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ACHLYS | CHAPITRE 2
𝐈𝐍𝐓𝐄𝐑𝐋𝐔𝐃𝐄
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Tae-Hyung, 03 Septembre 1504.
— N —
Ennui. Maître mot de cette assemblée.
Les ministres se présentaient au bas de mon estrade bien que mon esprit, d'aventures, s'en allait aussi loin qu'il pouvait se le permettre. Siégeant au sommet de mon trône, je croisais les bras, les décroisais, soupirais, changeais encore et mille fois de position, balayais la salle d'un regard, m'arrêtais et je croisai le sien à la couleur des cieux.
Je m'élevai, droit, fine esquisse décorant mes lèvres dès lors qu'il se mit à l'incline légère devant moi.
Jeong-Guk restait tout de noir, vêtu. L'uniforme lui seyait tellement et je m'en formalisais, il respirait le divin. La somptuosité de la pièce lui arrachait tantôt un hoquet, parfois une surprise exclamée alors qu'il se tenait à l'angle, épée dans un fourreau à sa ceinture. Je le scrutais, cet homme, curieux, et songeais à nouveau à nos échanges d'il y a deux jours. Notre rencontre, la première.
Ses pupilles furieuses accrochaient les miennes, aimables. Par un coup du destin, je ne donnais plus oreilles aux ministres, hauts-fonctionnaires commandés par le royal conseiller. Ces vautours se jetaient maints coup d'oeil entendus sous le prétexte de mon silence alourdi. Je ne réagissais plus, même malgré les rires de ces autres. Ils représentaient, par leur grade, tout ce que je réprouvais en ma qualité d'héritier. La perfidie et les conspirations s'agglutinaient sans mal à leur derme puisque l'un se trouvait fort aise à être le père de la reine consort, ma mère. Quant à l'époux, père de toutes les contrées chô-seonines, il n'existait pire monarque que lui. Il se fichait amoureusement de ses peuples, et ses confrères. Kim Yeonsan-Gun se distinguait par une démence incomprise ; par une folie sans conteste qui allait au-délà des craintes. Il réfléchissait sur ses plaisirs propres et ses décisions impopulaires se qualifiaient par un arbitraire risible. En somme, et en piètre souverain, il se donnait à corps.
— Votre Altesse, tout va bien ?
Je sourcillai dès lors que mes songes furent interceptés par mon eunuque en vert qui se courbait à mon lobe.
— Je réfléchissais, Chul. Qu'y a-t-il ?
L'interrogé indiqua, de son menton un peu gras, la légion de ministres en messes basses. Mes traits se creusèrent, contrariés. Néanmoins, cela ne suffisait guère pour qu'ils se repentissent de leur irrespect.
— Ministre Jang, je me demande ce qui suscite autant d'agitation.
— Jeonha — Votre Altesse... Le ministre des Impôts et moi-même réclamons l'augmentation de la taxe par tête.
— Je m'interreoge, je souris amer. Le peuple n'a plus rien mais vous souhaitez qu'il donne davantage. Le trésor royal ne se viderait pas considérablement si on n'avait pas, à la tête de ce royaume, des dignitaires si corrompus.
J'expirai, et je repris.
— Alors merci de ne pas me bassiner avec vos excuses pour vous enrichir.
Je ne me troublais ni par leur ancienneté ni par leur statut important et moitié moins par ces ruses malines que j'apprenais à déceler. Pourtant, je doutais. Mon esprit souffrait de cela, et j'ignorais si j'agissais bien en imposant ma voix de la sorte. Cela précipiterait ma déchéance, sans le doute, comme cela fut le cas pour la douairière, reine mère Yun qui ne montrait plus signe de la vie depuis ses accrochages avec son fils, le roi. Celui-là, malgré ce que j'en disais, il demeurait la source première de nos soucis de finances.
Je me désintéressai au vif, et cherchai alors un soupçon de soutien ailleurs ou un sujet plus satisfaisant, quel qu'il fut.
— Jeonha... Je vous prie de reconsidérer votre avis sur la question.
