Chapitre 1
- Brrr, qu'est-ce qu'il fait froid, aujourd'hui !
Le vent hurlait et gémissait dans les plaines rocheuses de Lapis Spinae. Éclair huma rapidement l'air frais, les griffes légèrement tremblotantes de la fraîcheur de la brise matinale. Elle n'avait pas le choix : pour se réchauffer, rien de tel qu'un peu d'exercice ! Une nouvelle bourrasque la bouscula, manquant presque de lui faire perdre l'équilibre. Elle la laissa gonfler la membrane de ses ailes et, avec assurance, prit un courant descendant qui la fit lentement descendre vers une zone habitée de la chaîne de montagnes : son village. Elle se rapprochait de plus en plus des habitations quand elle vira soudainement vers la droite. De loin, on aurait pu croire qu'un vent plus fort que les autres l'avait déviée de son objectif, mais non ; c'était volontaire et c'était bel et bien la direction qu'elle voulait prendre.
Elle s'éloignait de plus en plus du village quand elle s'arrêta devant une faille, juste assez large pour laisser un dragon adulte passer. Elle s'y faufila et progressa dans le noir, sûre d'elle. Finalement, elle aperçut la lueur des champignons phosphorescents propres à cette grotte particulière. Le tunnel aboutit sur une caverne relativement spacieuse, illuminée par les champignons ainsi que par des lucioles enfermées dans des bocaux de verre. Dans cet espace aux allures féeriques attendait un dragon du même âge qu'Eclair.
- Tempête !! fit celle-ci en lui sautant dessus, obligeant le dragon à se décaler pour ne pas se faire écraser.
La dragonne atterrit là où Tempête se tenait une seconde plus tôt. Elle adressa un sourire taquin à son ami dont les lèvres se soulevaient en un sourire entre la moquerie et la sympathie.
- Quelle arrivée ! s'esclaffa-t-il. Que me vaut tant d'énergie ?
- Que je sois de bonne humeur ? répondit-elle.
- C'est mon jour de chance alors, Éclair la râleuse est de bonne humeur !!
Éclair fit semblant d'être offensée par les taquineries de son ami. Elle tourna le museau vivement de manière exagérée, comme si elle était vexée.
- N'importe quoi, je suis de bonne humeur en toutes circonstances !!
- "Aaah, qu'est-ce qu'on s'ennuie dans ce trou paumé !" "J'aimerais tant partir d'ici comme les explorateurs de mes livres chéris !" "J'en ai marre de cette routine répétitive, vivement que je me tire d'ici !!"
- Je ne dis pas "livres chéris".
Tempête fit une petite moue sceptique puis eut un sourire un peu plus ... sérieux.
- Moi, je l'aime bien, ce trou paumé. J'ai grandi ici, et toi aussi, même si tu ne sembles pas l'apprécier pour autant. J'y suis attaché, à cet endroit.
- Ce n'est pas que je ne l'apprécie pas, c'est juste ... j'ai soif de découverte de nouveaux horizons. Voir le même gris roche tous les matins quand je me lève, ce n'est pas une vie pour moi.
Éclair posa la paume de sa patte contre une paroi de la grotte.
- Mais bon, il faudrait encore que je trouve le courage de quitter les Lapis Spinae, et ça, ce n'est pas gagné. (Elle soupira.) De toute façon, tant que je ne suis pas majeure, je ne peux pas faire ce que je veux sans l'autorisation d'Orage. Alors autant mettre mes rêves en pause pour le moment.
Tempête eut un sourire compatissant et donna un petit coup d'aile affectueux dans l'épaule de son amie.
- Baisse pas les ailes, tête de chamois, tu y arriveras un jour ! Tu deviendras une grande exploratrice qui connaîtra tous les recoins d'Embrya. Il suffit que tu en aies la volonté.
- Une exploratrice ... ou une écrivaine. Vendre des livres à travers tout le continent, être reconnue par tous les clans, conter les épopées de héros résolvant les problèmes de leurs mondes, parfois de façon inattendue... Ouais, je pense que ça me plairait bien, comme avenir.
