Chapitre 83
En revenant à lui, la première chose que Jimin avait faite, avait été de chercher Yoongi. Son corps était engourdi, en manque de force et il se sentait encore somnolent, mais son besoin de revoir son visage le forçait à rester éveillé.
— Yoongi ? appela-t-il en regardant autour de lui. Yoongi où... où es-tu ?
Ses yeux larmoyants cherchaient cette silhouette aux cheveux verts, mais il n'était pas là. Lorsque son attention se posa sur sa mère, il ne put retenir cette question qui le brisa, ainsi que Hee-sun lorsqu'elle comprit ses mots.
— Maman, où... où est Yoongi ?
Quand ses paroles le quittèrent, le blond fut traversé par un éclair de lucidité qui fit disparaître cette brume qui floutait son esprit et le ramena à la réalité. Face à lui, madame Park l'observait, les yeux légèrement brillants de tristesse face au chagrin et à la désorientation de son enfant.
— Mon ange, Yoongi est-
— Mort, la coupa Jimin. Je sais, murmura-t-il, en détournant le regard pour dissimuler sa peine.
Fermant les yeux, le médium tenta de toutes ses forces de retourner là-bas, de retourner à ses côtés, mais peu importe sa volonté, il n'y parvenait pas. Son cerveau tournait à plein régime, l'empêchant de retrouver le sommeil, mais surtout, une migraine affreuse commençait à prendre vie.
Où était Yoongi ? Est-ce que ce qu'il avait vu été réel ou était-ce un simple rêve qu'il avait fait pendant qu'il était inconscient ? S'il avait réellement été à ses côtés sur ce muret, alors pourquoi l'avait-il forcé à revenir ici ? Il aurait pu rester avec lui, mettre fin à sa solitude, alors pourquoi l'avait-il poussé dans le vide ?
— Jimin, mon chéri, comment te sens-tu ? demanda Hee-sun en venant prendre sa main dans la sienne.
D'un mouvement dénué de motivation et d'énergie, le concerné tourna la tête vers sa mère qui lui offrit un sourire chaleureux.
— Je -
Leur conversation fût avortée par la porte de la chambre qui s'ouvrit sur un homme aux cheveux grisonnants, vêtu d'une longue blouse blanche. Il pénétra dans la pièce, suivi de Minkyun qui resta cependant à l'écart.
— Monsieur Park, bonjour, je suis le docteur Song Jinwoo.
— Bonjour, répondit le médium d'une voix blanche.
— Alors, comment vous sentez vous ? demanda le médecin en s'approchant de lui.
— Je suis fatigué et j'ai un peu mal à la tête.
— C'est normal. Votre corps a besoin de beaucoup de repos pour une bonne guérison, commença l'homme à la chevelure grisonnante. Je vais prendre vos constantes.
Jinwoo sortit une lampe de la petite poche de sa blouse et la posta devant les yeux de son patient, s'assurant que ses pupilles réagissaient comme il le voulait. Il prit ensuite sa tension sous le regard inquiet de Hee-sun qui les observait.
— Est-ce que tout va bien docteur ? intervint cette dernière.
— Ses constantes sont bonnes, mais au vu des blessures que votre fils a subies, nous allons lui faire passer d'autres examens.
— Quel genre d'examens ? questionna Minkyun, attirant l'attention de Jimin qui fronça les sourcils.
Il ne connaissait pas cet homme, pourtant sa mère semblait vraiment lui faire confiance, elle semblait même apaisée en sa présence. Était-il un ami à elle ? Alors qu'il observait cet individu aux larges épaules et cheveux d'ébène, l'attention du médium fût happée par la voix du docteur Song.
— Pour commencer, une infirmière va venir pour changer son pansement et vérifier que la cicatrisation se passe bien. Nous allons ensuite lui faire passer une échographie et une radiographie pour s'assurer que tout va bien et nous vérifierons que la motricité est bonne, expliqua ce dernier.