Mes billes ambrées tombèrent dans les plus sombres de Jeong-Guk. Ils ne me quittaient plus, naguère. Je suivais le fin battement de ses cils, et laissais un rire m'échapper lorsqu'il singea tapinoisement le dignitaire insistant. Je pensais cette imitation parfaitement légitime et ma foi, très ressemblante. Quel drôle de tempérament.
Exactement comme elle.
Le quiet s'abattait. Somme toute, je décidai de ne point m'attarder sur quelque chose d'ainsi. J'y reviendrais au plus tard, à tête mieux reposée. Mon père ne le ferait pas et quand bien même, j'imaginais qu'il ne s'opposerait au gonflement des coûts.
— Où en sont les préparatifs pour l'accueil de l'émissaire ? changeai-je de fond.
Le conseiller attrapa la parole bien que j'aimerais mieux qu'il se taise de ses mièvres propos. Bientôt, un ambassadeur viendrait à la cour pour discuter de vieux accords entre nos terres. Et je me demandais encore comment je justifierais l'absence du souverain pour les négociations. Je me portais par la volonté d'impressionner un homme plus âgé que le monde et qui s'arrêterait aux détails des festivités. Ô bonheur.
— Avons-nous votre accord, Votre Altesse ? finit le fonctionnaire.
— Oui, oui... Faites venir gisaengs — prostituées, — jongleurs, cracheurs de feu... Je m'en moque.
Que cette journée s'achève.
— Toutes les questions d'ordre ont été réglées ?
— Non. Il reste l'affaire sur les rebelles qui ont tenté d'assassiner Sa Majesté... Sa paranoïa s'envemine.
— Je vous écoute, Jang.
— Mes informateurs n'ont rien appris de plus si ce n'est qu'ils siègent au sein même du pays depuis près de vingt ans. Ils ne sont pas étrangers et n'appartiennent donc pas à un ennemi voisin qui tenterait d'annexer Chô-Seon.
Cela signifiait que la rébellion était interne au royaume. Serait-ce une bonne nouvelle ? Une ambivalence, certaine.
— Sauriez-vous s'ils prévoient à nouveau de pénétrer la cour ?
Quelques mouvements de tête vers la négative. Ils n'apprenaient que le pas grand-chose et j'ignorais si je devais le croire. Alors je le sondai bien que cet aîné gardait cet indéchiffrable difficilement supportable, cet agaçant narquois.
— Vous pouvez disposer... fis-je tout bas.
Mon timbre s'éleva en écho. Sitôt fait, tous se suivirent loin des lieux en file. Le ministre Jang Beom-Seok misa un ultime regard pour ma personne, il sortit ensuite. Je me retrouvais seul, encore, avec mon Chul et mon garde.
J'exprimais mon soulagement à la fois irrité par ces échanges précédents, indiscrets, embarrassants mais peu embarrassés. Après vingt années de vie en ces murs, j'appris que le silence conciliait le sain et le sauf. Cependant, lorsque tu devenais le Prince héritier, tu ne possédais d'autres options que d'être une cible pour les dissemblables. Et vraisemblablement, je restais une victime de choix. Pour les ministres, ces sangsues. Pour les rebelles. Pour mon père, rubicond à la rage, qui entra. Mes deux accompagnants se prosternèrent à l'outrage et malgré mes volontés, je fis de même tandis que ses pas martelaient le sol avec vigueur. Sa jugulaire apparaissait frontale, et témoignait de son caractère de tempête. Kim Yeonsan-Gun agissait tel un pauvre délirant, incidemment mon pater, le souverain de Chô-Seon. Ses instabilités et ses excès ne se dissimulaient plus mais ils contraignaient le monde à battre en soumis, particulièrement moi qui en versait constamment le prix. Il me considérait, respiration lourde et alourdissante de mon souffle. J'abaissais le chef, il grognait alors je me pinçais les lèvres, il fulminait. Or, je le redoutais autant que je le jalousais.
— Tiens, voilà mon fils.
