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ACHLYS | CHAPITRE 4
















































Royaume de Chô-Seon,

ancienne Corée réunifiée,

09 Janvier 1489 : 10 jours après l'arrestation d'Ae-Cha.








































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Jeon Il-Nam était prêt.

Son farouche accoutumé lui donnait l'air d'un guerrier en rédemption. Plus d'angoisse mais une satisfaction certaine tandis qu'il achevait sa journée de travail. La métallurgie le usait. Il adorait pourtant cela au point de la porter telle que la plus belle des professions. Une douce légèreté papillonnait au creux de son estomac ; Jeon Il-Nam était enfin prêt à rentrer. Son épouse lui manquait. Elle lui manquait tant que, la nuit venue, il la revoyait de toute sa folle ardeur et son tempérament dont il s'éprenait. Des semaines qu'il ne l'eût point aperçue. Des semaines depuis qu'elle avait accepté ses fonctions à la cour. Petitement, le conjoint adulant aurait souhaité qu'elle ne vint jamais à les quitter lui et leurs deux enfants. Jeong-Guk et A-Ra étaient si bébés encore... Tant qu'il peinait encore à être leur père. Souvent, il pensait et ressassait leur vie à quatre. Or, il ne se doutait pas que cela n'arriverait que dans une prochaine vie. Une vie où Ae-Cha ne serait jamais partie ; une vie où Ae-Cha n'aurait guère été emprisonnée. Il y pensait tellement puisqu'il l'aimait. Il l'aimait d'un amour amical ; d'un amour véritable ; d'un amour si peu banal que son cœur lui causait un mal qu'il peinait à dépeindre avec ses mots trop pauvres. Ses pattes menues foulaient le sable des rues ; il n'avait qu'une hâte, celle de retrouver ses petits qu'il laissait au quotidien sans surveillance adulte. Il marchait, déterminé. Et à sa marche déterminée s'ajoutait maints spasmes et soubresauts à la vue du portrait de son épouse placardé partout à son entour. Son corps s'alourdissait de terreur, il se demandait depuis quand ces affiches tapissaient la cité et depuis quand, surtout, sa famille était condamnée.

Jeon Il-Nam s'immobilisa. Un nœud de seize se formait en son tout-lui à la place des papillons qui, naguère, voletaient de passion. Sa tendre aimée, Ae-Cha, séjournait en prison. Ses trois autres, bientôt, l'y rejoindraient. Même A-Ra dont l'existence se résumait à peu de mois.

À travers la foule de malheureux gueux, le courageux apeuré aperçut la royale garde. Quelques uniformes, uniquement, qui le saisiraient s'il restait sur sa position parce que si un Homme se rendait coupable de trahison, ses proches le devenaient par alliance. Le presque veuf recula alors ; son cœur battait terriblement fort qu'il craignait qu'ils ne l'entendirent. Peu à peu, il laissa choir au sol son matériel de travail et ses jambes se mirent à la course. Sa maison ne se trouvait qu'à une ruelle d'ici-là : il y parvint en un minimum de temps. L'habitation similait davantage le chantier que l'accueil chaleureux. Néanmoins, Jeong-Guk se plaisait à jouer dans la terre et A-Ra à babiller dans son berceau de bois. Le pater n'y prêtait nulle attention et se pressa de rassembler des affaires du nécessaire, les siennes, les leurs, rien de plus.

— Papa, tu vas où ? fit le fluet enfantin de son fils âgé de trois ans seulement.

— Jeong-Guk, couvre ta sœur.

Du haut de son âge juvénile, il comprenait parfaitement ce qu'on lui disait. Son intelligence se remarquait ; son adresse allait au-delà de l'humain. Il sentait qu'une chose préoccupait l'homme qui les élevait, lui et sa sœur. Or, il conserva le silence et se précipita pour apporter un tissu qui protégerait sa cadette de l'hiver de janvier. L'enfant Jeon, de trois ans, témoignait d'étonnement au-devant de la vitesse à laquelle l'aîné préparait son bagage pour la fuite. Cinq vêtements, quatre médicaments, trois produits de l'hygiène, deux fruits, et un espoir. Néanmoins, ces maigres provisions ne leur garantissaient guère la survie au long terme.

L'ébène ingénu restait en retrait, terrifié par les élans de panique de son père. Sa tignasse suivait, de gauche à droite, ses allées et venues, la bouche ronde de surprise ; d'inquiétude, aussi. Il-Nam, à présent apprêté et percevant le fort timbre de militaires à leur fenêtre, enveloppa son bébé dans le creux de son bras et prit la main potelée et pendante de son garçon. Son sac se tenait à son dos : tous trois se montraient sur le départ. Les cieux changeants de la saison inquiétait l'âgé qui se pressentait incapable de garder la santé de l'un et de sa jeune soeur. En dépit de ces angoisses, il savait bien quoi faire en cas de dernier recours. Et pour un dernier regard jeté non-pas au hasard, il contemplait les vieilles fondations dans lesquelles il vit naître deux de leurs enfants. Il songeait au fait que ces ruines avaient tenu pour permettre à Ae-Cha et lui-même d'en élever du même nombre. À tout instant, elles auraient pu s'effondrer sur leurs crânes, mais non ; cette maison veillait continuellement à leur protection comme un genre de bienveillante sorcellerie. Le quarantenaire pria pour une dernière car ici, ils ne reviendraient jamais plus.