Jimin hocha simplement la tête en silence. Il n'avait pas grand-chose à dire, en réalité, il se fichait bien de ce qu'ils allaient lui faire. Tout ce qu'il désirait, c'était dormir, pour peut-être retourner là-bas, dans ce lieu où il s'était si bien senti.
— Monsieur Park, est-ce que vous m'entendez ? l'interpella l'homme à la blouse blanche.
— Oui, excusez-moi. J'ai... j'ai du mal à rester concentré, répondit Jimin d'une voix lasse.
— C'est normal, ça ira mieux dans quelques jours, le rassura Jinwoo avant de se tourner vers Hee-sun. Maintenant que votre fils est réveillé, vous allez devoir suivre les heures de visite. Il a besoin de beaucoup de repos.
Madame Park semblait réticente à l'idée de laisser son fils seul. Bien qu'il soit réveillé, ses premiers mots ainsi que sa désorientation l'inquiétaient énormément.
— Je préfère rester avec lui, fit-elle. Je ne veux pas le laisser seul.
— Hee-sun, intervint Minkyun en posant une main sur son épaule. Il est entre de bonnes mains et tu as besoin de repos toi aussi.
La douceur présente dans sa voix interpella Jimin qui sentit une émotion étrange le traverser. Le regard qu'il posait sur sa mère était si tendre, si rassurant et admiratif que le blond comprit immédiatement ce qui les liait.
— C'est bon maman, ça va aller. Va te reposer, fit le médium d'une voix douce.
Sa mère l'observait quelques secondes avant d'expirer faiblement, signe qu'elle rendait les armes. Celle-ci échangea quelques mots avec le docteur qui fit de son mieux pour la rassurer, puis elle s'approcha de son fils, venant caresser tendrement sa joue.
— Je passerai demain matin à la première heure, promit cette dernière en déposant un baiser sur son front.
— D'accord, répondit Jimin dans un murmure.
Après s'être reculé, Hee-sun lui offrit un sourire débordant d'amour et prit sa veste qu'elle enfila. Minkyun salua Jimin d'un signe de la tête, puis ils quittèrent la chambre côte à côte. Le silence qui suivit fût embarrassant pour le médium qui n'appréciait pas réellement être en compagnie d'inconnus. Après avoir répondu à quelques questions supplémentaires, le docteur Song fit appel à une infirmière qui prit la relève, changeant avec soin son pansement et vérifiant la propreté de sa blessure.
Quand elle eut terminé, la jeune femme offrit à son patient un sourire bienveillant, puis prit la parole d'une voix fluette.
— Très bien monsieur Park, nous allons y aller maintenant, annonça cette dernière.
Pour unique réponse, le blond hocha la tête et laissa les deux infirmiers, qui venaient d'arriver, pousser son lit hors de la chambre pour l'emmener là où il allait passer une bonne partie de sa soirée.
⊱⋅ ──────────── ⋅⊰
Le lendemain, Jimin avait vu les premiers rayons du soleil se faufiler à travers les nuages épais. Depuis son réveil, il n'avait pas parlé, ou très peu, répondant seulement aux questions que les médecins lui avaient posées. Il n'avait rien à dire, il désirait simplement qu'on le laisse seul avec ses pensées.
Lorsque le médium fermait les yeux, il revivait ce moment avec son meilleur ami, se rappelant ce qu'il avait ressenti quand il l'avait pris dans ses bras, son odeur et la chaleur de son corps. À chaque fois que ces souvenirs lui revenaient, il ne pouvait pas empêcher les larmes de le quitter. Il devait être reconnaissant d'être en vie, pourtant, aucune joie ne l'habitait, aucune gratitude. Il n'y avait que le manque et la tristesse.
Durant ces heures de solitude, Jimin n'avait pas seulement pensé à Yoongi, mais aussi à Jungkook et tout ce qui le concernait. Il avait repensé à ce qui s'était passé entre eux et à ce qu'il avait fait. Il l'avait jeté comme si leur amour n'avait jamais compté.
— Monsieur Park, fit une voix douce, attirant l'attention du concerné.
