Chapitre 13
Le silence pesait dans la petite cabine. Les deux garçons regardaient le paysage défiler derrière la vitre tinté sans un mot. Leurs yeux rouges fatigués ne quittaient pas un instant les arbres verdoyants de la campagne et les rizières humides qui les fuyaient. Ce qu'ils avaient sous le nez était très différent de ce qu'ils pouvaient voir comme végétation à Yokohama. Mais ils étaient comme aveugles. Aveugles de réalité, ils ne faisaient rien que nier. Ou seulement étaient-ils tellement chamboulés par les nouvelles qu'ils en oubliaient de profiter ? Alors que, bientôt encore, cette flore disparaîtrait pour laisser place aux immeubles et aux immenses intersections.
La tête d'Atsushi vacillait et se cognait souvent à la fenêtre. Il était probablement le plus dévasté des deux, puisqu'il ne prêtait même pas attention à la douleur qu'il subissait; alors qu'Akutagawa faisait tout pour rester droit. Le train avançait rapidement mais ils avaient l'impression d'être assiégés ici depuis des lustres. Sûrement le manque de dialogue y était pour quelque chose.
Leur patience était mise à rude épreuve et leur arrivé à Tokyo leur tardait. Au moins, au début du trajet, ils semblaient calmes intérieurement. Hors, à présent, tout s'écroulait silencieusement. Ils ressentaient tout au ralenti, et ça les faisait souffrir de savoir que ce n'était qu'une impression. Le moment où ils avaient pris leurs tickets et celui de la dernière station leurs paressaient être à des années lumières.
Le brouhaha inexistant des personnes alentours sonnait comme des hurlements incessants pour le plus jeune. C'était insupportable et le blanc espérait donc vivement l'instant où il reverrait Ranpo et sa petite sœur Kyōka.
Tous ensembles ils pourraient discuter de milliers de choses, manger des tonnes de riz au thé, il en profiterait aussi pour intégrer son amant à la famille et tous seraient heureux. Cette pensée idyllique fit décrocher un léger sourire emplit de douceur à Atsushi. Mais il revint à contre cœur à la réalité : il était venu les voir en grande parti pour l'avis du châtain sur toute cette histoire. Il se sentait coupable de débarquer à l'improviste chez sa famille; et pour un intérêt autre que l'amour qui plus est. Ranpo était un pur génie, et c'était pour cela qu'il allait le voir lui et pas Kunikida, qui pourtant avait, lui aussi, son rôle dans cette affaire. De plus il était fort probable, qu'à l'inverse du blond, il trouve une explication à peut près raisonnable à ce problème, qui était tout de même de sacré envergure. C'était aussi pour la sensibilité que le châtain risquait d'avoir que le blanc l'avait choisi lui et pas un détective privé. Atsushi avait absolument besoin de réponses et n'avait plus de temps à perdre désormais. Alors il était parti rejoindre son frère pour mettre un terme aux tortures qu'il s'infligeait.
Finalement et heureusement, la voix du train signala la gare de Tokyo. Cette intervention réanima le plus jeune qui se dépêcha de sortir de la rame, accompagné de son amant. Le brun était cependant bien moins motivé. Bien même qu'il désirait lui aussi comprendre ce qu'il s'était passé ce jour là, il se sentait encore ballonné de ce qu'il venait de vivre. Mori lui avait tout simplement glacé le sang et il avait du mal à s'en remettre.
Que son amoureux ne remarque rien ne l'aidait pas vraiment non plus. Il se faisait littéralement traîner par le bras et cette sensation lui déplaisait au plus au point. Il se détacha violemment d'Astsuhi et ramena son membre vers son torse, penaud. Le blanc s'était retourné et dévisageait à présent son amant, attendant sûrement des réponses de sa part.
Il ne forçait pas le passage avec des mots mais attendait simplement qu'Akutagawa parle de lui même. Les gens passaient à côté et entre eux sans les apercevoir, et cela leur convenait très bien.
__ On ne peut pas marcher à la place ? Ils ne vont pas disparaître tu sais, on a le temps...
Il aurait voulu s'imposer un peu plus, dire "marchons" , mais il n'avait pas la confiance nécessaire et sa tête tournait assez pour l'empêcher d'hausser le ton. Il ne voulait pas prendre les rênes non plus, décider n'était pas sa tasse de thé. Mais tout de même, il ressemblait à un soumis manipulé de cette manière.
