Chapitre 5 - Ciara
J'ajuste mon plaid en mohair pour m'enfouir dans sa douceur, bien installée contre un gros coussin moelleux. Le jeu d'acteur de mon chouchou Charlie Cox ne parvient plus à capter mon intérêt. Des yeux aussi bleus qu'un ciel dégagé hantent mes pensées. La liste de contacts de mon téléphone défile sous mon pouce et s'arrête sur son numéro. Ça ne coûte rien de lui envoyer un message. J'en ai envie, pourquoi me retenir ? Je ne tergiverse pas autant d'habitude. Sauf que, d'habitude, ce sont des inconnus. Je désire, je prends, j'utilise, je jette. Niall n'est resté un inconnu que sur cette route paumée. Il me fait de l'effet. Je le désire, beaucoup trop. Plus que pour un simple amusement ? Je me maudis intérieurement. Ce connard de Quentin m'a rendue inapte à construire de vraies relations.
« Il faudra que je te teste. »
Et moi, je peux te tester ?
Un coup il m'évite, l'autre il ne décroche plus son regard de moi. Je ne sais pas sur quel pied danser. J'ai peut-être abusé en aguichant le meilleur ami de Skye... Je jette un coup d'œil furtif à la télévision, Daredevil n'apparaît pas. Je mâchouille un bout de peau sur ma lèvre, puis bifurque de nouveau mon attention sur l'écran entre mes mains.
J'écris un message que j'efface. Encore. Ce n'est que le dixième que j'essaie de rédiger depuis mon réveil.
J'aurais pu lui proposer de poursuivre la soirée dans la boîte où mixe Mel. Enfin, c'est ce que j'aurais probablement fait avant. Je tente de refouler les images qui arrivent dans ma tête, sans succès.
Je me déhanche suavement sur le podium. Mes talons hauts galbent ma silhouette, mon short laisse entrevoir le bas de mes fesses, mon top cache-cœur ne cache pas grand-chose. Tout est fait pour prendre l'un d'entre eux dans mes filets. Je m'accroupis lentement en me trémoussant sur cette musique electro-pop sensuelle. Les regards braqués sur moi m'électrisent et m'invitent à poursuivre mon spectacle.
Je le repère parmi les hommes qui se tiennent devant moi. Je lèche mes lèvres tout en continuant de remuer en rythme. Le poisson est ferré, il ne me reste plus qu'à remonter la ligne. Je le domine, lui tends une main qu'il saisit pour me rejoindre. Mon dos se cale contre son torse, ses paumes glissent sur ma taille. Sa bouche se pose sur ma nuque, je sens son souffle chaud sur ma peau, tout comme son érection grandissante. Nous dansons lascivement quand ma proposition fuse :
— Ça te dit de m'accompagner aux toilettes ?
Une lueur animale éclaire ses iris, il ne se fait pas prier. Nous nous pressons vers la pièce de mes péchés et nous enfermons dans une des cabines. Il me plaque sur le mur carrelé, déboutonne mon bas pendant que je m'attelle à libérer la bosse dans son pantalon.
— Bordel, t'as même pas de culotte... grogne-t-il.
— Ferme-la et enfile ça, lui ordonné-je en lui tendant un préservatif.
Il m'attrape les cuisses et me remonte sur ses hanches, de façon à me pénétrer d'un coup sec.
Le visage de Niall s'est infiltré dans cette réminiscence du passé tandis que mes doigts caressent mon clitoris gonflé d'excitation. Les paupières closes et les pensées focalisées sur cette scène en sa compagnie, je laisse échapper un gémissement. Ma respiration accélère, mon bassin se relève, une douce chaleur irradie dans mon corps. L'orgasme ne tarde pas et je souffle de plaisir.
Dire que des mecs osent dire que c'est compliqué de faire jouir les femmes...
J'aimais cette sensation, ce pouvoir que j'avais sur les hommes. Jusqu'à la fois de trop. Si j'ai réussi à me contenir depuis, Niall démolit mes entraves. Je contemple encore son numéro et tape un nouveau message.
[Salut, bien rentré ?|]
Une phrase banale, pourtant j'hésite à l'envoyer. Je ne peux pas juste m'amuser un peu avec lui et l'oublier comme les autres, Skye ne me pardonnerait pas.
[Alors, monsieur l'ours, pas de panne pour rentrer chez toi ?|]
Mon doigt reste suspendu au-dessus de la touche pour valider l'envoi. Je me mords la lèvre et efface ces mots. Monsieur l'ours...
Putain, mais t'as quel âge, sérieux ?
Vingt-cinq ans dans un mois. C'est quand, l'âge de raison ? Mon cœur s'emballe. J'ai l'impression de me retrouver devant Quentin la première fois, incapable de m'approcher de lui ou d'aligner une phrase cohérente. Jusqu'à ce qu'il me remarque et que je tombe éperdument amoureuse de lui. Jusqu'à ce qu'il profite de ses sentiments pour moi.
