SAVEUR DU SEL (LA)
𝕾𝖆𝖛𝖊𝖚𝖗 𝖉𝖚 𝖘𝖊𝖑
( 𝔖𝔬𝔲𝔩𝔰 𝔡𝔬𝔫'𝔱 𝔪𝔢𝔢𝔱 𝔟𝔶 𝔞𝔠𝔠𝔦𝔡𝔢𝔫𝔱 )
Ils étaient là, face à face sur la plage, deux inconnus alors que fut un temps, Jimin connaissait Jeongguk mieux que quiconque. Le silence seulement ponctué par le va-et-vient monotone des vagues — une promesse, peut-être, que tout ce qui s'éloignait était voué à se retrouver.
Ou : Jimin a besoin de Jeongguk pour convaincre les autres marins de protéger les baleines ; mais l'océan ne pardonne pas, pas plus que les coeurs meurtris.
jikook
(side vhope if you squint)
marine scientist ! jimin
docker / fisherman ! jeongguk
past childhood bestfriends
grief & poetry & ugly feelings
jimin a fait un move de connard mais on lui pardonne c'était qu'un enfant
a lot of whales stuff (some are made up but go with it)
vague smutty scene
(ndla: petite playlist d'écriture si vous avez envie de vous plonger (sans mauvais jeu de mots) complètement dans l'univers :
where's my love, SYML
cornfield chase (interstellar), Hans Zimmer
bags, Clairo,
pacman, eaJ
sea, bts
wild flowers, RM
closer, RM)
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Bip.
L'ordinateur fit un autre bruit robotique, et l'imprimante s'alluma pour se mettre en marche, dessinant des courbes étranges sur le papier froissé. Dans d'autres circonstances, Hoseok se serait énervé pour la façon dont Taehyung aurait rangé les feuilles dans la machine, mais à présent, il n'en eut cure — car à peine eut-elle le temps de recracher ses précieuses informations que le jeune homme arrachait déjà la page pour l'examiner avec impatience. Ses yeux s'écarquillèrent en virevoltant sur les lignes de calcul et de données, oubliant pendant un instant la tasse de café qu'il avait à la main.
« Putain, souffla-t-il, reposant précipitamment son mug dans un bruit sourd contre son bureau, manquant de se brûler.
Il vérifia rapidement l'heure sur sa montre, pour se lever avec empressement de sa chaise, manquant de se cogner le genou en contournant le bureau. Il s'efforça de ne pas courir jusqu'à la petite cuisine de l'office, savait ô combien le bateau de laboratoire tanguait dangereusement quand il sprintait à son bord, mais il ne pouvait vraiment s'en empêcher.
« Jimin ! appela-t-il, les échos de son cri ricochant entre les murs de leurs cabines, ses battements de cœur le trahissant.
À la place, ce fut Taehyung qu'il découvrit installé sur l'îlot central, et même s'il adorait se perdre dans la contemplation du bel éphèbe, ce n'était pas vraiment la personne qu'il cherchait. Les lunettes remontées dans ses cheveux, le regard concentré sur les réglages de son microscope, le scientifique semblait submergé par son travail, au milieu d'un comptoir jonché de notes, de cartes, de graphiques, de calculs. Il ne daigna relever la tête au bruit sourd de la porte qui claque contre le mur, malgré l'énergie fiévreuse de son aîné — qui se stoppa net dans ses mouvements en voyant le profil de son cadet, une grimace non contenue soudain peinte sur son visage. Avec un soupir, las, il articula :
« Trésor, s'il-te-plaît, je t'ai déjà dit de ne pas étudier dans la cuisine, on mange ici quand même...
« Et je t'ai déjà dit que ce n'était que de l'eau de mer, répondit calmement Taehyung en alignant son regard le long de l'oculaire, habitué au maniaque de son petit-ami. Tu m'as sucé contre le lavabo il y a deux jours, et c'est un peu d'H2O salé qui te mets dans tous ces états ?
Il ne pouvait que deviner, du coin de l'oeil, la façon dont Hoseok leva les yeux au ciel, une moue médusée sur ses lèvres et un son défaitiste au fond de sa gorge.
« Hmm. Où est Jimin ?
« Avec Rachel.
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C'était une journée magnifique.
Les nuages disparates dans le ciel atténuaient quelque temps soit peu la chaleur du soleil, douce et bienfaitrice en ce début de printemps, les rayons cuprifères brillant le long des vagues et le scintillement de l'eau hypnotisant.
Jimin pagaya encore un peu, laissant le clapotis de la mer taper contre son kayak, le vent berçant ses mèches blondes avec un souffle amusé — et il ne put s'empêcher de fermer les paupières un instant, tendant son visage souriant vers le zéphyr, les embruns glissant quelques baisers impudiques le long de son cou.
Il était bien, ici. Il était chez lui. Sa maison n'était autre que le monde à perte de vue, l'horizon tout là-bas comme point de repère et comme défi de s'avancer encore plus dans l'immensité bleue — et ô combien avait-il nagé, canoté, plongé, vogué le long de ce miroir indigo jusqu'à en connaître les moindres recoins, la moindre houle, le moindre rocher sous-marin.
Ce fut donc avec cette aisance paisible d'un homme qui avance sur un empire qu'il connaissait comme les lignes de sa main qu'il s'arrêta au milieu de cet espace gigantesque, rangeant tranquillement sa rame. Il s'était suffisamment avancé dans l'infini de l'océan, seulement entouré de ce paradis céruléen à perte de vue et bercé par le cri des mouettes au-dessus de lui, répétant la mélodie qu'il fredonnait à voix basse. Serein. Calme.
Perdu dans ses pensées, ces songes d'aventures et de butins et de sirènes qui n'avaient pas quitté son esprit depuis qu'il était enfant, le jeune homme laissa sa main caresser la surface de l'eau, jouant avec les remous contre son embarcation. Laissa la fraîcheur des éléments envelopper ses phalanges, sa paume, son poignet, comme une vieille amie qui vient vous saluer, comme une vieille amie qui dit « tu m'as manqué ». Etre ici, c'était voir tous ses soucis lavés par le reflux paresseux, murmurant dans le chant flegmatique de la houle que tout irait bien.
Et Jimin ne pouvait que les croire, car la mer était une constante inébranlable dans leur cosmos : là bien avant qu'il naisse, là bien après qu'il meurt. Le reste n'était qu'un éternel recommencement, les vagues lavant les squelettes pour en faire des fossiles, apportant sur les rivages quelques nouvelles formes de vie. C'était pour ce renouveau presque mystique qu'il y avait dédié sa vie, sa carrière, ses rêves et aspirations, mais les récompenses émues et impavides que lui rendaient la nature étaient plus chatoyantes que toutes les richesses des contes de pirates et de corsaires et de chasse au trésor.
Un crachat d'eau vint troubler la surface tranquille, non loin — le blond secouant la tête pour chasser ses réflexions, un rictus parant ses lippes alors qu'il devinait non sans mal la silhouette imposante glisser lentement au milieu de l'eau, à quelques pieds de la surface, languide, nonchalante.
« Allez, viens ma grande, murmura-t-il bassement, les yeux fixés sur le roulis.
Un second jet, plus proche encore, comme un appel, comme une salutation, et le scientifique pouvait deviner d'ici la peau noire, dure et épaisse, décorée d'autant de coquillages et de tubercules qu'il y avait d'étoiles dans le ciel, les grandes cicatrices grisâtres rayant son dos abhorrées comme des blessures de guerre.
Bientôt, la baleine à bosse arriva près du kayak, si proche, et Jimin ne put empêcher la bulle de rire contagieuse qui explosa dans sa poitrine. C'était si libérateur, si puissant, que d'avoir un si grand cétacé à ses côtés, presque immobile, elle si grande et lui si minuscule. Un coup de nageoire, un coup de fanons, et le bel éphèbe n'était plus. Mais ils avaient passé tant d'années à construire cette confiance étrange entre eux, transgressant l'équilibre précaire qui gouvernait les cieux et les abysses, et ce lien inexplicable poussa le chercheur à tendre la main, le sourire toujours éclatant sur son visage, pour poser la paume contre la tête fraîche de l'animal.
« Salut, Rachel.
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« Il faut absolument que tu viennes voir ça, s'exclama Hoseok en tirant Jimin sur le pont avant de leur bateau.
Il ne lui laissa guère le temps d'accrocher correctement son kayak, ni de défaire sa tenue de plongée, encore moins d'accepter la serviette que lui tendait Taehyung pour sécher ses cheveux — Rachel avait toujours été joueuse, et leurs adieux avaient été conclus par une jolie éclaboussure en sa direction, comme un aurevoir, comme pour lui rappeler de ne pas prendre autant de temps la prochaine fois qu'il viendrait lui rendre visite. À la place, son aîné le tira jusqu'aux entrailles de leur laboratoire, jusque dans la cabine convertie en bureau, jonchée de matériels de mesures et de papiers griffonnés et d'ordinateurs surpuissants.