La garde tambourinait à la porte, devant. Les malmenés, eux, situaient l'arrière où ils rasèrent les murs à la discrétion avant de s'élancer vers la capitale. Là-bas, ils se mêleraient aisément à la population. Il-Nam, d'ordinaire heureux vivant, laissait l'effroi lui retourner la viscère tandis qu'il martelait les pavés à coups de ses bottes. Le sort de ses précieux le tourmentait puisqu'ils devaient vivre et tant pis si ce n'était pas avec lui. À la cour du monarchique Yeonsan-Gun, on ignorait l'existence des rejetons maudits d'Ae-Cha. L'impôt par tête demeurait si élevé qu'il y a près de quarante mois, les époux Jeon choisirent de ne jamais déclarer la naissance de leur aîné puis celle de leur suivante. Pour ces raisons, Il-Nam devait les sauver et cela, quel qu'en soit le coût.

Le jour tombait sur leurs têtes et leurs pensées. Le bazar accueillait un noir de monde : l'atmosphère festive de la nouvelle année les embaumait d'un relent de gaieté alors que multiples fois, le garçonnet trébuchait, peinant à suivre les grandes enjambées de son paternel.

— Encore un effort, mon grand... l'encouragea-t-il, le souffle court.

Il crut avoir semé ceux qu'il souhaitait tant éviter mais déchanta vite lorsqu'il perçut les hommes armés à travers la masse de manants.

Ils les avaient retrouvés.

Les trois êtres s'abaissèrent afin de se cacher dans les fourrées. Les prunelles de Jeong-Guk s'embuèrent et il vint se blottir tout contre Il-Nam, venant y chercher un peu de réconfort. Le père eût un léger rire puis une douce caresse sur le haut du chef de son fils aimé.

— Eh bien, alors ? Je te pensais plus courageux que ça ! Sèche-moi ces larmes, maintenant...

— Papa... Je veux maman...

Et à mesure qu'il méditait ces paroles, son tout lui se brisait un peu plus.

— Tu la reverras bientôt, Jeong-Guk. Sois un peu patient. Nous allons jouer à un jeu, d'accord ? Le premier arrivé chez oncle Seo-Jun et tante Ha-Neul a gagné.

Son teint s'illumina à l'indécence de cette proposition. Il aimait cela, jouer. Il-Nam le savait, il connaissait son fils pour l'avoir élevé ces dernières années. Il réhaussa son bagage, porta un regard anxieux à sa fille assoupie et après avoir constaté de l'éloignement de l'armée, donna le coup d'envoi. Leurs jambes s'élancèrent ; celles du plus vieux n'étant pas très loin derrière celles de son plus jeune. Le rire cristallin de celui-ci fendait les airs ; le cœur d'Il-Nam, lui, continuait de se briser en prenant conscience que jamais plus il ne l'entendrait résonner ainsi. Seo-Jun et Ha-Neul ne vivaient guère très loin avec leur fils unique. Ils étaient des amis de longue date, des amis sur qui — il le concevait — il pourrait s'appuyer pour lui venir en aide. Jeong-Guk fût le premier à franchir leur porte après que le jeune couple ouvrit, vraisemblablement ravis de revoir cet enfant dont ils prenaient parfois le soin. Le dernier arrivant se tint dans l'encadrement du battant, le palpitant au bord des lèvres. À la vue de sa mine angoissée, les deux autres se prirent d'inquiétude aussitôt.

— Je... Je suis désolé... amorça le métallurgiste. Seo-Jun, Ha-Neul... Pourriez-vous me garder A-Ra et Jeong-Guk ? Je vous en prie.

— Que se passe-t-il, camarade ? Où vas-tu ?

— Je l'ignore, les gardes sont...

— Ne te fais pas de soucis, Il-Nam. Nous prendrons soin de tes enfants, rassura la jeune femme. Mais reviens-nous vite, s'il-te plaît...

— Papa ! J'ai gagné la course !

Ses lippes se pincèrent, pleines de chagrin. Il se défit rapidement de son sac, de son bébé qu'il confia à la plus âgée. Un baiser sur le front dégagé d'A-Ra puis quelques pas vers l'arrière. Une nouvelle exclamation de Jeong-Guk puis de douloureux sanglots de son père.

— Tu as intérêt à revenir, crétin.

Les mots de Seo-Jun étaient à la fois insultants et pleins d'un amour fraternel. Que de pincements à ces choses qui battaient en leurs poitrines. L'ébène abandonné accourut sur le seuil, retenu par la femme qui lui servirait de mère lors des prochaines années. Son étincelant regard s'accrocha aux bruns humides de son pater, le grand Jeon.

— Papa ? Tu vas où ? J'ai gagné.

Mots de trop. Mots poignards.

Il devenait temps d'y aller.

— Pardon, mon fils... Pardon... Prends soin de ta sœur...

Ses talons pivotèrent et ainsi, se mirent à courir aussi loin, aussi vite que possible. Les appels désespérés de Jeong-Guk lui parvenaient mais n'agissaient qu'en poison en son sein.

Le visage criard et criant de larmes, Jeong-Guk articulait en boucle les mêmes paroles en sachant sciemment que cette image de son père fuyard serait la dernière gravée de son esprit d'enfant.

"J'ai gagné... J'ai gagné, papa..."


















































ACHLYS | CHAPITRE 4

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