Chapitre 24 : APPARITION

Après des retrouvailles chaleureuses, Leno enjoignit aux écuyers de leur raconter tout ce qu'il s'était passé à lui, Marzel et Flamel. Ce fut Karel qui s'en chargea.

— Alors déjà en fait on était juste en train de chercher du bois quand y a des chasseurs de primes qui nous ont sauté dessus ! Non mais c'est n'importe quoi, ils auraient pu nous surprendre à un autre moment, pendant que tout le monde était en train de rigoler après une excellente blague que j'aurais raconté ! Par exemple, un jour, y a deux fous qui se baladaient, et l'un a dit : « oh, regarde, une forêt » et l'autre a dit « je ne vois pas, il y a trop d'arbres » !

» Enfin bref, ils nous ont spasmé pis ils nous ont...

— Ils vous ont quoi ? le coupa Leno.

— Convulsionné, quoi ! Enfin y a un gars il a pris une craie et il a dessiné un pentagramme sur le sol, ou un pentacle peu importe, et il s'est mis au centre et il a agité la main et des flammes sont apparues au bout des branches de l'étoile. Puis il a fait « ouah bla bla bla truc ouh ouh » enfin il a dit une formule quoi, genre « abracadabra, bave de crapaud et feuille de rat »!

— C'est quoi, une « feuille de rat » ? demanda Marzel.

— C'est rien. Après donc le feu est devenu couleur émeraude quoi, et il a ouvert ses zyeutilles, car en fait il les avait fermé et en fait bah ses nœils y z'étaient devenus tout vert bizarre ! Ensuite il nous a regardé en mode « wesh chuis trop BG » mais non en fait il était moche ! Et c'est là qu'on a été convulsionnés.

» Pis là ils nous ont assomatés et ils nous ont amenés à Bab El Oued...

— C'est quoi, Bab El Oued ? questionna Flamel.

— C'est une commune en Algérie, à Alger. Ça veut dire « les portes du fleuve », « oued » pour « fleuve ».

— Tais-toi, Pjotr ! Ici, c'est moi, Karel le Magnifique, qui cause !

— Mais...

— Chut ! Pharaon parle ! Bon, du coup, ils nous ont emmenés à Bab El Oued, mais bon voilà quoi, vous avez compris. À un moment, on s'est réveillés en prison ! ils nous ont donné à becqueter et c'était beurk de chez beurk. On aurait dit du vomi de brebis mixé.

» Enfin bref après ils nous ont envoyés voir l'Homme Masqué. Ce gars il avait une cape et une cagoule pour pas qu'on voit sa sale caboche. Et il voulait savoir d'où on venait ! Parce que « bla bla bla trois mondes truc muche Elathe bidule muche la Terre machin chose un autre monde et pia pia pia et pia pia pia ».

» Puis il a pris congé de nous en nous donnant un bon « bande de tronches de cake » dans la tête, non je rigole. Et là dans le couloir y a un gars il trouve dans ma poche du métal wateuré !

» Alors du coup on a fait un marché. Si je lui donne ma pièce, il nous aide à nous enfuir ! Ce gars était aussi habillé comme l'Homme Masqué, qui en réalité s'appelait Breshka.

» Mais bon bref j'ai accepté et là il a fait « abracadabra » enfin non il a pas fait ça mais il a dit une formule magique et ça a genre arrêté le temps. Genre en fait tout le monde était en mode « loup glacé » sauf nous cinq. Le pire c'est que je crois ils se sont réveillés en pensant qu'il s'était rien passé pis il ont dû se dire « un gros juron ils sont gone ». Enfin du coup on est gone et l'aut'nigaud est resté là-bas et moi j'ai dit aux autres « amenez-vous » et bye bye. À mon avis, car je suis supra méga giga intelligent, on était dans une sorte d'église gothique au nord de la Chaîne de T'étala car en marchant on a longé une rivière bizarre, la Ttyra je crois, après on s'est cogné à un fleuve, le Tteeara je pense. Pis on est arrivés à Pta et après avoir dormi on est partis et boum boum boum nous voilà.

Il y eut un silence bref, que Flamel rompit :

— D'accord. Je n'ai pas tout compris, mais on va faire avec.

— Mais, quoi ? C'était pourtant très clair ! T'as besoin de sous-titres ? demanda Karel.

— Si tu pouvais expliquer ce qu'est une église gothique, ce serait déjà pas mal, dit Marzel.

— L'architecture gothique est un style architectural d'origine française qui s'est développé à partir de la seconde partie du Moyen-Âge en Europe occi...

— Tais-toi, Pjotr ! ordonna Karel. Donc oui le gothique, c'est un style architectural bizarre et y a des arcs brisés, des croisées d'ogive et compagnie. Tu vois, Pjotr, moi aussi je sais des choses, et j'ai pas besoin de faire mon p'tit Robert.

