Chapitre 29 : LA BARQUE DANS L'EAU

—Euh, Hamish ? demanda Lanz. Où est Hadwin ?

— Je ne sais pas, avoua l'interpellé.

— Mince ! Je vais aller le chercher, décida Flamel. Nous n'avons pas besoin d'un nouveau cadavre.

— On te suit ! déclara Karel en tirant sur la manche d'Irwin.

Tous les trois se précipitèrent en bas de la montagne, sur le champ de bataille.

— Bon... on se sépare en deux, suggéra Flamel. Vous à droite et moi à gauche.

Karel et Irwin acquiescèrent et commencèrent à chercher Hadwin.

— Oh, regarde, c'est lui, remarqua Karel.

Hadwin était allongé par terre, le visage maculé de sang, sa hache double abandonnée près de lui.

— Eh, oh ! Réveille-toi, dit Karel en le giflant.

Peine perdue.

— Mince. Tu connais les gestes de premier secours, toi ?

— Euh... appuie-lui sur la poitrine, et pousse avec tes mains, répondit Irwin.

Puis il se détourna et hurla :

— Flamel !

— Euh, dit, Irwin, ça marche pas, ton truc, là...

L'interpellé se retourna.

— Mais qu'est-ce que tu fous ! Je t'ai dit de pousser, pas de lui faire des pompes dessus !

— Calme, chill, marmotta Karel. Peace and love.

— Vous l'avez trouvé ? demanda une voix anxieuse.

Flamel était de retour.

— J'y arrive pas ! s'écria Irwin.

— Y a pas le bouche-à-bouche, aussi ? demanda Karel. Qui s'en occupe ?

— Je t'en prie, répondit Irwin. Je ne suis pas pompier, moi.

— Oh, laissez-moi faire, alors, dit Flamel.

— Parfait, commenta Karel. Comme si j'allais embrasser ce mec.

— L'embrasser ? répéta Irwin. Personne ne te demande de l'embrasser ! Juste faire du bouche-à-bouche, c'est pas compliqué.

— Mais vas-y, toi qui t'y connais tant, railla Karel.

Irwin et Karel tournèrent la tête pour voir Hadwin inspirer et empirer bruyamment.

— Bon, on peut y aller, proposa Flamel.

Il s'humecta les lèvres, hissa Hadwin sur ses épaules et grogna sous l'effort.

— Un bon baiser, ça a dû lui faire du bien, observa Karel.

— Tais-toi, Karel, le rabroua Irwin.

Ils conduisirent alors Hadwin jusque dans la ville.

— Il est vivant ? s'enquit Hamish.

— Oui, mais il doit se reposer, répondit Flamel.

Ce soir-là, lorsqu'Irwin alla se coucher, il tomba presque immédiatement dans un sommeil profond.

Il pose le pied droit sur une dalle blanche, et le gauche sur une dalle noire. Sa main droite lisse le mur froid à côté de lui.

Une silhouette apparaît.

Il se fige.

C'est une personne enveloppée dans une cape sombre, dont seuls les yeux orange vif filtrent à travers l'ombre de sa cagoule rabattue sur sa tête.

« LE SAUVEUR VA DISPARAÎTRE. »

C'est l'homme encapuchonné qui a parlé, il le sait.

— Mais... qui est...

« LE SAUVEUR VA DISPARAÎTRE. »

— Qui est-ce ?

Mais l'homme répète inlassablement ses paroles.

« LE SAUVEUR VA DISPARAÎTRE. »

— Mais qui est le Sauveur ?

« TU VAS MOURIR ! »

Il claudique, l'oreille saisie d'une douleur fulgurante.

— Irwin ! entendit-il.

— Argh, ne me frappe pas, Karel ! s'écria-t-il.

Il ouvrit d'un coup les yeux, découvrant un Karel livide penché sur lui. Irwin dégagea une mèche de cheveux de son visage. Et Karel de s'éloigner en criant :

— Tes yeux sont enflammés !

Irwin sauta hors du lit, regarda son reflet dans laminoir et s'aspergea le visage d'eau, dont les yeux reprirent aussitôt leur couleur vert clair.

— Tu as des choses à m'expliquer, je crois, dit Karel en lui lançant un regard éloquent.

Irwin soupira et lui narra les fréquentes interventions de l'homme aux yeux de cornaline dans son esprit.

— Alors ça, commenta Karel, c'est vraiment...

Il fut interrompu par l'arrivée d'un elfe dans la pièce.

— Le Roi vous demande.

Karel et Irwin sortirent de leur chambre. Dans la salle de réunion, Leno, Angela et bien sûr Lanz étaient déjà présents.

— Faîtes-les entrer, exhorta Lanz.

Aussitôt, deux personnages plutôt insolites se présentèrent devant eux.

Le premier était un homme vêtu d'une cape, le visage masqué par une cagoule, que Karel reconnut comme étant leur sauveur au palais de Breshka.

— Vous ! s'écria-t-il.

Leno aussi l'avait reconnu, étant donné que c'était lui qui les avait, lui et les autres citoyens, reconduits à Ljuba.

