Réminiscence - Partie 2

Stohess, Mur Sina, 18 mai 851

Une odeur agréablement sucrée envahit les narines de Marion. Qu'est-ce que c'est ? se demanda-t-elle. Elle tenta bien de voir, de parler, de bouger ne serait-ce que d'un iota ; seulement, dans l'espace informe qui la piégeait, seul son odorat paraissait fonctionner.

Fais chier. Comme pour lui répondre, son ventre gargouilla. J'ai soif. Ses bougonnements firent écho sur les parois de son crâne, et résonnèrent sans fin, se perdant dans les méandres de son esprit. Lorsqu'une voix grave s'y mêla, elle ouvrit brusquement les paupières, bondit au hasard et se retrouva étalée sur quelque chose de froid et dur.

La lumière l'éblouit sans attendre. « Hein ? » Elle se mit debout ; sa vue floue ne lui permit de distinguer qu'une petite silhouette. « Marion. Oh, Marion. » On lui ficha brusquement ses lunettes dans les mains. Elle les mit sans attendre et reconnut le visage aimablement impassible de Livaï.

Il posa la tasse vide qu'il tenait et s'approcha d'elle. « Espèce de tarée », jeta-t-il. « J'avais du thé bouillant. Il s'est renversé partout, nettoie-moi ça. » Ah. Merde, pensa-t-elle. La brume de son sommeil se dissipa, la laissant voir les deux lits simples, le bureau sombre et l'armoire qui trônaient là, baignant dans le matin lumineux.

Ils étaient arrivés l'avant-veille au soir. D'après ce qu'on lui avait dit, Isaac ne s'était plus montré ; elle se sentait désormais plus sereine, bien que toujours méfiante envers le caporal-chef. Un tissu, se rappela-t-elle. Il faudrait sûrement un...

Elle fut subitement bloquée dans son élan ; une paume chaude venait d'attraper son poignet. « Tu as du thé sur ta manche », l'informa son supérieur, l'œil plissé. Elle lui jeta un regard surpris, pour le dériver vers son bras.

« Ah, tiens, c'est vrai », admit-elle. Elle le sentait, désormais, le liquide qui lui brûlait la peau. Lorsqu'elle en réalisa la douleur, elle serra les dents et reprit sa main. « Excusez-moi. » Sans une syllabe de plus, elle quitta la pièce.

Elle attendit précautionneusement que la porte se soit refermée pour laisser échapper un gémissement. « Putain », grommela-t-elle. « Ça arra... » Elle coupa court à sa plainte à la seconde où elle entendit le battant se rouvrir. Les yeux clairs du petit homme la dardèrent ; elle put sans mal y déceler un agacement croissant.

« On y va », lâcha-t-il de ce même ton froid, dont il gratifiait chaque personne qu'il croisait. J'avais presque oublié qu'il doit m'accompagner partout. La jeune femme se contenta d'avancer dans le couloir des dortoirs. Personne n'était en vue, et pour cause ; tous se trouvaient dans les sanitaires communs.

Elle passa sans attendre l'ouverture de celle des femmes, devina aux claquements de l'eau qui tombait au sol que Rico et Hansi prenaient leur douche, et se rua vers les éviers. Là, elle releva son habit avec hésitation, pour y verser un léger filet froid qui la soulagea bien vite.

Enfin... soupira-t-elle. En fouillant dans les étagères, elle dénicha des bandages ; elle les mania avec application, jusqu'à ce que ses muscles se bloquent brusquement. Ils recouvreront aussi mes cicatrices, réalisa-t-elle. Ses yeux verts se fixèrent sur les lettres qui déformaient sa peau, et son cœur se tordit.

Tout disparut autour d'elle tandis qu'elle s'y plongeait toujours plus profondément. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? La nausée l'assaillit, serra son estomac déjà malmené. Comment est-ce que j'ai eu ça ? Elle força, força encore ; à son grand désespoir, aucune réponse ne vint jamais.