Je l'ouïs à la ricane. De coutume, je ne conversais jamais d'abord puisqu'un rien de cet acabit suffirait à le rendre jaune de fureur. Sa marche affolante se raidit et lui, pivota pour me dévisager un moment comme si la peste et le choléra, ensemble, baisaient mes joues nues en vers. Une lourdeur embaumait nos sens, elle les taquinait et les échauffait. Je portai, farouche, un oeil plus haut que l'autre et rencontrai une seconde une agitation qui le parcourait.
— Votre Majesté, que me vaut l'honneur de votre présence ?
Sa mâchoire se serra abruptement comme un rouage mécanique. À son derrière se tenait le maître chaman qui, jamais, n'ouvrait la bouche hormis pour prêcher le faux. Son corps trapu et sa barbe longue, grisonnante, lui accordait une sagesse illusoire. Nous nous confrontions depuis mon enfance la plus tendre, et je me rappelais de ce jour où, courant dans les près, je percutai sa frêle silhouette. À l'époque déjà, il me subjuguait par ses mimes pervers et son peu de loquace. Aujourd'hui encore, il pourchassait le souverain père et l'abrutissait d'inepties sommaires. L'existence de cet homme relevait des enfers, d'une cellule à ciel ouvert où le souffle ne devenait plus. Une senteur méphitique se dégageait de son lui entier. Un filet de répugnance qui faisait trembler les nasaux. Et pourtant, cela n'accablait que les gens de sens, ici.
— Ta soeur, Eun-Hee.
L'information tomba de la voix monocorde royale. Il lui en restait dispensable d'en expliciter davantage puisque je saisis et m'attendris par la seule nomination de l'implacable Eun-Hee. Elle frappait encore et amenait pater à une colère folle. De ses onze années, sa nature s'opposait aux nôtres. Sa vivacité et son exubérance effrayaient les dames de la cour qui passaient leurs journées à exiger qu'elle se tienne à la droiture, qu'elle marche tête à la hauteur, qu'elle cesse de sourire à tout-va, et de quitter sa tour d'ivoire sans accompagnant. Elle s'appelait grâce et plaisir, ma soeur, la cadette.
— Qu'a-t-elle fait ? osai-je à l'interrogation sans réprimer un contentement de moitié à mes lèvres.
— Elle hurle à qui veut l'entendre qu'elle aimerait qu'on la délivre de son palais... Quelle enfant pourrie.
Une répugnance nourrissait l'acerbe de Kim Yeonsan-Gun. Cet homme dépravé n'aimait rien d'autre que lui-même bien qu'il en gardait pour son unique fille. En tous les cas, il l'aimerait toujours à foison qu'il ne m'aimerait moi ; c'était d'une tristesse irascible.
— Elle est jeune, Votre Majesté, c'est de son âge, je... Je lui parlerai si cela peut vous soulager.
Avec ou malgré la propose, il me sommerait de le faire et de le faire bien, sans l'encourager dans ses lubies et enfantines fabulations. Mon interpellé me toisait d'une froideur cadavérique, d'une méfiance que je lui rendais au plaisir. Sa pâleur à l'extrême trahissait ses rares sorties et les plaisirs de débauche auxquels il s'adonnait.
Kim Yeonsan-Gun embrassait sa folie mais il ne réalisait qu'elle le consumait tout complet.
Je contemplais son allure dépravée même à son partir de la pièce. Son pas lent mis en exergue, et son crachin particulier lorsqu'il frappa la dame Cho de son pied éloquent. Je m'assombrissais discret. D'autre part, j'entendis le juron soufflé de mon garde féminisé. Cela me tira une pouffée de rire alors je me relevais, ils firent également. Je dardai un oeil à l'attention du Jeon qui possédait une défiance prompt du caractère. Il me penserait curieux à son sujet. Or, cet individu tombait dans ma vie comme l'on tombait amoureux. Sa mètis claire le décorait de malice, et un peu malgré moi, j'y trouvais un plaisir à l'étudier. Il racontait travailler à la cour depuis deux mois ; or, je m'étonnais encore de ne jamais le croiser avant là. Il me chaperonna, avec le Chul, jusqu'aux appartements de la princesse.