D'un mouvement lent et sans entrain, celui-ci tourna la tête vers la jeune femme vêtue d'une blouse bleue qui le sonda avec bienveillance.
— Comment vous sentez-vous ce matin ? demanda-t-elle.
— Pareil qu'hier, répondit Jimin d'un ton détaché.
La jeune femme lui offrit un sourire compatissant et gribouilla quelques mots sur le porte-document qu'elle tenait dans sa main. Cette dernière lui annonça ensuite qu'il fallait changer son pansement, puis s'attela à la tâche.
Une vingtaine de minutes plus tard, lorsque le travail fut terminé, la porte de la chambre s'ouvrit de nouveau, mais cette fois sur Hee-sun. L'infirmière s'inclina poliment et quitta la pièce, laissant son patient seul avec sa mère.
— Bonjour mon chéri, comment vas-tu ? demanda-t-elle d'une voix douce.
— Ça va.
La voix du blond était éteinte, sans joie, ce qui inquiéta énormément madame Park. En prenant place sur le bord du matelas, la mère de famille prit sa main délicatement dans la sienne et vint caresser sa joue du bout de ses doigts libres.
— Est-ce que tu as mal quelque part ? Je peux rappeler l'infirmière si tu veux ?
— Ce n'est pas nécessaire, vraiment ne t'en fais pas, répondit Jimin, tentant d'afficher un sourire, mais les muscles de son visage refusèrent de lui obéir. Je... je vais bien.
— Je te connais Park Jimin. Peu importe ce que tu peux dire, je suis ta mère, et je sens que tu ne vas pas bien du tout.
Le blond soupira longuement et détourna le regard tout en retirant sa main. Ce geste si anodin comprima le cœur de Hee-sun qui posa un regard désolé et compatissant sur son enfant.
— Est-ce que tu veux me raconter ce qui s'est passé ? Min-ji m'a simplement fait un résumé de la situation.
En entendant le prénom de madame Kim, Jimin leva subitement la tête, les sourcils froncés.
— Min-ji est ici ? Pourquoi ? demanda-t-il, confus.
— Taehyung l'a appelée après que Jungkook se soit évanoui.
Cette fois, son cœur loupa un battement et il tenta de se redresser avant qu'une douleur foudroyante ne le paralyse et le fasse gémir.
— Non, le médecin a dit que tu devais rester tranquille, ordonna Hee-sun.
— Où est Jungkook ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé. Seulement qu'il a été blessé dans une explosion et qu'il s'est évanoui peu de temps après que tu as été admis.
— Est-ce qu'il va bien ? questionna le médium, la gorge nouée.
— Oui, il va bien. Il est rentré chez lui hier soir.
Une part de lui se sentit soulagée, mais l'autre moitié, sentait des milliers d'aiguilles traverser sa poitrine.
— Il est venu te voir, tu sais. Tous les jours, il passait devant cette porte et je voyais toujours sa tête dépasser par le hublot. Il se sent coupable de ce qui est arrivé, mais j'en ignore les raisons. Est-ce que tu veux bien m'expliquer ?
Jimin soupira de nouveau, le regard fuyant. Sa mère n'était au courant de rien, mais comment pouvait-il lui parler de tout ce qu'il avait vécu ? Alors que la raison qui l'a conduit à être dans ce lit d'hôpital, était la même qui les avait poussés à l'enfermer dans un asile. Est-ce qu'elle comprendrait ?
— Mon ange, je sais que je n'ai pas été présente au cours de ta vie. J'ai bien conscience que je dois encore gagner ta confiance, mais je t'aime plus que tout et j'aimerais que tu te confies à moi quand tu ne vas pas bien.
— Tu ne pourrais pas comprendre, murmura le blond.
— Laisse-moi au moins essayer.
