𝐊
ACHLYS | CHAPITRE 33
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Jeong-Guk, 30 Décembre 1504.
— K —
Un jour tel un autre, ou presque.
La nuit vint et alors mes idées, en torrents, se mêlèrent en mon sein, tortionnaires. Une brume planait au-dessus de nos têtes. Elle ne s’envolait guère à mesure que grossissaient mes transes. Mes lèvres, humides et si sèches à la fois, me consumaient d’un incandescent feu que je ne savais taire. Ainsi, j’arpentai les corridors sans jamais défaire ma poigne de celle de mon roi. Et ainsi, je frappai de mon arme ceux et celles qui se dressaient à notre face, à la sienne et à tout ce qu’elle représentait. Shin Ga-Ram n’avait pas attendu. En moi bouillonnait une rage que je ne me connaissais plus ; et d’insangdie, la cour restait cible première.
Je m’efforçai de la défendre. Or, ce jour-ci se montrait si vite, si vil, qu’il me paraissait impossible de me concentrer sur ma tâche cruciale. Une atroce chose se préparait. La plus terrible qui fut. La plus terrible de toutes. Et au fil des heures, je réalisais à quel point le destin témoignait de cruauté et à quel point je me bouleversais de songer à sa mort éventuelle. Le cyanure de sodium s’agitait dans ma poche, lequel je tenais fermement sans oser retirer ma main de mon habit. Son flacon, minuscule, et pourtant, causait tellement de maux.
Uimundae attaquaient ; ils se tenaient partout avec Ga-Ram, continuellement à leur chef. Il n’avait pas attendu pour mettre sa menace dernière à l’exécution. En l’instant, ma priorité restait d’emmener mon châtain si confus au plus loin. Le froid paralysait mes membres. Les premières neiges de décembre tombaient sur nos crânes à découverts et se hâtèrent de blanchir le terreux du par-terre. Nos jambes pressées y laissèrent maintes traces au sortir du palais, je n’y prêtai pas d’intérêt et m’occupai de tirer le Kim dont la motivation semblait pareille à celle d’un ours grincheux au réveil de son hibernation. Son taciturne ne me confortait pas mais je demeurais au combat pour le garder en vie aussi longtemps que je le pourrais. La veille et malgré mes supplications, mes justifications à l’hasard, Tae-Hyung ne me confia pas mon armement mais me permit de récupérer le peu de vigueur qu’il me subsistait. Mon corps, détruit ; mon coeur le serait inévitablement. Ce soir, mes hommes de la rébellion, me craignaient naguère. Ils se churent, un à un mais Ga-Ram, toujours, brillait par son absence. J’essayai, en désarroi, d’en amener certains aux aveux mais nul ne désirait m’admettre le lieu de sa trouvaille. Rien ne m’effrayait davantage que le fait de ne rien savoir.
Mes songes me rappelèrent, néanmoins, que la princesse Eun-Hee devait être cachée quelque part en ses appartements ; et qu’Ah-Reum, aussi, certainement. Quant aux ministres, au prince Dae-Ho et à la reine douairière… Qu’importait leur sort tant que le nôtre ne s’écroulait pas.
— Reste derrière moi, sommai-je à ma guimauve alors que nous confrontions un nombre conséquent de personnes.
Ceux-là désiraient seulement se défaire de la gêne que j’occasionnais puisque tant que je serais présent, ils ne pourraient atteindre le roi, tant que je serais là. En dépit de leur numérique supériorité, je ne me décontenançai pas et combattis de force et d’agilité pour mon combat dernier, le seul qui comptait, l’unique sans mes défenses. À nouveau les plus seuls, je saisis son poignet et le menai à ma suite jusqu’à la vieille dépendance dont aucun ne faisait l’usage depuis des années. À l’intérieur, un effluve pinça mes narines ; c’était tel un acide rance et nauséabond qui se dégageait d’une palanche, une odeur forte et moisie, une senteur vomitive qui m’offrit une remontée gastrale. Ma vue croisa celle de Tae-Hyung dont le visage se figeait dans un marbre que je ne compris pas de prime abord. Je refermai le battant, je le verrouillai au loin du danger et nous allâmes, tous deux, au coin droit de la pièce où le bois crissait sous la lourdeur de nos pas. Je m’écrasai au plancher, Tae-Hyung s’assit en apposant ses dorés attentivement sur moi qui les fuyai, peu à l’aise.
— Tu m’ignores ?
