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ACHLYS | CHAPITRE 1
Royaume de Chô-Seon,
ancienne Corée réunifiée,
Jeong-Guk, 01 Septembre 1504.
— A —
Jeune demoiselle.
Tel fut le qualificatif que l'on m'accorda tandis que je foulais la terre à la recherche d'une sommaire occupation. La maladresse de ses mots. La vanité des miens. Tout me frappait. L'ébauche d'un amusement se plia à mes lèvres indolentes ; je le toisai au présent sans l'ombre d'une gêne au hasard.
Pour lui, la surprise se montrait là : j'étais un homme.
Son Altesse me dévisageait de biais des boucles châtaignes tombant au-dessus de ses orbes. Ses prunelles assombries d'embarras me scrutait longuement et encore, que je m'en sentirais vexé. Or, je ne me défendais d'en rire sous cape ; une ricane glaçante et glacée qui bousculait nos rapports.
Je le revoyais, ce royal, qui hélait mon ombre et quémandait ce qu'une jeune demoiselle faisait à déambuler seule à la cour de nuit. Mes cheveux longs aussi noirs que l'ébène, et mes doux faciaux justifiaient cette méprise. Et désormais, le voilà qui s'empêtrait dans ce quiproquo dont je m'accoutumais. Sa bouche bêtisière se tordait d'un malaise qui me tira une raillerie soufflée à son encontre.
— T'a-t-on déjà dit que tu avais une allure très féminine ? s'excusa le brun.
— Vous a-t-on déjà dit que vous étiez impoli ?
Ces mots furent nos premiers échangés. En mon sein, je pressentais un enthousiasme mêlé à un dégoût raciné de me trouver à la face du Prince héritier de Chô-Seon.
Je ne témoignais pas de mon respect, je me fichais de ces protocoles obséquieux. Ses épaules roulèrent doucereusement, les miennes s'affaissèrent, je croisai les bras contre ma poitrine et poursuivis mon examen de sa gracile personne.
Un nez racé.
Une voix rocailleuse.
Des yeux ambrés.
Des lèvres rosées.
— Incline-toi, somma-t-il avec autorité.
— Plus de "jeune demoiselle", Votre Altesse ?
Je jouissais de ses agacements à cette insolence naturelle que je ne savais taire. Cet échange similait le ridicule puisqu'il restait dans l'ordre propre des choses que l'un et un autre s'adressent des dires d'un niveau même. Je ne me défaisais pas de cette pareille satisfaction au visage lorsque je courbai docilement mon échine.
— Toutes mes excuses, Votre Altesse, je fis. J'ignore où sont rangées mes manières... Je suis Jeon Jeong-Guk et ça fait deux mois que je sers Sa Majesté, votre père, dans la garde.
Il s'étonna un temps.
Cet individu me paraissait imbécile et ignorant parce qu'il était prince, fils de roi. Fils de ce roi. Ce royal m'ayant arraché au seul être pour lequel je me dévoilais prêt à voler en éclats, ma mère. L'héritier observait, curieux, chacun des grains de ma peau basane. Les rayons matinaux trahissaient une grande pudeur chez lui, un sentiment qui le rendait encore vierge d'aventures et de ce monde misérable qui allait au-delà de ces murs palatiaux. Je redressai la tête et alors, son oeillade infinie me happa. Un chatouillis dérangea le bout de mes doigts et j'eus la pensée première pour l'étau de ce passé peu frais, aujourd'hui. Un millier d'étoiles sublimait son regard, et moi... Moi, je m'emportais de rage amère et silencieuse.
— Jeon... Jeon Jeong-Guk, tu dis ?
Son allure bileuse me questionna. Je m'élançai droit alors qu'il ne me considérait plus et se perdait dans une étourdissante réflexion. Je ne saisissais pas ses traits durcis à la soudaineté et cela me rendait au vif de réponses. Ses deux billes ambrées, voilées de mélancolie, se mirent à tinter d'un millième d'éclat lorsqu'elles caressèrent ma figure.
— Votre Altesse ? Un problème ?
Il n'y eut rien qu'un mutisme dans lequel il se terra. Sans ajouter un reste, il se retira et me laissa pantois et intéressé. Je notais cet arrêt brusque quand je me présentais à lui et je ne me lassais de me répéter qu'il devait être là quand ma mère disparut, il y a près de seize ans. J'y pensais puis à mon tour, je m'échappais hors de la cour.
