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ACHLYS | CHAPITRE 21
























































Royaume de Chô-Seon,

ancienne Corée réunifiée,

Jeong-Guk, 17 Octobre 1504.















































- V -

Une lourdeur planait dans les airs ; elle me saisissait à la gorge et me prenait aux entrailles. La salubrité tapissait les murs délabrés des souterrains tandis que je tâtonnai dans ces faibles clartés. L'hier me revenait et me surprenait, maintes fois, au souvenir de Tae-Hyung et de moi ; je souris en imbécile et je me rembrunis lorsque ma discute avec la douairière traversa mes songes éclairés. Et lorsque mes affres se tournèrent vers Uimundae et Ga-Ram, je me pressentis avili. Je manquais cruellement d'un sommeil, d'un repos à la suite de mes fièvres ; j'eus veillé auprès de mon roi dont la nuit avait été persécutée de mauvais rêves. Il pensait aux mêmes depuis l'assassinat de son père mais je le quittai dès l'aube apparu, encore comateux, et je filai jusqu'à ces endroits de curiosité où j'errais, au désormais, les prisons.

La senteur de putréfaction m'affublait de remontées gastriques. L'horreur, elle, traînait à mes pieds : des corps gisaient, d'autres se laissaient à la souffrance en jonchant la paille lacérante. Des cris d'acmé, des cris de désolation causaient des horreurs froides à mon dos courbaturé. Il y en avait tant, de ces hommes et ces femmes arrêtés et attendant leur mort établie. Parmi eux, il en existait de ces hommes et ces femmes qui appartenaient autrefois à la rébellion Uimundae. Beaucoup me reconnurent à la route, et ceux-là hurlèrent mon nom comme si je venais en messie alors qu'il n'en était rien. Je les trompais tous : ma détermination restait émérite et infaillible. Je les considérais, je les comprenais et je compatissais sans m'efrêler un instant. Je les dévisageais face après faciès, je tentais la reconnaissance de chacun mais j'échouais tant leurs gueules cassées traduisaient une torture éternelle et barbare. Je cheminais par pas riquiquis, masque au nez par la crainte de m'empoisonner les sens. Je méditais de barreaux en barreaux de ferraille et de rouille, je prenais garde aux détenus aux mains baladeuses, à ces yeux hagards et éteints qui m'oppressèrent un peu plus aux secondes. À la fin, au fond de ces cachots étroits, je figeai sitôt mes pieds que mes pupilles en touchèrent d'autres, plus véloces, plus courtoises, plus familières sans compter les années passées.

- Baek-Hyun ?

Son oeil fébrile patina jusqu'à moi où j'y décelai un fil d'étonnement. Baek-Hyun ou le plus vieil ami que ma famille ait gardé si j'omettais Ha-Neul et Seo-Jun, l'unique m'évoquant mes parents défunts : cela me troubla. Ses vêtements, jadis polis, n'étaient plus que des haillons et de vieilles guenilles où du sang asséché trônait honteusement. Nonobstant les frisquetions de sa cellule, sa chair se couvrait peu qu'il n'en ressentait plus les poils redressés. Je me chus à son niveau et tins à la fermeté les barrières entre mes poignes quand je réalisai un peu plus fort que, merde, il était en vie.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? Enfin je veux dire... Pourquoi ?

Il ne rétorqua guère. Ses dactyles glissèrent sur mes dactyles et j'en frémis : le Baek était frigorifique. Cela datait de ma quinzaine depuis que je ne le vis plus dans mes entours. Son étrange disparition mena aux conclusions hâtives qu'il était, sans le doute, trépas et enterré avec les honneurs de sa condition. Je n'eus jamais si tort qu'en ce temps mais je me disais que c'était lui l'informateur de Soo-Ah, la reine mère, celui-là qu'elle évoqua la veille.

- Tu es là, Jeong-Guk... s'essouffla-t-il, à bout de force. On ne m'avait pas menti...

- Baek-Hyun, s'il-te plaît... J'ai besoin de toi. Aurais-tu rencontré Son Altesse, Soo-Ah, récemment ?

L'à présent trentenaire s'enferma dans une torpeur, une léthargie offerte par une captivité durant depuis trop longtemps. Ses dents tyrannisantes firent saigner sa lèvre, il ne me regardait pas alors que je m'impatientais de l'entendre me confier une réponse. J'observai ses orbes ouverts avec mal, rendus bruts, collants et enflés par l'excès de sécrétion aux lacrymales puis son nez, seul indemne, avant de porter intérêt à sa barbe d'un millier de jours. Je soulevai mon attention, après un moment qui sembla durer un infini, sur sa chevelure coupée à ras qui laissait voir son crâne mêlé de terre et de bouts de peau effilochés, quel effroi. Son renfrognement soudain paraissait soumettre sa gêne de son état, mon coeur palpitant se pressa dans ma poitrine.