Elle aurait pu le savoir, pourtant, si elle avait questionné Livaï ou sa chef d'escouade. Toutefois, elle voulait trouver la vérité seule, briser ce mur impénétrable qui se dressait cruellement devant elle, peu importe le temps ou les efforts nécessaires.

« Tu es blessée ? » Ce fut la voix de Rico qui la tira brusquement de ses pensées. Ses cheveux courts et clairs étaient encore trempés, alors même qu'elle venait de finir d'enfiler son pantalon blanc. La chercheuse fut incapable de bouger lorsque ses doigts fins tournèrent son membre pour que ses yeux l'observent mieux.

Ceux-ci s'écarquillèrent légèrement. « Ce n'est qu'une brûlure », dit-elle pourtant sur un ton neutre. « Tu peux toujours bouger avec ça. » L'intéressée acquiesça. Sa gorge était affreusement nouée ; elle n'aurait su dire si l'officier la scrutait ou non. Est-ce qu'elle sait quelque chose ?

« Fais-toi un pansement, et dépêche-toi de te préparer. » Elle obéit sans demander son reste. Le malaise qui l'envahissait était lourd, et rester plantée là n'aurait fait que l'accentuer. Elle se lava en vitesse, et partit chercher des habits propres. Naturellement, son supérieur l'attendit derrière la porte, et elle ne fut surveillée que par la soldate de la Garnison.

Ce fut une demi-heure plus tard qu'eux trois, accompagnés de Hansi et de Mikasa, se postèrent devant l'entrée de la pièce close où se trouvait le cristal d'Annie. L'escalier qu'ils avaient descendu était assez sombre pour que la lumière des torches elle-même semblât presque limitée.

Naile Dork, accompagné d'un Marlowe des plus sérieux, les attendait là. Chacun d'entre eux avait mis son équipement tridimensionnel ; la probabilité que l'ennemie se transforme dès son réveil avait beau être faible, ils ne souhaitaient prendre aucun risque.

« Bien », dit sobrement le commandant. Il actionna la poignée de fer. Lorsque le battant s'ouvrit lentement, découvrant un espace circulaire aux murs suintant d'humidité, l'angoisse s'immisça en Marion. Elle déglutit avec difficulté et suivit les autres.

Dès qu'elle passa le pas de la porte, elle s'arrêta net. Le cristal qui se dressait devant elle jusqu'à gratter le plafond était d'une transparence stupéfiante ; d'apparence lisse, il comportait en réalité de nombreux reliefs, bien qu'adoucis par la pureté stupéfiante de la matière qui le constituait. Mais ce qui la cloua sur place était la jeune fille qui reposait à l'intérieur.

Ce qu'elle remarqua en premier fut ses cheveux, d'un blond qu'elle n'avait jamais vu auparavant. Puis son regard s'attarda sur son visage fin et ses traits délicats, figés en une expression douloureuse qui lui serra le cœur. Comment peut-elle encore vivre ? se demanda-t-elle, chancelante. Coupée de tout air, de tout nutriment, sa conservation dans un tel état relevait du miracle.

Est-il possible qu'elle soit morte ? Elle jeta un œil aux autres. Lorsqu'elle remarqua l'air lugubre de Livaï, ses lèvres se pincèrent. S'il est aussi un ennemi... Elle serra légèrement les dents. J'ai eu beau le répéter à Hansi, elle n'a jamais voulu me croire. Qu'est-ce qu'ils ont tous, à lui faire autant confiance ? Ils veulent m'éloigner du danger, mais il est là, juste sous mes yeux...

Son cœur rata alors un battement. Ne me dites pas qu'il compte se servir d'Annie... Ils vont éveiller un semi-titan, un semi-titan américain, ça ne peut que sentir mauvais, pensa-t-elle. La panique commença à l'envahir. Il va peut-être essayer de la libérer. Et à eux deux...

Le frisson de peur qui remontait son échine fut brusquement arrêté par une main fine qui passa juste devant ses yeux. « Marion », l'appela Mikasa. « J'aimerais passer. » Merde. Elle murmura une excuse, puis se décala. Les yeux sombres de l'asiatique glissèrent alors jusqu'au caporal-chef, pour remonter sur le regard troublé de la chercheuse.

