Chapitre 25 - Retour à la réalité
- Alors, on se réveille, la marmotte?
Ash grogna. Les rayons du soleils qui passaient à travers les fenêtre de l'infirmerie lui agressaient brutalement les yeux, et il lui fallut quelques secondes avant de reconnaître la silhouette assise à son chevet.
- Je suis tellement heureuse que tu te sois enfin réveillée! s'exclama Hanji avec tout l'enthousiasme dont elle était capable. Bien sûr, l'autre nabot ne me l'a pas dit avant le lendemain, il voulait garder la nouvelle pour lui tout seul, hein... On a bien cru que tu t'en sortirais pas, c'est presque un miracle que tu sois encore là, et...
- Par pitié, Hanji, geignit la bouclée. Laisse moi le temps d'émerger.
Pas le moins du monde refroidie par la remarque de la balafrée, le visage d'Hanji se fendit en un immense sourire radieux. Ash appréciait grandement le trop-plein de bonne humeur de sa supérieure, mais à cet instant, il y avait juste de quoi lui donner mal au cœur. Par pur réflexe, la bouclée tenta de se redresser sur son lit.
- Hep hep hep! Bouge pas! Tu vas te faire mal!
Mais Ash avait déjà abandonné son geste lorsqu'elle sentit une vague de douleur traverser son corps. Cela ne lui avait pas manqué.
- Putain, lâcha t-elle, exaspérée de ne pas pouvoir demeurer maître de ses mouvements.
- Eh oui, renchérit Hanji, avec un sourire attristé. A défaut d'avoir trépassé, tu te retrouves en convalescence, ma jolie.
La jeune femme ronchonna en posant son bras sur ses yeux, comme pour se protéger de tout ce que cela signifiait. Mais elle avait plus important à se préoccuper pour l'instant.
- Hanji, appela t-elle d'une voix presque suppliante. Dis moi ce qu'il s'est passé.
L'interpelée soupira longuement à son tour en détaillant son amie, comme pour vérifier si elle était capable d'entendre ce qu'elle avait à dire. Mais connaissant Ash, elle savait que la ménager n'aurait aucun effet sur sa détermination tenace à parvenir à ses fins; ainsi, elle se lança.
- Tout d'abord, sache que l'expédition a été un véritable succès. On a réussi à établir un point de ravitaillement, et j'ai pu capturer un spécimen sur lequel j'ai passé des journées entières à faire mes expériences! Pour la petite histoire, j'ai découvert que...
- Hanji, soupira la bouclée. Ne t'égare pas, par pitié.
La scientifique gonfla ses joues de frustration comme l'aurait fait un enfant, mais passa outre.
- Contrairement à beaucoup d'autres expéditions que nous avons pu effectuer, les pertes de cette dernière sont moins considérables que d'habitude, selon les fédéraux. L'extrême aile droite à été rudement touchée, mais la quasi totalité du Bataillon est rentré en vie.
- Est ce que...
- Oui, les autres membres de ton escouade se portent très bien, la rassura Hanji avec une longueur d'avance, un sourire éternellement plaqué sur ses lèvres. Et c'est grâce à toi.
Ash leva un sourcil inquisiteur.
- D'après les rapports, poursuivit la scientifique, tu les as couvert en te précipitant tête la première sur la menace. Ton... heu... sacrifice, on va dire, leur a permis de se mettre à l'abri.
- Comment ça se fait que je sois encore vivante, Hanji?
La question avait franchi ses lèvres à la seconde même où elle s'était allumée dans son esprit. D'après les bribes des derniers instants sur le terrain dont elle se souvenait, elle n'était pas censée se retrouver là, blessée mais bien vivante, sur le lit de l'infirmerie, mais plutôt en train de servir d'engrais pour les pissenlits. Hanji lui adressa un sourire plein de malice.
- C'est Livaï.
La curiosité s'empara de la bouclée à l'instant même où le nom du jeune homme fut prononcé, ce qui n'échappa pas à la clairvoyance sans pareille d'Hanji.
- Il a retrouvé ta trace grâce aux cadavres de titans sur sa route. Il m'a dit qu'il y en avait bien une dizaine! Moi-même, je n'arrive pas à y croire.
"Moi non plus", pensa Ash. Régnaient dans son esprit qu'un fouillis de vision décousues, de ses mains couvertes de sang fumantes, des yeux globuleux d'un de ces monstres prêt à la dévorer. Elle ferma les yeux, en se demandant comment elle avait bien pu foncer ainsi combattre ces démons qui envahissaient ses rêves depuis si longtemps. Elle avait peut-être pensé que leur faire face une nouvelle fois guérirai ses blessures, les plaies suintantes dissimulées sous ses cicatrices, et que le supplice de ses nuits s'achèverait enfin. Mais elle avait eu tort. Elle n'en était que plus meurtrie.