— Ton p'tit Robert ? répéta Pjotr.

— Tu préfères que je dise Le Robert poche nouvelle édition 10 000 définitions ?

— C'est pas beaucoup, dix mille, fit remarquer Pjotr en croisant les bras.

— Mais qu'est-ce que t'en sais, t'en as jamais écrit ! s'exclama Karel.

— Arrêtez de vous disputer, intervint Leno Tampiar.

— D'accord, d'accord ! s'écria Karel. On fait quoi, maintenant ?

— On m'explique ce qu'est une église, répondit Marzel.

— Quoi ? Mais vous avez pas de dieux, chez vous ? s'insurgea Karel.

— C'est pas la question d'avoir des dieux ou pas, Karel, répliqua Pjotr. On peut en avoir et les prier dans des lieux de cultes différents. Regarde, par exemple, les musulmans prient dans une mosquée, les protestants, dans un temple, les orthodoxes et les catholiques, dans une église, les juifs, dans une syna...

— Oui, oui, c'est bon, on a compris, Pjotr, rétorqua Karel.

— À quoi sert un dieu, exactement ? questionna Flamel.

— C'est un truc dans lequel tu crois pour justifier ce qu'il se passe autour de toi, répondit Karel.

— Et ça existe ? demanda Marzel.

— À toi de décider, fit Leno. Maintenant, je pense que l'on ferait bien de réfléchir à lancer une offensive sur ce lieu.

— Appelons-le Le palais des Hommes Masqués, proposa Karel.

— Plutôt Le palais de Breshka, rectifia Angela.

— Arrête de casser mes délires !

— Breshka, Breshka..., répéta pensivement Leno. Je crois que j'ai déjà vu ce nom quelque part... Je dois aller à la bibliothèque.

Il se leva et quitta la pièce.

— La réunion est levée, décida Flamel.

*

Leno Tampiar courut à la bibliothèque. Il écumait les premiers rayonnages lorsque la cloche du dîner sonna.

Il interrompit ses recherches, alla chercher des sandwiches au concombre et une gourde de quelque chose à la cuisine puis retourna parmi les livres. Il eut pourtant beau chercher, il ne trouva rien qui ranimait ses souvenirs. Il prit un livre au hasard dans le rayon « Herbologie », s'assit à une table et mordit dans un sandwich. Après l'avoir avalé, il dévissa le bouchon de sa gourde, et but une grande gorgée de ce qu'elle contenait.

— Mmmh, très bon, dit-il.

Il jeta un coup d'œil à l'intérieur du récipient afin d'analyser la boisson, huma la senteur qui en émanait et prononça son verdict. Eau bouillante, demi-citron pressé, cuiller de miel, tranches de gingembre. Après cette analyse, quelque peu superflue, Leno mangea ses deux derniers sandwiches et se releva pour continuer sa quête.

Il passa les étagères au peigne fin, sans rien dénicher. Dépité, il s'écroula sur une chaise et mit sa tête dans ses mains.

Il décida aussitôt d'user de sa technique la plus efficace : repasser dans son cerveau une compilation de chansons en anglais, contenant vingt titres soigneusement sélectionnés dont il connaissait les paroles par cœur. Où en était-il, la dernière fois ? Ah, oui. Numéro dix-neuf, Sympathy For The Devil, du groupe des Rolling Stones.

Please allow me to introduce myself
I'm a man of wealth and taste [*]

[*] S'il-vous-plaît permettez-moi de me présenter/Je suis un homme de goût et fortuné (NDA)

Il se sentait déjà mieux. En se levant, il récitait déjà le refrain.

Pleased to meet you
Hope you guess my name
But what's puzzling you
Is the nature of my game [*]

[*] Enchanté de vous rencontrer/J'espère que vous devinerez mon nom/Mais ce qui vous intrigue/Est de comprendre la nature de mon jeu (NDA)

Il marcha parmi les rayonnages.

C'était là. Bien sûr. Comment avait-il pu être aussi stupide ?

Séparée du reste de la bibliothèque par un cordon d'argent, la Réserve des Livres Interdits et des Incunables semblait l'attendre. Dix-huit ans plus tôt, ne comprenant pas pourquoi cette partie serait interdite, Leno s'y était aventuré, de nuit, bien sûr. Il était tout à fait capable de recommencer.

Prudemment, il enjamba le cordon argenté comme s'il craignait de déclencher une alarme. Il savait parfaitement que c'était ici qu'il trouverait des renseignements sur le prénommé Breshka.

