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ACHLYS | CHAPITRE 23





































































Royaume de Chô-Seon,

ancienne Corée réunifiée,

Jeong-Guk.










































- E -

Sa petite âme emporta son envol, et je défaillis de ces tremblements de mon cœur.

Je la serrai au plus près de ma poitrine. Mon corps, lui tout entier, restait agité de spasmes, de mots et de maux tandis que le sien restait inerte entre mes bras trop faibles. Mes paumes palpaient, caressaient son visage endormi, paisible, puis son ébène éparse qui tombait en cascade dans la poussière. Je geignais son nom. Je le vociférais, ensuite. Je le soufflais ; je le pleurais puisqu'il n'y avait plus que cela à faire. Je me sentais à ras bord et pourtant, je paraissais semblable à un vide que nul ne saurait combler. Un vide constant, un grand vide causé par la perte de cette presque femme que je refusais de laisser, par la perte de cette grande petite soeur que je déniais avec vigueur, par la perte de celle qui fut ma meilleure amie, une A-Ra sans pareille qui aurait dû fêter sa dix-septième bougie dans des mois. C'était ici ; il y a peu.

Par un soldat qui vit ma lame le transcender de toutes mes haines. Mon estomac se tordait sous la rage ; j'étais tourbillonné de vertiges et mes larmes patinaient à flots, meurtrissant mon rouge aux joues. Son être ne résonnait plus à l'unisson avec le mien et ça, ça me rendait fou de chagrin.

Le ciel, je l'implorais. Les cieux, je suppliais pour que l'on me la rendit, elle, dont je revoyais les sourires de ravissement et l'espièglerie qui la dépeignaient. A-Ra était mon ancrage, une de mes raisons de me battre. Et il était mort, ce motif-là.

Les combats ne cessaient pas dans le monde m'environnant. À souhait, les cadavres nous encerclaient ; il ne fallut très longtemps avant que l'odeur de la sève ne vint me prendre en nausées. Au loin, je ne percevais plus ni le Kim ni Ga-Ram. Je zieutai, pressant mes lèvres sèches contre la peau chaude de ma cadette. Et puis, une ombre apparut au-dessus de nos têtes avant qu'un enlacement ne vint m'apporter un curieux soulagement.

- Jeong-Guk... Je suis tellement désolé...

Le châtain soupira et déposa un tendre baiser sur le haut de mon crâne. Je me rembrunis ; je me murai dans un mutisme cinglant. Tae-Hyung s'assit dans la boue et témoigna de compassion en apposant le chef contre mon omoplate. J'eus un geste abrupt, il se redressa. Ses grands yeux à la couleur de l'or ne firent qu'accroître la grande aigreur naissante en mon sein.

- Mon amour, regarde-moi.

Mon amour, pourquoi m'appelait-il ainsi, désormais ? Qu'est-ce qui avait changé, bordel ?

- Jeong-Guk, laisse-la partir, je... J'organiserai des obsèques pour elle mais la tenir ainsi ne t'aidera pas, ne l'aidera pas.

- Elle est morte, j'articulai comme pour m'en persuader.

- Non... Jeong-Guk, regarde-moi.

Mon mépris rigola.

- T'es aveugle en plus d'être responsable de ce carnage ? Pourquoi ? Pourquoi n'es-tu pas resté au palais ? Elle est morte, Tae-Hyung. Morte. Mor...Te...

Mes propos le touchèrent, je le perçus à son regard noyé de peine.

- T'as pas l'air de comprendre alors je vais te le dire simplement : tu ferais mieux de... De partir... S'il-te plaît...

- Non, tu ne le penses pas vraiment...

- Des conneries...

Il saisit son élan et m'étreignit de toute la force qui lui était dûe. Je me raidis et lorsqu'un pleur secoua de nouveau ma glotte, je me détendis. Je songeai à cette raclure de Ga-Ram ; je n'osai pas interroger le royal à ce sujet par crainte de ce que j'en ferais... À cet instant, je maintenais A-Ra au plus près de moi. Je larmoyais mon affliction en dépit du chaos régnant et élevai mes sombres éclairicis vers le grisonnant des nuages en priant que tous cessent pour partager mon désarroi ne serait-ce qu'un temps. Juste un... J'avais failli à mon devoir.

A-Ra... Maman et papa, pardonnez-moi. Je ferais mieux dans ma prochaine vie.