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Neuf mois s'écoulèrent depuis la conduite de notre assaut dernier à la cour ; quarante semaines où tant y laissèrent la peau ; et près de trois-cents jours depuis que ces intarissables images d'horreur m'empêchaient de fermer l'oeil. Il y a presque une année que ce sentiment d'impuissance vint me trouver. Aujourd'hui, ces souvenirs demeuraient ma hantise à mesure que ma culpabilité, barbare, ne cessait de croître. Je me rappelais de ces mots de notre chef qui, déjà, plannifiait chacune de nos actions à la minute près. Un empoisonnement, et des tonnes de vies nobles brisées. Le groupe Uimundae me portait au plus haut lorsque je plongeais dans mon désir de revanche. La résistance fleurissait dans les contrées. Or, ici, à la capitale, la nôtre devenait de tout-pouvoir depuis dix-huit ans qu'elle existait. Ces gens constituaient ma maison, ma famille, ma lignée. Les courbes de la rébellion se profilaient et bientôt, il ne resterait que poussière du roi et ses confrères.
Et bientôt, ma défunte mère obtiendrait justice. Une justice nouvelle à laquelle s'apprêtaient nos membres.
Une tension naissait en ma nuque. Tout vêtu de mon uniforme de jais, je n'éprouvais d'embarras à l'effluve nauséabond qui se dégageait de l'entrée du sinistre bâtiment qui accueillait nos rencontres discrètes et nos couchages. Je franchis le seuil et sous mes pas, le bois bruissait. Au fil de mes enjambées, j'attirais les attentions de trois ou six de mes amants qui se contentaient à ma seule apparition. Je ne leur accordais rien puisque je ne détenais pas la connaissance de leurs noms. Je me souvenais de chaque visage, de chaque voix, de chaque vagins et de ceux qui ne l'étaient pas. Je jouissais de les voir chaque nuit et à tout horaire de la journée. Ceux-là me suivirent jusqu'au bout du couloir, là où se nichaient les escaliers vers le bas. À mon arrivée, le sous-sol bascula dans une troublante obscurité. Un unique bruit de fond lui rendait la vie bien que ma présence suffit à les museler en simples chuchotis. Je m'y déplaçais avec aisance, une nonchalance presque imprudente puis je me chus sur une chaise dans un coin. Je ne prêtais pas d'intérêt à l'alentour, seul à un absent qui comblait mon esprit par ses attitudes suspectes. Kim Tae-Hyung, je te revoyais enfin. Je percevais la douceur de ses sourires mal à l'aise lorsqu'il me prit pour femme. Et ce putain de beau sourire ne me laissait plus, stupides pensées.
Mes pupilles orageuses balayèrent la foule de paysans entassés. De tous les côtés, des hommes, et des femmes, et des enfants qui jouaient dans la terre avec des poupées de chiffon.
Ici, les rayons solaires filtraient la paille qui recouvraient les vasistas extérieurs. Ils surbrillaient le noir des runes nombreuses et tatouées sur l'ensemble de mes bras, de mon corps et sur les pores de nos troupes rebelles.
Uimundae paraissait au complet.
Je remarquai notre chef, posé en fin de table, ses yeux faucons suspendus au néant. Je plissai les miens, interrogeant en secret son stoïcisme limpide. Mon aîné s'aveuglait de silence, cela effraierait n'importe qui, qui le connaissait un peu. Cette idée me distrayait alors je me saisis d'un caillou baguenaudant au sol. Cet homme, à la fois si sérieux et malingre, tressauta dès que l'objet cogna sa tempe. Je ricanai sans me cacher en dépit de ses grimaces.
Touché.
— C'est l'heure.
Il opina.
Inutile d'en placer trop avec les frères et soeurs puisqu'ils comprenaient tout d'un rien. Shin Ga-Ram et moi vivions ainsi. Comme des frères. Or, avec ma soeur cadette, la nôtre, bien moins malgré le sang. A-Ra restait brave, excessive parfois mais si malade. La dysenterie la parasitait de soucis intestinaux et de fièvre virale. Nos conditions précaires nous plongeaient dans une immondice de misère et d'insalubre. Pourtant, la tendresse la seyait de même qu'une beauté brute ; une splendeur propre et indiscrète qui me faisait ainsi craindre pour elle. Son année adolescente lui apportait, cependant, une vitalité qui lui manquait depuis près d'un an. Pour combien de temps, seulement, je me le demandais apeuré. Nous veillions tous sur elle qui reposait à l'étage comme à l'habitude.