Eun-Hee se couchait à son futon, pupilles claires au plafond. Elle réfléchissait si fort qu'elle ne perceva point mon approche à elle. Ou peut-être que si, et que simplement, elle feignait une ignorance.
— Je ne veux voir personne... grommela-t-elle alors en écho à mes idéaux.
Le tic et le tac sur mes talons, je progressai à la douceur comme on le ferait à la face d'un animal terrifié.
— Pas même ton frère aîné ?
Je raillai en retour.
Je notifiai ses closes paupières et le léger pli au-dessus de ses sourcils, sa frustration n'était plus à prouver.
— Lequel ?
— Tae-Hyung, idiote. Je rêve, tu ne reconnais donc pas ma voix ?
L'enfant s'esclaffa, ses orbes s'ouvrirent. Ses cordes cristallines me transperçaient et me troublaient toujours. Elle grandissait, ma soeur, et je le réalisais encore qu'elle bondit sur ses pieds nus et s'élança à ma rencontre. Nus ? La souveraine syncoperait. À la découverte des hommes en retrait à mon dos, elle se retint par la timidité. Qui ne se le rendrait pas devant Jeong-Guk ? Il restait bel être et ma soeur portait le coeur faible.
— Arrête un peu de le fixer, tu vas le faire fuir, me moquai-je encore. C'est Jeong-Guk, il n'est pas pour toi.
Le dernier concerné riota et bien que... Eun-Hee n'y prêta d'intérêt et se blottit tout contre moi.
— Qu'y a-t-il, petite furie ?
L'adorable étirement de sa bouche vers l'avant eut raison de ma tendresse ; elle me désarçonnait.
— Je veux partir, Tae-Hyung. Tout le monde me donne des ordres alors que c'est moi la princesse, je suis seule et... Et père me fait peur.
Sa sincérité me touchait et résonnait en mon tout-entier. Nous nous ressemblions tant sur ces points. Je mordillai ma lippe du bas et soutins ses prunelles avec douceur ; tout ce que j'éprouvais pour elle.
— Il ne te fera jamais rien, tu le sais aussi bien que moi.
Ma confiance se leurrait puisqu'à la première occasion, Sa Majesté nous tuerait tous et toutes.
— Et puis, tu n'es pas vraiment seule. Tes amies te rendent visite.
— Ah, elles sont nulles, elles ne m'intéressent pas. Elles font les gros yeux quand je mange avec les doigts et qu'ensuite, je me nettoie les mains sur mes vêtements.
Je grimaçai sans masque tandis que le Jeon gloussait de ce caractériel inapproprié.
— Vas-tu m'injurier, toi aussi ? Dans ce cas, tu peux t'en aller... Mais ton garde reste, il a l'air plus amusant.
Ledit s'en offrirait à coeur heureux ; un soupir secoua ma glotte. Quelle traîtrise.
— Vous avez entendu, Votre Altesse ? La princesse semble apprécier ma compagnie.
Il ne pipait de mots à la journée et lorsqu'il le faisait, c'était à contrepartie. Je regrettais mon manque de clarté quand je lui précisais qu'il se devait d'être toujours d'accord avec moi s'il désirait me servir. Il demeurait mes yeux et moi, son maître. Je le trouvais impertinent et lui, sans le doute trop sage. Nos mondes ne se destinaient guère à se croiser et pourtant, j'aimais observer le sien à travers lui. Je ne répliquai que le rien. Ses provoques en nombre me hérissaient et de plus belle alors qu'il éveillait une chose que j'imaginais omise après plus de quinze années.
— Vous me rappelez ma soeur, partagea mon Jeon en uniforme à la Eun-Hee aux pieds nus.
Je déposai mon intérêt à lui en attendant sa poursuite. Son timbre se voilait de nostalgie, d'un chagrin familier qui me ramenait à un lointain passé.
— Vous semblez troublé, releva la princesse en écho à mes pensées.
Ma cadette mit les pieds au plat comme à l'accoutume. À ce jour, et en dépit de ses crises puériles, je ne connaissais personne aussi lucide qu'elle. Elle semblait sonder ton âme dans ses abysses et te confrontait en face à tes félures. Cela déstabilisa un temps le vulnérable qui ne tarda pas à lui répondre.