Sans autre forme de cérémonie, Hoseok lui tendit la même feuille de données qu'il lisait ce matin même — et Jimin eut du mal à détourner les yeux, cherchant des réponses, une confirmation, dans l'impatience et l'excitation qui dansaient dans les prunelles de son compagnon, aussi intenses que déconcertantes. Il lui jeta un autre coup d'oeil, presque sceptique, avant de survoler les lignes d'encre noire dans un froncement de sourcils absorbé... et avant de se retourner vers lui avec la même expression, l'enthousiasme effervescent se diluant dans ses orbes à son tour.
« Est... Est-ce que c'est bien ce que je crois ?
Il avait prononcé ces mots dans un souffle, en équilibre entre l'espoir fou et la déception amère. Des mois de recherche qui se résumaient à ces données, serrées précieusement entre ses mains, des données qu'ils attendaient depuis si longtemps, des données qui pourraient changer leur avenir, leur environnement, les idées conventionnelles qu'on avait sur les baleines. Ces données-là, Jimin y avait mis ses tripes, son temps et son argent, embarquant ses meilleurs amis dans un projet d'étude que beaucoup critiquaient, que beaucoup trouvaient inutile et ridicule.
Ces données qui venaient de confirmer tout ce en croit ils avaient toujours cru.
Hoseok hocha la tête avec de grands yeux, se mordant la lèvre pour réfréner son sourire — et ce fut suffisant pour que le coeur du blond explose d'un sentiment imprononçable. Providentiel. Comblé. Heureux.
Sans attendre une seconde de plus, le jeune homme jogga dans la cuisine, un peu de la même façon que s'était précipité Hoseok ce matin-là, pour s'arrêter devant l'immense carte marine de la baie placardée sur le mur. Il la détacha avec hâte pour la poser sur l'îlot central, n'ayant cure des papelards de Taehyung, fouillant dans les instruments distillés dans la cuisine pour en sortir vainqueur avec un marqueur et un compas. Le visage peint de ce nouveau masque concentré, réfléchi, il se pencha au-dessus de l'atlas, se référant aux données imprimées sur la feuille froissée par le zèle pour placer les croix en fonction des coordonnées. Les points dansèrent sur le planisphère comme une myriade d'étoiles de mer, et même s'ils purent d'ores et déjà en venir à une conclusion, Jimin mit un point d'honneur à relier les croix entre elles, et...
« Oh, putain, murmura son aîné derrière lui, dans quelque chose de révérencieux, de surpris et de soulagé à la fois.
La main du bel éphèbe trembla presque lorsqu'il reposa le marqueur sur la table, admirant son oeuvre — le fruit de leur travail acharné — pour souffler à son tour, les yeux brillants :
« On a enfin la preuve que les baleines à bosse suivent toujours la même trajectoire quand elles viennent se nourrir près de la baie. Un peu... Un peu comme les abeilles.
Il n'eut en revanche le temps de s'émouvoir de cette avancée majeure, puisqu'il jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule pour crier plus que ne demander :
« Tae ! Tu peux m'apporter la carte de navigation des bateaux du port ?
L'instant d'après, une seconde projection rejoint celle griffonnée, et les trois scientifiques se pressèrent, la moue tordue dans quelque chose de vigilant et d'appliqué. Voir les deux chemins côte à côté, ceux des navires de pêche et des animaux qu'ils examinaient avec tant de passion, relevait d'une évidence qui sautait aux yeux.
« C'est... Ils passent par les mêmes endroits, conclut l'un d'eux.
Hoseok se passa la main dans les cheveux, la joie de leur découverte se transformant soudainement en un soupir défaitiste — soupir qui ne fut pas partagé par le blond, secouant la tête frénétiquement. Il était penché au-dessus de la carte, gribouillant déjà quelques calculs en marge d'un recoin de serviette, avec une agitation toute renouvelée, marmonnant des équations que les autres étaient trop fatigués pour comprendre.
« Si on demande au syndicat des marins de dévier leurs trajectoires ne serait-ce que d'un noeud, expliqua-t-il en pointant le doigt vers son estimation algorithmique, on réduirait drastiquement le risque de collision entre les baleines et les bateaux...
Ses mots planèrent dans l'air dans un nouveau vent d'optimisme balayant la crique.
« Penses-tu réellement que les pêcheurs accepteraient ? commenta bassement Taehyung, pour la première fois depuis le retour de Park de sa balade avec Rachel. Tu sais ô combien ils sont attachés à leurs rendements, à l'efficacité, à la production... S'écarter de leurs routes signifierait un retard considérable sur la demande et sur le marché, des pertes d'argent, du travail supplémentaire...
Jimin soupira à son tour, finissant de se sécher les cheveux distraitement avec la serviette, s'asseyant enfin sur l'un des tabourets de bar. C'était une claque de voir que leurs recherches n'avaient pas été vaines, mais c'en était une autre de comprendre que leurs motivations, aussi nobles soient elles, se heurtaient trop souvent à la réalité des hommes. Ou au capitalisme, dans leur cas.
« Je sais, admit-il dans un murmure. Mais on n'a pas le choix, il faut qu'on tente au moins de les convaincre, et—
« Tu sais qu'il y en a un qui serait prêt à t'écouter, n'est-ce pas ?
Il se figea à l'allusion du brun.
« Non.
« Jimin.
« Non, cela fait des années qu'on ne s'est pas parlé, on est bien différents maintenant, et il—
« Il serait prêt à t'écouter, répéta Taehyung, le regard doux.
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Tout son temps — peu importe que ce soit son travail ou le peu d'heures qu'il s'accordait pour souffler, les yeux rouges à force d'avoir trop fixé les chiffres ou l'éclairage de son microscope —, Jimin le passait entre le bateau de recherche et ses promenades avec Rachel. Hoseok et Taehyung revenaient souvent au rivage, pour les courses, pour dormir, pour revoir leurs familles, mais le scientifique restait là, sur leur navire, peu importe qu'il vente ou qu'il neige. Il y avait quelque chose d'indescriptible, que d'oeuvrer pour l'océan sur l'océan, plutôt que dans les grandes tours en béton sur la côte. Peut-être parce qu'il ne se sentait plus vraiment le bienvenu dans son village natal depuis qu'il y était revenu diplômé, mais c'était un autre sujet.
Il passait tout son temps sur leur chaland, si bien qu'il en avait presque oublié la sensation de marcher de nouveau sur la terre ferme, quand il avait pris le petit canot pour revenir au port, en cette fraîche fin d'après-midi.
Si bien, qu'il ne put réprimer le frisson qui parcourut son échine, lorsqu'il se planta devant le Pub des Trois Corsaires, relevant son col roulé un peu plus contre son menton. Il pouvait entendre d'ici la musique et les rires gras et les lumières joyeuses et...
Il soupira. Taehyung avait raison. Seul lui pourrait l'écouter, mais encore fallait-il qu'il trouve le courage de lui parler, et de se jeter dans le grand bain — sans mauvais jeux de mots. Mais cela faisait si longtemps qu'ils ne s'étaient pas adressé la parole, leurs dernières conversations remontant à l'enfance finissant avec amertume et colère, et il savait d'avance que n'importe quel sujet qu'il essayerait d'aborder serait vite coupé court. Peut-être qu'il le méritait un peu, avec du recul.
Il s'efforça de calmer la nervosité naissance quand il actionna la poignée ; et s'il comptait faire une entrée discrète, la cloche au-dessus de la porte eut le mérite de faire taire tous les badauds du bar en annonçant son arrivée, portant sur sa silhouette des regards lourds, un savant mélange de médisant, méfiant et un peu interloqué. Comme un énième rappel que ces gens-là le voyaient comme un paria, un hérétique, lui le garçon qui n'avait pas suivie la voie toute tracée que le patelin de pêcheurs offrait à ses enfants. Lui le garçon qui avait voulu donner à la mer, et non lui prendre.
Il offrit tout de même un hochement de tête poli, bien que les lèvres pincées, aux visages qu'il reconnaissait — Nérée, Shan, Ulysse, Kai. Certains levèrent légèrement leur bière en retour, mais tous repartirent bien vite dans leurs conversations animées. Des gens avec qui il avait grandi, mais des inconnus aujourd'hui. Il connaissait leurs pères, leurs grands-pères même parfois, parce que c'était une petite ville, parce que tout le monde se côtoyait, parce qu'ils avaient tous été bercé par les mêmes contes, parce qu'ils avaient tous les mêmes envies d'horizon.
« Cela fait longtemps que je ne t'ai pas vu, Park, sourit la tenancière derrière le comptoir avec une lueur espiègle dans ses prunelles.