Il questionna. Je lui formulai un semblant de non par un risible couinement. À mon tour, je le considérai succinctement d’abord, puis fus capturé par le redressement de ses lèvres en un sourire un peu bête.
— Si, tu m’ignores. Arrête de m’ignorer, regarde-moi…
— Je suis seulement inquiet de ne pas savoir où est mon frère ni ce qu’il prépare, mentis-je effrontément.
Son allègresse se dissipa, ses épaules se haussèrent. Kim Tae-Hyung était doté d’une grande réceptivité et d’un intellect inégalable ; et surtout, il me connaissait au désormais. Avec cela, je ne me sentis que peu capable de lui partager les sombres idées qui me traversaient depuis quelques jours. Pas aujourd’hui mais dans notre prochaine vie, assurément.
Je me levai et dès lors, il me retint nerveusement du bord radial de ma main.
— Je reviens, attends-moi…
Je baisai son front à la tendresse, il opina. Je le quittai avec mal et partis chercher quelques couettes rangées dans un vieillot placard du bâtiment. L’hiver éprouvait la rudesse ; nous demeuriions peu couverts. En début de soirée, lorsque les premiers hurlements retentirent, nos charnels s’échauffaient ; et il n’eût pas le temps de faire quelque chose que ce soit avec moi que je me situai au dehors à rendre les coups portés par les envahisseurs. Dès lors, une frustration le gagnait. Cependant, elle restait rien en comparaison de mon ressenti en imaginant son tout-entier me tomber entre les bras. Je ravalai mon avenante émotion et mes dûs en possession, je retournai auprès de la fenêtre où discrètement, mon amant contemplait la neige maculée à l’extérieur. Je posai un drap autour de lui, il m’en remercia. Je pris le second et m’installai tout près, à terre. Je pensai l’interroger sur ce qui le préoccupait tellement, sur ce que son silence méditatif signifiait. Mon palpitant pulsait dans mes tempes, un funeste mutisme emplissait notre atmosphère d’un linceul toujours plus noir, infiniment plus sinistre. Je fixai mes orbes aux planches boisées et m’enlisai dans une torpeur à point que le seul son de sa régulière respiration me parvint.
— Aujourd’hui, ça fait quinze ans depuis son décès… m’énonça-t-il à l’évocation d’Ae-Cha, ma mère.
— Je l’ignorais.
Une mélancolie le submergea au miroitement de ses pupilles. Il les décrocha de la baie et s’installa à côté de moi.
— Et… C’est mon anniversaire.
Je l’entendis rire de lui-même et mon organe vital rossa de plus belle en prenant conscience que jamais plus je n’entendrais ce rire résonner ainsi.
— Ae-Cha a… Elle a été exécuté un jour de neige, et le jour de mon anniversaire… J’y ai assisté parce qu’on m’y a obligé. C’est inhumain comme châtiment, pas vrai ?
Oui, il n’existait rien de plus cruel pour un enfant que de voir son parent mourir sous ses yeux.
— Je t’ai entendu, Jeong-Guk. Tu pleurais dans les bras de Ga-Ram, tu disais que tu serais prêt à tout pour me protéger et je te crois.
Je papillonnai. Mes pleurs tombèrent silencieusement par milliers… Et malgré cela, il arborait ce même sourire éternel. Il allait mourir, putain. Il allait crever, certainement de ma main et il semblait tellement… En paix. Pourquoi ?
— Je finis toujours par te faire pleurer… Je ne suis pas doué.
Ses doigts vinrent nettoyer mes pommettes au goût de sel tandis que je luttai pour retrouver un semblant de courage. Nul timbre ne sortit de ma bouche, je l’écoutais seulement qui me disait des mots que je n’entendais plus.
— Tu aurais dû me le dire…
Je m’étranglai finalement à l’articulation de ces dires. Il écouta mes implorations récentes auprès de Ga-Ram, il me suivit et les jours suivants, il n’en avait rien dit alors qu’il savait.
— Et si je te l’avais dit, quoi ? Tu aurais changé d’avis, ton frère m’aurait eu quand même et tu aurais passé quinze autres années à te battre pour obtenir vengeance… Ce n’est pas ce que je souhaite pour toi.
— Et qui es-tu pour me dire ce qui est bien pour moi ou non ?
— Un homme qui t’aime au sacrifice, dans la mort et jusqu’à la fin des temps, Jeon Jeong-Guk.