Le jeune médium s'agaçait sous toutes ces questions, mais il savait que sa mère ne laisserait pas tomber. Expirant bruyamment, il prit la télécommande du lit et appuya sur le bouton afin d'en redresser la partie supérieure. Même si cette décision lui arracha un énième sifflement de douleur, il se sentit soulagé de ne plus être allongé. Le calme qui s'était installé dans la pièce était embarrassant pour les deux personnes qui s'y trouvaient, mais Hee-sun n'était pas décidée à abandonner.
— Ok, souffla finalement Jimin. Je vais tout te raconter, mais je te demande de me croire. Si... si tu n'y arrives pas alors, on arrête.
— Je te le promets, assura madame Park.
Le médium se lança ainsi dans un long récit qu'il débuta à la date du treize janvier deux mille quinze, jour où sa vie avait basculé avec la mort de son meilleur ami.
⊱⋅ ──────────── ⋅⊰
Jimin conta son histoire pendant plus d'une demi-heure. Il avait volontairement omis de mettre des mots sur sa relation avec Jungkook, ne voulant pas étaler sa vie privée. Il avait parlé de Yoongi, de sa mort, de son don, de son travail avec la police de Busan et de l'enquête qu'il menait jusqu'à ce que tout ne parte en fumée lors de cette explosion.
À présent, le silence dans la chambre était tel, que le fils Park pouvait entendre les battements de son cœur résonner dans l'air. Tenant la main de son fils, Hee-sun n'avait pas ouvert la bouche. Elle avait simplement écouté chaque mot qu'il avait prononcé, gardant son regard ancré dans le sien.
— Voilà, tu sais tout, conclut Jimin, triturant nerveusement sa couverture.
Madame Park réagit enfin et retira sa main de la sienne. Les membres légèrement tremblants, elle vint essuyer les larmes qui se mirent à ruisseler sur ses joues, comprimant la poitrine de son fils qui l'observait. Qu'allait-il se passer maintenant ? L'avait-elle cru ?
— Maman, s'il... s'il te plaît, tu peux dire quelque chose ? implora presque ce dernier, les mains branlantes. Pourquoi tu pleures ?
— Je pleure parce que je m'en veux. Je... tu as vécu tout ça en si peu de temps et moi je... je suis partie. J'ai pris la fuite et je t'ai abandonné.
— Tu es partie à cause de père. Tu devais t'en aller pour ta sécurité. Je... crois-moi, je n'étais pas seul, et même comme ça, j'ai réussi à me mettre dans le pétrin, pouffa nerveusement le plus jeune avant de reprendre d'un ton plus sérieux. Tu sais, le jour où Taehyung m'a sorti de l'asile, il est devenu comme un père pour moi, un grand frère. Il a veillé sur moi du mieux qu'il a pu et même comme ça, j'ai trouvé le moyen de lui mentir et de faire les choses derrière son dos. Je ne veux pas que tu te culpabilises pour ça. Je suis un adulte, j'ai agi en connaissance de cause. Je ne rejette la faute sur personne.
Hee-sun prit de nouveau la main de son enfant et la pressa doucement. En observant le visage de sa mère, Jimin pouvait voir que quelque chose la tracassait.
— Maman, qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il.
— Rien, ça va, répondit cette dernière avec un sourire forcé.
— Tu m'as demandé de me confier à toi, mais ça va dans les deux sens.
Madame Park soupira faiblement et détourna le regard.
— Je dois t'avouer quelque chose, mais je sais qu'en le faisant, tu vas sûrement m'en vouloir et je ne veux pas te perdre à nouveau.
Le médium fronça les sourcils et sentit son cœur s'emballer.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que tu me caches ? insista le blond, le pouls en pleine accélération.
— S'il te plaît, promets-moi que tu vas essayer de comprendre.
— Maman, qu'est-ce qu'il y a ?
L'ambiance dans la chambre d'hôpital avait encore changé, devenant plus pesante, plus électrique et le cœur de Jimin avait du mal à suivre le rythme. Il avait déjà vécu énormément de stress ces derniers jours, il n'était pas sûr de pouvoir en supporter davantage.
— Est-ce que le prénom de Kyo te dit quelque chose ? demanda Hee-sun.
— Non. Qui est-ce ?
