Chapitre 6 ~ En quête de sens
- C'est n'importe quoi, Erwin, protesta le caporal qui avait grand ouvert ses yeux stupéfiés face aux dires de son supérieur.
- Tu sais bien que je n'ai aucune raison de te mentir, soupira le major, lassé.
Le caporal ne savait que penser de cette histoire. Cette fille, enfant, a massacré un titan à elle seule, avec des sabres professionnels qui devaient peser deux fois plus lourd qu'elle à l'époque, qui plus est? C'était impensable.
- T'as dit quel âge? Environ dix ans? Non mais sérieusement, t'as entendu les conneries que tu débites?
- Tu as dû remarquer les affreuses cicatrices qu'elle possède, je vois pas qu'est ce qui aurait pu lui faire ça à part un titan.
- Oh tu sais, c'est une merdeuse des rues, tu sais pas ce qui peut arriver...
- Arrête de sombrer dans le déni Livaï, je l'ai vue de mes yeux.
- Comment tu peux être sûr que c'est elle? Tu deviens sénile, Erwin.
Ce dernier, exaspéré, soupira une énième fois.
- Je pense que c'est le genre de vision qu'on oublie pas.
Livaï ouvrit la bouche, prêt à lancer une réplique cinglante, mais Erwin leva une main sévère pour le convier enfin au silence.
- Maintenant, tu m'écoutes, Livaï.
Il marqua une pause, cherchant les mots justes.
- Je suis totalement sain d'esprit, et ce que je te dis est la pure vérité. J'étais qu'une nouvelle recrue à l'époque, lorsqu'on nous a convoqués dans le district d'Utopia en nous disant que des titans étaient apparus comme par magie là bas. Je voyais l'horreur - qu'on connait tous bien maintenant - pour la première fois de ma vie. Et je pensais que je ne survivrai pas, comme tous les soldats sur les lieux à ce moment là. Et puis j'ai vu cette gamine surgir, une gamine qui n'avait rien vu de la vie et qui pourtant avait plus de courage que moi, moi qui était censé être un valeureux soldat. J'ai vu la profondeur de ses yeux, Livaï. C'est les mêmes qu'aujourd'hui.
Livaï arborait un visage impassible face à la logorrhée de son supérieur. Il ne savait que penser, une fois de plus.
- C'était pour ça qu'on est allés à Trost cette après-midi là, tu avais tout prévu... en déduisit-il, pensif. Pourquoi chercher cette gamine seulement maintenant?
- Il y a quinze ans, après avoir tué ce titan sous mes yeux, je l'ai perdue de vue aussi vite qu'elle était apparue, et même en cherchant aux quatre coins de la ville, je ne l'ai jamais retrouvée. J'ai cru qu'elle avait fini par mourir quelque part. C'était le plus probable au vu de ses blessures et de la quantité de titans qui grouillaient dans les coins. Je m'étais fait à l'idée, mais je n'ai jamais pu oublier tout ça...
Erwin se frotta le menton, pensif également. Plongé dans ses pensées, il semblait revivre intégralement les souvenirs qu'il contait, sous les yeux d'un caporal terriblement indécis. Il pensa néanmoins qu'il était tout de même difficile de ne pas croire quelqu'un avec une telle teneur dans la voix.
- Et puis, reprit le major, il y a quelques semaines, lors de ma réunion à Trost avec hauts-gradés des autres branches militaires, la garnison nous a fait part d'un fauteur de troubles qui semait la pagaille depuis un moment, avec des vols, des combats de rue, ce genre de choses. Et je sais pas vraiment, j'ai eu un pressentiment.
- Toi et tes plans foireux, râla Livaï.
- C'est vrai, avoua le major, amusé. Mais dans mon esprit, c'était une évidence.
- Pourquoi tu ne me l'as pas dit tout de suite?
- Tu ne m'aurais jamais cru, répond calmement Erwin avec un petit sourire entendu.
- Tss...
Il ne pouvait pas contredire la réplique d'Erwin cuisante de vérité. Le major semblait connaître l'ancien bandit plus qu'il ne le pensait.
- Et qu'est ce que tu comptes faire d'elle, maintenant qu'elle est ici?
- Ça, c'est la partie sombre de mon plan foireux, comme tu dirais, soupira Erwin. Tout ce que je sais, c'est que mon instinct me hurle qu'elle sera importante pour la suite.
Livaï leva les yeux au ciel. "Quelle explication merdique!"
- Et surtout, finit le major d'un ton solennel, je pense qu'elle est l'espoir qu'on cherche tant. Elle l'a été pour moi lorsqu'elle était enfant, je suis sûre qu'elle le sera pour toi aussi à présent.
***
Livaï avait besoin de réfléchir.
"- Tu as l'air bien sereine pour quelqu'un qui n'en a jamais croisé un.
- Ça, vous n'en savez rien."
Suite aux étranges paroles que la jeune fille lui avait confié la veille, Livaï n'avait trouvé d'autre solution que de demander des réponses à Erwin, qui avait tant tenu à intégrer Ash au Bataillon sans qu'il ne comprenne pourquoi. Le major lui avait alors raconté cette histoire grotesque.
Il avait du mal à gober ce ramassis de conneries. C'était techniquement impossible. Seuls des soldats dûment entrainés arrivaient à prendre la vie de leur premier titan au bout de longues et dures années. Même si lui-même en était une exception, puisqu'il avait massacré son premier titan assez jeune, sans passer par toutes ces modalités.
"Mais j'avais pas dix ans, bordel!"
