PARTIE III

Episode n°3

Lorsqu’elle se leva pour ouvrir la porte d’entrée, elle ressemblait à un automate. Son regard était fixe, son teint blanc, ses dents mordaient ses lèvres sans qu’elle en eut conscience.

Deux hommes entrèrent, présentèrent leur carte de police, puis investirent les lieux après que Louise eut donné quelques explications succinctes. L’un des hommes semblait la scruter à chacune de ses paroles, comme s’il était en train de comparer l’écho de sa voix avec la pâleur de ses traits.

Elle resta au salon tandis qu’ils visitaient les pièces du premier étage. Ils restèrent environ deux heures à aller et venir dans toute la maison. Puis ils la rejoignirent ne semblant nullement émus de cette disparition inexplicable ; l’un d’eux posa encore quelques questions à Louise, tandis que l’autre notait ses réponses sur un carnet. Puis, le plus âgé des deux lui remit une carte de ses coordonnées en la priant de rester sur les lieux et de les avertir si un fait nouveau, bon ou mauvais, intervenait ; en outre, elle ne devait en aucun cas quitter la région sans les en avoir avertis préalablement. Enfin, ils prirent congé et la laissèrent seule, face à son désespoir.

Pour conjurer son anxiété, Louise se saisit du Journal de L’ouest et ses yeux se posèrent instinctivement sur l’article dont ils avaient parlé la veille. « Il faut que je me calme, cela m’aidera à faire le vide », pensa-t-elle. Elle se cala confortablement dans le canapé et parcourut l’article dont les titres énormes, ponctués de points d’exclamation aigus comme des couteaux, semblaient autant de mises en garde contre de mystérieux illuminites . 

D’après le journal, la mission interministérielle de lutte contre les sectes, avait scrupuleusement recensé toutes celles connues à ce jour, à l’exception des illuminites qui n’y figuraient plus ; pourtant, à une certaine époque, un rapport aurait mentionné qu’il s’agissait de la secte la plus dangereuse, sous haute surveillance gouvernementale. Le rédacteur de l’article du journal précisait qu’il avait cherché en vain des renseignements  sur le Net ; il aurait finalement trouvé une trace des « illuminites » dans un très vieux manuscrit ; la Bibliothèque Nationale aurait refusé de le lui laisser quelques jours mais compte tenu de sa profession, aurait exceptionnellement consenti à ce qu’il le consulte. 

De ces « bourreurs de crânes », comme pour définir les sectes, les aurait ainsi appelés Sebastian en s’esclaffant, on savait en définitive peu de choses, hormis le fait qu’ils portaient curieusement des noms de planètes, d’étoiles, de constellations et que lorsqu’ils parlaient du groupe tout entier, les adeptes se prénommaient « incubes » ou « succubes », selon le sexe. Aux yeux de quelques rares médiums, ils vivaient leur ésotérisme, un peu dans le style de vie que l’on retrouve dans la foi chrétienne chez les cénobites. Ces êtres prétendaient provenir d’un autre plan de conscience que les êtres physiques et se réunissaient pour grossir le nombre de leurs adeptes en attente de l’apocalypse. Cela était fréquent dans la plupart des sectes mais quelles étaient exactement leurs actions ? Nul n’aurait pu donner plus de précisions sur ce groupement qui échappait de la manière la plus discrète qui soit, à toute investigation et dont la plus grande force était sans doute, de faire croire qu’il n’existait pas. L’article mentionnait que ces adeptes redoutables étaient soupçonnés de posséder le pouvoir de se transformer physiquement pour attirer les petits enfants dont ils appréciaient l’âme pure. Par exemple, ils prenaient l’apparence d’un membre de la famille et le tour était joué.  Cette insinuation aurait été lancée lors d’une émission télévisée ; plusieurs invités auraient alors été aperçus sur le petit écran, tournant d’un air narquois, leur index sur la tempe en guise de réponse…. Les rarissimes témoins auraient été tournés en dérision par les personnes présentes qui les auraient notamment empêché de développer leur démonstration. 

