de choses à faire aujourd'hui :')

J'espère que ce chapitre vous a plu, Charles et Casilia reviendront bientôt, peut-être même plus vite que prévu.

Bon dimanche à vous ♡

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