Il se dirigea vers les cuisines du Bataillon, en quête d'un bon thé pour lui changer les idées. Il ne réprima pas une moue dégoutée lorsqu'il ne dénicha rien d'autre qu'une vieille tisane de mauvais goût, qu'il piocha tout de même en grommelant.
- Toujours à râler, le nain, rit une voix joyeuse dans son dos.
Hanji venait d'entrer dans la pièce et arborait son sourire enjoué habituel, qui avait le don de donner la nausée au caporal.
- Ta gueule, binoclarde, cracha t-il.
Hanji se contenta de rire, encore une fois, habituée aux remarques acerbes du noiraud.
- Je savais que je te trouverai ici, continua t-elle comme si de rien n'était. Il fallait que je te parle de ta nouvelle recrue.
- Ce n'est pas ma recrue, répliqua t-il, exaspéré. On me l'a imposé. Et pourquoi tout le monde me parle de cette merdeuse? J'en ai rien à foutre.
- Justement, tu t'en occupes alors c'est à toi que je m'adresse. Faudrait que tu la ménages un peu, tu sais.
- Un soldat ça se ménage pas, faut la préparer à ce qui l'attend.
- Écoute, l'interpela Hanji, plus sérieuse.
- Quoi, bordel?
Il se tourna enfin vers sa collègue et planta ses yeux glacés dans ses prunelles brunes et immuablement chaleureuses.
- Elle a disparu. Personne ne l'a vue nulle part.
- Et alors?
Hanji, pour une fois, soupira d'exaspération.
- Sérieusement, Livaï, si tu pouvais arrêter d'être aussi borné, parfois...
- T'as pas l'air très inquiète pour quelqu'un qui vient m'annoncer qu'une recrue a disparu, remarqua le caporal.
- Le peu d'affaires qu'elle a est encore dans sa chambre, ça veut dire qu'elle ne s'est pas enfuie, déclara Hanji. Je m'inquiète pas, elle a l'air assez mature pour se débrouiller, mais je venais juste t'en informer puisque c'est ta responsabilité.
Livaï l'ignora et s'attela à faire chauffer de l'eau pour sa tisane.
- Elle a manqué son après-midi d'entraînement d'après Petra, enchaîna t-elle. La dernière fois qu'elle l'a vue, Ash n'avait pas l'air d'aller bien apparemment. Mais après tout, fais ce que tu veux et reste un sombre connard, comme tu sais si bien le faire.
Sur ces dures paroles, la scientifique sortit avec un petit sourire malicieux aux lèvres en plantant un caporal hors de lui dans la cuisine.
***
- Tss...
Pourquoi s'était-il mis à chercher cette gamine, au juste? Il en avait aucune idée. Il se maudissait d'avoir pris pour lui les paroles d'Hanji.
Oui, il était un pauvre connard, et alors? Il l'avait toujours été, et il n'avait jamais rien eu à foutre de l'avis des gens sur sa propre personne. Il se suffisait à lui-même.
Il ne comprenait pas pourquoi l'insulte d'Hanji l'avait alors tellement touché.
Le caporal se rassura en se disant que c'en était de sa responsabilité, qu'il se devait de chercher cette merdeuse pour sa bonne conscience. Mais sa conscience, justement, lui susurra à l'oreille qu'il ne faisait pas ça pour elle, mais pour lui-même.
- Je deviens fou, marmonna t-il pour lui même, exaspéré de son propre comportement.
Il se concentra sur ses recherches. Maintenant qu'il avait commencé, autant terminer.
Livaï réfléchit. Ash n'était sûrement pas ni à l'intérieur du bâtiment, ni sur le terrain d'entraînement, sinon quelqu'un l'aurait vue et il n'aurait pas eu à entamer ces putains de recherches. Il y avait bien cette petite forêt qui enclavait le QG, où se déroulaient les entraînements à la tridimensionnalité. Il en déduisit qu'elle devait forcément traîner là-bas.
Il s'élança alors en direction de l'orée du bois. La forêt avait l'avantage de ne pas être très grande, ce qui lui faciliterait les recherches.
Il marcha à travers les fourrés, enjamba les bosquets, scrutant les environs. Les arbres laissaient passer à travers leurs ramures les chaleureux rayons du soleil qui éclaircissaient son chemin. Sous ses pieds, les brindilles craquaient et les feuilles suintaient, tombées lorsque l'automne s'était imposé. Livaï apprécia le doux silence forestier, calme et simple, et se souvint que lui aussi venait se réfugier dans cette quiétude sylvestre et apaisante lorsqu'il se sentait las de l'effervescence du Bataillon. Le vent agitait ses cheveux de jais qui venaient se réfugier devant ses yeux à l'affût, qui repérèrent enfin un subtil mouvement, quelques fourrés plus loin, menant à la lisière d'une clairière qu'il connaissait bien. Elle s'était réfugiée ici, c'était évident.
Livaï se faufila dans la lumière de la minuscule clairière sereine, où trônait un énorme chêne en son centre. Cet endroit pouvait presque être qualifié de paradisiaque tant il respirait le calme et la paix.
Ash était là. Elle se tenait droite comme un piquet, dos au caporal, le poing posé contre le tronc du chêne. Ses épaules se soulevaient et s'affaissaient frénétiquement, elle semblait essoufflée.
- Eh, merdeuse, lui lança le caporal pour attirer son attention. Qu'est ce qu...
La jeune fille s'était retournée, et en découvrant son visage, les mots de Livaï moururent dans sa gorge.
Ash pleurait.
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