__ Ah. Oui... c'est vrai, allons y.
Atsushi saisit la main d'Akutagawa dans la sienne et toutes les craintes de ce dernier se dissipèrent instantanément. Son mal de crâne était parti et il y voyait beaucoup plus clair. Plus de flou ni d'obscurité, rien qu'une lueur douce qui lui sourirait. Il n'était pas ébloui, au contraire, car il savait qu'à présent cette lumière était à sa porté. Il pouvait l'attraper.
Le blanc ravala sa salive, maintenant devant le seuil de l'appartement, il avait une descente imminente de confiance en lui.
Et s'il s'était trompé ? Que Ranpo n'habitait plus ici ? Ou que depuis le début lui et le brun soient totalement à côté de la plaque ? L'ainé se rendit vite compte de l'angoisse grandissante de son amant et ne trouva rien de mieux que de lui rendre sa chaleur. Akutagawa ne souriait pas souvent, mais pour Atsushi il le ferait des milliers, voir mes milliards de fois. Rien que pour voir son air détendu reprendre le contrôle de sa figure il donnerait sa vie. Il l'aimait passionnément, et ça le plus jeune n'en doutait pas une seule seconde.
La porte s'ouvrit finalement sur un Ranpo aux cheveux décoiffés et aux habits délibérément choisis à la hâte. Mettre un jogging avec une cravate encore nouée à sa chemise n'était en effet pas un choix vestimentaire courant. Ses énormes cernes laissait en déduire une longue nuit blanche. Atsushi, qui n'avait pas eut de nouvelles depuis si longtemps, se demanda si sa vie de travailleur le fatiguait tant que ça. Car sa chemise blanche mal repassée et à moitié entrouverte avec son pantalon bleu bouffant (à cause de sa largeur) lui donnait un air de salaryman stressé. Ses pieds nus crasseux et son nez rougis d'un probable coup de froid lui ressemblaient étonnamment bien. Du plus loin que le blanc se souvienne, Ranpo n'avait jamais pris soin de lui. C'était toujours le vieil homme de la maison d'en face qui le soignait lorsqu'il allait mal. Fukuzawa, un homme posé qui leur rendait visite de temps en temps pour leur apporter des mandarines de son jardin. C'était bon de se rappeler de ça maintenant, il était comme plus serein à l'idée d'enfin reparler avec le châtain.
Par ailleurs, ce dernier sembla rester quelques instants confus avant d'écarquiller en grand ses yeux verts. Il fallait croire que le blanc avait sacrément changé depuis la dernière fois.
__ Atsushi ? C'est toi !?
__ Oui... désolé de te déranger à cette heure ci... Dit-il en se grattant l'arrière de la tête, signe d'une petite gêne.
__ Ne sois pas embarrassé Atsu ! Rentre vite !
Sur ces mots le vingtenaire pénétra dans sa demeure, fort désordonnée, et laissa les deux garçons le suivre. Il devait être habitué pour réussir à marcher dans un pareil foutoir : des boites de nouilles entamées par ci, des téléphones cassés par là... tout passait à la trappe dans ce repère ! La pièce semblait si grande avec le nombre inconsidéré d'objets empilés les uns sur les autres, mais en réalité elle ne devait pas être plus grande que celle d'Akutagawa. La fenêtre était à peine visible tant les piles de vêtements la cachait. C'était bordélique à ne plus en pouvoir et Atsushi vint même jusqu'à se demander s'il vivait réellement dans cet appartement.
Finalement, Ranpo s'affala sur le canapé, ou plutôt ce qui y ressemblait, et invita ses cadets à faire de même. Les deux l'imitèrent en parfaite synchronie.
__ Alors, quel bon vent t'amène ici Atsu ? On ne s'est pas vus depuis notre séparation.
__ Ah... encore désolé... j'étais avec Kunikida et... tu sais comment il est. Très protecteur. Tant que je n'étais pas rétabli, je ne pouvais sortir que très rarement.