Encore merde. « Ne t'en fais pas », murmura l'exploratrice de ce même air froid. « Si quelque chose dérape... » Sa phrase resta en suspens ; la chef d'escouade du Bataillon venait de s'avancer vers la roche translucide.

« Bien, s'exclama-t-elle. Tout correspond au rapport de Marion. Allez chercher de l'eau.

— Tu veux la libérer là-dedans ? lâcha le petit homme, l'œil perçant.

— Oui. Comme ça, elle ne pourra pas se transformer. »

Son expression légèrement contrariée n'échappa pas à la lycéenne. Je le savais. Elle contracta ses paumes moites, et tenta vainement de calmer son souffle. Il va essayer de la sortir de là. Comment est-ce que je peux m'en tirer ? Avec l'aide de Mikasa ?

« Marion, reste en retrait. » Les deux combattants les plus forts des Murs se postèrent devant elle. Les pires scénarios envahirent son esprit ; elle s'appliqua à les chasser, mais sa crainte ne put que croître à mesure que le moment de dissoudre la fluorine approchait.

Les seaux furent alignés sur les dalles de pierre. Après un hochement de tête général, l'officière de la Garnison en saisit un et projeta le liquide sur le cristal. Quelques gouttes froides s'écrasèrent sur la joue de la jeune scientifique ; mais celle-ci se contenta de regarder, le cœur battant, la pierre se corroder encore et encore sous les assauts répétés des guerriers.

Elle diminua lentement mais sûrement ; ils durent remplir trois fois les contenants pour que, enfin, quelques cheveux d'Annie émergent à l'air libre. Elle vit le poing de Livaï se crisper légèrement, et tenta de reculer d'un pas. Non. Je suis dans la merde. On est dans la merde. Il faut que je prévienne quelqu'un, vite...

Mais son corps, lui, était entièrement paralysé. Le sommet du crâne, puis le front de la blonde se virent délivrés ; l'eau glissa doucement dessus, pénétra la matière pure, la détruisit millimètre par millimètre jusqu'à descendre en-dessous de ses yeux clos, enfermant la moitié de son grand nez.

La tension était désormais palpable ; chacun des muscles des combattants était tendu. On continua pourtant, et dégagea ses voies respiratoires. Ce fut à cet instant que les genoux de Marion se mirent à flageoler légèrement. L'angoisse était insoutenable ; et lorsque les paupières de l'américaine tressaillirent, elle manqua de faire un bond en arrière.

Comment est-ce possible ? Le visage de l'adolescente était à découvert, et se réveillait progressivement. « Arrêtez », ordonna Livaï. Comment peut-elle être encore être vivante ? Comment peut-elle de nouveau respirer ? Qu'est-ce que c'est que ce foutoir ?!

Il s'avança alors, et se stoppa à la droite de Hansi. Espèce de connard, pensa la subalterne en le fusillant du regard. Au premier geste suspect, je me taille de là, et tu ne réussiras pas à me trouver. Le combattre était hors de question ; mais fuir, elle savait le faire, et n'allait pas s'en priver si besoin.

Toutefois, il n'attrapa pas l'eau restante, ne demanda pas aux autres de partir, et ne se saisit pas non plus de sa lame pour les tuer. Il se contenta, au même titre que ses collègues, de fixer Annie un très long moment.

Finalement, ses traits se crispèrent brutalement, et ses yeux d'un bleu glace à couper le souffle s'écarquillèrent. Ses cheveux blond platine, qui retombaient, complètement relâchés, sur le cristal qui enfermait son corps, se secouèrent au rythme de ses suffocations alors qu'elle tentait d'avaler ne serait-ce qu'une goulée d'air.

Là, le caporal-chef s'approcha d'elle ; elle le regarda avec terreur lui attraper le menton et l'écraser entre ses deux doigts. « Maintenant que tu es réveillée... » articula-t-il alors qu'elle s'étranglait encore, et qu'on l'éclaboussait de nouveau. Sa voix était si effrayante que la chercheuse en trembla.