On la surnommait Søster, en hommage à leurs ancêtres venus des peuples du Nord et qui avaient découvert le Nouveau-Monde, parce qu'elle était un peu la tante de tous ces nouveaux bambins devenus adultes comme Jimin. Aussi loin qu'il s'en souvenait, elle s'était toujours occupée de ce bar, donnant quelques bonbons aux gamins qui accompagnaient les marins après la récolte, offrant du café à ceux trop saouls pour retourner en haute mer, et virant quiconque cherchait la bagarre. Les années étaient passées comme les vagues s'écrasant inlassablement sur la digue, mais les rides au coin de ses yeux ne la rendaient que plus belle encore. Quand il était petit, le blond croyait qu'elle était la déesse des coquillages, et il savait très bien qu'il n'était pas le seul à avoir animé une admiration béate à son égard.
Ils échangèrent quelques mots, et sûrement que dans une autre situation, Jimin se serait senti un peu coupable de n'être pas aussi attentif à ses histoires — car, à l'autre bout du comptoir, il y avait un autre visage avec qui il avait grandi. Un autre visage qui était devenu un inconnu aujourd'hui.
Un visage à qui il voulait parler, justement.
Un visage qui semblait être inconnu pour les autres aussi, malgré sa position au sein du conseil du village et le respect que tous les autres marins avaient pour lui. Mais la capuche relevée sur la tête et le regard résolument fixé sur son verre en avait dissuadé plus d'un pour venir lui faire la conversation, de toute évidence. Jimin déglutit avec difficulté, sa nervosité venant de nouveau troubler la mer d'huile dans son esprit ; et, saisissant sa propre boisson pour se donner un peu de courage liquide, s'avança vers le jeune homme, ignorant le regard curieux que Søster lui jeta.
« Bonsoir, Gguk, salua-t-il doucement en prenant place à ses côtés.
Les orbes sombres, sombres comme le charbon et comme la nuit noire, ne quittèrent pas la danse des glaçons dans son whisky, et ce fut à peine si le blond remarqua le rire bref et moqueur , sarcastique, qui secoua ses épaules.
« Cela fait bien longtemps que tu ne m'as pas appelé comme ça.
Il n'y avait rien de nostalgique dans sa voix — à la place, une amertume non contenue à laquelle Jimin s'y attendait presque. Cela fait bien longtemps, en effet.
« Comment tu vas ?
Il manqua de grimacer à sa propre question. Il savait qu'il était hypocrite ; si ce n'était pas par pur intérêt, pourquoi le saluerait-il et lui demanderait-il de ses nouvelles, après toutes ces années à s'être mutuellement évités ? Il le savait, et pire que tout, Jeongguk le savait aussi.
« Qu'est-ce que tu veux, Park ? questionna-t-il d'une voix dure, tournant enfin son visage vers le sien.
Il était.. Putain, il était encore plus beau qu'avant, au temps où ses joues étaient encore rondes et ses yeux remplis d'espoir et de rêves fous. Maintenant, ses joues s'étaient creusées, les traits augustes, la peau marquée par des années d'embruns et de sel passées au large ; et ses yeux étaient devenus plus sépulcraux, encadrés par ses mèches ébène et ses sourcils droits. Il pouvait encore retrouver, derrière ses pommettes fières et la moue méfiante de sa bouche, les vestiges de son meilleur ami d'enfance — mais il dut réparer son coeur en silence, car le regard que Jeongguk lui portait n'était plus qu'un tissu d'indifférence haineuse.
« Je veux discuter de quelque chose d'important avec toi, et—
« C'est sur tes précieuses baleines ?
Il y avait quelque chose, dans la façon dont il avait craché le mot, qui ne lui plut pas du tout. Avec un froncement de sourcil, Jimin hocha la tête ; mais à peine eut-il le temps de dire un mot de plus que le noiraud but son poison cul sec, reposant son verre dans un bruit sonore, avant de se lever :
« Alors je ne veux pas en entendre parler.
Cela s'était passé si rapidement qu'il en eut presque le tournis, et l'instant d'après, la cloche au-dessus de la porte annonça son départ.
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Objectivement, la côte de leur village de pêcheurs n'était pas belle.
Jimin avait des copains qui travaillaient sur des projets de recherche aux Philippines, et bien entendu que l'eau translucide et les poissons multicolores et les coraux chatoyants donnaient plus envie que les vagues grises et les rochers couverts d'algues et le vent lourd qui apportait le parfum de la marée. Mais c'était la côte sur laquelle il avait grandi, la côte sur laquelle il avait vécu ses premières histoires d'amour et ses premières déceptions, la côte sur laquelle il avait rêvé de sirènes et de corsaires avant de réaliser que ce n'était que des histoires pour enfants, la côte sur laquelle il était revenu pour être plus proche encore des grands cétacés qu'il aimait tant.
C'était aussi la côte sur laquelle Jeongguk avait grandi, à ses côtés, avant de prendre un chemin différent du sien.
C'était aussi la côte sur laquelle ils se trouvaient de nouveau face à face.
Pour être honnête, Jimin n'avait pas prévu de le croiser. Pas après son échec cuisant de la veille, dur rappel qu'ils n'étaient plus rien l'un pour l'autre aujourd'hui, dur rappel qu'il avait sa part de faute, si ce n'était l'entière responsabilité, pour ce qu'ils étaient devenus maintenant. Mais le destin avait toujours été une vile entremetteuse malicieuse, et ce fut en se rendant sur la plage pour faire quelques prélèvements d'écume qu'il le vit au loin.
Il avait fallu d'un coup d'oeil pour que le jeune homme en ait le souffle coupé : là, sa silhouette sombre se découpant nettement contre les nuages bas, les manches de son pull remontées sur ses avants-bras tatoués, en train de peindre la coque d'un vieux rafiot qui traînait sur le port depuis quelques temps. Le souffle du large chantait dans ses mèches avec l'affection d'un amant, et ainsi, son front dégagé, il était redevenu le Jeongguk qui hantait ses souvenirs.
Le blond aurait pu partir. Ce n'était pas l'envie qui lui manquait d'ailleurs, parce qu'il savait déjà comment leur conversation allait finir, et savait que, de toute façon, le marin serait hermétique à n'importe quel sujet de sa part — encore plus sur des préoccupations scientifiques. Il avait envie de fuir, mais il savait qu'il ne serait pas mieux que le Jimin qu'il était il y a 15 ans s'il faisait ça.
Alors il récolta ses pipettes et échantillons, se construisit un masque pour faire bonne figure, et marcha jusqu'à l'épave d'un pas qui se voulait décidé.
« Salut, Gguk.
C'était étrange, d'avoir passé une éternité sans prononcer son prénom, et de retrouver soudain la sensation familière de son surnom sur la langue.
Ce fut à peine si le noiraud lui accorda un regard, résolument concentré sur sa tâche, les sourcils froncés et les muscles tendus sous l'effort et la singularité de sa présence soudaine.
« Comment tu vas ? demanda-t-il, pour la seconde fois en deux jours, espérant briser son omerta.
Comment tu vas ? se languissait son coeur, criant vers l'autre, dans une curiosité appréhensive qu'il n'avait plus le droit de ressentir, à présent. Comment va ta mère ? Je vois que tu as repris le bateau de ton père, les affaires marchent bien ? Est-ce que tu fais encore des cauchemars ? Est-ce que tu penses encore à moi ? Est-ce que tu te souviens de nos rêves de gosse, quand on jouait à la chasse au trésor ?
A la place, il offrit son meilleur sourire, bien que ses yeux soient peut-être un peu tristes, alors que Jeongguk soupira en lui jetant un coup d'oeil indifférent :
« Qu'est-ce que tu veux, Park ? Tu veux encore me parler de tes baleines ?
Jimin grinça des dents, s'efforça de ne pas bondir face à tant de mépris, parce que c'était tout ce que l'autre voulait, au final — tirer sur les cordes sensibles jusqu'à ce qu'il s'énerve, pour avoir un prétexte pour ne plus avoir à lui parler. Pour ne plus le voir.
« J'ai une proposition à te faire.
La seule réponse fut le bruit des vagues et du ressac, les cris des mouettes au loin.
« Tu n'es pas sans savoir que les baleines se rapprochent de plus en plus des côtes pour se nourrir, à cause des courants.
Et de la pêche, aurait-il voulu dire, la pêche intensive qui tue et qui récolte bon nombre d'espèces innocentes dans ses filets, mais s'il avait envie de rallier Jeongguk à sa cause, il avait tout intérêt d'omettre cette partie. Jeongguk, qui ne broncha pas plus, impassible, attentif à sa tâche, recouvrant méticuleusement la rouille de la vieille coque. Il ignorait pourquoi il s'acharnait avec cette épave, pourquoi il était le seul à cette tâche, mais Jimin ne pouvait pas s'en enquérir, par les saints, parce qu'il n'était plus vraiment en posture ni en mesure de lui demander quoique ce soit. Sauf cette proposition un peu folle qu'il savait presque déjà perdue d'avance.