- Baek-Hyun.

- Gagnerais-je ma liberté si je te réponds ?

- Je ne sais pas... J'aimerais mais tu devras te contenter de ma gratitude immuable. Tu sais bien que je suis difficilement reconnaissant.

Il gloussa de ces amuses, cela lui ôta un gémissement douloureux.

- Je l'ai vue. Elle est effrayante mais divinement belle, c'est fou.

- Tu es marié, le rappelai-je, gentil, à l'ordre.

- Quelle importance, maintenant !

Vrai. C'était triste, c'était réel, c'était sa vie et ça m'enrageait tant de ne rien pouvoir y faire.

- C'est donc à toi qu'elle est venue soutirer des informations sur mon compte.

Son oeillade plissée montrait ses tracas à demeurer ancré dans notre réalité ; il n'offrait pas l'air de comprendre là où je désirais en venir.

- Je ne me répèterai pas...

- Je ne suis pas ton informateur, mon grand.

- Tu as dit l'avoir vue !

- Pas pour la raison que tu crois.

Encore ce mutisme agaçant. Peu importait mes efforts, Baek-Hyun prétendait ne rien savoir et au plus profond de moi, j'anticipais un mensonge dans ses dires. Ses deux prunelles me sondèrent, me lorgnèrent comme on regardait un étranger, ses lippes se redressèrent un peu. L'homme montrait l'épuisement, le chagrin accablé dès lors que sa mâchoire se desserra et s'entrouvrit dans un souffle méfiant.

- Sois prudent. Je ne sais pas ce que tu cherches ni si toutes ces rumeurs sont vraies mais j'imagine que tu as assez de jugeote pour prendre tes distances avec le Prince héritier.

- Il n'est plus le Prince héritier.

- Raison de plus ! Tae-Hyung... Kim Tae-Hyung n'est pas un homme pour toi, je crains que tu ne souffres autant que ta mère dans cette histoire.

Encore des excuses.

- Merci pour ta sollicitude mais ça devrait aller, je sais ce que je fais.

- Tu le fais mal, Jeong-Guk ! Tu ne sais rien de rien !

J'atteignis la sortie quand ces mots-là, derniers, résonnèrent dans les couloirs sépulcraux. Kim Tae-Hyung me comblait suffisamment, je n'avais besoin de rien d'autre que de le voir proche. Son juvénile sourire me transporta bien loin au passage du seuil de son palais. Baek-Hyun se leurrait amèrement, il ne possédait d'idées d'à quel point. Son timbre en crise s'imprégnait en moi, à présent. Il s'était époumoné jusqu'à faire tressaillir chacun de mes pores, il s'était égosillé jusqu'à tarir ses cordes vocales. Pendant un court instant, je crus pouvoir faire demi-tour pour implorer son silence éploré mais je ne m'y tenais plus et refusai de m'en soucier davantage alors que les ambres de mon amant me scrutaient sans faire cas de la présence de l'érudit Young-Nam. L'amoureux châtain ne réprima une hilarité à ma croisée de sa vue, j'appréciais le pli léger qui se formait aux coins de ses orbites à chaque fois que son regard se posait sur moi.

- Maître Young-Nam, dois-je renvoyer Jeong-Guk ? Sa présence me perturbe.

- N'y prêtez pas attention, Votre Majesté. Concentrez-vous plutôt sur moi, répliqua le plus âgé.

- Je vous apprécie, Maître, mais pas comme ça... Un autre a déjà pris cette place.

Je connaissais sa réponse avant même qu'il ne la formule. Je connaissais le fin battement de ses cils à la suite de ses mots et l'éclat de rire, ensuite, au sortir de sa gorge. Je le connaissais, lui. Ses défauts et ses travers jusque dans leur laideur la plus exacte. Je me maintins contre la cloison et assistai, d'un oeil taquin, à la joute malicieuse entre les vieux amis. Ils ressemblaient à ce que je partageais avec Baek-Hyun à l'autrefois ; cela m'assombrit sans gare.

De l'autre côté des battants, l'eunuque de Sa Majesté annonça l'arrivée d'un homme qui entra précipitamment. Tae-Hyung s'illumina alors ! et je maugréai de plus belle.

- Les documents ? il questionna à son arrivant.

- Je les ais, Votre Majesté.