Elle sourit en découvrant légèrement ses dents.
- Et puis, je n'ai pas besoin d'attendre d'être adulte pour écrire.
Tempête se réjouit de voir son amie retrouver du poil de la bête.
- Mademoiselle Éclair a retrouvé le sourire, le soleil peut de nouveau briller !!
Éclair lui donna un petit coup d'épaule taquin.
- Pff, t'es bête !
Les rires des deux amis résonnèrent tandis que le soleil déclinait lentement à l'extérieur, peignant le ciel des couleurs chatoyantes de l'automne.
★★★
Éclair rentrait à la maison après avoir passé l'après-midi avec son meilleur ami. Les journées se raccourcissaient en ce moment, le soleil se couchait plus tôt et Éclair avait comme consigne de rentrer avant la tombée de la nuit pour des questions de sécurité, elle pouvait passer de moins en moins avec Tempête.
Elle amorça un atterrissage sur la courte plateforme de pierre qui saillait de l'entrée de la caverne aménagée. Elle battit des ailes, posa les pattes au sol puis replia ses ailes dans son dos pour s'engouffrer dans le foyer.
Elle annonça son arrivée dans la spacieuse caverne.
- M'man, je suis rentrée !
Une tête bleue marine apparut à l'encadrement d'une pièce secondaire.
- Salut, Éclair, comment s'est passé ton après-midi ? s'enquit Orage.
- Bien, c'était cool et tout mais ... Maman, sérieusement, pourquoi est-ce que je dois rentrer avant la nuit tombée ? J'aimerais bien faire des balades nocturnes et la voûte céleste doit être magnifique à admirer depuis les plus hauts points des Lapis Spinae !
Orage lâcha un long soupir.
- Tu sais aussi bien que moi la raison.
- Et c'est pour ça qu'on va rester terrées comme des taupes froussardes dans une taupinière ? Il faut agir !
- Non ! Et si tu tentes quoi que ce soit, jeune fille, je t'en ferai passer l'envie définitivement !
Éclair se raidit. Jamais Orage n'avait haussé le ton à ce point. Et la lueur de fureur qui étincelait dans les yeux de sa mère adoptive lui fit l'effet d'une douche froide. Orage était vraiment, vraiment en colère. Il est normal qu'un tel sujet mette à nerf, mais à ce point ? Il y avait anguille sous roche, mais Éclair ne savait pas vraiment ce qu'il en découlait.
Orage elle-même sembla surprise par sa soudaine colère et se calma presqu'instantanément.
- Excuse-moi de m'être emportée... Mais tu dois absolument me promettre de ne rien tenter de dangereux. Je t'en prie.
-Ce n'est pas en restant cachées qu'on s'épanouira, et tu le sais, maman !
Son ton était plus celui de la désolation que du reproche. Elle en avait marre de s'aplatir devant les autres pour rester saine et sauve. Ce n'était pas une vie, bon sang ! Et qui savait ce qui se tramait dans les hautes sphères de la société des Tonitruum... Eclair n'avait pas vraiment confiance en ces aristos qui régissaient le territoire. Elle mettrait sa griffe à couper que les informations étaient filtrées et censurées, et le bout de sa queue qu'ils ne savaient même pas ce qu'il se passait réellement dans le territoire.
- Promets-le moi, répéta Orage, sur un ton triste.
Éclair ne pouvais pas promettre une telle chose. Il était hors de question qu'elle devienne vendeuse de tapis, aussi riche soit elle, comme sa mère adoptive.
En elle grondait la colère contre ce système mal fichu, mais ce n'était pas le moment de la laisser sortir.
- Je . . . Je vais essayer.
Le regard d'Orage s'adoucit et elle tendit une large aile pour l'y accueillir.
- Je sais que c'est dur, Éclair . . . Mais c'est ainsi. Ce n'est pas pour autant qu'on ne doit pas relever la tête fièrement ! Un jour viendra le temps du changement ; mais il n'est pas pour aujourd'hui.