Sa déclare m’insupportait. Je pressai mes paumes contre chacune de mes oreilles, il en rit d’amusement à mon attitude infantile. Entre les siennes, il les prit tendrement. Nous donnions l’air d’inverser nos rôles accoutumés. Mes sombres embués distinguèrent, eux, la naissance de quelques perles sous son rictus châtaignier. Je le détestais de s’esclaffer ainsi…
— Eh, tu te souviens ? Dans notre prochaine vie, mon Jeong-Guk… Toi et moi, je te le promets.
— Arrête de promettre… larmoyai-je sans retenue.
Pour adjoindre notre douleur, on tambourina contre la porte en injuriant son ouverture. Nous eûmes un sursaut, un sanglot de concert ; et je le reconnus, Ga-Ram les accompagnait.
— Jeong-Guk… souffla-t-il mon nom. Je suis content car tout cela prendra fin ce soir… Et je ne t’ai jamais vraiment dit à quel point j’étais fou de t’aimer tant.
Ou était-ce la providence qui était folle d’avoir provoqué notre rencontre.
— Je t’en prie… Tae-Hyung, ne…
— Accepte ma demande en mariage. S’il-te plaît…
Marions-nous, me disait-il, il y a quelques semaines.
— Je… J’accepte mais ne laisse pas ça, arriver… Je te l’implore…
Je sanglotai, encore. Il parut ravi de ma rétorque à sa demande mais n’avait idée d’à quelle intensité ces seules paroles suffirent à me détruire. Sa pulpe caressa le mate de ma peau, je crus faillir à ce geste de mauvaise fortune et…
Et ? Et quoi, Jeong-Guk ?
— Le poison… C’est moi qui l’ai, prononçai-je péniblement.
— Je sais, il me répondit. Je n’ai pas été un assez bon roi, voilà mon seul regret.
De nouveaux coups contre l’entrée ; des voix ensuite. Ils le tueraient, ils le tueraient si je ne le faisais pas.
— Tu as été le meilleur d’entre eux tous… Le meilleur parmi les Hommes, meilleur que ton père…
— Tes mots me rendent heureux, tu sais.
Et je me rendais encore de malheur pour espérer un salut pour ce que nous étions.
— Je suis désolé, Tae… Tellement, je…
Tremblot alors que j’extrayais le flacon de mes bas. La substance nacrée apparut entre nous dans sa magnificence la plus absolue, nous déglutîmes de crainte. Le Kim ne me demandait pas ce que ce poison lui causerait ; ma guimauve restait plus courageuse que je ne le demeurais. Il prit le contenant et l’ouvrit sous mon oeil effaré et effarant.
— Ne me regarde pas comme ça…
Je récupérai le cyanure de ses maladroites paluches. Nos lèvres ne tardèrent à se trouver, nos bouches se mouvèrent, nos souffles s’écourtèrent, et un peu plus, à chaque battement, mon âme toute entière se déchirait. Un râle le quitta du fond de sa gorge et légèrement, il se détacha et en collant nos fronts ensemble, articula ces quelques mots qui finirent de m’achever.
— Tu étais mon idéal, Jeon Jeong-Guk.
J’agitai la tête et refusai de croire à une telle issue, à une infamie si barbare parce que finalement, il n’y avait de mort aussi cruelle et douce, à la fois…
Tae-Hyung esquissa ses lippes, n’attendit plus, et vida le contenu de la fiole. Je geignis, si peu certain de la force que j’émis à la lui arracher de son détenir. Je l’observai, je le regardai de toute sa beauté grecque malgré ses larmes gaies. Des rougeurs surgirent sur son faciès si diaphane, sa difficulté à respirer se fit sentir, il fut pris de légers tremblements et sitôt, je regrettai de passer nos derniers instants dans cette douloureuse quiétude. J’embrassai ses lèvres, encore et encore, malgré le poison intrusif. Nos salives se confondirent, nos langues dansèrent à mesure que nous laissaient nos forces. Je ne le lâchai pas, jamais. Un fil d’un je-ne-savais quoi translucide se fit voir à sa commissure mais je l’embrassai comme je n’avais osé auparavant. Son corps si chaud gisait entre mes bras ; ses ambres ouvertes, restaient sans la vie ; et son coeur, cela me frappa, ne battait plus de même que le mien, en manque de lui. Kim Tae-Hyung était mort.
Je plongeai mes sombres nuancés dans ses prunelles pour une dernière tandis que de son oeil gauche s’écoulait une larme solitaire qui vint s’échouer sur sa bouche terne. Je l’étreignis contre moi, la respiration courte, avec l’infinie peur qu’il ne m’échappa ad vitam aeternam.