— Quand nous vivions à Suyeong, il y avait ce couple charmant qui vivait dans la maison voisine. Ils avaient un petit garçon qui s'appelait Kyo. Il... je crois qu'il devait avoir cinq ou six ans lorsque nous avons emménagé.
— Je ne me souviens pas de ça, déclara Jimin.
— C'est normal, tu n'étais qu'un enfant lorsque nous avons déménagé.
— Alors pourquoi tu me parles de ça ? Je ne comprends pas.
— Tu devais avoir trois ans à l'époque, peut-être moins. Tu parlais déjà beaucoup pour un enfant de ton âge et tu...
Hee-sun s'interrompit et se mit à sourire en se remémorant les moments de joie que son petit garçon lui avait apportés au milieu de l'enfer qu'avait été sa vie.
— Tu passais beaucoup de temps seul et comme tous les enfants de ton âge, tu parlais tout seul. Au début, je ne me suis pas inquiétée. Tous les enfants ont des amis imaginaires, surtout dans cette tranche d'âge. Un jour, ton père était au téléphone pour le travail et tu... tu t'es mis à crier. Tu jouais tranquillement dans ton coin et tu as fait une crise sans aucune raison apparente. Jae-sok s'est énervé et t'a crié dessus en te demandant pourquoi tu hurlais comme ça et tu... tu continuais de pleurer en disant que c'était la faute de Kyo.
— Ce garçon était là ? questionna le médium, confus.
— Non, souffla Hee-sun. Ce petit garçon dont tu parlais, il était mort depuis plus de quatre ans. Kyo s'était noyé dans la piscine de ses parents un an avant ta naissance.
Jimin écarquilla les yeux en comprenant les mots de sa mère. Elle savait. Depuis toutes ces années, elle savait qu'il pouvait voir les fantômes, mais elle n'avait rien fait lorsque son époux l'avait interné de force dans un asile. Elle l'avait fait passer pour un fou alors qu'elle connaissait la vérité.
— Tu savais, murmura-t-il, la gorge nouée et les yeux inondés de larmes. Tu savais que je n'étais pas fou, mais tu... tu l'as laissé m'enfermer.
— Non ! Je... Quand tu nous as parlé de Kyo, j'ai cru que tu avais entendu son prénom quelque part. Ses parents venaient souvent nous rendre visite et ce n'était pas rare que sa mère évoque son prénom.
— Qu'est-ce qui s'est passé après ? demanda Jimin la mâchoire serrée.
— Jae-sok t'a mis une fessée et il t'a enfermé dans ta chambre. Il... il t'a interdit de recommencer et après ça tu t'es totalement enfermé dans ta bulle. Tu n'as plus jamais parlé tout seul et tu n'as plus évoqué Kyo.
— Et ça ne t'est pas venu à l'esprit que ton enfoiré de mari m'avait peut-être traumatisé au point que j'en ai oublié toute cette partie de ma vie ? Tu ne t'es pas dit que ton fils de trois ans était terrorisé par son propre père qui n'avait pas hésité à le frapper et lui hurler dessus ? Tu....
Sa gorge était si comprimée par les larmes qu'il essayait de contenir qu'il lui était difficile de parler. Il n'en croyait pas ses oreilles. Yoongi n'était pas le premier fantôme qu'il avait vu. Kyo, ce petit garçon mort dont il ne se souvenait même pas, avait sûrement fait partie de ses premières années de vie jusqu'à ce que le traumatisme l'oblige à fermer son canal. Si son père avait été aussi violent que dans ses souvenirs, il était fort possible qu'inconsciemment, Jimin ait totalement enfoui son don et que le choc de la perte de Yoongi l'ait fait ressurgir.
— Tu l'as laissé m'enfermer alors que tu avais eu la preuve que je n'étais pas fou, cracha le médium en retirant sa main pour l'éloigner de sa mère.
— Je t'en supplie, pardonne-moi, sanglota Hee-sun. Je m'en veux tellement.