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Des jours passèrent, j'ignorais combien. Dès lors, je n'avais relâché le désormais corps refroidi de ma soeur. J'avais veillé, nuit et jour. Je restais analogue à un chien mordant, à un chien furibond qu'on ne devrait approcher. Le soleil succédait, enfin, au crachin écoulé depuis la révolte. Or, je dédaignais qu'on me l'enlève ; Sa Majesté l'avait compris, ne m'ayant demandé de rentrer avec lui à la cour. Je répugnais sa prévenance et lorsque son visage m'apparaissait à l'esprit, une animosité nouvelle m'envahissait. Mais une animosité encore trop fragile au devant de mon frère aîné que je vis défiler jusqu'à moi, jusqu'à nous avec prudence. Et contrairement à ce qu'il m'avait déjà donné à voir auparavant, l'arrogance ne transparaissait plus en lui. Seulement un chagrin conséquent, pas autant que le mien.

- Tu oses te montrer devant moi après ce que t'as fait ? crachai-je en le pointant du doigt.

- C'est aussi ma soeur, Jeong-Guk...

Un rire fou sortit du fond de ma parole, j'étais mortifié ! je me saisis de ma rapière que je brandis sous ses yeux.

- Écoute-moi bien, espèce de connard. A-Ra... A-Ra n'est pas ta soeur, elle ne l'a jamais été donc si tu la touches, je te crève.

Mes orbes se plissèrent, plein de menaces. Ga-Ram ne plaisanta pas, pas même une ombre glissa sur ses lèvres blanchies, je l'espérais, par le remord. Un temps, nous restâmes ainsi, éperdus dans les blancs de l'autre. Mes tremblements reprirent et encore une larme vint rompre ce silence sépulcral et lourd à porter, putain. J'étais à bout.

Ma lame atterrit sur la terre dans un bruit catastrophé ; je m'affaissai, bras ballants qui vinrent trouver réconfort auprès de la figure inerte de la brune. Ga-Ram se chut à genoux et nous enlaça précautionneusement. La foi me manquait pour le repousser, pour le tuer au plus simple.

- Je suis si désolé... fit-il. J'aurais dû veiller sur elle... La mère gisaeng m'a dit qu'A-Ra était à l'article de la mort, seule, et qu'elle voulait te retrouver avant de rendre son dernier soupir... Elle n'a rien voulu entendre, elle...

- Tais-toi, je ne veux pas savoir...

Il se crispa, je le sentis opiner tout contre moi. Sa présence me paraissait au-delà du supportable, je n'en voulais pas. Or, la situation l'exigeait et que je le veuille ou non, A-Ra était bien sa soeur bien que le sang ne les liait pas comme il me nouait à elle. De nombreuses minutes s'écoulèrent ainsi sans qu'aucun ne dise propos. Nos respirations saccadées se calmaient à mesure que le temps passait et malgré cela, malgré le tarissement de mes sanglots, je ne pus empêcher le torrent de pensées parasites de submerger ma conscience. Toutes demeuraient tournées vers la même scène en refrain. Celle où mes laps d'hésitations, mes tendresses pour le roi l'eurent emportées sur la vie de ma soeur. Celle où d'un sabre acéré, elle vit sa trachée tranchée sous mes prunelles effarées, j'étais misérable.

Ga-Ram se leva et le regard au loin, il ouvrit la bouche, susurrant mon nom comme supplication. Je ne répliquai pas, j'écoutais sans la volonté, sans l'envie d'ouïr son mièvre timbre.

- Tu es mon frère, Guk-ah. Et tu sais aussi bien que moi que rien ne serait arrivé si tu avais suivi mon avertissement. Nous t'avons tous demandé de t'éloigner de ce fichu roi mais toi...

Ses dires m'abrutissaient ; voilà qu'il remettait ça. Il reprit après un souffle.

- Ce n'est même pas de ta faute, tu sais... C'est un peu de la mienne, beaucoup celle de ton roi qui te ment depuis le début. Au sujet de la façon dont ta mère a été exécutée, au sujet de la relation presque filiale qu'il entretenait avec elle, et par rapport au fait qu'il t'avait reconnu dès le départ. Et puis, le meurtre de notre A-Ra... Je ne serais pas surpris si on découvrait qu'il avait ordonné qu'on la tue.

Je me tendis, les esgourdes grandes ouvertes.