Ses enjambées vers le réclamant ponctuèrent ses échos dès lors qu'on le somma de me confier ces dits papiers. Je me redressai, tout plein d'une vilaine curiosité, et l'interrogeai discrètement. L'homme uniformément pourpre disposa un rouleau de parchemin entre mes mains habiles et se retira aussi vite qu'il fusse arrivé. Mon royal sauta sur pieds joints. Sa silhouette gracile se déplaça au travers de la pièce et se dressa face à moi pour me marquer d'un baiser dans le creux de la nuque. Cet être restait intense dans sa façon d'agir, dans sa manière de cueillir mon regard du sien.

- Félicitations, capitaine Jeon...

Je ne saisissais guère alors je ne pipais mot, attendant que l'on daigne m'expliciter. En dépit de la taille svelte du Kim, je jetai un oeil vers l'âgé qui ne se souciait pas de l'effusion de nos sentiments nouveaux.

- Sa Majesté m'a vanté vos exploits pour le protéger, avança l'érudit. Étant le nouveau roi de Chô-Seon, il souhaitait réformer entièrement la garde en renvoyant tous ceux ayant travaillé personnellement pour feu Sa Majesté Yeonsan-Gun. C'est pourquoi il a décidé de vous promouvoir.

Stupéfaction. Je pourrais me réjouir de la nouvelle si la présente situation s'y prêtait. Or, ce n'était guère le cas et je ne savais quoi ajouter pour masquer mon désarroi complet. La consternation ne me quitta et inquiéta mon royal qui se doutait qu'une chose n'allait pas. Mes nuancés se perdirent sur le papier attestant ma gradation ; je levai le menton vers mon vis-à-vis. En d'autres termes, j'étais abattu et cela se voyait comme la patate au milieu des champs de fleurs. Si Ga-Ram apprenait cela, il exulterait et n'hésiterait pas à en profiter pour venir trancher la gorge de Tae-Hyung, le fou furieux. Mon nouvel emploi resterait la clé de son succès, j'en frissonnais encore.

- Pardon, je ne sais pas quoi dire...

Un soupir à fendre son âme et une main coulée entre les mèches de mon ébène chevelu.

- Des remerciements suffiraient, je pense.

J'opinai et forçai une esquisse. La missive certifiait que je remplaçais le capitaine Han, le licencié de ses fonctions.

Tiens, il me manquait, désormais.

- Tu sens l'urine.

- C'est un compliment ?

Je me vexai, boudeur, il s'esclaffa et se pencha par-dessus moi par la volonté de m'embrasser à nouveau. Je me détournai, cependant. Le Kim fit claquer sa langue au fond de sa cavité et prit un recul sans manquer de m'étudier.

- Je t'ai vu partir, ce matin... C'est dans les souterrains que tu allais ?

- Il semblerait que ta mère mène l'enquête et je crains qu'elle ne découvre plus de choses me concernant... Elle sait déjà qui je suis.

- Qu'est-ce que tu racontes, Jeong-Guk ? Quelles choses ? Je ne peux pas t'aider ni te faire confiance si tu ne me dis jamais rien.

Des choses comme le fait que je m'impliquais plus dans l'assassinat de son père qu'il ne le croyait.

- Je suis désolé.

De me rendre complice des tentatives d'assassinat à son encontre. Je me sentais honteux, pernicieux, soucieux. Tae-Hyung se fit insistant de par ses prunelles dansantes et je me refusai toute chose qui m'amènerait à céder à la sinistre vérité. Je redoutais de l'effrayer ; la situation restait rude, particulièrement sérieuse. Et notre idylle, tout juste commencée, ne verrait sa fin arriver, même au-delà de nos morts. L'érudit toussota, il nous extirpa de notre insatiable fascination de l'un et de l'autre.

- Votre Majesté, loin de moi l'idée de paraître indiscret mais j'ai le sentiment que vous avez des choses à vous dire alors...

- Vous pouvez disposer, le coupa-t-il à la brusquesse.

Nous finîmes seuls. Je fus alors pris d'un froid maladif et je le devais à l'austérité du monarque. Il songeait, cela m'apeurait mais je me dévoilais patient jusqu'à ce que tombe ma sentence. Cependant, je n'eus la minute d'un soupir que je me retrouvai finalement enserré entre ses bras amènes. Mon chef tomba lourdement contre son épaule et je me plus à humer son boisé vertigineux. Sa coiffe s'échoua sur le parquet dans un son sourd. Nos corps se rapprochèrent, nos nez se touchèrent et ses ambres me happèrent sitôt qu'ils croisèrent mes sombres.