Louise, quant à elle, trouva tout cela somme toute assez évasif. « A partir de quand, pensa-t-elle, un groupe à vocation mystique peut-il être considéré comme une secte ? » Elle ne termina cependant pas l’article car on venait de sonner à la porte. Elle se leva pour ouvrir, pensant que les inspecteurs avaient sans doute oublié quelque chose et revenaient. Mais c’est une grande femme brune qui parut dans l’encoignure de la porte. Louise savait qu’elle s’appelait Cassiopée, qu’elle habitait une maison plus loin et qu’Annie avait depuis peu, vaguement sympathisé avec elle. Elle se disait médium ce qui faisait sourire Annie. « C’est drôle, ajoutait-elle, quand cette fille parle, elle a toujours l’air d’avoir la tête dans les étoiles ». « Normal, répliquait Sebastian en riant sous cape, avec son immuable humour de rhinocéros, Cassiopée, c’est le nom d’une constellation…. ». Louise, quant à elle, l’avait aperçue une ou deux fois chez sa fille mais d’instinct, était restée à l’écart. Cette fois, désireuse d’expulser de sa poitrine la déprime et l’angoisse qui l’étreignaient, Louise la fit entrer, se raccrochant désespérément à cette présence quasi inconnue.

Elle, habituellement si discrète sur sa vie privée, lui raconta d’un seul trait l’événement, soulageant ainsi son cœur qui était prêt à exploser. Mieux, elle lui fit visiter toutes les pièces de la maison. Cassiopée l’écoutait silencieusement appuyant un regard intéressé sur chaque objet, chaque pièce. En arrivant dans la chambre de Nicolas, elle regarda la malle, un étrange sourire aux lèvres : « Tiens, dit-elle en se tournant vers Louise, c’est ici qu’Annie a installé le coffre que je lui ai donné . C’est dommage de mettre dans la chambre d’un enfant un objet aussi magnifique. Il risque de l’abîmer. C’est du bois des îles, vous savez. »

Clara resta silencieuse, n’osant avancer qu’en l’état actuel des choses, elle aurait tout donné pour voir Nicolas ou Mélinda envoyer de violents coups de pied dans ladite magnifique malle.

Machinalement, elle l’ouvrit toute grande. Les yeux de Cassiopée prirent alors une lueur étrange. Sa voix se fit velours et les yeux de Louise s’agrandirent un peu au fur et à mesure que les paroles lui parvenaient aux oreilles. Cassiopée écarta ses mains aux longs doigts fins et les projetant vers le mur, dit doucement : « ils sont là, ils sont tous là dans cette pièce mais les illuminites ne veulent pas les lâcher. Je vais leur demander pourquoi en médiumnité, voulez-vous ? ».

Louise ne put ouvrir la bouche. Si elle s’était doutée que cette femme fût complètement folle, elle ne l’aurait jamais laissée entrer ; maintenant, elle se sentait paniquée, seule avec elle. Elle tenta de lui céder le passage pour lui faire quitter la pièce et redescendre vers la sortie mais cette dernière ne bougea pas, comme tétanisée. 

Cassiopée continua son étrange discours : « ils peuvent les laisser revenir, car ils adorent se nourrir d’âmes pures ; elles seules présentent un intérêt pour eux. Ils auront la possibilité de revenir tous, seulement si une âme plus pure accepte de les remplacer et ils ne se souviendront plus de rien. La solution pour vous est facile, ma chère, elle se trouve dans le fond de la malle. »

Elle se tourna vers Louise et lui mit une main sur l’épaule. Louise n’osait pas faire un geste. Elle la mena avec une grande douceur juste devant le coffre. Machinalement, Louise se pencha et plongea ses yeux vers le fond du coffre. C’est alors qu’une sorte de malaise s’empara d’elle. Elle eut à peine le temps de poser la main sur son front ; sa vue se brouilla, elle se sentit happée par quelque chose de sombre et brûlant ; il lui sembla qu’elle était précipitée au fond du coffre et elle perdit conscience.

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