À diverses reprises, son nom s’essouffla de mon langue. J’attrapai ses fins doigts, ses longs et graciles doigts que j’aimais à l’amour. Je les serrai, les baisai de mon soûl et je suppliai son pardon comme si cela pourrait le ramener à moi. Kim Tae-Hyung était mort, et jamais, il ne reviendrait.
D’un désespoir certain, j’enlaçai son charnel et ce fut, soudain, comme s’il se montrait là, à mon dos, à me rendre mon étreinte en me répétant que je n’y étais pour rien et que je me devais de vivre jusqu’à ce que nous nous rencontriions de nouveau. Dans notre prochaine vie, peut-être.
Ses propos me frappèrent alors que tant de fois, il me les répétait ; alors que tellement de fois, je lui dirais que je serais là, à l’attendre, dans cette vie qu’il espérait autant. Je n’entendrais plus le son de son cristallin ni le doux rire dont je restais foutrement amoureux. Je ne le verrais plus dans son habituel habit bleu et dragonesque que je prenais plaisir à lui ôter la nuit venue. Je ne sentirais plus le parfum futaie qui m’enivrait dès l’aube, ni celui de la rose à chaque fois qu’il se baignait dans son eau accoutumée.
K I M T A E - H Y U N G :
MORT LE 30 DÉCEMBRE 1504.
En somme, une partie de moi se démembrait et cette écrasante réalité m’ébranla.
— Tu l’as tué.
Une voix, d’abord. Un grincement et des pas, ensuite. Je zieutai aux alentours, et il ne me fallut que peu de temps avant que mes prunelles ne croisèrent celles d’Ah-Reum… Ah-Reum, couverte d’un châle et dont le visage était ravagé de chagrin. Contrarié de son intervention, je contractai virulement la mâchoire. Voilà longtemps que je n’avais entendu quelque chose d’aussi véritable. Je l’avais tué.
— Votre Altesse…
— Tu l’as tué, répéta l’arrivante.
Je dépoussiérai la dépendance d’un regard, et je compris qu’elle se cachait un peu loin, tapie dans l’ombre, depuis le début. Sa noble bouche tremblait sous l’émotion. L’obscure clarté de l’endroit ne me permit pas de la discerner dans son entièreté, elle avança à la lumière et au plancher, elle laissa choir sa cape qui, jusque là, dissimulait la maigre rondeur de son ventre. Mes billes se débridèrent. Les siennes me toisèrent avec dégoût et haine que je méritais. Je balbutiai, envieux d’exprimer un discours hors de ma portée, hors de ce que je supportais.
Enceinte. Et la sentence tomba.
Je la dévisageai longuement tandis qu’un mépris la défigurait progressivement.
— C’est un prince.
L’enfant de Tae-Hyung. Garçon, encore foetus, dont je venais de ôter la vie du père. Je reniflai bruyamment, je me sentis monstrueux quand Confucius disait que la vie ne se mesurait pas par le nombre de respirations prises, mais par le nombre de moments qui nous avaient coupé le souffle.
J’abandonnai le corps inerte au par-terre, et m’éloignai nerveusement, indignement. Je reculai suffisamment pour ne pas affronter de face la médisance lancée par la souveraine qui s’approcha de son époux, père de son fils, mon amant, mon fiancé. Empoisonné.
— Est-ce… Est-ce qu’il…
Je demandai.
— Il le savait mais tu l’as tué, Jeong-Guk, en le privant de sa chance d’être père.
Je marchai vers l’arrière sans n’avoir la cesse de le considérer. Lui qui, jamais plus, ne me considérerait en retour. J’atteignis la porte seconde, au fin fond du bâtiment. Maladroitement, je me saisis de la poignée sans la voir et en main, je l’actionnai et me glissai au dehors. Un vent me surprit, je chancelai et laissai mes fesses cogner l’épaisseur de la poudreuse. Son froid m’arracha un cri de stupeur, yeux portés vers tout ceux que je quittais. Je ne me relevai pas encore, je portai mon intérêt sur la floraison des perce-neiges. Et avec elles, un songe à Ae-Cha qui, de là-haut, me consolait de mes affres. Maman, je ferais mieux dans une vie prochaine… Je reviendrai pour ce prince. Je l’éleverai. Pour Tae-Hyung, pour que sa mort n’eût pas été vaine. Parce que je l’avais perdu. Parce que je l’aimais et que rien ne pourrait me causer davantage de peine que cet être aimé résidant mon coeur et non plus, ma vie.
ACHLYS | FIN
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