- Je devrais faire une toilette, l'odeur des prisons s'est prise en moi.

Mon constat l'égaya, le titilla et il s'en retrouva presque contrarié de ne pas connaître le fin mot de ma visite précédente, contrarié que je ne sois pas déjà nu et prêt à prendre un bain...

- Mon seul désir, maintenant, est d'être contre toi à refaire le monde ensemble. Seulement nous. Ni obligations, ni affaire de meurtre, ni diktats.

- Et que sommes-nous, Votre Majesté ?

Grognement. Tae-Hyung gardait cette appellation en horreur.

- Je croyais que c'était clair... Nous sommes amants, Jeon Jeong-Guk.

Et moi, j'aimais tant lorsqu'il articulait mon nom de la sorte.

- Je ne fais jamais l'amour deux fois avec la même personne mais je mourrais pour que l'on recommence. Finalement, cela ne fait pas de nous de simples amants.

- Viens par là, m'attira-t-il à lui en entrelaçant nos doigts.

Je le suivis lorsqu'il m'invita à m'asseoir au plus près de lui sur le par-terre. Juste ce nous ; je ne désirais rien d'autre. Ga-Ram pouvait bien aller se faire peindre...

Sa tête s'apposa contre mon tout-entier et nos dextres, toujours accrochées, je m'abandonnai à la rêverie et à l'éventualité d'une vie sans plus de soucis. Une vie avec Ae-Cha. Une vie avec mon père. Une vie avec Tae-Hyung. Une vie sans Uimundae.

Je serais un autre homme. Un homme que mon châtain pourrait continuellement aimer. Et je certifiais, aujourd'hui, que s'il avait connaissance de mon coeur, il me haïrait absolument.

- Le destin est amusant, me confia-t-il. Tu es le fils de la femme qui s'est occupée de moi il y a des années...

- Je ne crois pas au destin, c'est seulement une invention de l'Homme pour justifier toutes les bricoles qui lui arrive. Enfin, j'imagine que c'est une bonne chose que nos vies soient si liées.

Pas quand la sienne restait menacée. Jamais, alors que j'en portais la totale culpabilité.

- C'est fou ce que tu peux être cynique, rit-il contre ma joue.

- C'est fou ce que tu sembles aimer ça.

Ma répartie fit mouche. Une accalmie s'effondra sans qu'embarras ne vienne la briser. Je discernai ses pensées, ses songes, ses espoirs, ses doutes, ses craintes les plus enfouis et la faute écroula ma joie d'être ici. Son menton se réhaussa ; il me considéra longuement avec une attention à laquelle je ne m'accoutumais pas.

- Je suis terrorisé alors tu n'imagines pas à quel point ta présence, avec moi, est cruciale... Toutes ces histoires autour de la cour, c'est trop, je... Je ne veux pas finir comme mon père, je ne veux pas te perdre, je ne veux pas être un mauvais roi pour mon peuple, je...

- Rien n'arrivera, Tae-Hyung.

- Comment peux-tu en être si certain ?

- Je n'en sais rien mais je refuse que tu prennes le risque de tout foutre en l'air en te laissant dominer par la peur. Et puis, je suis là, moi... Je ne bouge pas, c'est ce que tu me disais il y a deux jours.

Sa langue humecta ses lèvres surmontées de quelque grain de sa beauté. Je ne le quittai pas des yeux et me laissai aller à un sourire, aussi infime fut-il. Il se détendit alors que front contre front, nous nous aimâmes dans la quiétude matinale. Tae-Hyung fila la pulpe de ses dix doigts sur mon épiderme, à la naissance de mon ébène noué vers le haut. Mon enveloppe de chair fourmilla, sa bouche s'épanouit et laissa fuir un rire de nervosité avant qu'il n'articula ces vers poètes qui tentirent dans ma tête.

- Marions-nous, Jeong-Guk.

- Quoi ?

Que venait-il de dire ?

- Marions-nous, épouse-moi, porte mon nom, reste avec moi jusqu'à la fin de nos jours... C'est plus clair dit ainsi ?

Encore ce putain de beau sourire et je fondis sur sa bouche, la butinant avec toute la tendresse que j'éprouvais à l'égard de cet homme qui venait de me... Merde.

- Respire, mon ange, me souffla-t-il entre deux baisers.

- Je ne peux pas faire une chose pareille, je crois...

Son air curieux laissa ouïr qu'il ignorait à quoi je prêtais allusion. Cependant, mon souffle n'était plus et l'épouser, lui, serait aller droit vers une mort prochaine : je ne pouvais m'y résoudre.






























































































ACHLYS | CHAPITRE 21

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