Le cœur battant la chamade, Leno saisit un livre à la reliure étrange, intitulé Les Légendes Noires, Volume II : Époque Contemporaine et se laissa glisser sur le sol. Il ouvrit avec précaution le manuscrit, tout en continuant de chanter sa chanson :

Killed the Czar and his ministers
Anastasia screamed in vain [*]

[*] (J'ai) tué le Tzar et ses ministres/Anastasia a crié en vain

« Savais-tu que ce livre était relié avec de la peau humaine ? »

Leno se figea. Il n'avait sans doute pas bien entendu.

« Savais-tu que ce livre était relié avec de la peau humaine ? »

Encore cette voix ! Il savait très bien à qui elle appartenait et pourtant... comment pouvait-il l'entendre ici ?

« Faut-il que je réitère ma question ? Ou peut-être vas-tu prendre la peine d'y répondre ? »

— Tu m'as déjà fait la même blague il y a dix-huit ans, répliqua Leno.

Cette fois, impossible de s'y tromper. La silhouette de Seth venait d'apparaître dans la pénombre, bien qu'immatérielle, comme une sorte de fantôme.

— Comment...

Leno avait aimé Seth, d'un amour qui avait été réciproque, pendant très longtemps. Ce-dernier avait été capturé il y a des années par Avel, le Chef du Clan de l'Air, et emmené on ne sait où.

« Je suis emprisonné depuis dix-huit ans, et pendant toutes ces années de te contacter, mais mon esprit était alourdi par les drogues que l'on me donnait. Depuis hier ou avant-hier, le château est dans un tel état d'anxiété que l'on a oublié de me droguer. J'ai donc usé de ce tour magique pour te voir. Mais je vais te laisser poursuivre ta lecture, et ensuite te donner quelques renseignements. »

Leno contempla un instant le visage de Seth, sa peau très pâle, ses longs cheveux noirs, ses yeux rouges plissés. Il se replongea ensuite dans son livre et tourna les pages. Lorsqu'il trouva enfin ce qu'il cherchait, son cœur sembla s'arrêter de battre, puis reprendre de plus belle.

LE SARDIOMAGE
Le Sardiomage est une entité maléfique qui aurait environ cinq-cents ans. Lorsqu'il y a un demi-millénaire, il fut créé, il utilisa la magie datant de la nuit des temps, la mélangeant avec une sorte de nécromancie qu'il avait vraisemblablement inventée. Il apparut au milieu de la Guerre de Deux-Cent-Cinquante Ans pour encore plus semer la panique. Il fut tué par le Mage d'Améthyste, mais réussit à ressusciter par on ne sait quel moyen. On a récemment découvert qu'il utilisait des personnes à son service, le dernier étant Naïm Aleisha, un fou furieux qui aimait tuer les gens en leur tapant la tête contre les murs et en emportant un peu du sang de ses victimes dans une fiole en guise de souvenir. Il fut tué par le Sardiomage lui-même, emportant ses souvenirs dans la tombe. Le Sardiomage est aujourd'hui en train de former un garçon de quatre ans, Breshka Arc'hantael, qui a déjà un goût prononcé pour la torture.

Leno se dépêcha de regarder la date de sortie du livre. C'était justement la même année qu'il était arrivé ici. Le garçon devait donc avoir... vingt-deux ans.

« Tu as trouvé quelque chose d'intéressant ? »

Leno sursauta. Il avait presque oublié la présence de Seth.

« L'endroit où vous souhaitez lancer une offensive est la demeure de Breshka Arc'hantael. Je le sais, j'y suis enfermé. »

— C'est là qu'ils t'ont...

« Oui. »

— Mais comment connais-tu nos projets ?

« Les choses se savent, Leno... En attendant, faîtes attention, quand vous arriverez. Depuis l'évasion de tes amis, les forces ont triplé. Et ils cherchent toujours celui qui les a fait évader. »

— Sais-tu de qui il s'agit ?

« Bien sûr. Il m'a déjà proposé de m'enfuir, mais j'ai préféré t'attendre. »

— Alors, c'est une homme ?

« Oui. Enfin, il semblerait. Il se fait appeler Rosen. Je n'ai jamais vu son visage. Mais il va bientôt partir, il est soupçonné. »

— OK.

« Je dois y aller. Tu me manques... »

— Toi aussi.

Seth s'approcha et Leno chercha à attraper sa main. Il rencontra le vide : Seth était immatériel.

— Seth... je...

Celui-ci lui jeta un regard triste et disparut. Leno essuya une larme, mais ne retint pas les autres.

*

Waw ! J'ai cru que j'y arriverai jamais ! Il faut dire que c'était assez long, 2236 mots, je crois... et raccourci, en plus de cela ! Bref ! Qu'est-ce que vous en pensez ?

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