- Bref, poursuivit Hanji comme pour détourner l'attention de la jeune femme de ses tourments. Il t'a retrouvé dans la main d'un titan qui s'apprêtait à te dévorer, et t'a secouru in extremis. Il nous a rejoint au point de ravitaillement et j'ai pu t'administrer quelques soins qui ont pu te maintenir en vie jusqu'à notre retour. Il était vraiment... bouleversé.
Hanji s'esclaffa bruyamment, sous le regard interloqué de son amie.
- Il s'en veut beaucoup, tu sais, expliqua t-elle une fois son fou rire calmé. Je ne l'ai jamais vu aussi soucieux à propos de quelqu'un.
- C'est bien du caporal-chef Livaï dont tu parles, là?
Hanji rit derechef. Ash, perdue, se demanda si son amie n'était pas en train de lui faire une mauvaise blague.
- Pourquoi il s'en voudrait?, insista la jeune femme.
- Parce qu'il estime que si tu es dans cet état, c'est à cause de l'ordre qu'il t'a donné. Il m'a avoué avoir voulu... te tester, en quelque sorte, en te demandant à toi d'aller tuer le titan qui se précipitait vers vous. A cause de ça, il a relâché sa garde et a mis en danger tout le monde, et sans ton intervention téméraire, il n'aurait pas su gérer la situation sans risquer de perdre quelques vies. Il te doit une fière chandelle, en quelque sorte, conclut-elle en souriant.
- C'est un peu exagéré, grommela Ash.
Elle était surtout déçue de comprendre que l'ordre que lui avait donné son supérieur n'était pas un signe de confiance, au contraire. Il n'avait donc jamais cessé de se méfier d'elle, au point de l'envoyer au casse-pipe rien que pour la tester? La bouclée sentit son cœur se serrer à cette conclusion, et afficha une moue attristée malgré elle.
- Ce n'est pas ce que tu penses, Ash, affirma Hanji en lui posant une main amicale sur l'épaule. Il est venu te voir tous les jours, sans exception, m'a aidé à te soigner dès qu'il pouvait. Il se soucie réellement de toi, Ash, et culpabilise bien plus que tu ne peux l'imaginer.
Ash sonda les prunelles sombres de sa supérieure, comme pour vérifier la sincérité de ses mots. Et à sa plus grande surprise, elle semblait avoir été entièrement honnête, au vu de l'éclat malicieux de ses yeux et de son sourire qui s'était encore agrandi. Elle ne mentait pas.
- Il semblerait que notre ami le nain ait plus de cœur qu'on le pense, conclut Hanji, railleuse.
- Mais...
- Oh lala!, s'exclama la scientifique de manière faussement exagérée. Il faut changer tes bandages, ma jolie, où avais-je la tête!
Ash soupira. Elle n'obtiendrait rien de plus de la scientifique aujourd'hui.
***
Hanji resta au chevet de son amie toute la journée, ponctuée par les visites intempestives de ses camarades entre deux sessions d'entraînement. Son réveil n'était pas resté secret, apparemment.
Lorsque ses amis de l'escouade tactique étaient entrés dans la petite infirmerie, en milieu d'après-midi, on aurait pu croire que la pièce s'était transformée en véritable salle de fête. Petra s'était précipitée sur la bouclée, la serrant fort contre elle malgré les protestations d'Hanji, les joues ruisselantes de larmes de bonheur. Erd s'était longuement excusé, et semblait réellement bouleversé de l'état de sa camarade.
- Je suis désolé de t'avoir traitée comme une novice, avait-il déclaré, abattu. Au final, c'est toi qui nous a sauvé la mise. Merci.
Ash s'était empressée de le rassurer, et comme disait Auruo: "Au moins, elle est vivante, c'est déjà ça". Gunther, fidèle à lui même, avait passé le reste de l'après-midi à réprimander ses camarades surexcités par le retour à la vie de la jeune femme.
L'effervescence de ses amis l'avaient éreintée, et la bouclée dormit une bonne partie de la soirée.
Les journées passèrent, toutes plus semblables les unes que les autres, la jeune femme éternellement allongée sur son lit d'infirmerie. Ash appréciait les attentions d'Hanji et celles du reste de son escouade qui ne manquaient pas un instant pour venir lui tenir compagnie, mais elle enrageait intérieurement de ne pouvoir se mouvoir comme elle le souhaiterai et de rester inerte, inutile, sur ce foutu lit.
C'était un fait, et aussi désagréable soit cette réalité, ses blessures n'étaient pas bénignes, et chaque vague de douleur qui accompagnait le plus futile de ses gestes lui rappelaient inlassablement son indisposition.