— A-Ra souffre d'une infection. J'ignore pour combien de temps elle en a mais ça m'embête de la laisser seule. C'est une fille amusante et bavarde, vous savez, je suis certain que vous pourriez vous entendre.
Le faciès enjoué de la plus jeune se décomposa progressivement ; elle ne paraissait pas en revenir. Par ailleurs, moi non plus et je ne réprimai pas un sourire fortuné. Cet ébène ne disposait pas, ne serait-ce qu'un peu, de la conscience de sa maladresse.
— Une fille bavarde ? Et ainsi, nous pourrions nous entendre ? Est-ce un compliment ? Ou dois-je vous faire exécuter ?
Des sueurs froides ; pour moi, en tout temps. Le questionné répliqua par le non sans se découdre de l'insolence de son ravissement.
— Rassurez-vous, Votre Altesse. Je dis simplement que vous avez quelques points en commun et que vous devriez, par conséquent, vous rencontrer.
Cette suggestion déplairait à mon roi ; elle me plaisait à moi. Certainement, témoignerais-je d'audace. Chul s'agitait et je n'eus pas le besoin de l'interroger au sujet de ses tourments. Il désapprouvait mais je savais, en outre, que je compterais sur sa discrétion la plus absolue. Quant à l'Eun-Hee, elle se radoucit. Elle cogitait, elle se trémoussait, elle grimaçait puis son visage s'illumina, mû par une idée des plus badines. Je serais comblé de parvenir à cette croisée si convoitée.
Sur cette promesse de splendeur, nous nous retirâmes du palais princière pour gagner rapidement le mien.
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La nuit.
De chacun des versants, les eunuques et les dames s'occupaient à me soulager de l'éreintement journalier. J'allai à la nudité en mon bain. Mes billes fauves à l'obscurité, je jouissais de la douce senteur des pétales de roses flottants au miroir de l'eau. Je grisai, saoul et si ivre. Une paix olympienne régnait en maîtresse dans la portée de la pièce tandis que l'unique son d'une bassine que l'on vidait de sa liqueur d'arômes me parvenait. Je soupirai à mon bien à l'aise. Le léger clapotis de la source contre mon derme chaleureux me procurait un sentiment que je ne décrirais. Je me reposai, et entrouvris mes voiles cilés sans jamais les ôter du néant. Je m'y posai et affirmai la position dans laquelle on m'installait : tête négligemment jetée vers l'arrière, bras aux rebords, jambe repliée, laissant apparaître un genou hors du bassin floral.
À la suite de ma visite à ma soeur, je défilais le restant du jour dans mes quartiers à lire, trier, ranger, relire, accueillir, négocier, renvoyer, et j'en passais. Mon eunuque demeura mais Jeong-Guk, lui, se retira quelques heures pour s'adjoindre au capitaine Han à un entraînement. Je m'y montrai quelques minutes, ou le temps de contempler mon intéressé brandir son arc et atteindre avec aisance, sa visée. En dépit de son habilité à la main et de ses facultés dignes des plus grands guerriers, Han le dévalorisa par son importante rigidité. La réalité situait l'ailleurs puisque les fonds et les caisses ne permettaient plus la qualité de l'armée. L'ébène performa avec un matériel cassé et même à l'après, il ne s'en rendit compte. Il restait le meilleur. Meilleur qu'eux tous. Meilleur que moi.
Ses collègues le pensaient prétentieux. Ma part, je l'imaginais surtout gonflé de confiance. Parfois, gonflé tout court, de fait... Son culot devenait notable et sa tendance, d'après les racontars, à courtiser ce qui se mouvait et portait le pénis, me titillait. Eun-Hee ne l'intéresserait pas ; cela gardait le mérite de m'en conforter. Jeong-Guk conservait cette excédante habitude à tout détourner en sa faveur, y compris les choses trop inextricables.
Sa spontanéité me renversait. Je l'enviais.
Mon chef pivota envers l'entrée, là où il se tenait, adossé à un pan de mur : ses dextres dans les poches et son cérébral égaré au plus profond de ses réflexions.