[Pas de problème avec les vaches sur la route ?|]
Pathétique. Je n'ai pas à lui envoyer de message maintenant, nous nous sommes vus moins de vingt-quatre heures auparavant. En même temps, j'ai envie d'en savoir plus sur ce beau spécimen écossais.
— Si ça se trouve, c'est un sale con. T'en penses quoi, Coggy* ?
Mon poisson me fixe à travers la vitre de son aquarium avec son air en permanence ahuri. « Regarde comme il est chou avec ses joues gonflées, on dirait un p'tit zizi tout rouge ! » s'était bidonné Mel avant de me l'offrir. Sa réplique reste gravée dans ma mémoire chaque fois que j'observe mon compagnon à nageoires.
— Ouais, t'as raison, ça m'étonnerait. Skye est amie avec lui, ça peut pas être le cas. Quoique, elle va aussi se marier avec mon frère...
Et si en plus d'être charmant, il est attachant, voire passionnant ? Et si tu commences à aimer passer du temps avec lui ?
Aucune chance. C'est juste un mec rencontré par hasard, mignon, qui fait malheureusement partie de mon cercle de connaissances. Comme je ne peux pas m'en empêcher, il a fallu que je l'allume, pour voir si je pouvais lui plaire. Que penserait-il de moi s'il apprenait mon ancien penchant ? Certes, je l'assume, mais aux yeux de la société – et d'Aïdan, qui en a eu vent –, je sais pour quoi je passe.
Pose donc ce téléphone et concentre-toi sur Daredevil. Voilà un homme sur qui tu peux fantasmer sans t'attirer d'ennuis.
Je jette mon smartphone sur la table basse et reporte mon attention sur l'épisode où le pote de Matthew Murdock découvre son secret. Le héros se met à pleurer. Si je pouvais, j'irais le consoler... La série se poursuit, je tente de rester centrée pour ne rien rater du scénario que je connais pourtant par cœur.
Une notification retentit. Je récupère prestement mon appareil, un début de sourire aux lèvres qui s'efface aussi vite qu'il s'est dessiné. C'est Melvin, qui me demande comment s'est finie la soirée. Je soupire, déçue. J'ai cru que... Je pianote rapidement sur les touches.
[Salut Niall, j'espère que t'es bien rentré. C'était sympa de faire plus ample connaissance avec l'ours rencontré au milieu de nulle part. À bientôt, Ciara.]
Cette fois, j'appuie sur « envoyer ».
***
Allongée sur le grand canapé défoncé de la salle de pause, je rumine. Trois jours que j'ai envoyé ce fichu SMS à Niall, toujours pas de retour. Chaque fois que mon téléphone sonne ou vibre, ma respiration se bloque, mais ce n'est pas lui. J'ai dû me faire des idées, je ne l'intéresse pas. Surtout, je ne comprends pas pourquoi je me mets dans un tel état pour un type que je connais à peine.
Oui, mais quel type...
J'aurais dû lui poser une question pour qu'il puisse avoir quelque chose à me répondre. Merde !
Je pianote un message à Mel pour lâcher ma frustration contre l'Écossais, qui revient régulièrement dans nos conversations ces derniers temps.
[Il devrait donner signe de vie, nan ?]
[Eh ben ma grande, je pensais pas que tu te prendrais autant la tête pour ce mec, aussi BG soit-il dans le genre renfrogné]
[...]
[Fais pas style]
C'est fou comme il existe des personnes – enfin une pour moi – capables d'entrer dans votre cerveau pour comprendre le bordel que trois petits points signifient.
[C vrai que je me prends trop la tête. Je vais rien faire avec. Ça la foutrait mal quand même, c'est le BFF de Skye. En + il est pas si BG que ça]
[Arreeeete, t'as vu son regard ?! Et cette bouche ! OMG sa bouche...🤤 Ça se trouve, il aime juste se faire désirer. On a qu'à le maudire à fond. À force d'avoir les oreilles qui sifflent, il se souviendra peut-être de ton message]
[J'étais sûre qu'il y avait un truc, et en même temps c pas plus mal, c pas possible avec lui]
[Tu sais, toutes les relations de couple sont pas pourries. Tu pourrais essayer avec lui, tu crush à mort]
[Pff, n'importe quoi]
Ouais, je sais...
Comme si je pouvais tromper mon meilleur ami sur ce que je ressens. Comme si je pouvais me persuader que je n'éprouve rien en me répétant que Niall ne me plaît pas.
[OK j'avoue que je kifferais qu'il pose ses pattes d'ours sur moi😏]
[Tu m'étonnes ! grrr🔥]
— Lady, start your engine!* scande mon collègue, me sortant de mes tergiversations.
Il délaisse son magazine sur la table et entreprend d'aller jeter les emballages de notre déjeuner, pris au drive du fast-food.