— Tu t'en veux ? répéta Jimin en riant nerveusement. Je rêve, pitié, dites-moi que c'est un gag, murmura-t-il en passant ses deux mains sur son visage tuméfié.
Toutes ces émotions qui le submergeaient lui donnaient la nausée et surtout, il avait la sensation que son corps était en feu.
Solitude. C'était de ça dont il avait besoin. Il voulait que tout le monde disparaisse et emmène avec eux leurs mensonges ainsi que la souffrance qu'il ressentait à cause d'eux.
— Va-t'en, ordonna-t-il d'une voix basse.
Hee-sun écarquilla les yeux, surprise par les paroles de son fils.
— Mon chéri, je t'en supplie, essaye de comprendre. Je-
— Que j'essaie de comprendre ? s'indigna Jimin les sourcils froncés et le visage débordant de colère. Je ne veux pas comprendre ! Je ne veux même pas en parler ! Ça ne servirait à rien. Tu sais ce que j'ai vécu, l'enfer qu'on m'a fait vivre là-bas, alors avant que je ne dise quelque chose que je pourrais regretter, je te demande de t'en aller. J'ai besoin d'être seul.
Blessée, mais consciente que la réaction de son fils était légitime, Hee-sun se résigna et se leva. Avec douceur, elle déposa tout de même un baiser sur le haut de la tête de son enfant qui resta immobile.
Le regard rivé sur ses mains écorchées, il n'accorda aucun regard à sa mère qui quitta la pièce en tentant de retenir ses sanglots.
Ce ne fût que lorsqu'il se retrouva seul que Jimin s'autorisa à craquer. Sans se contenir plus longtemps, il laissa sa peine éclater. Il avait la sensation que le peu de confiance qu'il avait réussi à établir avec sa mère venait de partir en morceaux.
⊱⋅ ──────────── ⋅⊰
Le parking de l'hôpital public de Busan était bondé. Parmi tous les véhicules sombres, une berline rouge flamboyante se démarquait. Assis derrière son volant, le commandant Jeon fixait le grand bâtiment devant lui, triturant nerveusement son paquet de cigarettes désormais vide.
Cela faisait presque une heure qu'il était arrivé, mais le courage qui l'avait poussé à venir jusqu'ici s'était évanoui à la seconde où il réalisa qu'il allait devoir affronter l'homme qu'il aimait.
La veille, lorsque Hee-sun l'avait appelé pour lui annoncer que Jimin s'était réveillé, il avait eu envie de se ruer à l'hôpital, mais sa mère l'avait dissuadé. Après ce qu'il avait vécu, le jeune médium avait besoin de calme et surtout de sa mère alors, à contrecœur, il avait attendu.
— Allez Jungkook, porte tes couilles, grommela-t-il.
Prenant une grande inspiration, il ouvrit la portière et s'extirpa du véhicule. Un sac de sport dans une main et l'autre dans la poche de sa veste en cuir, sa casquette noire sur la tête pour se protéger de la fine pluie, il avança d'un pas réticent vers la double porte.
Dans le hall, il s'inclina faiblement devant les deux réceptionnistes et se dirigea vers l'ascenseur. Il savait exactement dans quelle chambre se trouvait son amant, alors une fois dans la cage de métal, il pressa le bouton du troisième étage.
Son cœur battait si vite dans sa poitrine qu'il était persuadé qu'il pourrait exploser à tout moment tant la pression était intense. Il était anxieux, voire même effrayé. Oui, il avait peur de ce qui allait se passer dans cette chambre.
Son esprit était si éteint qu'il sursauta lorsque la petite cloche de l'ascenseur retentit. Les mains moites, il longea le couloir jusqu'à la chambre en question et se stoppa devant la porte. Il salua rapidement les deux officiers, puis il tendit l'oreille, cherchant à savoir si Jimin avait de la compagnie. Cependant, il fut accueilli par un silence assourdissant.