"Une légère commotion à la tête, une cuisse perforée, une cheville en miettes et une plaie béante à l'abdomen qui s'est infectée et qui t'as valu une sacré fièvre... T'as déliré des jours entiers, et tes plaies n'ont pas cessé de se rouvrir tellement tu gigotais, on a vraiment cru que t'y passerais..."
Hanji lui avait soigneusement listé tous ses maux, presque aussi abasourdie que la jeune femme qui avait pourtant miraculeusement repris vie.
- Est ce que je pourrais reprendre mon service? avait prudemment demandé Ash, un soir où Hanji s'occupait de changer ses bandages.
- Ça, ça dépendra de ta capacité à guérir, avait doucement répondu sa supérieure. Il te faudra quelques jours encore pour que tu cicatrises convenablement, et ensuite tu pourras recommencer doucement à essayer de te lever, puis de marcher.
Une ombre était passée sur le visage débraillé de la vétérane, ce qui n'avait pas échappé à la bouclée.
- Hanji, dis-moi la vérité.
L'interpellée avait poussé un long soupir lassé.
- Je veux pas te faire peur mais... tes jambes ont pris un sacré coup, surtout ta cheville. Je ne suis pas sûre que tu puisses marcher aussi bien qu'avant.
Le poids du monde semblait s'être fracassé sur les épaules de la jeune femme à cette réponse. Elle s'y attendait, bien sûr, mais c'en était pas moins dur à encaisser. Lorsque la scientifique s'éclipsa, elle pleura longtemps, silencieusement, comme pour évacuer enfin toute cette agitation qui bouillonnait en elle depuis son réveil, depuis le dur retour à la réalité. Elle se sentait incroyablement, viscéralement seule, malgré la présence de ses amis tout autour d'elle, mais qui ne cessaient de lui rappeler son indisposition par le simple fait qu'eux, ils tenaient sur leurs deux jambes. Un mur infranchissable semblait s'être dressé entre elle et le reste du monde, entre la malade et les biens portants. C'en était insupportable.
Elle sombra dans un profond sommeil entre deux sanglots, quittant la dureté de la réalité pour entrer dans la cruauté de ses cauchemars, où elle revoyait sans cesse sa ville brûler et le sang abonder, auxquels s'ajoutait à présent l'atroce vision d'une légion de géants avides qui l'encerclaient, prêts à la dévorer. Elle fuyait le feu qui léchait sa silhouette, les mains immenses des titans qui la fauchaient inlassablement, la douleur palpitante de ses cicatrices, anciennes comme nouvelles, qui lui embrasaient la peau. Mais elle revenait toujours au point de départ: sur le toit de cette maison, horrifiée, tandis qu'une paire d'yeux immenses se posait inéluctablement sur sa maigre silhouette. Où qu'elle aille, elle n'avait aucun échappatoire, et ces fantômes ne cessaient de la poursuivre, toujours.
***
Elle se réveilla en sursaut, gémissant pitoyablement, l'image du corps ensanglanté de son père flottant devant ses yeux, indicible. Elle sursauta derechef lorsqu'elle remarqua une silhouette à son chevet, affalée sur la chaise à ses côtés.
Ash semblait avoir sorti Livaï de son sommeil en même temps que le sien, son regard anthracite encore voilé se posant sur la carcasse tremblante de la jeune femme.
- Je...
- Te justifies pas, je connais, grogna le caporal en faisant craquer sa nuque raidie par la position inconfortable avec laquelle il s'était assoupi.
Ash se calma aussitôt. Elle avait oublié un instant que le caporal souffrait lui aussi de nuits agitées, et se savoir comprise l'apaisa, d'autant plus que Livaï ne semblait pas vouloir approfondir le sujet, à son plus grand soulagement.
Elle ne l'avait pas revu depuis son réveil, pas une seule fois depuis des jours. Malgré les dires d'Hanji, et au vu du mutisme de son supérieur, elle s'était sentie étonnamment blessée de le voir si peu soucieux de son état.
"Tu t'attendais à quoi, Ash?" fusa une petite voix dans son esprit qui lui rappela douloureusement l'amertume de la réalité.
- Qu'est ce que vous faites là? lança t-elle, plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu.
Livaï cessa de s'étirer et se contenta de poser ses yeux orageux sur la jeune femme.
- Tu penses que c'est qui, chaque nuit, qui vérifie que tu fais pas de conneries?
"Oh!" s'exclama la même petite voix.
- Vous voulez dire qu...
- C'est Hanji qui a insisté, puisque je ne dors pas, se justifia le jeune homme en passant une main lasse dans ses cheveux de jais, le regard fuyant la lueur inquisitrice brillant dans les iris bleutées de la jeune femme.
Malgré la sécheresse de ses paroles, le cœur de Ash s'embauma. Hanji ne lui avait peut-être pas menti, tout compte fait.