A-Ra comptait sur nous, elle comptait sur moi.
Ga-Ram, lui, se leva et racla sèchement le fond de sa gorge ; il saisit son assemblée. Ce chef aîné pivota vers l'un de nous dont le bras reposait en écharpe. Le quarantenaire gloussait avec un camarade nonobstant sa blessure par la balle d'un soldat ; un enviable idiot.
— Comment tu te sens ?
Je ne supportais pas mieux la douleur, et souvent, je me reprochais d'en voir d'autres y répondre avec meilleure grâce que je ne restais capable de le faire. Le questionné rétorqua par une affirmative ; lui, semblait de ceux dont la chance s'inaltérait puisqu'il ne mourrut pas sous les lames tranchantes de l'armée. Son air supérieur m'irritait, j'entrebâillais la bouche mais je renoncais au discours en sentant l'appui réprobateur de Ga-Ram.
Je me balançais sur mon siège et rejetais négligemment la tête vers l'arrière par un soupir évocateur. La réunion débutait.
Le meneur introduisait les raisons de nos venues, d'une part. D'autre part, un vieillard décrépi invectivait tellement de choses qui faisaient peu sens à mon ouïe. Du reste, elles me frappèrent et ne me quittèrent plus.
"Nos hommes sont morts, et voilà ce que ça vous cause !"
"La garde du roi ont été sans pitié, bien pire que des lions affamés ! Qu'attendons-nous pour agir, bon sang ?"
Silence de cimetière.
L'injurieux s'avachit sur son fauteuil et se laissa râler de bougons nombreux. La cicatrice restait grande, si trop pour qu'untel osa répondre. Les pilotis de ma chaise claqua contre la dureté du par-terre tandis qu'un juron d'impatience brutalisait ma parole.
— Jeong-Guk aurait certainement fait meilleur chef... porta farouchement la jeune dame à son côté.
Silence d'approbation, et silence coupable.
Pas de réplique mais la mâchoire serrée de Ga-Ram, contrarié par la justesse de ce propos. Il était bon chef, j'aurais fait meilleurs résultats.
Le sang froid accoutumé du concerné le freinait. Mes parents adoptifs — les siens, pour de vrai — certifiaient le contraire : mon courroux apparent causerait notre perte. Il ne possédait qu'une année en plus, je parierais son inverse mais j'avais beau dire, il demeurait ma force, mon roc, mon complice. Et voilà Ga-Ram dans ses qualités les plus belles.
À mon adoption, je ne savais que le haïr de mon sort puis j'appris à l'aimer du petit de mes trois ans.
— Laissez mon nom en dehors de ça, fis-je en écho.
Les timbres reprirent encore, s'élevant et s'abaissant en rythme régulier. Ga-Ram me scrutait et me toisait, lippes pincées, il songeait. À ces mots et ces maux. Sa main se dressa finalement et tous se turent.
— J'ai conscience que nos pertes sont importantes... Cependant, je ne le permettrai plus. Jeong-Guk, as-tu du nouveau concernant ton infiltration à la cour ?
— Comme tu l'avais prédit, j'ai rencontré le Prince héritier, aujourd'hui.
Un ravissement un peu frêle illumina son visage. Après tout ce temps, je m'étonnais encore de ses dons sur l'avenir. Cela me rendait envieux, quelle plaie.
— Bien. On en reparlera plus tranquillement.
Toutes les oeillères se braquaient sur moi, pour ce que j'en avais à faire. Malgré cela, multiples interrogations me parvenaient encore. Certaines sur ma vie de garde à la cour ; et peu sur l'accomplissement de ma mission. Je ne me plaignais pas de l'existence si je comparais celle de fortune que je pilotais avant cela, la vie de va-nu-pieds que tous, ici, perpétuaient.
Je ne rétorquai à aucun d'eux et partageai une complicité avec mon aîné, mon frère. Il connaissait déjà ce qu'il fallait : ma haine dévastatrice ; et le désir vindicatif qui l'accompagnait...
Cette tragédie prendrait fin, enfin.
Le monarque, avide et cupide, tyrannisait le peuple et ses sous-fifres. Sa reine, effacée et peu cernable, m'apparaissait méprisante. Leurs deux fils, l'un héritier et l'autre, dommage collatéral d'une destinée incomprise. La princesse, elle, risiblement altruiste et à peine plus âgée que ma cadette, A-Ra.