Le deuxième était un personnage des plus étranges. Son visage était très laid : ses yeux marron clair étaient trop espacés, son nez était tellement retroussé que l'on voyait tout l'intérieur de ses narines, sa bouche était tordue, son crâne rasé arborait quelques disgracieux furoncles, ses oreilles mi-pointues mi-rondes ressemblaient à des feuilles de salade (comme celles de Nosferatu, songea Karel) et sa peau avait une bizarre teinte olive. Il était petit et musclé, vêtu d'une jupe de cuir, d'une paire de sandales et d'une ceinture qui lui entourait la taille et passait aussi sur son épaule qui maintenait une lourde hache de combat dans son dos. Quelques poils verdâtres recouvraient ses bras et ses jambes et, malgré son hideux visage, chacun remarqua qu'il avait de très belles mains — et de très beaux pieds.

— Pouvez-vous retirer votre cagoule ? demanda Lanz à l'autre.

L'inconnu acquiesça et se débarrassa de sa cape et de sa cagoule qu'il jeta sur le sol. Dessous, il portait une longue tunique vert datcha serrée par une ceinture de cuir. Un sabre pendait à son flanc.

Quant à son visage... c'était l'exact opposé de celui de son compagnon. Il avait la peau laiteuse, ses yeux ressemblaient à des braises, mais l'un était strié d'une longue estafilade rendant l'œil sans couleur, ses traits harmonieux, ses oreilles d'elfe très longues et pointues, et, à la place de la chevelure, il avait un véritable feu de couleur bleue qui dansait sur sa tête.

— Je me nomme Rosen, du moins c'est le nom par lequel tout le monde me désigne, dit-il.

Il les salua d'un signe de tête et désigna son compagnon.

— Et mon confrère s'appelle Bienfaiteur. Je souhaiterais vous apporter mon aide à cette guerre.

Irwin comprit que c'était un homme qui n'aimait pas l'à peu près, qui en venait droit au but et savait frapper droit et juste. Mais ce n'était pas le genre de personne que l'on pouvait qualifier de bon ou de vertueux, comme il le comprit par la suite.

— C'est gentil à vous de nous aider, dit Irwin à un moment où Rosen l'avait rattrapé dans un corridor.

Le demi-elfe rit.

— Je ne suis pas un gentilhomme, loin de là, répondit-il d'un ton léger. Le succès et la fortune, dans tous les sens du terme, sont mes seules motivations.

— Je vois, fit Irwin d'un ton glacial, ressentant soudain une vague de froideur à l'égard de cet homme. Et votre compagnon, alors ?

— Je le garde avec moi simplement parce qu'il est différent. Comme moi.

— C'est-à-dire ?

Irwin s'était arrêté de marcher.

— Disons que Bienfaiteur est venu au monde dans des circonstances bien difficiles. C'est le roi des trolls en personnes qui a violé une jeune humaine d'une très grande beauté.

Irwin ressentit un élan de compassion pour le demi-troll.

— Mon dieu, soupira-t-il.

— C'était la sœur de la Cheffe du Clan de l'Eau.

Mais Irwin n'avait pas envie de parler de Marzel.

— Et vous ? demanda-t-il. Pourquoi êtes-vous « différent » ?

— Mon père était un Elfe et ma mère une humaine du Clan du Feu. D'habitude, les demi-elfes sont elfes moralement et de l'autre race physiquement, ou alors l'inverse. Je suis une anomalie, en quelque sorte, bien que ce ne soit pas grave ou dangereux. De toute façon, je ne l'ai pas choisi. Mais en me voyant, mes parents m'ont donné un très vilain que je me garderais d'énoncer ici.

— Je vois, répéta Irwin. Maintenant, excusez-moi, mais je dois y aller.

Rosen avait beau presque se vanter d'être égoïste et égocentrique, il devait bien avoir un peu de cœur. Sinon, le lien qui l'unissait à Bienfaiteur n'aurait pas paru aussi fort. Mais bon, il restait un profiteur de guerre sans aucune et quelconque morale.

Un peu perdu, il alla dans sa chambre et se vêtit d'une tunique noire pour se rendre aux obsèques de Marzel. Cela le mettait mal à l'aise. Tout d'abord, il n'avait jamais participé à des funérailles, et le souvenir de la Cheffe était encore très présent.

On déposa le corps de Marzel dans une barque, selon la coutume de son Clan. Elle était vêtue d'une longue robe blanche et portait un collier de véritables perles. Son visage n'était pas maquillé, mais aucune blessure due au mur qui l'avait écrasée n'était visible. Une personne qu'Irwin ne put identifier posa un diadème dans les cheveux de la Cheffe. Une autre personne poussa lentement la barque dans l'eau, une rivière apparue ici par pure magie.

Irwin pleura. Il se sentait horriblement mal de n'avoir pas mieux connu Marzel, mais chaque minuscule souvenir se déversait en lui comme un torrent sauvage. Comme le torrent des cheveux de la Cheffe.

*

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