« J'ai découvert qu'elles empruntaient toujours le même chemin, continua-t-il malgré tout, et que ce chemin coïncide avec celui des bateaux que vous prenez pour partir en pleine mer.
Un autre silence, ponctué encore et toujours par le va-et-vient monotone des vagues, continu — une promesse, peut-être, que tout ce qui s'éloignait était voué à se retrouver. Le blond s'accrocha à cet espoir vain, le serment que l'océan lui faisait ; car ce projet de recherche s'était rapidement transformé en une sorte de rédemption, une mission de se faire pardonner du noiraud, et la plage était devenu son confessionnal.
« Je sais que les baleines sont un danger pour vous, que vous devez sans cesse faire attention à la navigation. Un animal entre vos pales est synonyme d'une carcasse échouée sur la plage, et des réparations supplémentaires sur vos moteurs.
Jimin avait l'impression de se trahir lui-même en disant cela, manquait d'hurler quand il entendait les matelots insulter les cétacés pour les frais de restauration qu'ils engendraient, mais il essayait plus que tout de convaincre Jeongguk, alors il pouvait bien mettre un peu d'eau dans son vin et un mouchoir sur son ego.
Le jeune homme en face de lui continua de peindre sans un mot, et peut-être que le scientifique avait aussi envie d'hurler face à son froid apathique et mutique. Est-ce qu'il lèverait la tête s'il le faisait ? Ou le regarderait-il encore plus comme un vulgaire étranger ?
« J'ai calculé, si vous déviez vos routes ne serait-ce que d'un noeud, cela pou—
« Pourquoi tu me dis tout ça ?
L'effet d'une claque dans l'air, douloureuse et sans merci, la même façon dont Rachel abattait sa nageoire contre le plat de la houle.
« Parce que—
« Tu pourrais aller voir Ulysse ou Shan ou même ce crétin de Kai. Tu pourrais aller même en parler avec Søster pour qu'elle nous convainque tous, mais à la place, tu viens me voir moi. Pourquoi ?
Le nébuleux de ses orbes reflétait la tempête qui approchait, inéluctable, et le bel éphèbe se sentait si petit, si vulnérable face aux éléments, que sa réponse ne put que saigner de sincérité :
« Parce que je te connais, souffla-t-il comme une évidence.
Parce que j'étais là quand tu t'es écorché le genou sur la digue, parce que j'étais là quand tu as pêché ton premier poisson, parce que j'étais là pour toutes les sorties du dimanche après-midi en kayak, parce que j'étais là quand tu as perdu ta première dent, parce que...
Parce que c'était moi qui t'ai sauvé de la noyade.
Parce que je suis — parce que j'étais ton hyung.
Ces mots, ces simples petits mots, eurent au moins le mérite de réveiller quelque chose chez l'autre, puisqu'il se tourna pour faire face à son aîné. Et, faisant un pas presque menaçant en sa direction, il approcha son visage du sien, proche, plus proche qu'ils ne l'avaient été jusqu'alors.
« Non, Jimin, corrigea-t-il les lèvres retroussées. Tu me connaissais. Tu as perdu ce privilège le jour où tu t'es barré. J'en ai rien à foutre de ta proposition, et si tu penses faire de moi ton porte-parole pour persuader les gars du village, tu te trompes lourdement. Alors retourne dans ton labo, et ne viens plus jamais me faire chier.
Il partit dans un concert de cris de mouettes, laissant le chercheur derrière lui avec cette étrange sensation de vide dans son estomac.
Sur la plage, les vagues partaient et revenaient, mais eux, restaient des inconnus.
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Pour quelqu'un qui passait tout son temps sur son laboratoire, Jimin se retrouvait beaucoup sur la côte ces derniers temps, peut-être même un peu trop à son goût. Hoseok l'avait comparé à la Petite Sirène quand il avait détaché le canot de leur bateau de recherche, prétextant que le blond avait repris goût au fonctionnement de ses jambes et à la terre ferme. Sauf que la Petite Sirène avait fini transformée en écume, avait-il répliqué, et qu'il retournait au village uniquement pour récupérer un colis qu'un de ses collèges en Suède lui avait envoyé.
Il ne serait pas contre de recroiser Jeongguk, si l'occasion se présentait, et ce malgré les derniers mots acerbes qu'il lui avait craché à la gueule, mais il s'était bien gardé de le dire à son ami.
Le jeune homme aurait pu retourner chez lui aussitôt le pli postal entre ses mains, mais quelque chose, dans la façon dont les nuages se dissipaient pour laisser les rayons cuprifères du soleil couchant gracier timidement la mer calme, le poussa à rester. S'asseyant sur la plage, ses chaussures à ses côtés et ses pieds nus enfouis dans le sable froid, les genoux remontés sur son torse et son menton enfouit dans ses bras croisés, laissant la brise l'envelopper de toutes ses odeurs qu'il aimait tant — l'iode, le soufre caractéristique des embruns, couplés à ce parfum de mystère et de voyage et d'horizon.
A force de rester dans son labo et dans son environnement bien familier, Jimin en avait presque oublié les paysages qui avaient bercé son enfance. Certes, la côte n'était pas belle, mais elle était belle de ses souvenirs et de ces éclats du passé qui rendaient tout plus magnifique encore.
C'était là, dans cette petite crique, qu'il avait appris à nager pour la première fois. C'était le père de Jeongguk qui leur avait montré tous deux, et bien vite, les barbotages enfantins s'étaient transformés en course à celui qui irait le plus vite, celui qui plongerait le plus loin, celui qui retiendrait sa respiration le plus longtemps. Il était aisé de se rappeler leurs rires, le soleil de l'été qui chauffait les rochers, les serviettes bleu pastel couvertes de coquillages qu'ils pêchaient au fond de l'eau, leurs grands sourires quand les dockers qui rentraient au port les saluaient, les glaces qui avaient toujours un goût salé peu importe combien de fois ils s'essuyaient les lèvres, les châteaux-forts grignotés par les crabes.
C'était là, dans cette petite crique, qu'il avait sauvé Jeongguk de la noyade aussi. Ils avaient une dizaine d'années, et ils avaient beau faire les grands auprès de Søster, ils n'étaient encore que des gamins. Et comme tous les évènements précédant une montée d'adrénaline qui l'avait laissé tremblant encore bien des heures après, Jimin serait incapable de raconter exactement ce qu'il s'était passé. Simplement qu'une seconde Jeongguk le suivait à la nage, riant qu'il atteindrait le rivage en premier, et que l'autre, le blond s'était retrouvé tout seul sur la plage, sans copain qui pataugeait bruyamment derrière lui. L'explication la plus logique était que le noiraud s'était coincé le pied dans un filet empêtré dans les fonds marins, le tirant par le bas, peu importe ô combien il se débattait. Jimin se souvenait encore, la façon dont il avait crawlé à toute vitesse, buvant lui aussi la tasse sous la panique. La façon dont il l'avait sorti des vagues, le sel de ses larmes se mêlant au sel de l'océan juste et cruel, l'océan qui prenait encore et encore, en voyant la bouche sinistrement bleuée de son cadet, en voyant qu'il ne respirait plus.
Il réprima un frisson en regardant le soleil disparaître derrière les cumulus.
C'était là aussi, dans cette petite crique, où il avait retrouvé Jeongguk il y a 15 ans, attendant le retour du bateau de son père, se rattachant à l'espoir fou mais désespéré qu'il allait revenir, qu'il allait faire chanter sa corne de brume comme tous les soirs. C'était là, dans cette petite crique, qu'ils avaient attendus toute la nuit serrés l'un contre l'autre, attendu le retour des navires de secours, attendu le petit matin qui se lève, d'une beauté sadique pour des coeurs qui se lamentent.
Ses pensées s'interrompirent en entendant un juron murmuré à ses côtés. Il ne savait pas réellement pourquoi, mais Jimin ne fut pas étonné quand il découvrit le profil de Jeongguk à quelques pas de lui. Un vieux ciré usé sur les épaules, les mèches encore un peu humides dansant devant son front, il avait une cigarette coincée entre ses lèvres et semblait chercher un briquet, tâtant ses poches et maugréant en ne le trouvant pas.
« Tiens, proposa simplement Jimin en tendant le sien.
Il ne savait pas si Jeongguk l'avait vu et décidé de l'ignorer, ou s'il était vraiment stupéfait de sa présence ici, mais il y avait un masque de surprise peint sur ses traits, comme s'il ne s'attendait pas à ce qu'il l'aide, à ce qu'il lui parle, surtout pas après leurs derniers échanges. Il resta figé un instant, et le scientifique aurait presque pu trouver cela comique, si ce n'était pour la façon dont ses yeux se plissaient en regardant suspicieusement son briquet toujours tendu. Et Jimin... Jimin était las.
