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RAÄVENA
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Observant la machine, je n'étais pas convaincue que ce soit une bonne idée. En fait, toute cette histoire puait les ennuis depuis le moment où j'avais croisé ces deux guignols sur la route.
— Bon, tu viens ?! s'écria Erzaren.
— Cela ne me parait pas une bonne idée.
— Si vous préférez, vous pouvez très bien escalader le tronc de l'arbre gardien, mais je ne sais pas quand vous arriverez au sommet, ma chère, se moqua gentiment l'ashia. Sauf si vous nous avez caché le don de pouvoir voler.
Mes épaules s'affaissèrent et un soupir de résignation me glissa entre les lèvres. D'un pas lent, je m'approchai et posai mon séant sur une caisse recouverte d'une toile usée. L'humanoïde aviaire fit signe à l'un de mes congénères qui activa alors la machine qui se mit à tirer le chargement vers la cime et nous avec. J'observai le sol s'éloigner petit à petit et plus nous prenions de l'altitude, plus tout ce qui se trouvait en dessous devenait minuscule. Mais se retrouver si haut offrait une vue absolument magnifique sur l'ensemble des habitations et autres petits commerces. Les toits multicolores formaient une palette de nuances presque réconfortante tandis que les gens ressemblaient à des fourmis s'affairant dans leur gigantesque fourmilière. Je ramenai une jambe vers moi et posai mon menton contre mon genou alors que mes yeux continuaient de scruter attentivement le paysage, gravant chaque détail dans mon esprit. C'était la première fois que je pouvais assister à un spectacle comme celui-ci et je ne voulais pas l'oublier.
Rien ne disait que j'aurais l'occasion de revoir quelque chose de semblable un jour. Chaque moment comme celui-ci était important pour une esclave comme moi, parce que je ne pouvais être certaine que ce ne soit pas le dernier. Je ne prêtais pas réellement attention à ce que les deux autres pouvaient raconter, bien trop absorbée par le panorama. J'aimerais demeurer perchée là pour le restant de ma vie, plus de contraintes, plus de mauvais traitements, de viols, d'ordres, que du calme au milieu d'un décor splendide. De longues minutes s'écoulèrent avant que je ne sois arrachée de ma bulle par la soudaine apparition des gigantesques branchages de l'arbre gardien. Même les feuilles vertes étaient immenses. Elles rendaient le feuillage si dense que les rayons du soleil peinait à le traverser. Elle y parvenait à quelques rares endroits un peu moins fournis, créant des rais de lumière qui donnait un aspect féérique au lieu. Les rubis qui composaient mon regard se posèrent sur les diverses habitations édifiées entre les imposantes ramures de l'arbre. Des huttes en bois de taille moyenne, mais qui étaient connectées à d'autres, plus au moins de la même taille et plus aux moins décalées par rapport aux voisins, par des échelles. C'était très différent des demeures que l'on trouvait au sol qui se rapprochait plus des résidences pouvant être construites par les autres peuples du continent.
— Vous vous faites vraiment confiance pour laisser vos maisons être reliée de la sorte.
— Ce sont des pièces supplémentaires ma chère, je ne vis pas avec mon voisin juste au-dessus. Vous vous rendez bien compte que nous ne disposons pas de la même surface sur des branches que sur le plancher des vaches.
Je détournai le regard, me sentant soudainement sacrément stupide. C'était incontestable qu'il fallait trouver des moyens de gagner de la surface quand on se retrouvait avec un terrain aussi particulier que les branches d'un arbre pour construire. C'était un sentiment désagréable pour moi que d'avoir l'impression d'être bête vis à vis de choses si évidentes. Je pris donc la décision de me taire pour ne pas me tourner un peu plus en ridicule alors que j'emboîtais le pas à Erzaren qui lui-même était sur les talons de Revi. L'ashia nous conduisit jusqu'à une de ces maisonnettes et pénétra l'une d'elles en s'exclamant.
— Ma lune, nous sommes revenus !
— Nous ? rétorqua une voix féminine. Tu as ramené des invités ?
Me tenant près du sang mêlé à lunettes, je détaillais l'intérieur pittoresque de la hutte. C'était rempli de babioles décoratives, des livres empilés par dizaines, certains menaçant de s'écrouler au moindre coup de vent, et d'autres choses étranges que je ne parvenais pas réellement à identifier. Mon regard tomba finalement sur une femelle ashia aussi blanche que la plus sublime des neiges qui nous scrutait de ses grands yeux turquoise, seul élément de couleur au milieu de ces plumes monochromes.