__ Même pour l'école ? Questionna-t'il, quelque peu étonné de la sévérité qu'on lui décrivait là.
A vrai dire ce genre de comportement correspondait relativement bien au blond. Cependant Ranpo avait du mal à s'imaginer un tel niveau de la part de Kunikida. Il était certes froid et distant fondamentalement mais il tenait tellement à sa famille qu'il ne pouvait aucunement les priver de liberté. Alors, depuis ce jour, avait-il tant changé ? Cela l'avait-il marqué au point de devenir aussi strict ?
__ Pour ça, il a simplement accepté. Je pense qu'il s'en doutait un peu au fond et qu'il a mimé la surprise quand je lui ai dit.
Les yeux du blanc dévièrent nostalgiquement en se remémorant le jour où tout s'était réglé. Pourtant, Atsushi n'en savait rien. Il racontait cela mais n'avait aucune preuve concrète sur laquelle s'appuyer. Il supposait juste que le blond savait déjà depuis longtemps à cause de sa réaction peu surprise. Mais pourquoi ? Il n'en avait pas la moindre idée. Il ne savait pas si Kunikida avait essayé de lui faire comprendre qu'il le savait déjà avec cette attitude ou si c'était juste son très mauvais jeu d'acteur. Mais il lui était reconnaissant d'être si attentionné envers lui. Certes, il avait été plus que rigoureux concernant ses médicaments, mais il ne l'avait jamais grondé pour d'autres choses. Il espérait juste le meilleur pour lui en limitant ses sorties et en l'enfermant, comme s'il était protégé des quelconques dangers avec ces mesures.
De plus, il était très occupé et peu présent pour le blanc; alors il devait sûrement se dire que, pour certaines choses, il n'avait son mot à dire. Après tout, le nouveau travail du blond avait été tellement oppressant pour lui qu'il avait décidé de déménager plus près de ce dernier et avait fait croire à Atsushi qu'il lui laissait son indépendance. Par conséquent, il avait été seul, n'ayant pas vraiment de père sur qui compter. Mais il n'en voulait pas à Kunikida, il se doutait de la difficulté qu'il traversait, lui aussi.
Ranpo se servait de ses avants-bras en guise de repose tête et était entre la réflexion et le sommeil. Sûrement n'était-il pas encore totalement réveillé. Au point qu'il fut surpris de la présence d'un troisième individu dans son appartement. Cette fois, il était bel et bien lucide. La discrétion du noiraud l'avait probablement étourdit, et c'était à cause de ça qu'il ne l'avait pas remarqué. Ou sinon il essayait juste de se rassurer pour toutes les fois évidentes où il aurait pu le voir. Il tourna la tête en direction du plus silencieux et eut un sourire jusqu'aux oreilles.
__ Qui est-il ? Demanda le châtain d'un ton enjoué.
__ C'est un ami à moi, il m'a accompagné.
Le noiraud fut un poil déçut du mensonge de son amant, mais il comprenait que le coming-out n'était pas pour tout de suite. Après tout, ils n'étaient même pas là pour ça.
__ Akutagawa. Enchanté.
Il fit un signe de tête vers le bas et son regard sombre perçant se plongea dans les yeux félins de son vis à vis. Quelque chose avait l'air de captiver Ranpo chez lui. Alors ce dernier s'avança pour examiner le jeune garçon de plus près. Soudain, il s'exclama :
__ Mais oui ! Je t'ai déjà vu sur internet !
Les expressions des deux jeunes hommes changèrent du tout au tout, laissant place pour le blanc à une mine interloquée et pour le noir à un regard choqué.
Il y avait déjà un bon moment depuis qu'il avait mis à jour la page de son site pour la dernière fois. En fait, il n'avait rien touché depuis la mort d'Higuchi. C'était elle qui l'avait poussé à créer cette page pour poster ces peintures de "talent", disait-elle. C'avait été un simple jeux pour les deux adolescents de cette époque, mais pour l'Akutagawa du présent, c'était plus un mémorial qu'autre chose. Une seule et unique photo montrait son visage, le reste n'était qu'à propos de son art. Mais celle ci avait été faite le jour de son anniversaire. Higuchi avait proposé de faire tomber l'anonymat et il n'avait pas refusé, n'y voyant aucune utilité mais aucun problèmes non plus. Donc il était là, le visage impassible, comme toujours, tenant une de ses œuvres dans les mains. Derrière lui, le parc de l'université avec tout leur matériel éparpillé entre les herbes.