« On va pouvoir s'amuser un peu. » La panique tordit la face de l'ennemie. Quand la moitié de son thorax fut libérée, elle respira enfin, la nuque en sueur, et les scruta tous, un pas un, en une expression de choc.

« Tu ne peux pas bouger, dans cet état », continua-t-il, toujours plus glacial et tranchant. « Tu ne peux pas te transformer en titan. Si tu tiens encore à ta vie... » En un éclair, il sortit un couteau de sa ceinture, et en plaqua la lame contre son cou. « Tu as intérêt à nous répondre. »

Ses paupières se fermèrent un instant alors qu'elle restait parfaitement immobile. Sous sa peau blanche, on pouvait deviner sa mâchoire contractée à s'en briser une molaire. Toutefois, lorsque ses pupilles passèrent d'une personne à l'autre, et s'arrêtèrent sur Marion d'un froncement de sourcil, seule une froideur plate y régnait.

Elle avait de nouveau le contrôle sur elle-même, et lisait la situation avec une précaution extrême. Du moins fut-ce ce que la jeune scientifique en déduisit alors qu'elle s'appliquait difficilement à soutenir son regard. Elle, c'est vraiment pas de la tarte.

« D'où est-ce que tu viens ? » On le sait déjà, pensa-t-elle face à la question de Livaï. Le mutisme de la prisonnière lui valut un poing dans la tempe. Il la saisit par les cheveux sans ménagement, et plongea ses yeux dans les siens. « Emmenez la minus dans le réfectoire », jeta-t-il. Hein ? Mikasa la conduisit vers la porte sans attendre. Ses prunelles elles-mêmes, usuellement si impassibles, brillaient de rage.

Elles arrivèrent dans le couloir éclairé par le soleil. Jamais la chercheuse n'avait connu de frustration aussi grande. C'est quoi, son problème ? Qu'est-ce qu'ils comptent faire, à eux deux ? Est-ce que...

Un cri déchirant s'éleva alors, la raidissant de la tête aux pieds. C'était Annie qui hurlait, s'époumonait sous une torture qui lui était entièrement obscure. Elle jeta un œil à la guerrière, dont la face ne reflétait plus rien. Elle avait retrouvé son état habituel, comme si les plaintes de son adversaire étaient parvenues à la calmer.

Ils vont l'interroger, forcément. Elles entrèrent dans le restaurant de l'armée et prirent une table au hasard. On ne m'avait pas dit que je ne devais pas y assister... Mais aucun des supérieur ne paraissait ne serait-ce que surpris par cet ordre. Ça devait être prévu, et Hansi doit être d'accord ; elle n'a émis aucune objection, alors même qu'on lui a confié le rôle de tous les mener, Livaï compris.

Ses dents mordillèrent nerveusement son ongle, et son pied tapa frénétiquement contre le sol dur. « Mikasa. » L'intéressée leva la tête, prenant le soin de remettre une mèche noire qui lui gênait la vue. « Oui ? »

Elle inspira silencieusement.

« Pourquoi est-ce qu'on m'a demandée de quitter la pièce?

— Je ne sais pas.

— Tu ne sais rien ?

— Non.

— Dans ce cas...

— Marion, l'appela une voix grave. »

Elle se retourna vers un Mike aux cheveux ébouriffés – bien qu'elle ne les ait jamais vus spécialement coiffés. Il venait manifestement d'arriver à Stohess ; du moins le devina-t-elle à la terre qui tâchait l'une de ses bottes. « Où sont-ils ? »

Ils ? Elle fronça les sourcils. Un nouveau cri résonna alors, faisait plisser les paupières du chef d'escouade. Il renifla l'air une fois, et se tourna vers où elles venaient. « Merci. » Il reprit sa course sans attendre, la laissant dans l'incompréhension.

Il n'était pas en mission ? Il a déjà fini ? Ses yeux verts glissèrent sur ses mains. Du sang gouttait d'un de ses doigts ; elle avait manifestement gratté trop fort. Elle pinça les lèvres, déroutée.

Qu'est-ce qu'il se trame ici ?

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