- J'ai pas besoin d'un geôlier, déclara t-elle pour la forme.
- Ça, c'est toi qui le dit, rétorqua Livaï. Tu passes ta vie à gigoter et à rouvrir tes blessures, c'est vraiment chiant de te contenir.
- Vous n'aviez qu'à refuser.
- Comme si j'avais le choix, avec la binoclarde, soupira t-il.
Ash s'esclaffa. Il est vrai qu'il était difficile de refuser quelque chose à Hanji, même pour le soldat le plus puissant de l'Humanité.
La jeune femme tenta de se redresser sous l'œil alerte de son supérieur. Depuis quelques jours, elle parvenait à bouger le buste sans trop de mal, et faisait de lourds efforts pour améliorer son amplitude de mouvements chaque jour, à mesure que ses plaies cicatrisaient.
Elle sentait sa robe de malade se plaquer désagréablement tout contre sa silhouette, encore transpirante de sa récente terreur nocturne. A cet instant, elle aurait tout donné pour se laver, et effacer par la même occasion les bribes de son cauchemar qui lui collaient encore à la peau.
Livaï sembla alors lire dans ses pensées.
Il se leva sous le regard surpris de sa subordonnée, surprise qui se mua en une véritable confusion lorsqu'il la dégagea de ses couvertures et s'empara délicatement de sa silhouette en la soulevant comme si elle ne pesait rien.
- Mais qu...
- C'est pas te laver que tu veux, merdeuse? trancha t-il en se dirigeant vers la salle d'eau de l'infirmerie.
Blottie malgré elle contre le torse d'un caporal à l'expression désabusée, le cœur battant la chamade, elle leva ses yeux inquisiteurs dans l'espoir de capter le regard cendré de son supérieur, qui ne le lui accorda guère. Ce dernier se contenta d'ouvrir la porte d'un coup de pied sec, et déposa la jeune femme abasourdie sur le tabouret au milieu de la pièce avec cette étrange douceur dont il était toujours pourvu à son égard. Même après l'avoir quittée, les bras de Livaï qui avaient soutenu son corps semblaient avoir laissé une trace criante sur sa peau, et la bouclée mit quelques longues secondes à reprendre contenance.
Le jeune homme se dirigea prestement vers le robinet, une bassine à la main, et la remplit d'eau chaude sous le regard curieux de la balafrée. A défaut de pouvoir prendre une douche, elle pourrait au moins s'asperger d'eau comme pour se laver de ses mauvaises pensées, à l'image d'une crasse qui lui aurait incrusté la peau. Touchée par les attentions maladroites du jeune homme qui se faisaient étrangement plus nombreuses à mesure que le temps passait, Ash appréciait grandement cette compréhension tacite qui le faisait réagir sans même qu'elle n'ait à parler.
Alors que Livaï se retournait en sa direction, Ash détacha ses cheveux emprisonnés par l'élastique qui les maintenaient en un chignon aussi débraillé que celui d'Hanji. Une cascade de boucles dorées dévalèrent ses épaules, et la jeune femme saisit une de ses longues mèches distraitement.
- Je pense que je vais me les couper, déclara t-elle soudainement.
Elle n'avait jamais osé raccourcir ses longueurs. Ses cheveux étaient l'unique indice de sa féminité, la seule esthétique sur sa personne qu'elle chérissait, et le camouflage idéal pour la balafre qui lui ciselait le cou. Mais à présent, elle se fichait bien du seul attrait qu'elle possédait. Tout ce qu'elle voulait, c'était reprendre sa vie de soldat dans son intégrité, et cette foutue tignasse ne ferait plus que l'encombrer.
Perdue dans ses réflexions, la jeune femme finit par croiser le regard de Livaï qui la contemplait silencieusement, une étrange lueur dansant dans le fond de ses prunelles cendrées.
- Non, finit-il par lâcher simplement.
Ash fronça les sourcils. Lors de son premier jour au Bataillon, ce même homme lui avait pourtant sèchement conseillé de couper ses longueurs gênantes.
- Mais je croyais que...
- J'ai changé d'avis, coupa t-il brusquement en déposant la bassine remplie d'eau aux pieds de la jeune femme, avec un carré de savon et une serviette propre.
Ash le dévisagea, comme pour tenter de déceler un quelconque indice pouvant lui expliquer cet étrange revirement. Mais Livaï se redressa prestement et avant qu'elle n'ait pu ouvrir la bouche, il se retrouvait déjà devant l'encadrement de la porte où il s'arrêta net. Sans se retourner, sa voix au timbre vibrant fusa alors:
- Tu es très bien comme ça.
Le cœur de la jeune femme rata un battement.
Et la porte se referma derrière lui.
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