Ce jour là, il s'était réellement amusé, même s'il n'en avait pas l'air. Quelle ironie de se dire que seulement quelques jours plus tard un terrible accident allait survenir et chambouler sa vie. Qu'il irait même jusqu'à dissiper le noiraud de sa passion pendant un certain temps et de lui faire perdre les couleurs du quotidien. Alors bien sûr, cette page internet avait été la dernière de ses préoccupations. Plus rien n'avait était posté depuis des années, au point où l'existence elle même de ce site lui avait échappé.
__ C'est mon ami Poe qui adore ce que tu fais, du coup il m'a déjà montré quelques trucs, si tu demandais.
Cela répondait à ses questions. Ranpo était exactement comme l'avait décrit Atsushi : malin, qui comprend tout de suite ce que tu veux ou pense. Décidément, le monde ne manquait pas de génies avec ce type de personnes sur Terre !
Un petit sourire vint pincer ses lèvres, flatté par le compliment que venait de lui faire le châtain mais en même temps étonné de la coïncidence. Le noiraud se sentait heureux de si bien commencer leur relation, et cela se ressentait par les ondes qu'il dégageait. Atsushi, interceptant la joie de son petit-ami, fut contaminé de cette félicité bien particulière. Quel bonheur que de voir une personne qu'on chérit si souriante.
Discrètement, le blanc vint effleurer la main du brun pour lui rappeler son amour inconditionnel.
__ Bon, Atsu, va droit au but. Qu'est-ce-que tu veux ? Finit par annoncer Ranpo.
Le plus jeune sembla hésiter quelques instants, titillant ses doigts nerveusement, comme si au final, il souhaitait éviter le sujet. Ses yeux bicolores trempés d'appréhension rencontrèrent ceux imperméables de son ainé. Ce dernier lui susurra dans un murmure imaginaire les paroles les plus conciliantes jamais existé. Le blanc détourna son regard vers celui presque lassé de son germain, qui attendait une réponse qu'il connaissait sûrement déjà.
__ Je veux parler de Dazai...
__ De ce qui c'est passé quelques jours avant son suicide ?
__ Et de Chuuya. La conclusion d'Atsushi se fit sèche et déterminée.
Le châtain avait tout deviné en avance, sans surprises. Mais il aimait les confirmations, et celle de son cadet lui était nécessaire. Étrangement, il se sentait toujours dans l'obligation d'écouter avant de résoudre. Peut-être était-ce pour cela qu'il ne se prétendait jamais intelligent mais comme un simple humain ayant reçut un don à la naissance.
__ Et bien, raconte moi tout. Je suppose que tu n'es pas venu là après une prise de conscience soudaine.
Le blanc hocha la tête de haut en bas en guise de réponse et lui expliqua tout dans les moindres détails. Le souvenir omniprésent de Dazai, son rêve étrange, le cadeau de Chuuya et le comportement final du quadragénaire ainsi que ses deux faces bien distinctes. Tous les éléments semblait concorder et un fil narratif commençait à se dessiner au fur et à mesure que le monologue avançait. Atsushi devenait de plus en plus moite de terreur, comme si le fait de tout dire à voix haute avait éveillé une peur enfouie au plus profond de ses abysses. Le fait de raconter cette histoire depuis le début lui avait fait remarquer certaines choses. La première étant que l'ultime impression que leur avait donné Mori était de la provocation, avec sa photo, et la deuxième était que finalement, peut-être que ce dernier cherchait à les mener sur une fausse piste.
L'ambiance était devenue lourde et Ranpo ne paraissait plus aussi détendu qu'avant. Quelque chose le mettait terriblement mal à l'aise, et cela se voyait rien qu'à ses deux yeux émeraudes crispées. Ses fines lèvres asséchées s'humidifièrent en laissant un rapide passage à la langue mais pas un signe d'intervention orale.
Soudain, il se leva brusquement.
__ Je t'en parlerai demain, quand on sera plus tranquilles.
Atsushi se demanda s'il parlait là d'Akutagawa ou de l'environnement dans lequel ils étaient. Pas même l'idée que cela fut autre chose ne lui traversa l'esprit. Il se contenta d'acquiescer simplement en attendant une quelconque suite à la phrase du châtain.
__ En fait, c'est parce qu'elle rentre bientôt.
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