𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 17

Assit sur le bord du lavoir, ses deux jambes dans l'eau, il ramenait le linge sur un plateau de bois, le lavant à grand mouvement. Il le tordait, l'étendait, le roulait en boule, le rinçait et recommençait. On ne le voyait presque pas là, mélangé aux filles. Ses cheveux aussi tombaient dans l'eau tant la longueur était grande. Il les ramenait aussi en arrière avec son poignet, pour ne pas les tremper. Il finissait aussi par lever la tête vers le ciel, le temps de reprendre son souffle avant de s'y remettre.

Un groupe de soldats passa devant la troupe de laveuses, et s'arrêtèrent pour essayer d'attirer une ou deux d'entre elles. Les plus jolies, ou les plus jeunes. Il se fit petit, le plus possible, caché derrière une femme un peu plus vieille, assez ronde. Elle le connaissait. Ou du moins, je pense. Elle le cacha, le plus possible. Mais il se fit remarquer. Pas encore en tant que garçon. Là aussi, ce n'est qu'une supposition, mais vu la phrase du soldat, ce ne serait pas étonnant. Ou alors, il était particulièrement sarcastique.

« Alors ma belle, tu te caches ? »

Il ne répondit pas, restant avec son linge. Il le tordait, l'étendait, le roulait en boule, le rinçait et recommençait, encore et encore. Le soldat s'approcha un peu, piqué par la curiosité face au silence de marbre. La femme devant le jeune l'arrêta.

Je ne vis pas la suite de cette histoire, parce que la vieille carriole, grinçante et menaçante repartait déjà, dans un crissement insupportable. Je me sentais comme un conteur, en quête de ses histoires à raconter, à chanter. Mais au travers des planches de notre moyen de locomotion, il était difficile d'avoir tous les détails. Il me faudra de l'imagination pour bien finir cette histoire, lorsque Anaria me le demanderai. Somnolant sur mes genoux, pour l'instant, il n'était pas près de demander quoique ce soit.

Les chaînes autour de ses poignets laissaient des marques sanguinolentes, que j'essayais de désinfecter avec des pans de ma chemise et les trois gouttes d'eau quotidienne. Celles qui étaient sensées me garder en vie, mais qui servaient à ne pas le tuer par une mauvaise fièvre. La jeunesse est une chance qui affaiblit les plus exposés. Il en est l'exemple cruel le plus imagé. Je posai ma main sur son bras. Pourquoi ce trajet me semblait si long ? L'était-il seulement ? Les soldats marmonnaient des choses, des noms. Je ne les connaissais pas. Ils ont ensuite parlé de « Terres Sableuses ». Je ne connais pas plus, mais imaginer un désert ne serait pas une perte de temps, en attendant de savoir la vérité.

Ils nous ont fait sortir du bateau, avec comme ordre « ne vous habituez pas trop à la terre ». Et pourtant, ça doit faire déjà bien trois aurores que l'on arpente les routes, à se demander s'ils ne nous ont pas perdus. Enfin, c'est ce qui est marmonnés, à l'arrière, parmi mes frères. Le nombre d'arrêts longs et interminables qu'ils nous font part depuis le début du trajet indique plutôt un retard exprès, comme pour nous torturer d'impatience et d'inconfort. Il fait chaud, à l'arrière des chariots, et nous sommes tous les uns sur les autres, râlant de soif, de fin, et de chaleur. Trois corps ont déjà été sorti, brûlé vif. Du sang gouttait de leur nez, et maintenant on le note comme premier symptôme. Personne ne s'est trop attachés, personne ne s'est encore rencontré. Je n'ai qu'Anaria, les autres n'ont personne. Je sais que l'on ne va pas s'en sortir avec cette mentalité, mais nous sommes en train de passer un test : Qui vit, qui meurt ? Faire des liens maintenant, c'est perdre espoir.

J'ai entendu cinq ou six personnes faire des prières. Certain à Atea, pour un temps différent, moins chaud, vivable. D'autres à Veler, pour de la pitié. D'autres à Saryx, pour la mort. Je n'ai demandé rien à personne. Si l'un d'entre eux accorde un peu d'aide, je ferai tout pour la refuser. Je m'en sortirai seul, sans leur égo. Puis, quand tout sera fini, je les noierai dans leur prétention. 

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