L'estomac noué, il toqua doucement contre le battant en bois, puis abaissa la poignée. Les oreilles bourdonnantes, il pénétra enfin dans la pièce et la première chose qu'il remarqua, fût l'odeur sucrée qui y régnait. C'était bien la chambre de Jimin, il n'y avait aucun doute.
D'un pas lent, presque hésitant, il s'avança puis tomba enfin sur ce visage qu'il n'avait pas vu depuis plusieurs jours.
Les regards verrouillés, les deux hommes se fixèrent et le temps autour d'eux semblait s'être arrêté. Chacun d'eux avait été marqué physiquement par ce qui s'était passé. Le visage du brun était tout aussi meurtri que celui de son cadet, témoignant des violences que chacun avait subies.
La gorge nouée et les mains tremblantes, Jungkook retira sa casquette et fit un pas vers le lit. Adossé contre les divers coussins, Jimin le toisait.
Bien qu'il tentait de rester de marbre face à cet homme qu'il aimait et qui l'avait brisé, le blond hurlait de l'intérieur. Quelques heures plus tôt, il s'était disputé avec sa mère et à présent, la dernière personne qu'il voulait voir était devant lui. Le pire, ce n'était pas ça, ce qui était le plus douloureux, c'était ce besoin presque vital qu'il le prenne dans ses bras. Ce désir le dévorait autant que les souvenirs de leur dernière dispute le tuaient.
— Salut, fit Jungkook d'une voix basse.
— Bonjour, répondit le médium d'un ton sec.
— Je... je t'ai ramené quelques affaires, annonça-t-il en levant le sac. La veste de Yoongi est à l'intérieur.
— Tu peux le poser sur le fauteuil.
Les réponses du blond étaient si nonchalantes, si détachées que le commandant sentit son cœur se déchirer.
— Je voulais venir te voir hier, mais je... Min-ji pensait que tu aurais besoin de repos, tenta ce dernier pour faire la conversation.
Le brun avait déposé le sac de sport à l'endroit indiqué et se tenait à présent droit comme un piquet, les bras le long du corps. Il fixait son cadet qui ne le quittait pas du regard. Son visage dur et dénué d'émotions était une chose que Jungkook avait rarement vue sur lui, surtout lorsque cela le concernait.
— C'est vrai, j'avais besoin d'être seul. Merci pour le sac, tu peux t'en aller maintenant.
Étourdi par la froideur de ces mots, mais surtout la portée de ces derniers, le brun resta statique quelques secondes avant de trouver le courage de parler.
— Attends, je... Est-ce qu'on peut discuter ? osa demander Jungkook.
— On n'a rien à se dire. Tu as été très clair. "Disparais de ma vie, je ne veux plus jamais te revoir". Ce sont tes mots, pas les miens, répliqua Jimin d'un ton étonnamment calme.
En réalité, il n'était rien de tout ça. Il n'était pas calme, il était sur le point d'exploser. Il se sentait acculé par toutes ses émotions. Il avait l'impression d'être un noyé qui tentait de reprendre sa respiration, d'être au milieu d'un océan de souffrance et de perdre pied. Il avait la sensation que sa cage thoracique était prisonnière d'un étau qui se resserrait à chaque minute qu'il passait en compagnie de cet homme responsable de son état.
— Je sais que tu m'en veux et tu en as parfaitement le droit. C'est-
— Merci de me donner l'autorisation de t'en vouloir après que tu m'aies traité comme la pire des merdes et jeté comme un malpropre. Merci Jungkook, vraiment, cingla le plus jeune.
— Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, tenta le tatoué, en sentant son pouls s'accélérer.
— Ah oui ? Et qu'est-ce que tu as voulu dire ? Hein ? Laisse-moi deviner. Tu es désolé ? Je t'emmerde, toi et tes excuses ! Je-
La voix de Jimin mourut dans sa gorge lorsqu'une douleur fulgurante le traversa. En gémissant, il posa sa main libre contre son abdomen et ferma les yeux. Lorsqu'il entendit du mouvement devant lui, il les ouvrit et vit Jungkook qui s'était rapproché, le visage déformé par l'inquiétude.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-il en tendant sa main dans l'intention de toucher.