Alors, avec un soupir, les yeux fatigués :
« Ce n'est qu'un feu, Gguk. Pas un pacte avec le diable. Tu n'es pas obligé de m'aimer juste parce que je t'en prête un.
Le noiraud hésita encore une seconde, grommelant quelque chose pour lui-même, avant d'accepter, prenant soin à ne pas effleurer ses doigts en saisissant le zippo argenté. La flamme illumina son visage un trop bref instant, et quand le bel éphèbe le lui rendit, Jimin s'attendait presque à ce qu'il reparte sans un mot, l'ignorant comme il l'avait si bien fait jusqu'à présent — mais ce fut à son tour d'être surpris, quand Jeongguk s'assit lui aussi dans le sable, à trois pas de lui.
Il le fixa un instant, avant de retourner à sa contemplation du crépuscule. Il pouvait se contenter du silence — c'était déjà mieux que la haine sourde qui bouillonnait en lui. C'est pourquoi il crut à un mirage du vent, quand le plus jeune prit la parole :
« Tu vas encore me parler de tes baleines ?
Jimin haussa des épaules, circonspect, réservé. Il était rompu et asthénique, et il savait que de toute façon il ne pourrait pas convaincre Jeongguk de cette façon, alors pourquoi s'épuiser à s'époumoner ? Il pouvait sentir le regard de l'autre sur son profil, et en d'autres circonstances s'en serait-il satisfait, mais là...
« Je ne comprends pas comment tu peux te donner corps et âme pour une cause.
« Et moi, répondit Jimin d'un ton plus posé que son accusation, je ne comprends pas comment tu peux refuser d'écouter une solution qui serait la bienvenue pour tout le monde. Es-tu à ce point...
Son compagnon eut un ricanement d'une moqueur amère, bref et sardonique.
« ... Egoïste ? C'est le mot que tu cherchais ?
Jimin ne dit rien, ne soupira même pas, malgré l'implication limpide — égoïste ? comme toi, Park ?
Il se contenta de tourner le visage vers le noiraud, reposant sa tempe contre ses avants-bras croisés sur ses genoux, contemplant le paysage derrière lui et sa silhouette qui se découpait dans le zéphyr encore clair. La fumée de sa cigarette aurait pu froncer ses traits, aurait pu dévoiler les années sur ses paupières et la fatigue sur ses joues, mais à la place... il paraissait si jeune, comme ça. Empli d'une colère trop grande pour son coeur, d'un mal-être trop lourd pour ses épaules. Il paraissait si jeune, aussi jeune que la dernière fois qu'ils s'étaient parlés, et pourtant, dieu ce qu'il ressemblait à son père. Les mêmes yeux doux et généreux, le même sourire en coin quand ils faisaient des conneries et qu'il était trop attendri pour les réprimander, le même début de barbe naissante et mal rasée, les mêmes grandes mains calleuses qui les réconfortaient.
Etait-ce de là que venait cette colère trop grande, ce mal-être trop lourd ? Parce qu'à chaque fois qu'il se regardait dans le miroir le matin, Jeongguk voyait le visage de celui qu'il avait perdu, celui que l'océan avait pris ? Parce que son paternel mourrait une fois de plus, parce que son coeur se brisait une fois de plus, dès qu'on lui disait qu'il tenait vraiment de lui, qu'il était bien son digne fils ?
Car c'était là, dans cette petite crique, que le Jeongguk d'il y a 15 ans avait pleuré dans son cou en réalisant que l'océan ne le lui rendrait pas. Dans cette petite crique, qu'il était passé de petit garçon à un homme en l'espace d'une nuit à peine.
Cela faisait sens, maintenant. La façon dont il regardait le large. Avec aigreur, acrimonie, jaugeant les remous noirs avec quelque chose qui s'approchait du ressentiment. Le blond avait cru, à tort, que c'était parce qu'il était à ses côtés à chaque fois qu'il le voyait contempler l'horizon, que ses sentiments et sa rancune pour son ainé colorait son amour pour les flots, mais il y avait autre chose, aussi.
De l'appréhension.
Il reprit une taffe, et vraiment, dieu ce qu'on aurait dit son père. Il devait être fatigué qu'on le lui rappelle à chaque fois.
Et cette révélation fut comme une évidence, comme le soleil qui ondoie et qui scintille contre le mascaret.
« Tu as peur de l'eau, souffla alors Jimin.
Le noiraud ne dit rien, tira de nouveau sur sa tige de nicotine, sa mâchoire un peu plus serrée, et le biologiste sut, à ce moment-là, qu'il était plus proche de la vérité qu'il ne le croyait.
« Tu as peur de l'eau, répéta-t-il doucement, dans une brise, les yeux grands et bienveillants. Elle t'est bienfaitrice, mais tu as peur d'elle.
Cela faisait longtemps que Jimin n'avait pas été saisi par cette vague de patience tendre et conciliante à son égard, pas depuis qu'il l'avait réconforté, il y a 15 ans, dans cette même petite crique.
C'était pour cela que le plus jeune était sourd à toutes ses tentatives, n'est-ce pas ?
« Ce n'est pas les baleines qui l'ont mangé, crut-il bon de murmurer.
Les lèvres de Jeongguk se tordirent dans un rictus mauvais, cendrant agressivement sa clope sur le sable froid pour répliquer avec une hargne qui ne l'avait quitté, une hargne trop véhémente pour le ciel pourpre et pour le miroir d'huile devant eux :
« J'en ai rien à foutre. Une baleine, un requin, un poisson, peu importe ; la mer l'a emporté et elle ne l'a pas recraché. J'en ai rien à foutre de ce qu'il y a à l'intérieur.
Ils restèrent immobiles un instant, les mots flottant durement entre eux, entre cette distance de trois pas sur la plage, avant que Jimin ne se lève soudainement. Il épousseta un instant son jean, balançant ses baskets au bout des doigts, avant de déclarer, fort et franc :
« Demain, 16 heures, à mon bateau. Viens me voir, j'ai quelque chose à te montrer.
Et sans attendre de réponse, sans attendre une autre insulte, il tourna les talons pour le laisser se recueillir, seul, dans cette petite crique qu'il aimait et qu'il détestait.
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Jimin jeta l'ancre le coeur battant. La regarda disparaître dans les abysses sous eux, les premiers mètres encore éclairés par le soleil chatoyant, avant d'être engloutie. Il balaya la surface d'un coup d'oeil, scrutant les vaguelettes qui tapotaient contre la coque de son bateau, pianotant une mélodie inconnue contre le plat bord, pour contenir son excitation lacée d'anxiété.
Et puis, soudain, une forme là-bas, une forme qu'il connaissait bien — une forme qu'il attendait. Alors, ravalant son sourire, il virevolta pour faire face à un Jeongguk quelque peu médusé.
Pour être honnête, Jimin avait cru qu'il n'allait pas venir. Il en aurait eu tous les droits, après tout, et cela aurait presque été attendu de sa part, d'ignorer l'invitation de son aîné. Mais le blond avait quand même animé l'espoir qu'il accepterait sa proposition, persuadé que derrière la façade qui le détestait, il y avait toujours le petit garçon curieux qui passait des heures le nez dans le sable à regarder un bernard-l'ermite — alors il avait demandé à Hoseok et Taehyung de passer la journée sur terre, avait tenté de ranger son labo avec une nervosité toute nouvelle, et avait essayé de se divertir en étudiant les dernières données qu'ils avaient sorti, sans grande réussite.
16 heures passèrent, et quand le scientifique se faisait à l'évidence que Jeongguk ne viendrait plus, un mélange de déception et de désillusion, il sursauta quand le pêcheur toqua à la fenêtre de sa cabine, les mains dans les poches et une façade impassible peinte sur ses traits.
C'était ainsi qu'ils se retrouvaient en pleine mer, dans des territoires qu'ils avaient tous deux arpentés bon nombre de fois, mais pour des raisons différentes. Quand Jimin se tourna vers le noiraud après avoir jeté l'ancre, celui-ci était en train de finir de zipper sa combinaison de plongée —il lui avait prêté celle d'Hoseok, peut-être un peu petite pour le marin, et le bel éphèbe dut se retenir de couler son regard le long de sa musculature impressionnante.
A la place, il pointa du doigt les bouteilles d'oxygène qu'il venait de vérifier :
« Tu sais encore t'en servir ?