- Après tout, elle a bien été tuée par l'un de ses gardes, n'est-ce pas ? On aurait dû s'en débarrasser dès lors que je me suis occupé de son père.

Ma mâchoire se serra, mes sombres s'assombrirent de plus belle.

- Ils sont père et fils ; et l'un comme l'autre t'ont pris ta mère et ta soeur. Notre soeur... Notre soeur est morte parce que ton tendre roi que tu adores tant te manipule pour protéger sa couronne. Les chiens ne font pas des chats, Jeong-Guk, réfléchis. Ta mère et l'ancien roi baisaient. Tu fais la même avec le roi actuel. Que crois-tu qu'il arrivera si tu continues à ses côtés ? Il te fera exécuter.

Et la réalité me secoua. La raison, elle aussi. J'enfouis mon nez dans les épars de ma défunte, fermai un temps les yeux avant de les rouvrir subitement. Je levai le chef vers l'horizon lointain où se dessinait la cour royale. Mon tout-moi se comprima, une violente aversion me secoua, je l'expulsai par un halètement, une douloureuse plainte. Je fis face à Ga-Ram qui s'était tu et qui scrutait chaque contraction des nerfs de mon visage. Maints sentiments faisaient la ronde en moi, rien de très bon, rien que je ne puisse exprimer par des dires. C'était fou ô combien je le détestais, lui et l'homme cause de mes maux. Mes prunelles se posèrent sur mon sabre apposé à côté puis se relevèrent sur les portes dragonesques qui me séparaient du berceau régent. Une volonté, un désir prit forme nouvelle alors que je le songeais ensommeillé depuis le début de mon idylle, amourette qui, bientôt, ne serait plus qu'histoire ancienne.

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A-Ra, des heures encore, resta enveloppée entre mes brachiaux. Ga-Ram, lui, m'avait quitté pour joindre notre groupe de rebelles, le nôtre. Et je n'avais laissé la place principale de la capitale, victime première de mes idées tortionnaires. J'étais faible et affaibli, affamé et assoiffé, subissant rafales de vent, torrents de pluie, coups de soleil puis regards compatissants de passants. Je n'étais plus qu'âme en peine lorsqu'âme qui vit approcha, je l'entendis. Je reconnus ses pas au milieu de la centaine d'autres. Je reconnus le souffle salvateur de sa respiration s'écrasant contre ma nuque ainsi que la ferveur de ses bras m'étreignant amoureusement. Sa bouche colla mon lobe et dès lors, un baiser vint prendre possession de chacun de mes sens. Je fulminai malgré mon silence ; cependant, il m'apporta une consolation précieuse.

- Rentre avec moi... Les obsèques d'A-Ra auront lieues ce soir. Je partais chasser, tu devrais m'accompagner ; Chul pense aussi que ça te changera les idées.

Tae-Hyung évoquait le loisir, je pensais tyrannise. J'acquiesçai docilement. Peu à peu, il me mit debout en prêtant attention à ce que je portasse convenablement celle qui fut ma soeur. Mes jambes cotonneuses flageolaient et diverses fois, je manquai de m'étaler de tout mon large. Sa Majesté me prit la brune, et la confia soigneusement à l'un de ses serviteurs.

- Ne la touche pas...

Je menaçai, avançant un geste pour la récupérer, elle, des mains de cet anonyme.

- Jeong-Guk, s'il-te plaît... Regarde ton état, tous deux ne pouvez pas rester comme ça et tu peux, encore moins, la porter.

Des foutaises. Il m'amena auprès de lui ; je le repoussai sans ménagement. Je progressai alors à grandes enjambées vers l'orée des bois sans plus un regard pour le corps défunt de ma soeur aimée. Elle s'éloignait toujours plus ; je ravalai mes larmes alors même que je n'en avais plus. Tae-Hyung me rattrapa, me suivit à une distance raisonnable. Mon palpitant ne battait plus ; il ne le pouvait pas.

- Je... Je ne sais pas quoi te dire pour que tu daignes me parler...

- Alors tais-toi.