— Illume, je te présente Erzaren, il travaille pour le roi en tant que chercheur pour le seigneur Aolis. Et ici nous avons une vampire de sang pur, Raävena ! Vous deux, voici mon épouse et la mère de ce charmant petit.
Il tapota gentiment sur le sommet de l'œuf qu'il transportait avec lui. Sa dame nous fixa encore un peu avant que son regard ne devienne plus amical et que les deux aigrettes sur le haut de sa tête ronde ne s'agitent.
— Bonjour, ravi de faire votre connaissance ! salua aimablement le chercheur.
— Hum... bonjour, dis-je à mon tour.
Et maintenant que je m'attardai sur les détails, je remarquai que certaines de ces êtres, en plus de leur plumage, semblaient posséder des cheveux. Esris et Thuaris avaient réellement pensé des créatures surprenantes. Comment leur était-il venu à l'esprit d'engendrer une espèce pareille ? C'était vraiment comme si des oiseaux avaient conçu des enfants avec des êtres humains. L'image qui se forma dans ma tête me fit frémir de dégoût un instant avant que je ne me reprenne, il valait mieux ne pas imaginer des choses aussi sordides.
— Je vais préparer un peu de thé et quelque chose à manger, déclara Illume. Faites comme chez vous.
— Merci ma lune, lui dit son époux en lui transmettant leur progéniture, nous allons aller dans l'atelier, rejoins-nous ensuite.
La concernée opina du chef en disparaissant à l'intérieur de l'endroit d'où elle venait un peu plus tôt. Puis Revi nous invita à grimper une échelle menant à une dépendance juste au-dessus de l'habitacle principal, le fameux atelier. Erzaren était excité comme une puce à l'idée de découvrir le travail d'un ashia et surtout de pouvoir échanger avec l'un d'eux pendant des heures. Je me montrais plus réservée, comme toujours, limite prudente. À croire qu'un traquenard m'attendait au bout, voilà ce que des années de servitude pouvait provoquer, une méfiance à l'extrême envers tout et tout le monde. Heureusement, aucun piège ne se cachait dans cette pièce, juste une quantité d'inventions, achevée ou non, spectaculaire. Avec autant de choses amassées dans un seul endroit, celui-ci avait un aspect désordonné qui aurait rendu fous certains de mes précédents propriétaires qui étaient obsédés par la propreté.
On pouvait également retrouver des recueils anciens au milieu de ce capharnaüm. Je posai mes doigts pâles sur la couverture en cuir marron usée de l'un d'entre eux. J'aimais les vieux livres comme celui-ci, la sensation qu'ils procuraient en main et l'odeur des pages jaunies par le temps.
— C'est un ouvrage sur les vampires, me lança Revi. Ceux du dessous également.
— Quoi ? Mais comment avez-vous eu ça ?! Je croyais que tout ce qui appartenait aux vampires avait été détruit après la guerre !
L'ashia secoua négativement la tête avant de m'inviter d'un geste de la main à feuilleter les pages. La curiosité dévorante qui s'empara de moi me fit oublier toute prudence. Je me saisis de l'ouvrage pour l'ouvrir, mes yeux parcourant les lignes de texte manuscrites avec élégance. Les spécificités physiques des miens y étaient en détail recensées, ainsi que des informations sur notre mode de vie, nos pouvoirs et les clans qui avaient régné au cours de notre âge d'or. Déplaçant mon corps de façon machinale, je me laissai tomber sur une chaise vide, un immense sentiment de tristesse me prit sans prévenir. Ma vue se brouilla à cause des salées qui s'accumulèrent au ras de mes cils, jusqu'à finalement déborder sur mes joues. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas versé de larmes, mais l'émotion que je ressentais face à ces textes était bien trop forte pour que j'y reste indifférente. Je n'avais aucune idée de mes origines réelles, alors pour moi, toutes ces familles mentionnées dans ces écrits, étaient les miennes.
Et il ne subsistait quasiment plus personne. Tous avaient été traqués, massacrés, réduits en esclavage et probablement bien pires. Ma main passa sur l'une des feuilles jaunies avec une douceur extrême, pensant à tous ces innocents qui avaient payé pour ceux qui avaient choisi de trahir les autres peuples du continent. Ce n'était pas juste.