Encore, parce qu'ils avaient l'habitude de plonger pour démêler les filets des pales des bateaux quand ils étaient ados, profitaient de la chaleur de l'été pour ramasser quelques coquillages au fond, remontaient pour échanger une bière que leurs mères leur interdisaient mais que leurs pères leur filaient en douce sur le ponton, avec du poisson fraîchement pêché grillé à la planche. Même les mèches charbon de Jeongguk blondissaient avec le sel et les nitescences ambrées de la fin de journée.
« Tu comptes m'amadouer en me montrant tes précieuses baleines ? répondit-il à la place avec un mordant prévisible.
Jimin haussa simplement les épaules, un petit sourire qui voulait en dire long sur les lèvres, enfilant les bouteilles dans son dos.
« T'es bien venu jusqu'ici, pourtant.
Et avant même que Jeongguk ne puisse rappliquer de sa mauvaise humeur, il plongea tête la première dans l'eau.
C'était instantané, la façon dont il se sentait bien. S'immerger complètement, simulacre de baptême iodé, sentir les vagues lécher ses mains, son torse, ses jambes, ses pieds ; donner un coup de palme, faire une brassée, sentir la pression coller son masque à son visage, le poids des bonbonnes, expirer ses premières bulles. Ouvrir les paupières. Et se retrouver dans un univers parallèle, féérique, où tout n'était que suspension, le ciel au-dessus et les abîmes au fond. Beau. Bleu. Berçant. Silence splendide et océan ouaté.
C'était toujours dur de ne pas sourire quand il se retrouvait sous l'eau, maintenant les lèvres bien serrées autour de son détenteur, mais son coeur était toujours si léger, heureux, faisant mille bonds dans sa poitrine qu'il était difficile parfois de contenir sa respiration excitée. C'était son chez lui. C'était là où il avait grandi. C'était pour cela qu'il avait grandi. Calme céleste et poésie paisible.
Il nagea un peu, se tournant sur le dos pour faire face à la surface. Les rayons du soleil perçaient l'onde scintillante, rideaux dorés qui se mélangeaient avec le céruléen éméraldine, comme des perles cuprifères miroitant en lévitation. Au-dessus de lui, la forme vaseuse de son bateau et la silhouette sombre de Jeongguk troublée par l'eau, penché par-dessus bord comme s'il attendait à ce que son aîné remonte le chercher. Mais Jimin ne lui ferait pas ce plaisir ; s'il était venu le voir, s'il avait accepté sa proposition, c'était qu'il était intrigué par ce qu'il voulait lui montrer, non ? Il tournoya doucement sur lui-même en quelques brassées lentes et tranquilles, se prélassant, appréciant le cosmos irréel sous ses yeux. Il avait tout le temps du monde. C'était un peu comme apprendre à nager, finalement — il fallait d'abord que Jeongguk trouve le courage de sauter à l'eau pour apprécier ce qu'il voulait lui montrer.
Une grande éclaboussure sur sa gauche lui fit relever la tête, et ses prunelles sourirent en découvrant la combinaison en néoprène de Jeongguk briser le calme plat. S'il avait mis son orgueil de côté ou s'il était trop impatient d'attendre le jeune homme, c'était le même résultat, au final.
Il s'approcha du scientifique, son froncement de sourcils visible même à travers son masque, et sembla hésiter un instant quand le bel éphèbe nagea un peu plus profondément, dans une invitation silencieuse à le suivre, sans le forcer, sans l'en intimer — mais il serait idiot de faire demi-tour après tout ce chemin parcouru, alors il soupira du mieux qu'il put sous l'eau, pour partir à sa poursuite.
Le biologiste n'eut aucun mal à comprendre que cela faisait une éternité que Jeongguk n'avait pas fait de plongée sous-marine — la façon dont il regardait autour de lui, appréhensivement, manquant de sursauter à chaque poisson qui passait non loin d'eux. Jadis, c'était la curiosité qui colorait ses orbes, scrutant partout, pointant un doigt exalté vers une algue, vers un banc d'alvin, le dernier à remonter sur leur embarcation ; et le coeur de son aîné ne put que se déchirer un peu plus en se disant que la dernière fois où il avait enfilé des bouteilles, c'était sûrement quand son père était encore là. Quand Jimin était encore là.
Soudain, une forme sombre et gigantesque et imposante s'approcha d'eux, et le noiraud se stoppa net dans sa nage, les yeux écarquillés dans un mélange de méfiance alarmée et de crainte anxieuse en découvrant l'énorme baleine émergeant des profondeurs, ses fanons blancs réfléchissant la lueur du ciel dans un éclat sinistre. Il eut un mouvement de recul, sa respiration courte, son coeur s'emballant, tenta de donner un coup de palme pour s'éloigner le plus loin possible du cétacé, et—
La main de Jimin s'enroula autour de son poignet, le contact brisant à lui seul la bulle de panique qui brouillait son esprit. Il flottait devant lui, ses mèches claires dansant comme des anémones au gré du courant, la peau pâle brillant comme un bijou perdu au fond de l'océan. Sans la combinaison et les tubes et les bonbonnes, on aurait presque dit une divinité d'un autre monde, entité légendaire, et ce fut cette vision émerveillée et transfixée qui l'empêcha de fuir. Le blond lui fit un signe, sa palme tendue dans un geste placide et universel pour lui dire que tout allait bien, avant de pointer deux doigts en V vers ses prunelles.
Concentre-toi sur moi. Respire. Tu n'as rien à craindre.
Il expira quelques bulles, tremblant.
Quand il fut assuré que Jeongguk s'était calmé, il le lâcha lentement, donnant quelques coups de pieds pour s'éloigner doucement sans briser leur contact visuel, et...
... Et quand Rachel passa au-dessus d'eux, Jimin tendit la main pour caresser le ventre souple et chaud de la baleine dans une étreinte familière.
Le marin écarquilla de nouveau les pupilles, mais pas de peur cette fois — d'une stupéfaction émerveillée et ébahie, le souffle coupé, ne croyant pas ce qu'il voyait. La façon dont cet animal, si grand, si lourd, se transformait en compagnon délicat entre les mains d'un humain qu'il pourrait pourtant assommer d'un seul coup de nageoire, qu'il pourrait gober en entier, qu'il pourrait noyer sans effort. 15 mètres de long, 30 tonnes, mais ce n'était plus qu'un poisson joueur qui cherchait l'affection du nageur.
Le rorqual fit demi-tour vers eux, roulant paresseusement sur lui-même, mollement, comme un chat qui s'étire nonchalamment, et Jimin nagea à sa rencontre, non sans lancer un clin d'oeil à Jeongguk. Il tourbillonna autour de ce géant des mers, plus rapide que le gros mammifère, effleurant du bout des doigts les longues cicatrices sur sa peau épaisse, glissant le long de son dos avec aisance, faisant quelques figures acrobatiques devant lui comme s'il s'attendait à ce que Rachel les reproduise.
C'était... magique.
Magique, oui, c'est cela. Il n'y avait pas de meilleur mot, et le cadet ne pouvait que rester là, bouche bée, se rappelant tout juste qu'il devait respirer, car le spectacle qui se déroulait sous ses yeux était à couper le souffle. Quand ils étaient petits et qu'ils jouaient sur la plage, Jeongguk disait toujours que c'était un pirate, et Jimin disait toujours que c'était une sirène ; le jeune homme n'imaginait pas que, des décennies après, leurs rêves de gosse étaient encore empreints d'une certaine vérité. Car le bel éphèbe devant lui aurait très bien pu être une créature mystique et mystérieuse, dans la façon dont il dansait autour de la baleine à bosse, dans un ballet sous-marin complice, valse tranquille et hors du temps. Ne faisant plus qu'un, le noir de la combinaison de plongée se confondant avec le noir de la peau de l'animal, filant entre ses nageoires, étreignant sa queue.
Le reflet des flots créait un halo bleuté autour de sa silhouette, comme une aura ardente et lumineuse, flamme aquatique et passionnée que le ressac ne pourrait jamais éteindre.
Il y avait là une poésie qu'il découvrait pour la première fois, seuls au monde avec ce seigneur du royaume d'Atlantide, louvoyant autour de lui, et c'était comme s'il venait d'avoir la vue. Comme s'il comprenait tout, soudainement. Comme si toutes ses questions avaient trouvé des réponses. Comme si tout faisait du sens.
Jimin quitta Rachel pour nager vers son compagnon, ses orbes pétillants intensément derrière le plastique de son masque, s'arrêtant devant lui avec facilité. Il pencha la tête sur le côté, jaugeant la réaction du pêcheur, l'air de lui demander ce qu'il en pensait — comment Jeongguk aurait-il pu décrire la beauté de ce qu'il venait de voir ? Il n'avait jamais été un homme de lettres, un homme de mots, et le peu de compliments qu'il connaissait, Jimin venait de les lui dérober.