Le châtain se tut, non sans déglutir. Un mot de plus aurait été de trop et j'ignorais ce dont je me sentais capable en sa présence. Il pourrait me fuir, certainement mais j'étais certain qu'il n'en ferait rien. En dépit du silence, il demeurait et c'était tout ce qui comptait malgré tout. Le bosquet ne restait qu'à quelques pas et déjà mes spéculations revenaient à ma conversation avec Ga-Ram. Les arbres s'élevaient à notre chemin alors que l'on rejoignait les quelques nobles apprêtés à nous suivre dans cette chasse. Tous s'accompagnaient de chevaux, de chiens, de sacs et d'arcs dont le mien que je n'usais que peu ou prou. Pas un salut pour quiconque, je fis, et je montai sans attendre la bête noire en recouvrant les rênes tenues par l'eunuque. Sa Majesté m'imita sur son étalon alezan et donna le vert pour la mise en route vers la plaine. Le verdâtre de l'herbe m'offrit une répulsion. Néanmoins, j'avançai bien que demeurant en retrait de tous. Mon oeil semblait dans le rien mais je sentais celui de mon roi fondre sur moi avec chagrin. Je l'aperçus à la tentative maintes et à chacune, je feignis l'indifférence. Mais bordel, ce que j'avais mal, au fond. Bon sang, ce que j'avais envie de l'étreindre et de le crever, à la fois, conneries de sentiments.

- Jeon Jeong-Guk, je t'entends murmurer des injures. J'ose espérer qu'elles ne me sont pas destinées.

- Elles sont pour toi, rétorquai-je sans détour alors qu'il exulta un rire.

Ce sourire, merde... Encore ce putain de sourire.

Je me renfrognai ; pas question de céder sous ce que je trouvais de si attirant chez cet homme. Son solaire et sa capacité remarquable à faire échouer toutes les barrières... Il était tout et mon contraire. A-Ra relatait si souvent qu'il restait plus simple de haïr que d'aimer. Et à ces instants, je n'imaginais pas encore dans quelle mesure elle avait raison.

Ici, des animaux seraient chassés en gibier par nos soins et je trépignais d'angoisse à l'idée de brandir mon arme. Je jetai mes sombres sur le Kim qui trottait de son côté avec les bêtes et les nobles et les courtisans. Je partis non trop loin sans l'infime conviction royale. Ma jument s'enfonçait dans la forêt miniature ; je me laissais porter et pensais. À rien. À tout. À lui. Puis à l'éventualité d'une existence où je ne l'aurai guère connu, où je n'aurai guère appris à l'amouracher si passionnellement. L'ironie du destin me bluffait en dépit de sa cruauté et celle-là même me ramenait toujours... À lui. Encore. Lui qui siégeait au pied de la colline, à son aise et sillonnant les prés en silence. Je suivis son intérêt porté au chevreuil mastiquant le végétal sur le mont et me plus à la contemplation. Tout fier qu'il paraissait, il sortit flèches et arc en main, je l'admirai, je scrutai sa silhouette assurée ainsi que l'impertinence lisible sur le coin de ses lippes. Sa chevelure brune voletait au gré du vent ; ses ambrées se plissaient et une doucereuse chaleur s'insuffla au bas de mon ventre. Il se tordit alors, se rappelant la réelle mais inconsciente raison pour laquelle mes pas m'avaient menées en ces lieux. Mes paumes tremblaient, peu certaines, mais je fis de même dans son geste. Je m'échinai à raccrocher le tronc de ma flèche puis j'eus un souffle, trop peu sûr, et un songe pour Ga-Ram. Je pensais à A-Ra, à ma mère et à ces milliers d'autres qui attendaient le relâchement de mes épaules dans un calme universel. Je pensais à Tae-Hyung dont le bout de la langue se manifestait par sa concentration la plus extrême. Nos temps ensemble affluèrent en même temps que les plaies ouvertes. Nos rencontres puis nos discussions jusqu'à nulle heure ; nos rires étouffés à la suite de nos ébats puis nos pleurs, mots à maux ; nos complots puis nos inavouables peurs ; nos gestes de tendresse puis nos joutes incessables. Ces souvenirs, je les chérissais plus que jamais. Or, il était là, au viseur. Mon arc restait passablement tendu ; j'hésitai, en porte à faux. Je ne fis de mouvements, de crainte que l'on me vit, de crainte d'en finir si vite...

- Ce ne sera jamais toi, Kim Tae-Hyung. Ici ou même ailleurs.

Et sur cette méditation, je sacrifis ma flèche entre mes doigts ; elle fendit les airs et atteignit finalement sa cible dans un son de chute qui m'opprima la poitrine... Un son qui fit écho à l'humanité entière et qui, pour toujours, figerait cette sinistre époque dans la terre.



































































ACHLYS | CHAPITRE 23

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