Depuis le début, rien n'est juste.
— Pourquoi avoir conservé tout ceci ? Qu'est-ce que ça vous apporte ? Et vous ne nous vouez pas une haine millénaire comme le reste des êtres vivants qui peuplent les terres de Yiheon ?
Revi me fixa en silence un moment, je ne distinguai aucune moquerie ou pitié dans mes yeux, seulement une profonde compassion. La réponse ne vint pourtant pas de sa bouche, ce fut sa femme qui réagit.
— Les ashias ont toujours été neutres et nous avons bien l'intention de le rester, articula-t-elle en déposant le plateau qu'elle transportait. Ici, il n'y a pas d'esclave, mais pouvons-nous aller à l'encontre des véritables maîtres de cette forêt ? Pensez-vous que nous puissions nous permettre de nous mettre le peuple elfique à dos alors que nous résidons sur leur terre ? Vous devez connaitre la réponse mieux que quiconque dans cette pièce.
Le regard polaire d'Illume se posa alors sur moi, attendant de voir si je daignerais la contredire dans cette réalité. Je n'en fis rien, je gardai le silence, muselée par cette vérité que je ne pouvais réfuter. Ces êtres ne pouvaient, en effet, pas se permettre de devenir les ennemis des elfes, s'ils pouvaient vivre en paix, c'était parce que les maîtres des lieux les appréciaient et les considéraient. Ce qui était plutôt rare chez ces créatures à longues oreilles. Ils se montraient la plupart du temps cordiaux avec les autres espèces, mais ne les voyaient absolument pas comme des égaux, et ils s'en cachaient à peine. Je refermai le livre, provoquant un léger claquement qui raisonna dans la pièce devenue silencieuse. Je me sentais vide d'un seul coup, frappée par une immense fatigue. Je délaissai l'ouvrage et m'avachis dans la chaise qui la portait. Peut-être feuilletterais-je ces ouvrages plus tard, ici, je n'en avais juste plus la force.
— Aucun mal ne vous sera fait, vous n'avez aucun ennemi parmi les ashias, assura Revi en venant poser une main sur mon épaule, et croyez bien que votre situation ne me réjouit pas.
Je ne sentais que de la sympathie émaner de cet ashia, pourtant, je ne pouvais m'empêcher de me méfier, je m'extirpai à son toucher d'un mouvement mou, même si je ne me montrai pas brusque. Je savais qu'il fallait prendre la bienveillance là où il y en avait, parce qu'elle était rare, mais je n'y arrivais tout simplement pas. Si ce n'était pas un de mes semblables qui me la témoignait, tous ces sentiments me paraissaient trop bons pour être vrais, cela cachait forcément un piège. Voilà ce que les siècles derniers m'avaient enseigné.
— Et si cela peut vous rassurer, à mes yeux vous êtes des créatures fascinantes, aussi exceptionnelles que le sont les elfes.
— Qu'on ne vous entende pas dire cela ou vous risqueriez de perdre votre tête, répondis-je d'un ton monocorde.
— Ha ha ! Je le sais bien, mais il n'y aura personne pour le rapporter ici !
Je le trouvais bien sûr de lui, ne disait-on pas que les murs avaient des oreilles ? Je n'avais jamais connu une expression plus vraie que celle-là. Une tasse de thé fumante aux parfums d'épices et d'agrumes me fut présentée, un tantinet surprise, je levai les yeux vers Illume qui m'adressa un regard rempli de douceur. Je hochai la tête en guise de remerciement et m'emparai de la boisson chaude que je tins dans mes mains. Soufflant sur le liquide brûlant, j'en pris ensuite une lampée qui me picota la langue et la gorge à cause de la chaleur encore vive. Ça faisait un bien fou, ce n'était peut-être pas du sang, mais cela restait quelque chose d'appréciable auquel je n'avais pas droit en temps normal. Cependant, ce moment fut coupé court lorsque Revi claqua une chaise contre le plancher poussiéreux juste en face de moi, le regard brillant.
— Bien, passons aux choses sérieuses, maintenant !
Je haussai un de mes sourcils sombres tandis que la femelle ashia soupira discrètement en se couvrant le visage d'une main. Erzaren, quant à lui, sentait que la journée s'annonçait animée.
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