Lentement, son aîné vint de nouveau enrouler sa main autour de la sienne, emmêlant leurs doigts dans un geste lointain, autrefois facile, aujourd'hui timide. Il tira doucement sur son bras, l'intimant de le suivre — de lui faire confiance —, et quand il fut à peu près sûr que le noiraud n'allait pas tenter de fuir de nouveau, ils nagèrent, côte à côte, en direction du cétacé.
La baleine était presque immobile devant eux, comme si elle comprenait les intentions du chercheur, les fixant simplement de ses petits yeux noirs curieux. Il y avait quelque chose de terrifiant, que de la voir à quelques mètres d'eux à peine, sans bouger, comme si elle attendait qu'ils se rapprochent encore plus avant de les engloutir goulument.
Jimin tendit leurs deux mains enlacées devant eux, et lorsque les muscles de son cadet se raidirent, nerveux, ses yeux sourirent de nouveau en quelque chose de rassurant.
Concentre-toi sur moi. Respire. Tu n'as rien à craindre.
Il y avait quelque chose de surréel, presque, de voir leurs doigts entrecroisés après toutes ces années, leurs peaux jurant contre le bleu si pur des profondeurs.
Il y avait quelque chose de surréel, presque, quand Rachel s'approcha imperceptiblement, doucement, très doucement pour un mégaptère aussi majestueux qu'elle.
Il y avait quelque chose de surréel, presque, quand la paume de leurs mains rentrèrent en contact avec sa mâchoire au-dessus de ses fanons en une caresse indescriptible, peau contre écaille, pulpe des doigts contre nodules, humain contre baleine.
Il y avait quelque chose de surréel, presque, quand le corps de l'animal se mit à vibrer en un long sifflement, son chant bas et réconfortant résonnant dans ses os, ronronnement appréciateur.
Et si Jeongguk versa une larme, ce n'était un secret qu'entre l'orque et lui.
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Quand ils brisèrent la surface dans une respiration hachée, le firmament était incandescent au-dessus d'eux. Brûlant de mille éclats ignés, embrasant le souffle des nuages dans un mélange amarante et enflammé d'orange, de rubicond, d'un peu de rose aussi. La mer était si bleue et le ciel était si rouge, cruor tous les deux car si le sang est bleu dans les veines, il est rouge quand il coule — et ce tableau flamboyant était si délicat dans sa brutalité que Jimin oublia presque de respirer.
Il y avait cette bulle euphorique dans sa gorge qui menaçait d'éclater, comme à chaque fois qu'il venait rendre visite à Rachel, cette sensation d'être vivant et invincible et béni, cette sensation que la Terre était faite de belles choses, résonnait d'une belle poésie. Il ôta son masque et son détenteur, son sourire si grand, ses yeux pétillants — mais quand il se tourna vers son cadet pour partager ce moment de bonheur magmatique, son rire mourut sur ses lèvres.
Jeongguk le regardait d'un oeil brillant de larmes, l'expression indescriptible, bien loin de la haine et de la rancoeur qu'il lui avait jeté au visage jusqu'à présent — quelque chose de touché, de vulnérable, de brut, de vrai. Il était si jeune comme ça, les cheveux remontés sur son front et les yeux mélancoliques. Il ne ressemblait plus à son père, non ; juste à lui, à Jeongguk, au Jeongguk enfant qui n'aurait jamais du grandir si brutalement.
« Tu étais parti, avoua-t-il soudainement, comme une bombe dans le champ de bataille cramoisi au-dessus de leurs têtes.
Jimin le regarda un instant, étonné, juste eux flottant au milieu de l'océan, leur bateau à côté et cette confidence inopinée entre eux. C'était comme si ce qu'il venait de voir, quelques mètres plus bas, venait de lui ouvrir les yeux, venait d'écorcher ses poumons à vif pour en extraire tout ce qu'ils auraient dû se dire il y a bien longtemps.
« Tu étais parti. J'avais besoin de toi, mon père venait de mourir et t'étais parti étudier les baleines, et...
Il cligna les paupières furieusement, tentant de chasser les perles salées, levant les yeux pour trouver un peu de contenance dans l'éther.
« Tu m'avais repoussé, murmura Jimin, l'eau clapotant contre son menton, en se souvenant des derniers mots avec lesquels il avait poignardé son coeur.
« J'avais besoin de toi, répéta Jeongguk dans un sanglot, la bouche déformée dans quelque chose de laid et de triste et de fragile. T'étais mon hyung, t'aurais dû comprendre que je ne le pensais pas, que j'étais en deuil. J'étais en colère contre le monde entier, mais pas contre toi, hyung, jamais contre toi.
Ses larmes se mélangeaient à l'eau salée sous eux, et Jimin aurait pu se détester, car à peine avait-il retrouvé le Jeongguk qu'il avait tant aimé, celui qui se cachait sous cette carapace, qu'il le refaisait pleurer de nouveau.
Alors, doucement, infiniment doucement, ne voulant pas le blesser comme le ciel qui saignait là-haut, il prit son visage en coupe, sa main contre sa joue, chaude, réconfortante, une présence qui lui avait tellement manqué. Et, déglutissant pour calmer le trémolo dans sa voix :
« Je suis là, maintenant.
Leurs lèvres se rencontrèrent comme le rouge rencontrait le orange et le rose et les infinies autres nuances ardentes. Le baiser était un peu maladroit, battant des jambes et entrechoquant leurs palmes pour tenter de rester à flot, et sûrement devraient-ils parler, devraient-ils se pardonner leurs vieilles cicatrices, mais... mais le ciel brûlait et leurs bouches étaient chaudes et ils étaient de nouveau le Jimin et le Jeongguk qui étaient tombés amoureux l'un de l'autre et de la mer, jadis, dans cette petite crique sur la côte.
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Le ciel était encore rouge quand ils remontèrent sur le bateau.
Il était encore rouge, quand ils s'embrassèrent encore sur le pont avant, jetant leur matériel de plongée à l'aveuglette, tirant sur le néoprène avec une impatience désespérée et toute nouvelle.
Il était encore rouge, quand ils s'allongèrent sur le bain de soleil, mouillant tout de leurs cheveux humides et de leurs rires en se déshabillant tant bien que mal — Taehyung se plaindrait que c'était une merde à nettoyer, mais ils n'en avaient cure, pas quand Jeongguk était brûlant sous lui, ses doigts dans ses mèches blondes et sa bouche contre son cou. Ses bras étaient décorés de tatouages intriguants, véritable bestiaire comme ces vieux dictionnaires animaliers ; une pieuvre sur l'épaule, une étoile de mer au-dessus du coeur, une méduse sur la côte. Une certaine émotion à l'idée que toutes ces merveilleuses créatures, ils les avaient découverts ensemble, plus jeunes.
Le chercheur embrassa ses mains, calleuses par des années passées en mer à tirer sur les cordages ; et, quand le matelot fit un son au fond de sa gorge, un mélange d'embarras et d'insécurité, il les embrassa encore. Les cajola le long de sa joue, ferma les paupières en sentant leur force contre lui, l'assurance qu'elles apportaient, l'énergie, le cran, cette violence plus apaisée maintenant.
« Elles sont rêches, marmonna l'homme aux mèches sombres, regardant partout sauf son visage.
« Elles sont douces pour moi, murmura-t-il en retour, ses yeux saignant de cette affection si pure et si céleste — comme si Jeongguk aurait pu être autre chose que parfait, comme s'il devait rougir de ce qu'il était devenu, de l'homme qu'il s'était (re)construit, morceaux par morceaux, vague après vague.
Le ciel vira vers le violet crépusculaire, la lune apparaissant déjà entre les nuages clairs, quand ils réussirent à ôter leurs combinaisons suffisamment pour permettre à Jimin de les prendre tous les deux en main, tant pis si le vêtement collait encore à leurs jambes, pressant leurs érections l'une contre l'autre dans un râle bas et bienvenue.
Le ciel était d'un rose poudré, quand ils gémirent contre les lippes de l'autre, se perdirent dans les pupilles de l'autre, griffèrent les bras de l'autre. Le noiraud se cambra, enroulant ses jambes autour de la taille du blond pour le rapprocher davantage, peau contre peau, coeur contre coeur, souffle contre souffle, et Jimin abandonna quelques suppliques le long de ses clavicules. Des promesses, des prières, des louanges, des serments qu'il comptait bien tenir cette fois-ci, des pardons, des confessions étranglées.
Le ciel était d'un bleu pâle, quand ils jouirent enfin, dans les bras de l'autre, tremblants de leur orgasme, l'épiderme humide et pétillant encore de toutes ces sensations, de toutes ces retrouvailles.
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« Explique-moi, murmura Jeongguk contre ses cheveux.