[J'dois filer bosser, jtm❤️]
Je me traîne derrière Florian jusqu'à l'atelier. De beaux bolides nous y attendent : un coupé sport Nissan crème, le modèle au-dessus de la mienne, une Mazda décapotable rouge, une mini Cooper jaune, une BMW berline noire... On se croirait dans 60 secondes chrono. D'ailleurs, la voiture que je révise en ce moment est une Mustang Shelby GT500 que nous avons directement baptisée Eleanore avec l'équipe, en l'honneur de celle de Nicolas Cage dans le film. L'Austin de Niall aurait fait un peu tâche parmi toutes ces sportives dont nous nous occupons. Mais j'aurais pris plaisir à m'occuper de lui. D'elle. À m'occuper d'elle.
J'ai à peine le temps de mettre les mains dans le moteur qu'une voix grave m'interpelle :
— Salut, Babydoll, ça fait un bail !
Ma tête manque de se cogner contre le capot relevé. Ce surnom ridicule me fait frissonner de dégoût. Je me tourne pour me retrouver nez à nez avec un homme BCBG aux yeux gris et aux cheveux blonds luisants de gel. Celui que je ne pensais et ne voulais plus revoir. Une boule se forme instantanément dans ma gorge et une vague de froid me saisit.
— Qu'est-ce que tu fous là ? craché-je entre mes dents serrées.
— Je viens chercher mon bijou, tu l'as pas reconnu ?
— T'as rien à faire dans l'atelier, les clients doivent attendre au comptoir à l'accueil.
— Je voulais te saluer, me glisse-t-il à l'oreille en se penchant vers moi.
Son eau de Cologne envahit mes narines et me déclenche un relent de mauvais souvenir. J'aurais dû me contenter d'une fois avec lui, comme je faisais habituellement.
— Écarte-toi.
— Tu disais pas ça dans mon appart. Jouer avec toi me retenterait bien... Je peux me pointer chez toi, si tu préfères éviter de croiser mes amis.
— Il ne se repassera rien entre nous, oublie-moi.
— Et si je n'ai pas envie de t'oublier, Babydoll ? On a pris du bon temps tous les deux.
Je rêve où il vient de m'effleurer les fesses ? La gifle que je lui ai assénée la dernière fois qu'il a fait ça sur mon lieu de travail ne lui a pas suffi ? Je me retiens de lui en recoller une, afin de ne pas créer un nouvel esclandre.
— Tout va bien, Ciara ? demande Florian en surgissant du secteur pièces détachées.
— Je gère !
Je repousse ma « fois de trop » avec force et hausse le ton.
— Dégage de là ! Je ne veux plus jamais te revoir, ici ou ailleurs. Je pensais pourtant avoir été claire.
— Si j'avais su que t'appeler « ma p'tite salope » en public te mettrait dans tous tes états, je me serais contenté de Babydoll.
Le tonnerre gronde en moi.
— Sors de cet atelier, sifflé-je.
— Tu sais où j'habite, si jamais t'es en manque.
Il mime un baiser accompagné d'un clin d'œil, puis se lèche les lèvres. Il disparaît, la bile me brûle l'œsophage. Je sursaute quand mon collègue s'approche de moi.
— Le patron lui a pas dit de pu foutre les pieds ici ?
— Le patron veut pas perdre un client friqué.
Ma mâchoire reste contractée, mon corps tendu. Je bouillonne de l'intérieur.
— Tu vas bien ?
— J'aurais aimé lui mettre mon genou où je pense, mais bon.
— Si t'as envie d'en parler, j'suis là.
J'acquiesce et nous retournons au boulot. Les odeurs âcres du métal, de l'huile et de l'essence flottent dans l'air et me plongent au cœur de ma passion. Les réminiscences d'accélérations fulgurantes et de virages serrés résonnent à travers chaque pièce à réparer. Les heures s'écoulent rapidement tandis que je remets de l'ordre dans le chaos mécanique de cette Shelby. Ce travail a au moins le mérite de faire taire mes pensées.
Quand j'arrive à mon appartement, je file sous la douche et laisse l'eau chaude se déverser sur ma peau durant de longues minutes. Si je m'ébouillante, j'oublierai peut-être mon dernier coup d'un soir. Je croyais m'amuser avec lui, mais il a retourné mon penchant contre moi.
Je sors de la pièce embuée, les cheveux enroulés dans une serviette et le corps dans un peignoir, et aperçois une notification sur mon téléphone. Probablement Melvin. Je m'approche et déverrouille l'écran pour prendre connaissance de l'info qu'il a à me partager.
Bordel, c'est lui.
Mes neurones grillent. Je m'empresse d'ouvrir le message, la respiration coupée.
[Salut Ciara, pas de panne à signaler, les vaches n'ont pas eu l'occasion de me manger. Tu retournes quand voir ta grand-mère ?]
Il lui a fallu trois jours pour écrire ça ? Mon mobile finit projeté sur le lit. Aucune chance que je réponde immédiatement, il poireautera.
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*Coggy : diminutif affectueux basé sur le terme anglais cog, qui signifie dent d'engrenage.
*Lady, start your engine! : signifie que les pilotes doivent démarrer les moteurs de leurs voitures en préparation du départ de la course.
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