Je les servais, ces gens.
Cette pensée me révulsait mais au désormais, je jubilais que tous soient au creux de mes paumes, prêts à être écrasés.
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Le vent jaillissait et soufflait sur mes joues imberbes. Je rentrais, la nuit se faisait noire tandis que je me perdais dans maintes réflexions tumultueuses. À mon départ, je saluais A-Ra dans sa chambrée. Sa jovialité m'opprima le coeur, son haleine courte m'affola. Elle ignorait tout de ma profession nouvelle, tout du danger auquel je m'exposais. Et c'était mieux de la sorte. La préserver m'importait plus que le reste. Elle me questionnait, je baisais son front. Une moue juvénile, je riais sans donner mes explications. Je m'absentais fréquemment, elle se doutait que j'agissais dans le secret.
Elle lui ressemblait. À ma mère.
De semblables prunelles claires, une pareille chevelure indocile, et un tempérament incendiaire.
Ae-Cha. Le plus doux des prénoms.
Il signifiait femme aimante. Tout ce qu'elle fut ; tout ce qu'elle ne serait jamais plus. Et pour châtier son décès précoce, je parvins à l'entrée de la cour dont les gigantesques battants se gardaient par deux miliciens. Alors je les saluai et pénétrai les lieux à mon aise.
Jeon Jeong-Guk, garde royal ; saloperies.
Je me pavanais en coq fier dans mes habits officiels. Ga-Ram et A-Ra me railleraient s'ils me voyaient. Je flânais, le nez éperdu dans la contemplation de la fertile terre sous mes bottes. Je me sentais vaseux ; joyeux, ensuite avant de me confondre en angoisses multiples. Je réalisais l'impossibilité de revenir en arrière, plus d'échappatoire. Les chemins m'attendaient, vides de présence. Je ne discernais que la stridulation de grillons alentours. Je progressais sans la peur, rasant les pans et les contours des cinq palais. Pas de traces des eunuques, de dames ou de ce capitaine Han, responsable de ma formation guerrière. Pas de plan, non plus. Pas à ma connaissance, du moins, et depuis mon arrivée où mes activités se résumaient à l'entraînement au combat.
Quelques mètres me séparaient de mon dortoir, reclu et proche de la dépendance royale. Je baîllais. Personne pour me rappeler à l'ordre. Grisant. Enivrant. Surréaliste... Liberté, me voici.
À l'angle d'un bâtiment, la svelte silhouette d'un noble en hanbok s'esquissa. Je marchais jusqu'au plus près de lui, le Prince héritier m'observait dans les ténèbres. Son regard fauve croisa le mien, me happa et je me figeai, insécure.
— Tu me regardes toujours avec tant de haine, Jeong-Guk. Dois-je me vexer, tu crois ?
Une gaieté transparut sur ses ourlets. Troublé, je maintenais mon silence et le laissais me moquer. Sa main se posa lourdement sur le sommet de mon crâne et ses doigts, longs et opales, glissèrent mes mèches ébènes.
— Tu es si chétif, argumenta-t-il sous ma surprise.
— Dit la guimauve vêtue de rose et souriant comme une tarte comme si sa douceur était la solution à tous les problèmes.
— Les tartes, ça ne sourit pas, Jeong-Guk.
Je m'esclaffai à cette rétorque. Il s'en contraria de mine mais acheva de me rendre mon amusement. Son Altesse tendit sa poigne vers moi, je la considérais longuement. Sa bouche bavarde s'ouvrit et les mots qui en sortirent eurent la raison de m'ébahir davantage.
— Repartons de zéro, Jeon Jeong-Guk.
La façon dont il articulait mon nom me plaisait. Sa proposition, encore plus. Repartir de zéro, jamais ; je ne m'en gardais capable. Cependant, si cela justifiait l'usage de mon rôle illusoire à ses côtés alors il ne restait que plus futé de l'accepter. Je ne doutais plus et l'empoignai avec vivacité. Il s'en ravit à la vue de sa commissure relevé en son coin. La brise septembrale emportait mes jais dans son sillon. La tension embaumait les airs ou juste assez pour me faire encore tressaillir d'excitation.
Kim Tae-Hyung, je te revoyais enfin.
ACHLYS | CHAPITRE 1
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