Le firmament était à présent un parterre d'étoiles, si brillantes qu'on en aurait dit une poignée d'étincelles, de flammes lointaines, des coquillages lustrés et nacrés. Jimin se souvenait encore ces soirées, feu de camp sur la plage et chamallow grillé, où leurs pères leur apprenaient les constellations, le langage secret de l'univers, la carte au trésor cachée entre l'Etoile du Berger et Saturne — car tout bon marin devait pouvoir compter sur le plafond perlé au-dessus de leurs têtes pour pouvoir se repérer. Il n'imaginait pas, en revanche, qu'il aurait le luxe de se remémorer les comptines sur la Petite Ourse et la Ceinture d'Orion et la Croix du Sud ici, là, dans les bras du noiraud. Le destin était bien une vile entremetteuse malicieuse, décidément.
Ils avaient réussi à se débarrasser de leurs combinaisons de plongée, une fois leur acmé délicieuse calmée, et avaient rapidement rincé le sel et les traces rougies de leurs ébats au jet d'eau, sur le pont arrière. Le blond avait remonté des oreillers et des couvertures chaudes de sa cabine pour dormir sur le bain de soleil, à la belle étoile, comme quand ils étaient mômes — le vent était peut-être un peu frais, mais ni l'un ni l'autre n'avaient besoin de ce prétexte pour se perdre dans la chaleur de l'autre, une caresse sur la nuque, une caresse sur le ventre, glissant une main contre la paume de son cadet. Elles étaient vraiment si douces contre les siennes, si fortes mais si attentives, comme s'il avait peur de le briser, vestige d'un trésor enfoui dans le sable.
« Explique-moi ton amour pour les baleines comme si j'avais 5 ans.
Explique-moi comme si tu étais amoureux de moi.
Et Jimin aurait pu dire que c'étaient des créatures magnifiques, fragiles malgré leur grandeur. Il aurait pu raconter que le petit de Rachel était mort dans les hélices d'un chalutier. Il aurait pu dire que les Hommes ne faisaient que prendre, et qu'ils pourraient donner un peu aussi en retour.
A la place, les seuls mots qui lui vinrent étaient d'une vérité inconditionnelle, une évidence, une clarté limpide, des maigres mots qui résumaient pourtant toute la beauté de l'équilibre de leur monde.
« Elles chantent, souffla-t-il dans un sourire.
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1 an plus tard
« Dépêche-toi ! s'écria Jimin avec les pupilles étincelantes, son rire perdu dans la bourrasque du vent, s'accrochant du mieux qu'il pouvait au plat-bord.
Les vagues étaient particulièrement agitées en ce matin de printemps, la mer houlée dans ces reflets verts éclatants, et le mistral soufflait férocement, si bien qu'il avait complètement abandonné l'idée de mettre une casquette, s'il ne voulait pas qu'elle s'envole à la première brise. Mais le soleil était grandiose, et Jeongguk était magnifique à tirer sur les grandes voiles blanches pour les hisser haut, si haut sur le mat — alors vraiment, Jimin était le plus heureux des hommes.
Le noiraud lui offrit une grimace en réponse à son ordre, et un autre rire sonore ricocha le long du voilier, un de ceux si insouciants et légers, un de ceux que le marin avait cru ne jamais pouvoir entendre de nouveau. Il accrocha rapidement la corde rêche, les années d'expérience creusant les paumes de ses mains qu'il avait appris à finalement aimer, grâce à Jimin, avant de rejoindre le jeune homme sur le pont avant.
Jeongguk enroula ses bras autour des épaules de son aîné comme dans une seconde nature, posant son menton sur le haut de son crâne après un baiser chaste contre ses cheveux ; et le bel éphèbe contre son torse s'accrocha à lui, caressant du pouce le nouveau tatouage le long de son poignet — une baleine à bosse à peine cicatrisée.
Le poids de ces derniers mois s'enroulait autour d'eux comme les embruns iodés, caresse le long de leurs lèvres comme un rappel qu'ils étaient revenus de loin. Ils n'étaient pas idiots, ils savaient tous deux très bien qu'ils ne pouvaient pas plonger tête la première dans cet amour naissant et prétendre que tout allait bien : Jimin avaient encore une vie entière devant lui à s'excuser et à embrasser ses cicatrices le long de son coeur, et Jeongguk travaillait dur pour admettre avoir besoin d'aide et l'accepter, mais... ils comptaient et chérissaient les petites victoires là où ils pouvaient.
Jeongguk avait réussi à convaincre les autres pêcheurs après des semaines de dialogue — et avec l'aide de Søster, comme quoi il fallait bien l'impliquer —, à bouger les lignes des bateaux. Jimin avait construit un sanctuaire, dans cette petite crique qu'ils aimaient tant, à la mémoire de tous ceux que la mer avait fait enlevé jalousement, et avait tenu un véritable enterrement pour le père de son copain, essuyant ses larmes quand ils avaient fait glisser des bougies le long des flots. Jeongguk avait fini par retaper complètement l'épave échouée, la même qu'il peignait lors de leurs premières disputes sur la plage, et même si ce n'était pas techniquement leur voilier, le blond passait plus de temps sur cette jonque que dans son laboratoire, donc c'était presque tout comme. Jimin lui avait montré comment soigner les cétacés, l'avait présenté aux autres membres de la horde qui jouaient plus loin en mer, et s'il avait une connexion hors-du-commun avec Rachel, le cadet avait rapidement adopté un jeune mal adolescent, qu'il avait baptisé Hval.
C'était comme s'ils ôtaient leur carapace, une écaille à la fois, pour se présenter nu devant l'autre, brut, vrai, parfait.
Et le bel éphèbe était sûr que, peu importe depuis où le père de Jeongguk veillait sur eux, il devait trouver cela très amusant de les voir enfin avouer leurs sentiments l'un pour l'autre.
« Là, regarde, souffla son amant en le sortant de ses pensées, pointant un doigt vers le large.
Un crachat d'eau bien familier fendit le ressac, et le chercheur ne put que sourire pleinement, magmatique, en devinant l'animal majestueux et si paisible s'approcher d'eux.
Mais alors qu'il allait se pencher par-dessus bord pour mieux contempler ses yeux noirs, un second jet, plus faible, le stoppa. Son rictus se transforma en quelque chose de plus ému, de plus tremblant, quand une tête juvénile fendit la surface à son tour.
« Oh, Rachel... tu as eu un petit !
Il n'eut conscience de pleurer que lorsque Jeongguk lui essuya une perle salée au coin de l'oeil de son pouce, une étincelle d'affection débordante et d'amusement brillant passionnément dans ses orbes charbon. Jimin aurait pu l'embrasser là, ici et maintenant — et son sourire se fendit encore plus, lorsqu'il réalisa qu'il avait le droit de faire ça, maintenant, d'exprimer son amour quand il voulait et de la façon dont il voulait.
Un concert de vibrations basses, profondes et gutturales accompagna son baiser, et si le blond étalait ses larmes sur les joues du noiraud, il n'en eut cure — pas quand l'autre le serrait si fort dans ses bras, pas quand il traçait de la poésie et des promesses sur ses lippes.
Parce qu'il y avait une vérité inconditionnelle, une évidence, une clarté limpide, qui le faisait chaque jour un peu plus tomber amoureux de Jeongguk et de la beauté de la vie.
Les baleines chantent.
.
que je vous raconte la genèse de cet os : il y a 2 ans je repars aux états-unis pour le mariage d'un copain, et on fait une étape à boston, connu pour avoir pas mal de baleines au large de ses côtes. j'ai eu la chance d'en voir plein, de les voir sauter au-dessus de l'eau et taper la mer de leurs nageoires pour attirer les poissons, et c'était juste... incroyable. libérateur, d'une certaine façon. j'ai tout de suite imaginé cette scène de deux perso aux visions bien différentes qui se retrouvent à nager avec ces grandes bêtes magnifiques !! j'ai déjà fait des plongées avec des baleines au large, mais elles étaient trop loin pour vraiment les voir sous l'eau, alors j'aimerais trop pouvoir vraiment les approcher de plus près (sachant que je suis un peu thalassophobe et plonger en haute mer sans voir le fond c'est un peu difficile pour moi mdr)
bref voilà, je voulais partager ce souvenir!
je prends de plus en plus l'habitude de glisser des petits easter eggs, notamment :
*Søster veut dire « tante » en danois, un petit clin d'oeil à l'autre os jikook sur les vikings !
*Hval signifie « baleine » en nordique — pareil, autre prétexte pour aller lire « skoll » !
j'espère que vous avez apprécié votre lecture autant que moi j'ai pris de plaisir à l'écrire ! n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, vos retours me font toujours super chaud au coeur!!!
si vous avez également des idées d'os que vous aimeriez voir ici, faites moi signe!!! j'ai beauuucoup d'os de prévus déjà, mais j'ai envie de vous faire plaisir alors speak into the mic dont be shy
prenez soin de vous mes loves,
champagne
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