Éclair accepta le câlin, le cœur gros. Cette injustice la rendait triste, et sa propre impuissance n'aidait pas. Enroulant son aile autour des épaules de la dragonnette, Orage tenta de la réconforter autant qu'elle le pouvait par ce geste maternel. Éclair se laissa aller sans le moral. Elle laissa son esprit vagabonder quelques minutes durant l'étreinte, puis prit à nouveau la parole.
- Dis . . . Elle était comment Maman ? Enfin, je veux dire . . . ma mère biologique . . .
Orage sembla mal à l'aise pendant un instant, si bien qu'Éclair craignit de l'avoir blessée émotionnellement, mais ce fut d'une voix douce empreinte de tristesse et de mélancolie que celle-ci répondit :
- C'était une bonne personne . . . Furie était pleine de vie, engagée et impliquée dans tout ce qu'elle entreprenait. Tout comme toi, elle tenait en aversion le système de castes qui régit notre territoire.
- À quelle caste appartenait-elle ?
- . . . À celle des agriculteurs. Travailler toute sa vie pour faire pousser des plantes malgré les caprices de la nature ne lui plaisait pas. Mais alors pas du tout. Alors elle se révoltait contre ce système qu'elle considérait comme injuste. Elle avait de bonnes idées . . . mais elle ne les exprimait pas de la bonne façon. Elle a participé à des émeutes anti-castes, organisé par un groupe de jeunes pour la plupart en rupture familiale, de vrais électrons libres. Leur problème, c'était qu'ils exposaient leur point de vue dans la violence. Et ta mère les a rejoint. Elle y a rencontré ton père, un vrai voyou à l'époque. Il s'est certes assagi au contact de Furie, mais je t'avouerai que ce n'est pas pour autant que je l'appréciais plus. Mais bon, c'était son choix, pas le mien. Bref, Furie et moi, on restait proches, même si elle savait que je ne portais pas son compagnon dans mon cœur. Un soir, elle et son "chéri" s'apprêtaient à aller une manifestation qui s'annonçait particulièrement violente. Et là, elle dépose un œuf devant moi. Un œuf ! Sur le moment, je n'en revenais pas. Elle m'a ensuite expliqué qu'elle voulait que, si jamais elle et son compagnon ne revenaient pas au lever du jour, ma mission si je l'acceptais était de prendre soin de toi à leur place. Ainsi elle était consciente du danger, mais pas suffisamment pour qu'elle n'y aille pas.
- Tout s'explique . . .
La voix d'Éclair s'était faite un peu plus absente, tandis qu'elle tentait d'assimiler toutes ces informations.
- Mais alors . . . Qu'est-ce qui s'est passé ? Si ça se trouve, ils sont peut-être encore en vie ?
Un sourire triste se dessina sur les lèvres d'Orage et emporta tous les soudains espoirs d'Éclair dans le néant.
- Oh, j'aurais adoré . . . Mais tu sais les émeutes étaient – et sont toujours – violemment réprimées par la caste des guerriers à la solde des castes les plus influentes. Et le matin, ils recensaient les morts des deux côtés et affichaient la liste des défunts dans toute la ville. Tes parents y étaient.
Orage referma un peu plus ses ailes autour des épaules d'Éclair. Visiblement, se rappeler de ces souvenirs la plongeait dans un état mélancolique. Quant à Éclair, elle avait l'impression qu'on lui avait soudain pompé son énergie et sa volonté. Elle avait toujours un peu espéré revoir ses parents un jour, mais tous ses rêves venaient de s'envoler.
Mollement, elle se défit de l'étreinte de sa mère adoptive et se rendit à pas lents dans sa chambre. Elle s'affala dans son nid de couettes et de coussins et se laissa aller. Elle pleura à chaudes larmes, les épaules secouées de soubresauts, la respiration hachée par les sanglots. Elle ne trouva le sommeil que tard dans la nuit, dans ses draps humides de ses pleurs.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top