Comme s'il voulait éviter une brûlure, le blond retira vivement sa main et lança un regard noir à son aîné.
— Ne me touche pas, imposa ce dernier. Va-t'en.
— Jimin s'il-
— Arrête, le coupa brusquement Jimin d'un ton dur, mais implorant. Je... je t'en supplie, disparais de ma vue.
Voir ce visage tuméfié, ravagé par les larmes qu'il avait causées, mettait Jungkook dans un état de détresse qu'il était incapable de dissimuler. La conversation avait pris le tournant qu'il craignait le plus. Il était en train de le perdre, ou peut-être qu'il l'avait déjà perdu.
— Je sais que j'ai merdé ! Je le sais, ok ? Et je m'en veux énormément. Je n'aurais jamais dû douter de toi, mais je t'en supplie, laisse-moi une dernière chance, implora Jungkook, les yeux brillants.
— Non, murmura le plus jeune en bougeant la tête de gauche à droite, le regard rivé sur ses mains.
— Laisse-moi une chance de me racheter. Je te promets que je-
— Non ! cria presque le médium, la voix tremblante par les sanglots qu'il ne contenait plus. Tais-toi, je ne veux plus rien entendre. Je t'aime plus que tout, je te l'ai dit et redit, mais tu ne m'as pas cru ! Je ne suis pas un pantin que tu jettes quand tu as peur, pour ensuite revenir en pensant que je peux tout te pardonner. Tes mots ont sans doute été les choses les plus violentes que j'ai entendues de toute ma vie. J'aurais préféré recevoir un coup de tes mains plutôt qu'entendre les horreurs que tu as dites. Aujourd'hui, il n'y a plus rien à sauver parce que même si je le voulais, quand je te regarde tout ce à quoi je pense, c'est à cette nuit où tu as détruit tout ce qu'il y avait entre nous, et où tu m'as détruit moi. Tu... tu étais la personne à qui je me suis accrochée de toutes mes forces pour ne pas sombrer. Tu as été celui qui m'a sorti la tête de l'eau, mais en une fraction de seconde, tu as également été celui qui a tout anéanti.
Ces paroles moururent dans la gorge de l'homme qui les avait prononcées. Devant la stupéfaction de son aîné, le blond prit une grande inspiration pour tenter de calmer son pouls, mais aussi de contenir ses émotions. Il devait se ressaisir, il devait enfermer son cœur derrière de grands murs pour se protéger de toute la souffrance qui ne faisait que commencer.
— Merci pour les vêtements et merci de m'avoir sauvé, mais c'est fini. Plus rien ne me retient ici, alors quand je pourrai sortir, je quitterai la ville. Je disparaîtrai de ta vie comme tu me l'as demandé et je ne serai plus qu'un lointain souvenir.
Partir ? Non, impossible. S'il venait à disparaître de sa vie, il ne pourrait pas le supporter. C'était un cauchemar. Tout ça n'était qu'un mauvais rêve. Oui, c'était ça et il allait se réveiller. C'était ce que Jungkook se répétait pour encaisser le rejet de cet être qu'il aimait plus que sa propre vie.
— Jimin, renifla le commandant dans une dernière tentative. Je ne veux pas te perdre.
— Tu m'as perdu à la seconde où tu as douté de moi. Maintenant s'il te plaît, laisse-moi tranquille. Ne m'oblige pas à demander à Hyun de te sortir de force, répliqua le médium, les traits débordant de tristesse.
Le coup de massue était tombé. Comme si le sol venait de s'ouvrir sous ses pieds, Jungkook tituba de quelques pas en hochant la tête. Après tout, c'était ce qu'il méritait. Ce qu'il ressentait à cet instant, n'était rien comparé à ce que Jimin avait ressenti ce soir-là. Cette nuit où il avait laissé ses démons gagner et avait perdu son monde.
Jimin venait de lui rendre la monnaie de sa pièce. Il venait de le condamner à un châtiment bien mérité.
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