— Sortez, j'aimerais être seul.
Je tonnai avec quiétude sans soulever mon regard de lui, un seul instant. Le sien me heurta et bouscula mon âme. Le Jeon se réhaussa alors, il s'inclina et tourna le pas.
— Non, pas toi.
Il s'immobilisa. Victoire.
— Viens par là.
Ses épaules tremblèrent ; d'amusement, peut-être. Il me prouva face et s'élança à moi d'une élégante démarche. Ses pupilles sombres s'imbriquèrent à mes ambres, je perdais mon souffle.
— Vous vouliez donc être seul avec moi, Votre Altesse...
— J'aimerais seulement connaître mieux l'homme qui m'a traité de guimauve, il y a deux jours.
— C'est donc ça votre truc ? riota-t-il en haussant le sourcil.
— Pardon ?
— Les insultes vous excitent ?
Je m'exorbitai, suffoquant de ma salive. Le cru de ces mots me grignaient. Un éclat de son rire puis un second, je le suivis.
— Tu ne serais pas un feu frustré sexuellement parlant ?
Cette fois-là, il se rembrunit, moins fier et presque boudeur à cette remarque. Ses lèvres se pincèrent, je ne m'empêchais pas de les scruter à la chaire.
— Hum. J'admets que ça fait quelques jours depuis la dernière fois que j'ai...
— D'accord, je ne veux pas savoir !
Un rictus releva le coin de sa bouche alors que je plaquai mes deux mains contre mes oreilles. Un silence d'embarras s'nsuivit avant qu'on ne réalise le risible de nos gestes. Alors je laissai tomber mes bras, causant un remous dans l'eau.
— Que vous appreniez à me connaître ou non, ça ne change rien. Je doute que nous ayons besoin d'en arriver à de telles extrêmités.
— J'imagine.
— Vous n'êtes pas un peu méfiant vis-à-vis de moi ? On ne se connaît pas, nous sommes seuls, et peut-être que l'envie de vous poignarder m'aurait traversé en vous voyant si vulnérable dans ce bain.
Il souleva un détail qui m'arracha une esquisse. Pas de craintes avec lui et j'en savais mes raisons. Néanmoins, je n'en révélais rien et le laissais croire qu'il détenait un pouvoir sur ma personne, prince d'une époque. Je ne douterais pas même si mes domestiques seraient restés en compagnie.
— Je ne pense pas que tu sois de ce genre-là. Et si jamais je me trompe alors tant pis, Jeong-Guk... Je me méfie déjà de tout le monde, j'aime penser que tu es digne de ma confiance.
— C'est naïf, Votre Altesse. Enfin puisque je suis là... Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ?
Oui. M'appeler Tae-Hyung, pour commencer.
— D'où viennent ces runes ?
— Je les ais depuis petit, c'est... Un héritage familial.
— Que fait-elle, ta famille ?
— C'est un interrogatoire, Votre Altesse ?
Je ne m'emportais pas d'émotions et me trempai dans son havane de nuances fascinantes.
— Tu aimerais bien. Quoiqu'il en soit, fais attention. Je suis bien gentil mais ne pousse pas trop loin, non plus.
Il opina de son chef, mutin.
Je me quémandais s'il sautait sciemment de répondre sur sa famille. Un doute seulement, je n'insistais pas.
— Vu ta libido exacerbée, j'imagine que me voir nu ne te laisse pas de marbre.
Le Jeon ricana gaiement à l'émise d'une plainte au seuil d'un "Oh ça, oui !" que je mitraillai d'un oeil sombre pour un rappel à l'ordre.
Ses conditions sociales se déploraient. Pourtant, il semblait tellement vif, imprudent et impudent. Peut-être heureux. Quoiqu'une satisfaction, sûrement. En tous les cas, l'étincelle dans ses billes orageuses me ramenait à celui que je fus, il y a longtemps. Et j'ignorais si cela restait raison convaincante pour demeurer au plus près de son coeur.
ACHLYS | CHAPITRE 2 | INTERLUDE
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